7+2+x=15 : l’équation interdite des attentats du 13 novembre (2/2)

3 septembre 2021 : diffusion sur Arte des Ombres du Bataclan, documentaire réalisé par Francis Gillery

Francis Gillery est un réalisateur de films documentaires depuis 1996, travaillant d’habitude pour France télévision, qui s’est déjà intéressé à des sujets sensibles, comme l’assassinat de Jean de Broglie le 24 décembre 1976 (( L’assassinat de Jean de Broglie, une affaire d’État, diffusé sur France 3, 2016 )) , la mort suspecte de Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993 (( La double mort de Pierre Bérégovoy, France 3, 3 mai 2008 (avec Hubert Marty-Vrayance). Production : Cie des Phares et Balises – France3 )), l’assassinat du procureur Borrel à Djibouti en octobre 1995 (( La Légende du juge Borel, diffusé sur Arte le 17 octobre 2010, 90 min. Production : Cie des Phares et Balises – France3 )), la mort spectaculaire de Lady Diana à Paris le 31 août 1997 (( Diana et les fantômes de l’Alma, France 3, 25 août 2007, 90 min. Production : Artline Films – France 3 – RTBF – SBS-TV Australia )).

Les ombres du Bataclan consiste pour l’essentiel en une synthèse artistique des réactions et commentaires de la plupart des principaux protagonistes de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, mise en place en février 2016, à l’initiative du groupe Les Républicains et du député George Fenech, commission présidée par George Fenech et le député PS Sébastien Pietrasanta, qui a rendu ses conclusions en juillet 2016, dans un rapport en deux volumes dont la consultation peut s’avérer des plus instructives, comme nous avons pu nous en rendre compte dans la première partie, même si l’intéressant gît souvent dans ce qui n’est pas dit plutôt que dans ce qui est dit.

Ont ainsi été interviouvés nombre des protagonistes de cette commission d’enquête, ou occupant au moment des événements d’éminentes fonctions : l’ancien Premier ministre Manuels Valls, l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, George Fenech, Sébastien Pietrasanta, l’ancien juge antiterroriste (de 2006 à 2015) Marc Trévidic, le coordinateur national du renseignement (entre juin 2015 et août 2016) Didier le Bret, l’ancien patron du RAID (de 2013 à 2017) Jean-Michel Fauvergue, l’ancien directeur de la DCRI (de juillet 2008 à mai 2012) Bernard Squarcini, l’ancien directeur de la DCRI (de juin 2017 à octobre 2018) et l’actuel coordonnateur national du renseignement et la lutte contre le terrorisme (depuis le 15 juillet 2020) Laurent Nunez, Samia Maktouf, avocate de parties civiles au procès du 13 novembre, des membres des services de renseignement ou des unités d’intervention s’exprimant cagoulés ou le visage et la silhouette obscurcis.

Pour la réalisation de ce documentaire, Francis Gillery, a été assisté par George Fenech en personne (Cf le portrait que nous lui avons consacré dans « le lynchage républicain de Thierry Casasnovas »), ce dont on se rend compte dans les passages où c’est lui-même qui mène certains entretiens, comme celui avec Marc Trévidic ou Jean-Michel Fauvergue. Il est d’ailleurs co auteur du documentaire.

Pour le reste, il semble bien que Francis Gillery ait eu carte blanche et qu’aucune piste ne lui ait a priori été interdite. C’est ainsi qu’il a pu insérer une longue séquence (à partir de 57: 20) sur l’ordre réitéré de non intervention donné à la BI le 13 novembre. A l’évidence, ce n’est pas aiguillonné par l’ancien président de la commission d’enquête parlementaire que le réalisateur a eu l’idée de caser une séquence sur l’ordre de non-intervention de la BI, si l’on en juge par la réaction tantôt stupéfaite, tantôt gênée, des personnalités questionnées à ce sujet, M. Fenech inclus, qui avouent tomber des nues en apprenant ce détail que le producteur du documentaire n’a pas escamoté. L’intérêt de cette séquence est également de proposer un long double entretien de Laurence Beneux, auteur de l’ouvrage explosif sur la BI qui a été complètement ignoré au moment de sa parution en janvier 2020, et d’un ancien membre de la BI, dont les réponses ont été entrecroisées au montage.

Voici à présent le verbatim de toutes ces réactions et révélations, dont on peut considérer qu’elles ont désormais un caractère officiel puisqu’Arte n’a semble-t-il pas opéré de coupure dans cette séquence placée à la fin du documentaire.

Fenech : ça n’était pas dans l’objet de nos travaux, je ne crois pas qu’on nous ait signalé cette velléité, cette volonté de la BI, Brigade d’Intervention, sur les lieux de l’attentat, ça n’est pas remonté jusqu’à nous en tous cas.

Pietrasanta : Dans les chronologies qui nous ont été données, il n’y a aucune distinction, aucune mention de Brigade d’Intervention.

Policier de la BI (cagoulé – les points de suspension entre parenthèses correspondent aux extraits de l’interviou de Laurence Beneux que le réalisateur a entrecroisés) : Nous on s’entraîne au cas où, on s’entraîne tout le temps pour ça, pour répondre à un événement grave majeur, donc forcément des groupes d’intervention, et spécialement de la BI, sont mieux formés, mieux équipés, et mentalement prêts, pour aller résoudre des crises majeures du type Bataclan (…) C’est-à-dire qu’ils comprennent qu’il y a une crise majeure en train de se jouer, et d’initiative, ils demandent à leur hiérarchie de se rendre sur place. (…) Donc, ce qui veut dire que les six qui revenaient de la Tour Eiffel sont en plus d’astreinte ce soir-là, et donc ils demandent l’autorisation à la salle d’information et de commandement, pas d’aller se mettre directement sous les ordres de la BRI, qui n’est pas sur place, mais de se rendre directement sur place, et la salle d’information et de commandement leur dit « non, vous n’allez pas au Bataclan ». Et dans les six, là, pour bien les connaître, il y en a c’était pas la première crise, il y en a qui étaient également dans la colonne à l’Hyper Cacher. (…) Donc le collègue qui était là, pour en avoir longuement parlé avec lui, insiste lourdement, « est-ce que vous n’avez pas besoin de nous tout de suite ? « , et la salle d’information et de commandement lui dit « non, vous n’allez pas au Bataclan, vous allez au 36 quai des Orfèvres, rejoindre la BRI ». Alors la question de savoir pourquoi, qui parle, est-ce que c’est la salle d’information et de commandement, est-ce que c’est l’opérateur, est-ce que c’est le chef de salle, est-ce que c’est le directeur de la salle d’information et de commandement, est-ce que c’est plus haut, beaucoup plus haut, beaucoup beaucoup plus haut ? Moi j’ai pas la réponse… (…) Il y a les six qui étaient à la tour Eiffel, donc qui sont rentrés au siège de la BI, qui se sont rendus au 36 quai des orfèvres, pour repartir du 36 quai des orfèvres avec la BRI pour arriver sur le Bataclan, ces six-là font partie de la colonne d’assaut, de la première colonne d’assaut, celle qui rentre, qui monte dans les étages, etc. Pourquoi, pourquoi perdre un quart d’heure ou vingt minutes, ou plus, à faire un détour par le 36 quai des orfèvres pour retourner au Bataclan ? Parce que Vincennes/36, on passe pratiquement devant le Bataclan. (…) C’est sûr que s’ils étaient intervenus d’office, sans passer par le 36 quai des Orfèvres, c’est sûr que c’est la BI qui serait intervenue, seule, autonome, et l’idée ça aurait été de mettre fin le plus vite possible à la tuerie. (…) Le collègue qui était hiérarchiquement dans les six, qui a appelé la salle d’information et de commandement pour demander l’autorisation de se rendre sur place, je pense qu’il regrette, je pense qu’il regrette… peut-être pas d’avoir appelé, mais d’avoir demandé l’autorisation. Il aurait dû appeler pour dire « on y va ». Une fois que tout s’est posé, qu’on sait que la crise est résolue, qu’on n’a pas de blessés chez nous, qu’on va tous pouvoir rentrer chez nous, se pose la question « pourquoi on est allé au 36 quai des Orfèvres et pas au Bataclan ? ». On commence à s’interroger collectivement et collectivement, on n’a pas la réponse. On n’a toujours pas la réponse… La hiérarchie n’a pas de réponse non plus… (…) Bizarrement, sachant que les six, on a tous fait des rapports, c’est-à-dire qu’on a tous expliqué ce qu’on avait vécu ce soir-là, de manière hiérarchique, donc, pareil, dans un monde parfait, dans un monde utopique, le rapport une fois qu’il est écrit, il remonte jusqu’au sommet, ça veut dire que le directeur il est informé de ça.

Laurence Beneux : Donc ils ont fait un rapport du déroulé des opérations, et ce qu’il s’est passé entre 21 heures et 21 heures 30, le moment où ils sont partis au quai des Orfèvres, on leur a envoyé, on leur a dit « ce n’est pas la peine de préciser ça, les coups de fil et tout ça », donc, en fait, les rapports ont été expurgés, et il est possible qu’il y ait des gens qui gardent les premiers rapports. Il y avait une volonté de prestige de la direction de la BRI, ce qui est d’ailleurs dit en creux dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la raison pour laquelle on n’a pas activé la force d’intervention de la police nationale : ils voulaient la direction…(…) Au niveau de la direction de la BRI, il y a des gens qui ont beaucoup de pouvoir et qui de toutes façons ont le bras très long.

Bernard Cazeneuve (le visage tendu) : Quand vous êtes dans une soirée comme celle-ci, que vous coordonnez de multiples services, dans un contexte où il faut décider la mise en place de l’état d’urgence, la coordination globale des secours, etc., ce n’est pas à ce moment-là que ce type d’information vous est communiquée, du tout. Je sais que cette Brigade d’Intervention existe, qu’elle soit intervenue avec la BRI ce soir-là c’est tout à fait possible. Qu’elle puisse intervenir seule, sans l’ensemble des forces, me paraît compte tenu de mes souvenirs, difficile et impossible pour des raisons qui tiennent aux protocoles d’intervention. Je n’irais pas plus dans le détail sans documents six ans après, parce qu’il faudrait que je vérifie ces éléments pour ne pas prendre le risque de vous dire des choses imprécises…

Manuel Valls : On ne va pas rentrer dans un débat sur le fait : s’ils étaient intervenus, on aurait empêché… La question est légitime pour eux, comme pour les victimes, ou pour vous. Mais là je suis dans un débat trop général.

Les ombres du Bataclan suscitent la controverse

Alors que dans l’ensemble le documentaire de Francis Gillery a d’abord été plutôt bien accueilli et recensé par l’ensemble de la sphère médiatique, il n’a pas du tout été du goût de certains acteurs de premier plan qui y sont cités et interviouvés. Deux extraits en particulier ont fait bondir. Le premier est celui du témoignage de Franck B., présenté comme un « ancien officier du renseignement », qui, pour expliquer le primat accordé à la BRI le soir du 13 novembre au Bataclan, avance : « A ce moment-là, nous étions dans un contexte particulier : nous avions Manuel Valls qui, en tant que Premier ministre, visait clairement le poste de président de la République. Donc il avait besoin de s’accaparer les bonnes grâces des policiers, ce qui n’était pas gagné. Il fallait qu’il mette en avant des policiers sur une intervention, quitte à ne pas faire intervenir certains et à en privilégier d’autres, comme par exemple la BRI (…). C’était l’occasion de mettre en avant, face à un attentat d’ampleur nationale, des héros qui seraient en mesure de lui retourner la pareille, en mettant en avant la coordination et le travail du gouvernement. »

Cette accusation, on le conçoit sans peine, a fait bondir Manuel Valls qui a annoncé sur un message Twitter en quatre morceaux, le 16 septembre – avec donc un temps de réaction de deux semaines – son intention de porter plainte contre Arte pour « diffamation publique envers une personne publique », expliquant : « Dans le documentaire “les Ombres du Bataclan”, diffusé le 3 septembre, il est affirmé que j’aurais privilégié comme Premier ministre des intérêts électoraux au détriment de l’efficacité des interventions des forces de l’ordre lors de la nuit des attentats du 13-Novembre 2015, Cela revient à m’imputer un cynisme quasi diabolique puisque je n’hésiterais pas à sacrifier des vies humaines sur l’autel d’un tortueux calcul électoral. Ces propos dépassent largement les limites admissibles de la liberté d’expression. » Manuel Valls a pour avocat Richard Malka, l’avocat historique de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, dont nous avons rapporté et commenté la délirante plaidoirie finale lors du procès des attentats de janvier 2015 dans notre ouvrage Le massacre de Charlie Hebdo, l’enquête impossible (p. 322).

Le second extrait à avoir suscité des remous, quoique, nous allons le voir, dans de moindres proportions, est bien sûr celui beaucoup plus long à la fin du documentaire où Laurence Beneux et un ancien policier de la BI exposent la polémique de l’ordre réitéré de non-intervention donné à la BI. Précisions que contrairement aux apparences ces deux points ne sont pas forcément liés : l’accusation contre Valls a pour cadre le non-déclenchement de la FIPN (( La Force d’Intervention de la Police Nationale (FIPN) a été créée en 2009, dans l’hypothèse de la perpétration d’actes meurtriers extrêmement graves dans la capitale. Il s’agit d’une structure temporaire, déclenchée par le ministre de l’Intérieur, après sollicitation du Préfet de police qui demande le feu vert du ministre. Son objectif est de donner unité et cohérence à l’intervention des deux unités d’intervention possiblement concurrentes. Le patron du RAID en prend la direction, le chef de la BRI devenant aussitôt son adjoint. La primauté du RAID s’explique par le fait qu’il s’agit d’une unité essentiellement dédiée à l’intervention, tandis que la BRI est une unité de police judiciaire. Elle dispose d’une équipe d’intervention rapide (ERI), dont les hommes effectuent des exercices comparables à ceux des hommes du RAID, mais on n’est pas au même niveau de professionnalisme pour ce qui concerne l’intervention. La FIPN a été déclenchée pour la première fois le 9 janvier 2015, lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, avec l’aval du DGPN, du préfet de police Michel Cadot, et du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. L’assaut de l’Hyper Cacher a ainsi été déclenché par le RAID et la BRI placés sous l’autorité du patron du RAID Jean-Michel Fauvergue. )) par le préfet de police de Paris Michel Cadot, et la primauté accordée à la BRI pour déclencher l’assaut contre les terroristes retranchés à l’étage.

Le 7 septembre, interviouvé sur Europe 1, Bernard Cazeneuve avait été le premier à s’insurger : « Quand j’entends dans un reportage qu’il est dit que la BRI aurait été interdite d’intervenir par un ancien Premier ministre qui a été de surcroît ministre de l’Intérieur, je veux parler de Manuel Valls, au motif que le directeur de la BRI, qui aurait pu le soutenir au moment des élections présidentielles, quand on sait ce que furent les événements de cette nuit tragique, que l’on sait dans quel état d’esprit nous étions, quand on sait à quel point nous étions dévastés, les uns et les autres, dire des choses de cette nature dans un reportage et laisser dire qu’elle ait laissé diffuser, ne peut pas produire d’autres effet qu’une forme de nausée. (…) C’est abject de dire des choses comme ceux qui ont conçu ce type de documentaire, et ceux qui les ont laissé diffuser, sans comprendre ce dont il était question, ne se sont pas grandis, et puis par ailleurs, laissez-moi vous dire autre chose qui restera en moi jusqu’à mon dernier souffle. J’ai vu les policiers, moi, à la sortie du Bataclan, de la BRI, qui étaient intervenus. Je les avais vus aussi avec ceux du RAID, à la sortie de l’Hyper Cacher. Ils étaient cagoulés parce qu’il y avait les caméras du monde entier qui étaient là, et je ne pouvais discerner leurs sentiments qu’à travers leurs regards. Ils venaient dans les deux cas de côtoyer l’épouvante, l’horreur absolue, et ils n’étaient armés que de leur courage, et certains ont exposé leur vie. Le commissaire qui est entré de sa propre initiative dans le Bataclan, mais aussi, tous les policiers de la BRI, et ceux qui aujourd’hui font des commentaires étaient vraisemblablement ce soir-là assis sur la moleskine de leur canapé. Alors moi je ne laisse pas la réputation d’hommes et de femmes, courageux, qui ont exposé leur vie pour sauver celles des autres, ni la réputation d’ailleurs de grands préfets, je pense au préfet de police Michel Cadot pour lequel j’ai une estime considérable parce que c’est un grand républicain, bien qu’il ait servi des ministres d’une autre majorité, qui a travaillé avec moi avec une grande loyauté, et moi je ne laisse pas ces hommes et ces femmes qui furent exemplaires salis par des individus qui cherchent un profit à court terme, pour eux. »

On aura noté pour commencer le lapsus initial de Bernard Cazeneuve qui évoque la « BRI qui aurait été interdite d’intervenir » alors qu’il est bien sûr question de la BI. On notera aussi l’absence complète d’argumentaire, le lexique plein de pathos étant censé y surseoir : « épouvante », « sentiments », « courage », « dévastés », « nausée », « tragique », « abjects » « dernier souffle ». On ne voit pas par ailleurs en quoi le fait d’être un « grand républicain » devrait entraîner une « estime considérable » envers Michel Cadot. Bon, Bernard Cazeneuve protège-t-il peut-être ici, par solidarité républicaine, Michel Cadot et Manuel Valls, et peut-être est-il sincère. Pour mémoire, le patron du RAID Jean-Michel Fauvergue, interrogé dans le documentaire par George Fenech dans le documentaire, avait dit par ailleurs : « Je n’ai pas compris pourquoi cette FIPN n’a pas été déclenchée. Soyons très clairs : il y a une rivalité au ministère de l’Intérieur entre le préfet de police et le directeur général de la police nationale » Et rappelons que selon le rapport de la commission d’enquête parlementaire (tome 2, p. 424), c’est précisément Michel Cadot qui a fait le choix de ne pas déclencher la FIPN pour le massacre du Bataclan. Voyons maintenant quel sort Bernard Cazeneuve réserve à l’ordre de non intervention donné à la BI, qui occupe près de dix minutes dans le documentaire, bien plus que la sortie de Franck B., l’ancien officier des services de renseignement, contre Manuel Valls…

« Quand les faits ne correspondent pas à la réalité, il faut être capable, par un récit simple, clair, de restituer la réalité des faits. Quand on dit qu’une brigade d’intervention souhaitait intervenir à 21h30 et qu’elle a été empêchée de le faire, sans préciser qu’elle ne pouvait pas intervenir à 21h30 puisque l’attaque a commencé à 21h40, ce qui est quand même d’une grande incongruité. On voit par exemple sur cet exemple-là, je pourrais prendre bien d’autres exemples qui correspondent à des manipulations, à quel point quand on présente les choses d’une certaine manière, avec la volonté de nuire, de semer la colère et le trouble, on peut le faire de façon malhonnête, mais on peut aussi restituer la réalité en étant honnête, et je vais faire ce travail-là parce qu’il est de mon devoir de le faire. Il correspond à la réalité que j’ai vécue, et puis il y a la complexité des choses qu’il faut restituer, et là, prenons quelques exemples, voyez, que je veux évoquer. Je les ai évoqués hier, ces exemples, avec des victimes que j’ai rencontré à la fin d’une émission et qui me faisaient part de leurs interrogations. Lorsque j’arrive à Bauveau en 2014, les terroristes communiquaient entre eux par des moyens cryptés, et nous avions une loi sur le renseignement qui date de 1991, c’est-à-dire d’une époque où il n’y avait ni téléphone portable ni internet. Bon. Il faut moderniser tout ça. Cela n’a pas été fait. On le fait en juillet 2015. Mais entre juillet 2015 et avril 2015 (sic), il y a le temps de priser par décret l’application de cette loi dans un contexte où certaines techniques de renseignement peuvent porter atteinte aux libertés publiques. Donc cette complexité-là, il faut la restituer car elle est une réalité. »

Bernard Cazeneuve se débarrasse ici très douteusement de la patate chaude. Dans leurs témoignages, les fonctionnaires de la BI précisent bien qu’ils ont dans un premier temps demandé l’autorisation de se projeter dans la zone de Paris où des terrasses de café avaient été prises pour cible, zone où se trouvait le Bataclan. Jamais ils n’ont demandé d’intervenir au Bataclan dix minutes avant le commencement du massacre ! Ils ont en revanche bien sollicité leur hiérarchie dès 20h30, et par la suite à plusieurs reprises, jusqu’à 20 minutes après, c’est-à-dire, concernant le dernier appel, à peu près cinq minutes après le commencement de la tuerie – l’horaire exact est d’ailleurs 21h47 et non 21h40 – dans la salle de spectacle dont ils étaient tout proches, et plutôt que de leur donner le feu vert, on leur a demandé de patienter, et finalement ordonné de faire un détour par le siège de la BRI au 36 quai des Orfèvres pour compléter la colonnette improvisée par le preux Christophe Molmy. Bernard Cazeneuve a un certain culot d’accuser certains de « manipulations », de « volonté de nuire », de méthodes « malhonnêtes », en même temps qu’il prétend « restituer la complexité ». Au contraire, c’est lui qui simplifie outrageusement un aspect complexe de la réponse policière lors du massacre du Bataclan, manipule les faits en ne retenant que ceux qui sont propres à contredire les hommes de la BI, fait preuve de malhonnêteté et sans doute de volonté de nuire puisque de telles réactions visent à l’évidence à l’obscurcissement de la vérité dans le contexte de l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre, où le documentaire de Francis Gillery et George Fenech a été cité par des avocats des parties civiles comme élément nouveau à ajouter au dossier d’instruction (voir plus loin).

En même temps qu’il annonçait déposer plainte, Manuel Valls a reçu le soutien appuyé de l’ancien ministre de l’Intérieur, et éborgneur de Gilets jaunes, Christophe Castaner : « En responsabilité, ayant eu l’honneur d’occuper la fonction de ministre de l’Intérieur, je sais combien cette mise en cause est sans fondement, contraire à la vérité et à l’action du gouvernement alors en exercice », et de l’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, visé par une plainte pour viol à l’époque de sa nomination : « Chacun sait l’engagement total de Manuel Valls comme ministre de l’Intérieur puis comme Premier ministre durant cette période dramatique ». Chacun sait…

Les médias se sont concentrés sur les accusations de Franck B. contre Manuel Valls, et le dépôt d’une plainte contre Arte par ce dernier, et ont presque complètement passé sous silence ce point polémique brûlant. En dehors d’Europe 1, où Bernard Cazeneuve est douteusement intervenu dès le 7 septembre, très rares sont les médias à en avoir fait mention. Pour tout dire je n’ai relevé sur la toile que deux occurrences : dans marianne.net, et il faut voir de quelle façon ! : « Pourquoi ces hommes n’ont-ils pas été envoyés directement au Bataclan, donc, au lieu de devoir rallier la BRI au 36 quai des Orfèvres ? La question semble légitime – bien qu’on puisse également y répondre par des objections opérationnelles –, mais elle repose sur du vent, dans la mesure où cette chronologie des événements est fausse. Si les massacres en terrasse avaient bien débutés à 21 h 35, la tuerie du Bataclan a elle commencé à 21 h 40, selon le rapport de la commission parlementaire. Le premier équipage de la BAC engagé arrivera sur les lieux onze minutes plus tard. Quant au commissaire divisionnaire et au brigadier qui ont abattu un terroriste dans le Bataclan, ils sont arrivés sur place à 21 h 54, toujours selon le rapport de la commission d’enquête. Fâcheux… » Ce qui est vraiment fâcheux, c’est la grossière erreur chronologique ici commise puisque les attaques contre les terrasses (celles de la rue Bichat et de la rue de la Fontaine au Roy), ont commencé non pas à 21h35 mais à 21h24. De toutes façons la chronologie et la polémique sont simplifiées à l’extrême et rendent impossible leur appréhension dans leur complexité.

Et relevons tout de même ce compte-rendu honnête (le seul !) d’Antonio Fischetti pour Charlie Hebdo le 17 septembre : « Autre problème, encore lié à cette histoire d’obéissance. Dans le documentaire de Francis Gillery, on apprend l’existence d’une brigade d’intervention (BI), à ne pas confondre avec la BRI. La BI était une brigade peu médiatisée, mais d’élite, elle aussi (elle a notamment participé à l’assaut contre l’Hyper Cacher), aujourd’hui intégrée à la BRI. Le 13 novembre, six de ses membres reviennent d’un entraînement à la tour Eiffel, lorsqu’ils ont connaissance de l’attentat au Stade de France. Ils filent illico à leur QG, s’équipent et attendent les ordres, prêts à foncer. Il est environ 21 h 30. Mais c’est la consternation : la hiérarchie leur dit non, vous n’y allez pas. Alors qu’ils sont à cinq minutes des terrasses du 11e arrondissement, on leur ordonne de se rendre au 36, quai des Orfèvres, d’attendre que la BRI s’équipe, puis de s’intégrer à celle-ci. Ce qui les fait arriver au Bataclan vers 22 h 40. Alors qu’ils auraient pu y être au moins quarante-cinq minutes plus tôt, et peut-être même avant le commissaire X ! Un retard incompréhensible, quand chaque minute représente des dizaines de victimes supplémentaires. Dans Les Ombres du Bataclan, un ancien membre de la BI exprime ses regrets d’avoir obéi : « Le commandant qui a appelé pour demander l’autorisation de se rendre sur place, je pense qu’il regrette, non pas d’avoir appelé, mais d’avoir demandé l’autorisation, il aurait dû appeler pour dire on y va. Point ». » C’est la première fois de ma carrière que j’ai l’occasion de rendre hommage à un article de Charlie Hebdo et je ne vais pas me l’interdire par principe : en vérité voilà qui est beaucoup plus conforme à la réalité et à la « complexité ».

Bref : le traitement médiatique de l’ordre de non-intervention donné aux six hommes de la BI le soir du 13 novembre est finalement comparable à celui de l’ouvrage de Laurence Beneux un an et demi plus tôt lors de sa parution : il a été presque complètement escamoté, et d’autant plus commodément qu’il a été étouffé par l’autre point polémique : les déclarations de l’officier de renseignement Franck B., déclencheur de la plainte de Manuel Valls contre Arte, qui a permis de surcroît à ce dernier, sous des feux médiatiques éclatants et croisés, de redorer son blason en jouant la vierge effarouchée et le chevalier blanc indigné, dans un contexte politique où il est interviouvé complaisamment trois à quatre fois par semaine dans les medias (( Pour s’en rendre compte, nous renvoyons au compte tweeter de Manuel Valls dans lequel il annonce et relaie toutes ses interventions médiatiques. )) : un comble quand on se souvient de l’abîme dans lequel il était tombé depuis son échec à la primaire du PS en 2017, sa réélection controversée comme député d’Evry et son nouvel échec à la mairie de Barcelone, plus généralement le mépris et l’exécration générale dont il est l’objet dans toute la population, et ce malgré sa récente nomination en compagnie de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe au comité d’honneur de la LICRA.

Les Ombres du Bataclan citées lors du procès des attentats

Le 10 septembre 2021, au troisième jour du procès des attentats du 13 novembre 2015, Me Olivier Morice, avocat d’une quarantaine de parties civiles, demande à la cour que soient entendus Bernard Squarcini, ancien chef de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) de 2008 à 2012, Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du RAID, et Michel Cadot, préfet de police de Paris au moment des événements. Il justifie sa demande en se référant aux extraits où ces derniers sont interviouvés dans les Ombres du Bataclan, notamment quand y est évoqué le projet d’attentat contre la salle de spectacle découvert en 2009 à l’occasion de l’interrogatoire de Farouk Ben Abbès, et le projet plus vague d’attentat imminent contre une salle de spectacle révélé à l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic en août 2015, lors du dernier mois de sa mandature de dix années. Le président de la cour répond qu’ils seront entendus fin mars si les débats n’ont pas pris trop de retard. Remarquons déjà qu’il ne s’agit pas d’une véritable révélation du documentaire : tous les détails de cet énorme raté des services de renseignement, qui n’ont même pas pris la peine d’adresser un « avis à victime » aux frères Touitou (( A propos des frères Touitou et de la cession par ces derniers au groupe Lagardère de la salle de spectacle du Bataclan le 11 septembre 2015, qu’ils exploitaient depuis 33 ans, prélude à leur alya en Israël, nous renvoyons à notre article « Émission sur le terrorisme en France + extraits censurés », publié sur notre site internet le 17 avril 2021. )), propriétaires et gérants de la salle depuis 33 ans qui l’ont vendue au groupe Lagardère le 11 septembre 2015, sont étalés dans les auditions du rapport de la commission d’enquête, et répétées noir sur blanc dans le livre de George Fenech sur les attentats du 13 novembre paru le 25 août, deux semaines avant l’ouverture du procès. Le journaliste du Canard enchaîné Patrick Cohen-Grillet a joué un rôle décisif dans la prise en compte de cette polémique en décembre 2015, rendant incontournable sa prise en compte par les commissionnaires (( 8 En octobre 2016, Philippe Cohen-Grillet a publié, au sujet de cet incroyable désastre policier et judiciaire, un ouvrage choc aux éditions Plein Jour intitulé Nos années de plomb, et sous-titré Du Caire au Bataclan, autopsie d’un désastre. Eu égard au retentissement de l’ouvrage, incomparable à celui de Laurence Beneux sur la Brigade d’intervention, il était impossible à George Fenech de ne pas longuement s’y attarder dans son ouvrage, d’autant que les commissionnaires avaient abordé cette affaire lors de l’audition du juge antiterroriste Marc Trévidic. Il aurait été d’autant plus inconcevable de ne pas évoquer ce scandale que Philippe Cohen-Grillet, journaliste notamment au Canard enchaîné et Paris Match, avait pu faire cette révélation dans un article le 16 décembre 2015 dans le célèbre et influent hebdomadaire satyrique de la contestation contrôlée. )).

Le 22 septembre 2021, bien plus mémorable, quoique les médias n’aient donné presque aucun relief à cette péripétie du procès, Me Olivier Morice a pu questionner directement l’ancien chef de la BRI, Christophe Molmy, au sujet de l’ordre de non intervention donné à la BI le soir du 13 novembre, en se référant de nouveau aux Ombres du Bataclan. Auparavant Christophe Molmy avait introduit son audition comme témoin par une présentation détaillée du rôle joué par lui et la BRI pendant cette soirée sanglante, sans évoquer une seule fois l’existence de la BI. Signalons que dans les intervious radio et audiovisuels qu’il a pu donner depuis le début du mois de septembre, par exemple sur RFI, il ne mentionne même pas la présence du RAID au Bataclan à ses côtés.

Le commissaire Christophe Molmy, chef de la BRI-PP, raconte sur RFI, le 8 septembre 2021, l’assaut du Bataclan au soir du 13 novembre 2015. Ni la BAC, ni le RAID, ni la BI n’ont l’honneur d’être cités : c’est la BRI, et moi, et moi.

La question de Me Morice est directe : « Tout le monde reconnaît le courage de vous-même et de vos équipes. Le problème, c’est que nous nous posons des questions. Il y a eu des membres de la BRI [sic : erreur de l’avocat, il faut comprendre ici « BI »] qui ont fait état de leurs regrets de ne pas avoir pu intervenir plus tôt… » La réponse de Christophe Molmy est extrêmement agressive et sarcastique : « déjà, dans le reportage indigne que vous évoquez, ils disent qu’ils pouvaient intervenir dès 21H30 … alors qu’à 21H30, il n’y a pas encore eu les premiers coups de feu au Bataclan ! Il faudrait qu’ils règlent leur montre ! Je ne sais pas : ils sont peut-être frustrés ! (…) Je trouve ça extrêmement étonnant que six ans après, on soit en mal de reconnaissance et qu’on se répande comme ça. Je trouve ça indigne vis-à-vis des victimes et des familles de victimes. » Et comme Me Morice précise : « les membres de la BI sont pourtant entraînés et ils étaient équipés puisqu’ils revenaient d’un entraînement. » Molmy se permet une vanne qui parvient à faire rire l’assistance : « ils revenaient d’un entraînement de varappe, à la tour Eiffel. Ce n’est pas tout à fait le même équipement. »

Nous avions déjà le soupçon que Christophe Molmy n’était pas quelqu’un de très carré au niveau professionnel, ni de très droit au niveau humain. Laurence Beneux évoque dans son livre un homme « unanimement détesté de tous les policiers de terrain à qui [elle a] pu parler, quel que soit le service auquel ils appartiennent », l’ex patron du 36 quai des Orfèvres Bernard Petit – dont nous évoquerons l’incroyable chute dans un prochain article complémentaire – dans le sien manie l’euphémisme en évoquant un chef « en mal de légitimité » (( Le portrait en creux du chef de la BRI Christophe Molmy que nous avons esquissé dans notre ouvrage et celui de Laurence Beneux – même si ce n’est pas forcément lui qui a donné l’ordre de non-intervention – est cohérent avec celui brossé par Bernard Petit, l’ancien patron de la Police Judiciaire de Paris, c’est-à-dire du 36 quai des Orfèvres, dans son autobiographie Secrets de flic, publié en 2018 aux éditions du Seuil. M. Petit se trouve en plein dans le récit de la prise d’assaut de l’Hyper Cacher : « Un peu avant de monter au feu, Christophe Molmy m’informe qu’il a prévu d‘être dans la colonne d’assaut. Je ne suis pas chaud pour cela. Il va prendre la place d’un autre fonctionnaire. Le public ne le sait pas, mais les policiers de ces unités d’intervention sont – tous – volontaires pour intégrer les colonnes d’assaut. Pour la plupart, ce n’est pas seulement une question d’aboutissement des heures d’entraînement qu’ils s’infligent quotidiennement, c’est aussi et avant tout un honneur et une immense fierté que d’y être, même au péril de leurs vies. A tel point que la gestion des personnels qui ne sont pas retenus est parfois délicate. Il y a aussi le fait que l’adjoint du chef de la BRI, le commissaire George Salinas, l’archétype-même des hommes de la BRI, est lui aussi dans la colonne d’assaut. Le chef et l’adjoint en même temps… Cependant je laisse faire. Molmy est en recherche de légitimité. Les conditions de son arrivée à la BRI n’ont pas été simples. Je sais aussi qu’il s’entraîne régulièrement avec ses hommes et que personne ne peut discuter son courage physique. » (p. 45 dans la version Poche) )), et nous avons constaté dans la première partie qu’il n’avait pas été franc du collier lors de son audition par la commission d’enquête le 10 mars 2016 (p. 212 à 235 du tome 2 du rapport), concernant la composition exacte de la colonne d’opérationnels qu’il dirigeait.

C’est l’occasion de rapporter un extrait mémorable de cette audition, anodin en apparence, mais qui met bien en lumière, sous un angle cocasse, l’ambiguïté et la vanité du personnage. Voici comment Christophe Molmy, à qui le préfet Michel Cadot a filé les clés de l’intervention au Bataclan, explique comment il a constitué un « PC (poste de commandement) avancé » qui lui permettait de faire régulièrement le point, en particulier avec Jean-Michel Fauvergue, le patron du RAID qui avait la charge de sécurisation du rez-de-chaussée :

Le « PC avancé » de Christophe Molmy

M. le président Georges Fenech. Où se situe le poste de commandement (PC) ?

M. Christophe Molmy. Un PC avancé, réunissant les commissaires de la BRI et du RAID est installé in situ, c’est-à-dire à l’intérieur du Bataclan. Un autre PC de la BRI a été mis en place, lui, à l’extérieur, dans un café, un peu plus loin.

M. le président Georges Fenech. Il y a donc deux PC.

M. Christophe Molmy. Dans le PC avancé, nous ne sommes pas assis, mais debout et nous nous parlons.

M. le président Georges Fenech. Celui-ci est donc à l’intérieur ?

M. Christophe Molmy. Oui.

M. le président Georges Fenech. Au milieu des blessés, donc ?

M. Christophe Molmy. Ce PC bouge en fonction de l’endroit où je me trouve, où se trouve mon adjoint et où se trouve le chef du RAID. Nous avons par ailleurs monté un PC-BRI, à quelques dizaines de mètres de là, dans un café.

M. le président Georges Fenech. Et où vous trouvez-vous, à ce moment précis ? Au rez-de-chaussée ?

M. Christophe Molmy. Au rez-de-chaussée, à l’étage… Je me déplace avec mes fonctionnaires.

M. le président Georges Fenech. Vous êtes donc au rez-de-chaussée, mais où se trouve le RAID ?

M. Christophe Molmy. Je n’ai pas passé mon temps à regarder ma montre pour savoir à quelle heure arrivaient les uns et les autres, mais c’est vers 22 h 40 ou 22 h 45 que le gros de la troupe de la BRI arrive, à laquelle se sont greffés quelques précurseurs du RAID dont une équipe arrive à peu près en même temps. Nous leur demandons de prendre en compte le bas déjà sécurisé afin de nous assurer une couverture lorsque nous nous trouvons à l’étage. Le RAID se trouve donc en bas, dans la fosse, pendant que nous sommes à l’étage à partir de vingt-trois heures.

(…)

« M. le président Georges Fenech. Je reviens sur une contradiction qu’il faut résoudre : pouvez-vous nous faire parvenir, d’ici au 17 mars prochain, la liste des fonctionnaires de la BRI de Paris présents au début de l’intervention au Bataclan ?

M. Christophe Molmy. Je vous enverrai la liste des quinze, bien sûr [NDA : cette promesse n’a jamais été tenue ou alors on a en n’en plus jamais reparlé].

M. le président Georges Fenech. Ainsi nous lèverons toute ambiguïté.

M. Christophe Molmy. Pour moi, il n’y en a pas, mais je n’ai aucune difficulté à vous communiquer la liste.

M. le président Georges Fenech. Pour nous, il y a ambiguïté, puisque nous avons deux positions différentes exprimées sous serment. Je relève, dans votre rapport, que vous faites état à deux reprises du PC avancé : à un endroit, vous écrivez que le PC avancé de la BRI est implanté au rez-de-chaussée, sommes-nous bien d’accord ?

M. Christophe Molmy. Le PC avancé, oui.

M. le président Georges Fenech. Et vous écrivez également que tous les numéros de contact de ces personnes étaient retransmis au PC-BRI sur le site du Bataclan.

M. Christophe Molmy. S’agit-il bien de mon rapport ?

M. le président Georges Fenech. Oui.

M. Christophe Molmy. Je crois qu’il s’agit plutôt du document final de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ).

M. le président Georges Fenech. Ce sont les éléments de réponse de la DRPJ.

M. Christophe Molmy. Peut-être y a-t-il une litote.

M. le président Georges Fenech. Je souhaite que vous soyez bien clair sur ce point.

M. Christophe Molmy. Le PC avancé, c’est mon adjoint et moi-même et les officiers chefs de colonne ; nous sommes les uns auprès des autres, les pieds dans le Bataclan. Le PC avancé est plus qu’opérationnel : c’est là où nous prenons les décisions.

M. le président Georges Fenech. Je me suis renseigné sur ce qu’était un PC avancé : il s’agit d’un poste de commandement, une structure sous tonnelle…

M. Christophe Molmy. Non. Il s’agit peut-être d’un abus de langage de notre part, monsieur le président, mais, pour nous, un PC avancé, ce sont les autorités, ceux qui prennent les décisions et qui sont les uns auprès des autres, ce qui est le cas lorsque…

M. le président Georges Fenech. On a du mal à imaginer un PC avancé avec les autorités qui le constituent au milieu des cadavres et des blessés.

M. Christophe Molmy. C’est peut-être un abus de langage de notre part. Considérons dès lors qu’il s’agit de fréquentes réunions informelles des décideurs sur place : nous nous voyons et nous nous parlons.

M. le président Georges Fenech. Où se trouve exactement le PC avancé ?

M. Christophe Molmy. Dans le Bataclan.

M. le président Georges Fenech. Vous faites la distinction entre le PC-BRI et le PC avancé qui, lui, est dans le Bataclan.

M. Christophe Molmy. Oui, je fais aussi la distinction avec le PC de négociation et le PC de coordination avec les autres unités.

M. le président Georges Fenech. En fait, le PC avancé est un PC informel.

M. Christophe Molmy. Oui, bien sûr. Le PC avancé se compose des autorités qui sont à l’intérieur et qui prennent les décisions. Et, comme me le dit à l’instant mon collègue, M. Thoraval, tout est fonction de la configuration des lieux : on peut parfois s’isoler dans une salle et se poser. Au Bataclan, nous étions dans la fosse, puis nous sommes montés dans les escaliers. Avant l’assaut, le PC avancé était sur le premier palier avant l’escalier qui mène à la porte — nous aurons donc l’occasion de le constater sur place ensemble. Nous nous sommes mis là où nous pouvions nous parler en sécurité et prendre des décisions. »

Ne serait-ce pas à hurler de rire si le sujet n’était pas si dramatique ? Les images parodiques n’affleurent-elles pas d’elles-mêmes à la conscience ? Mais nous pouvons à présent aller beaucoup plus loin dans la critique de l’énergumène, après ses déclarations lors de son audition au procès des attentats. Molmy reprend le même argumentaire que Bernard Cazeneuve sur le ridicule de la BI à prétendre avoir été en état d’intervenir dès 21h30 alors que le massacre du Bataclan n’avait pas été commis, en feignant d’ignorer que les hommes de la BI avaient d’abord appelé pour prévenir qu’ils étaient équipés, opérationnels et prêts à se projeter immédiatement sur zone, que les fusillades sur les terrasses du XIème arrondissement ont commencé à partir de 21h24, et qu’après 21h30, alors que le massacre du Bataclan avait commencé à 21h47 et qu’ils étaient à cinq minutes, ils continuaient de ronger leur frein en sollicitant vainement une autorisation qui ne leur sera jamais donnée, jusqu’au moment où on leur a demandé de rejoindre le 36 quai des Orfèvres où se préparait un embryon d’Équipe Rapide d’Intervention (ERI) de la BRI-PP. Nous constatons de nouveau ce refus obstiné de mentionner la BI et ses six hommes, d’autant plus scandaleux qu’il tourne en dérision des hommes qui ont risqué avec lui sa vie dans la colonne d’assaut, colonne d’assaut qui sans eux au départ n’aurait pas compté plus de sept opérationnels, comme nous l’avons expliqué dans la première partie. Par ailleurs il profère un mensonge en évoquant des hommes qui n’auraient été équipés que pour la varappe, c’est-à-dire, imagine-t-on, hors d’état d’intervenir. Le ton étant sarcastique, on imagine des policiers du dimanche, à mi-chemin entre l’acrobate et le bonimenteur, accourant avec leurs chaussons d’escalade et leurs mousquetons. La vérité, c’est que les six hommes de la BI étaient complètement équipés, prêts à intervenir, dès les premiers coups de feu tirés devant le Bataclan, et qu’il ne suffisait que de leur donner le feu vert pour qu’ils se retrouvent prêts à intervenir en cinq minutes, peut-être avant même l’héroïque commissaire de la BAC et son chauffeur qui ont mis fin à la tuerie 10 minutes après son commencement, à 21h57, en agissant d’initiative, sans consulter aucune hiérarchie. L’autre rectification qui s’impose, c’est qu’en se rendant finalement, la mort dans l’âme, au 36 quai des Orfèvres, pour grossir la colonne de l’ERI de la BRI en formation, alors qu’eux étaient complètement équipés et prêts à partir immédiatement, des membres de la future colonne de la BRI étaient encore en civil, retardant le top départ. Et Christophe Molmy ose ensuite, tout en parlant des quinze comme de « ses gars », alors que la BI ne dépend pas directement de son autorité mais de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC) de la PP de Paris, ridiculiser publiquement des hommes plus rodés pour l’intervention que les hommes de la BRI (rappelons que la BI à cette époque était intensément entraînée depuis 2012 par un officier chevronné du RAID) qui ont risqué leur vie, de surcroît dans la colonne d’assaut. Pour reprendre son vocabulaire qui empeste la projection ou l’inversion accusatoire : s’il y a bien quelqu’un d’« indigne », de « frustré », dans toute cette polémique, « en mal de reconnaissance », « qui ne sait pas régler sa montre », c’est bien le chef controversé et décrié de la BRI Christophe Molmy. Quant à son appel à respecter les « victimes et les familles de victimes », il ne faut pas hésiter à dire que nous tombons – au-delà de l’indigne – dans l’ignoble : Molmy rêve d’endosser la tunique du héros et du sauveur, mais c’est celui de l’arriviste prêt à tout pour s’élever dans la hiérarchie qui lui convient beaucoup mieux : Molmy est à la police nationale ce qu’un Valls est au monde politique, ou une Karine Lacombe au monde médical.

25 août 2021 : parution du livre de George Fenech sur le procès des attentats du 13 novembre

Bataclan, Paris, Stade de France, le procès, de George Fenech, publié le 25 août 2021 aux éditions du Rocher

Le 25 août 2021, George Fenech a publié aux éditions du ROCHER Bataclan, Paris, Stade de France, Le procès. Comme le documentaire d’Arte réalisé par Francis Gillery et diffusé le 3 septembre 2021, il s’agit d’un ouvrage de circonstance, synchronisé avec l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre qui s’ouvre le 9 septembre 2021. On peut à la limite concéder à George Fenech, et par la même occasion à la commission d’enquête parlementaire, qu’au début de l’année 2016 ils manquaient de recul pour connaître l’existence de la polémique sur l’ordre de non intervention donné à six hommes de la BI le soir du 13 novembre, qu’ils n’ont pas eu le temps, dans l’enchaînement des auditions, de demander instamment des précisions supplémentaires à Jean-Michel Fauvergue et Christophe Molmy sur la composition exacte de la colonne d’intervention « de la BRI », que lors de leur visite – car une visite a bien eu lieu – dans les locaux de la BI ils ont trouvé porte close ou n’ont trouvé personne à qui parler. En 2021, surtout après la parution du livre de Laurence Beneux un an plus tôt, dont on a peine à croire qu’ils n’en étaient pas informés, en considération des énormes salaires qui sont les leurs et de la responsabilité qu’ils avaient accepté d’endosser, cette ignorance est difficilement acceptable. Tous les officiels interrogés par Francis Gillery à ce sujet dans son documentaire, de George Fenech à Bernard Cazeneuve, semblent tomber des nues quand il s’agit pour eux de répondre sur ce point.

George Fenech a pourtant bien pris soin dans son ouvrage de donner l’impression d’avoir procédé à une scrupuleuse énumération des zones d’ombres des attentats du 13 novembre, concernant les ratés des services de renseignement et de la coordination des forces militaires et de police. Il ne fait ainsi pas l’impasse sur :

1) l’extrême lenteur de la progression – 2 heures et vingt minutes – de la BRI-PP emmenée par Christophe Molmy à l’intérieur du Bataclan jusqu’à la neutralisation des deux terroristes restants enfermés dans une pièce au premier étage avec une douzaine d’otages.

2) l’aplomb avec lequel le général Bruno le Ray, gouverneur militaire de Paris, a assumé l’ordre d’interdire – qu’il assure toutefois n’avoir pas personnellement donné, et qu’il n’aurait de toute façon pu donner puisque la direction des opérations la nuit du du 13 novembre relevait exclusivement de la salle de commandement de l’état major de la DSPAP (direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne) – à six militaires armés de mitrailleuses de l’opération Sentinelle d’intervenir à l’intérieur du Bataclan de leur propre chef sans plan préétabli, ce qui pousse George Fenech au trait d’ironie sarcastique rare sous sa plume plutôt ménageante : « Ainsi, des militaires n’auraient voulu prendre aucun risque pour eux-mêmes, quand des civils innocents étaient en train de se faire massacrer sous leurs yeux. Cette passivité confine à la non-assistance à personne en danger, me dis-je. » (p 132)

3) la polémique (en fait sans conséquence, mais polémique il y a bien eu lieu) du non déclenchement de la FIPN au Bataclan le soir du 13 novembre. (p 139)

4) le non avertissement des propriétaires du Bataclan qu’un projet d’attentat terroriste avait visé précisément leur établissement en 2009 (( En octobre 2016, Philippe Cohen-Grillet a publié, au sujet de cet incroyable désastre policier et judiciaire, un ouvrage choc aux éditions Plein Jour intitulé Nos années de plomb, et sous-titré Du Caire au Bataclan, autopsie d’un désastre. Eu égard au retentissement de l’ouvrage, incomparable à celui de Laurence Beneux sur la Brigade d’intervention, il était impossible à George Fenech de ne pas longuement s’y attarder dans son ouvrage, d’autant que les commissionnaires avaient abordé cette affaire lors de l’audition du juge antiterroriste Marc Trévidic. Il aurait été d’autant plus inconcevable de ne pas évoquer ce scandale que Philippe Cohen-Grillet, journaliste notamment au Canard enchaîné et Paris Match, avait pu faire cette révélation dans un article le 16 décembre 2015 dans le célèbre et influent hebdomadaire satyrique de la contestation contrôlée. )), et qu’à défaut de bouleverser la sécurité de l’endroit, un « avis à victime » aurait dû leur être destiné, qui les aurait sans doute amené à prendre de nouvelles précautions de sécurité minimales. (p 149)

5) le fait que « le 15 août 2015, un nommé Reda Hame, interpellé à son retour de Syrie et interrogé par le juge d’instruction Marc Trévidic, avait fait lui aussi fait clairement état d’un projet d’attentat contre « une salle de concert de rock », mais cette fois sans préciser qu’il pouvait s’agir du Bataclan ». (p. 149)

6) l’absurdité, ou plutôt l’irresponsabilité de remplacer le juge antiterroriste Marc Trévidic le 29 août 2015, au prétexte qu’étant parvenu à la fin de ses dix années réglementaires de mandat, il fallait respecter scrupuleusement le règlement administratif, sans considération pour le caractère exceptionnel au niveau terroriste de la période que traversait alors la France. Interrogé par les commissionnaires, Trévidic avait de surcroît reconnu en 2016 qu’il avait pris cette information très au sérieux. ( 1 ((

M. le président Georges Fenech. Lorsqu’on vous donne des indications telles que celles qui vous ont été données le 15 août dernier, partagez-vous ces informations ? Faites-vous part d’une menace d’attentat ?

M. Marc Trévidic. J’ai pris ces indications très au sérieux, car la personne à qui j’avais affaire était précise et ses allusions à la préparation d’un attentat de très grande ampleur sur le territoire étaient très claires. Le 15 août, en première comparution, il a mentionné explicitement un attentat projeté en France à l’occasion d’un concert de rock, mais il ne savait pas quelle était la cible exacte.

M. le président Georges Fenech. Que s’est-il passé ensuite ?

M. Marc Trévidic. Je ne saurais vous dire, car j’ai changé d’affectation le 28 août.

M. le président Georges Fenech. Mais lorsque l’information vous est donnée par cet homme qu’un attentat pourrait viser une salle de spectacle, vous la prenez au sérieux ?

M. Marc Trévidic. Très au sérieux, parce que tout ce qu’il disait par ailleurs avait été recoupé et était vrai, qu’il s’agisse de la manière dont il avait été recruté et entraîné ou des personnes qu’il avait rencontrées, dont Abaaoud.

Effectivement, ce magistrat expert reconnu de la lutte antiterroriste sera « promu » vice-président au Tribunal de Grande Instance de Lille pour s’occuper de divorces ! Ainsi, alors que nous sommes en pleine menace terroriste, l’on se privait d’une solide expérience, au nom d’une règle statutaire rigide qui oblige tout magistrat à quitter son poste au bout de dix ans. Ne pouvait-on pas déroger à cette règle administrative dans cette situation exceptionnelle ?))/ 2 ((Fenech cite un extrait de l’audition de Trévidic par la commission d’enquête :

M. le président Georges Fenech. Lorsqu’on vous donne des indications telles que celles qui vous ont été données le 15 août dernier, partagez-vous ces informations ? Faites-vous part d’une menace d’attentat ?

M. Marc Trévidic. J’ai pris ces indications très au sérieux, car la personne à qui j’avais affaire était précise et ses allusions à la préparation d’un attentat de très grande ampleur sur le territoire étaient très claires. Le 15 août, en première comparution, il a mentionné explicitement un attentat projeté en France à l’occasion d’un concert de rock, mais il ne savait pas quelle était la cible exacte.

M. le président Georges Fenech. Que s’est-il passé ensuite ?

M. Marc Trévidic. Je ne saurais vous dire, car j’ai changé d’affectation le 28 août.

M. le président Georges Fenech. Mais lorsque l’information vous est donnée par cet homme qu’un attentat pourrait viser une salle de spectacle, vous la prenez au sérieux ?

M. Marc Trévidic. Très au sérieux, parce que tout ce qu’il disait par ailleurs avait été recoupé et était vrai, qu’il s’agisse de la manière dont il avait été recruté et entraîné ou des personnes qu’il avait rencontrées, dont Abaaoud.

Effectivement, ce magistrat expert reconnu de la lutte antiterroriste sera « promu » vice-président au Tribunal de Grande Instance de Lille pour s’occuper de divorces ! Ainsi, alors que nous sommes en pleine menace terroriste, l’on se privait d’une solide expérience, au nom d’une règle statutaire rigide qui oblige tout magistrat à quitter son poste au bout de dix ans. Ne pouvait-on pas déroger à cette règle administrative dans cette situation exceptionnelle ?

M. le président Georges Fenech. Pourquoi, en 2009, ni le juge d’instruction ni la DCRI n’ont-ils alerté les propriétaires du Bataclan de ce qu’une menace pesait sur leur établissement ? Cette interrogation hante les familles des victimes.

M. Marc Trévidic. Je les comprends parfaitement, mais je ne peux répondre puisque je n’étais pas juge d’instruction dans le dossier de 2009. À l’époque, les choses étaient assez confuses et le dossier Ben Abbes était éclaté en plusieurs morceaux – l’un donnant lieu à une enquête préliminaire au parquet, un autre à l’information… – en raison de l’absence complète de connexion du parquet à l’époque. Cela s’est amélioré ces derniers temps, et les échanges d’informations entre le parquet et l’instruction sont beaucoup plus clairs. En 2009, le parquet « gardait en préliminaire » ; ainsi, l’affaire Artigat I l’est restée dix-huit mois.

M. le président Georges Fenech. Pourquoi, lorsqu’un juge ou un service apprend une information de cette sorte, n’est-elle pas transmise ?

M. Marc Trévidic. Il existe à votre question une réponse juridique. Dans un dossier d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, même si les personnes incriminées ne sont pas passées à l’action, ceux qui sont visés par un projet d’attentat sont des victimes potentielles ; à ce titre, ils doivent recevoir un avis à victime.)), p 150)

7) la peu croyable impossibilité dans laquelle se trouvent les services de renseignement de poursuivre leur surveillance d’un suspect, dès lors que celui-ci est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, cela afin de ne pas nuire aux droits de la défense. C’est précisément cette faille juridique qui a permis à Samy Amimour l’un des trois assassins du Bataclan, et le premier abattu par le commissaire e la BAC et son chauffeur, d’effectuer un voyage en Syrie en passant par la Turquie. (p 159)

8) le mea culpa des directeurs des deux agences de renseignement principales, Patrick Calvard pour la DGSI, et Bernard Bajolet pour la DGSE (p 160)

9) l’absence d’instance centralisant les informations recueillies par les différents services de renseignement – même si l’on peut éclater de rire en lisant que Fenech a eu à ce sujet des discussions fructueuses, lors d’un voyage de la commission d’enquête États-Unis, avec Philip Zelikow, le maquilleur en chef de la frauduleuse commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. (p 169)

10) la non prise de conscience que les détenus radicalisés et condamnés pour terrorisme doivent être placés dans des lieux à part, étant donné qu’ils se livrent dès qu’ils le peuvent à du prosélytisme, de sorte que dans bien des prisons, pour reprendre une expression d’un observateur cité par George Fenech, « le jeune y entre en baskets et en casquette, il en sort portant la barbe, djellaba, voire un chapelet de prières et un coran à la main. » ( p 193)

Cela fait beaucoup ! mais, comme on peut le constater en parcourant cette liste, l’ordre de non intervention donné aux six hommes de la BI d’intervenir est inapparente. Malgré le temps qui a passé, malgré la parution du livre de Laurence Beneux, George Fenech, et peut-on imaginer, comme tous les autres commissionnaires, fin août 2021, à la veille de l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre ne mentionne toujours pas cette omission majeure de la commission d’enquête, qui rappelons-le, a fait aussi complètement l’impasse sur l’abaissement de la sécurité des locaux de Charlie Hebdo et de son rédacteur en chef Stéphane Charbonnier. Soit deux omissions majeures sur les deux affaires principales de 2015 qui ont mécaniquement permis d’assurer l’impunité, et peut-être la légion d’honneur, à des fonctionnaires haut placés à l’identité toujours inconnue, qui ont pris des décisions aux conséquences dramatiques, qui eussent mérité des sanctions forcément lourdes, quand on considère le traitement qui a été réservé à d’autres comme le patron du Raid Jean-Michel Fauvergue (( Nous rapportons cet épisode dans notre ouvrage Le massacre de Charlie, l’enquête impossible, dans le sous-chapitre de la première partie consacrée à l’analyse de l’abaissement de la sécurité de Charlie Hebdo les semaines et les mois précédant le 7 janvier 2015. Nous renvoyons également au livre d’entretiens publié par Jean-Michel Fauvergue lui-même, avec la journaliste de M6 Caroline de Juglart, Patron du RAID, face aux terroristes (p. 315 à 329 dans la version poche), publié à Mareuil Editions en 2017. Voici quelques liens renvoyant à des articles sur la toile ayant rapportée cette affaire : 1, 2, 3. )) et le patron de la PJ parisienne Bernard Petit.

Livre d’entretien de Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID de 2013 à 2017, une lecture essentielle pour aborder les attentats de 2015, et se rendre compte comment des hommes compétents peuvent être virés comme des malpropres en plein état d’urgence terroriste
L’autobiographie de Bernard Petit, ancien patron de la PJ parisienne, le fameux « 36 quai des orfèvres », qui a dirigé les enquêtes sur les attentats de janvier 2015, avant d’être viré comme le dernier des chiens début février 2015. Une lecture indispensable pour comprendre le fonctionnement surréaliste de la haute police française.

Dernières révélations

Deux révélations des Ombres du Bataclan passées inaperçues, pour clore cette seconde partie de l’équation interdite des attentats du 13 novembre (tout le monde aura compris en ce point que x=BI), méritent d’être rapportées pour déployer la polémique dans toute son étendue.

La première révélation ne parlera qu’aux connaisseurs du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo et de sa couverture médiatique, politique, et judiciaire : elle me permet toutefois d’ajouter une touche au tableau fatalement incomplet que j’en ai brossé dans Le massacre de Charlie Hebdo, l’enquête impossible. Vers 4 min 30, George Fenech explique qu’il avait proposé de mettre en place une commission d’enquête parlementaire dans la foulée de la séquence terroriste de janvier 2015, mais que « ce qui a freiné la décision, c’est de ne pas donner le sentiment de rompre ce qu’on a appelé l’esprit du 11 janvier d’union nationale. » Traduction : nous étions en pleine campagne de ré-évangélisation républicaine de l’opinion, et il ne fallait surtout pas qu’un appel à reconsidérer toute l’affaire sous un jour plus froid, raisonnable, et méfiant, vienne faire retomber la température des cervelles enfiévrées en voie de formatage pour des décennies. Or cette déclaration est encore plus discutable quand on sait le sort qui sera réservé aux événements de janvier 2015 par la commission d’enquête parlementaire en 2016, c’est-à-dire trois étiques pages dans le tome 1 de synthèse, trois pages qui du reste n’apprennent rien de plus que tout ce qu’on savait déjà par les médias de masse. Toute la polémique du massacre de Charlie Hebdo passée à a la trappe par ce tour de passe-passe ! Nous avons exposé dans notre ouvrage que des avocats des parties civiles avaient envoyé des lettres recommandées à George Fenech et Sébastien Pietrasanta leur demandant de s’expliquer sur l’abaissement de la sécurité de Charlie Hebdo à tous les niveaux et sur tous les plans pendant les semaines et les mois précédant la tuerie, n’excluant pas de se porter parties civiles contre les autorités en cas de non réponse – lettres recommandées qui n’ont jamais reçu la moindre réponse. Cette révélation de George Fenech accroît donc le soupçon que personne n’a voulu prendre le risque de plonger franchement le nez dans la boîte noire du massacre de Charlie Hebdo.

Pour revenir au Bataclan, vers 21 min 30 un homme de la BRI cagoulé livre une information fondamentale : « Il y a dans Paris intra muros… oui, la BRI a été chargée par nos autorités de prendre contact avec les responsables de sites sensibles, donc… les sites sensibles ça commençait par les musées, par exemple, pour tous ceux qui sont sensibles. Pourquoi ? Parce qu’il y a une affluence… ce travail pour le Bataclan n’a pas été fait, et dans un groupe il y a un chef de groupe. C’est le chef de groupe qui l’aurait su du chef des services, qui lui-même l’aurait su du directeur de la police judiciaire qui lui-même l’aurait su du directeur de la police, voire au-dessus du directeur de la police nationale et du ministre de l’Intérieur, mais ça n’est pas une intervention qui m’est parvenue et à ma connaissance elle n’est pas revenue comme ça à mes collègues. Je ne savais pas que le Bataclan était particulièrement menacé. »

Or c’est bien ce que Fenech admet dans son livre : le Bataclan avait été clairement menacé en 2009, aucun avis à victime n’avait été envoyé aux propriétaires de la salle, une menace sérieuse d’attentat « contre une salle spectacle » avait ensuite été rapportée au juge Trévidic le 14 août 2015. Il est incompréhensible, dans ce contexte que la BRI, chargée par les autorités d’inventorier les lieux sensibles parisiens, n’ait pas considéré le Bataclan comme un « lieu sensible » à contacter. La salle de spectacle aurait dû faire partie des objectifs prioritaires de la campagne de prévention évoquée par l’opérateur de la BRI.

L’une des conclusions que l’on peut tirer de l’examen du massacre du Bataclan, au vu de tout cet ensemble de révélations, étonnamment, est quasiment la même que celle que certains ont pu tirer de l’examen du massacre de Charlie Hebdo. Et nous pensons ici à la conclusion de l’article du commissaire Stemmelen, membre fondateur du Service de Protection des Hautes Personnalités, à propos des failles béantes de la sécurité : « Il n’est pas étonnant que l’attentat du 7 janvier ait eu lieu puisque rien ou presque n’a été fait pour l’empêcher. » Nous pouvons dans cette phrase remplacer sans difficulté « 7 janvier » par « 13 novembre », en osant la variante suivante : « Il n’est pas étonnant que le massacre du Bataclan ait été perpétré et ait pris ces proportions terrifiantes, puisque rien ou presque n’a été fait, auparavant et sur le moment, pour l’empêcher puis en atténuer le bilan. »

Et il faudrait évoquer en détail, pour donner toute sa portée à une telle assertion, l’ordre de non-intervention donné aux huit militaires de Sentinelle, armés de famas, présents sur place quelques minutes seulement après le début de la tuerie, ordre donné par la même chaîne de commandement qui a interdit à la BI de se projeter sans délai, de même que l’ordre de non-intervention, par les mêmes, donné à une quarantaine d’opérationnels du GIGN qui se trouvaient à quelques centaines de mètres du Bataclan, équipés et opérationnels, à 22h06. Si le massacre du Bataclan n’a pas eu des proportions encore plus terrifiantes, c’est tout bien pesé pour la seule raison qu’un commissaire de la BAC et son chauffeur ont pris l’initiative, à 21h57, d’agir d’instinct, sans prendre la précaution d’en avertir quelque hiérarchie que ce soit. S’ils l’avaient fait, il fait peu de doute qu’ordre leur aurait été donné de ne pas intervenir, en conséquence de quoi le bilan du massacre aurait été alourdi dans des proportions inconnues.

François Belliot

NB : Dans un prochain article complémentaire de cette étude en deux parties, nous évoquerons « la trahison d’Arte et l’honneur perdu de Bernard Cazeneuve ».

2 réponses sur “7+2+x=15 : l’équation interdite des attentats du 13 novembre (2/2)”

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