Laachraoui et Belkaid : les coordinateurs du 13 novembre

Décrite par maints spécialistes de la chose comme une opération de type militaire appliquant des règles de fonctionnement de type militaire, l’attaque terroriste du 13 novembre, qui articulait trois équipes distinctes, était coordonnée à distance par un ou deux opérationnels extérieurs à l’action proprement dite – depuis Bruxelles. C’est ainsi qu’à Najim Laachraoui et Mohamed Belkaid, véhiculés ensemble par Salah Abdeslam depuis la Hongrie le 9 septembre 2015, a échu le rôle de coordinateurs des attentats. Pour des raisons différentes, les deux hommes ne sont plus de ce monde pour apporter plus de lumières au public sur l’ampleur de leur rôle.

Nota Bene : Les liens hypertexte associés aux protagonistes des attentats renvoient aux chapitres les concernant déjà publiés sur le présent site.

Najim Laachraoui

Najim Laachraoui

Né le 18 mai 1991 au Maroc, Najim Laachraoui – 24 ans au moment des faits – a passé son enfance dans la commune bruxelloise de Schaerbeek. Il est issu d’une famille d’immigrés marocains dont le père était chauffeur de taxi. Comme Abdelhamid Abaaoud, ses parents ont tenu à lui offrir la meilleure instruction possible, en l’inscrivant, de l’âge de 12 à 18 ans, à l’institut de la Sainte Famille, mais à la différence de son futur complice, il a traversé une scolarité sans histoire. Veronica Pellegrini, la directrice de l’école rapporte ainsi qu’« il a eu un parcours tout à fait classique : il était en filière générale, n’a jamais redoublé, et il n’y a rien dans son dossier disciplinaire »1. Sa scolarité achevée, en 2009, il entame des études d’électromécanique et décroche en 2012 son diplôme avec mention « satisfaction », selon une revue d’anciens élèves2. Cette même année, il se met à fréquenter la mosquée Ettaouba dans la commune d’Evere, au nord-est de Schaerbeek. Il y entre en contact et en amitié avec des Islamistes comme le prédicateur Jean-Louis Denis et des membres de sharia4belgium. En leur compagnie, il participe, en juillet 2012, à une manifestation devant le parlement européen pour protester contre le sort réservé au Musulmans du Myanmar (Birmanie), et, en cette occasion, est contrôlé pour trouble à l’ordre public3. Il a également pu subir à cette époque l’influence de Khalid Zerkani, alias « papa noël », prédicateur de Molenbeek, référent Belgique de l’EI4, et comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré au trio des terrasses, l’inspirateur de Chakib Akrouh.

Le 17 février 2013, il décide de prendre la chemin du Levant, et rejoint le dawla (Etat islamique) en Syrie en transitant par la Turquie. Il y prend le kounya d’abou Idriss et se retrouve fiché à l’Organe de Coordination pour l’Analyse et la Menace (OCAM). Le 30 avril, son père informe la police que son fils est devenu un combattant de l’EI dans la région d’Alep5. Najim Laachraoui acquiert rapidement une position importante dans l’organisation, en devenant, à partir du mois de juin, l’un des geôlier des quinze otages occidentaux détenus dans les sous-sols de l’hôpital ophtalmologique d’Alep, où il officie notamment en compagnie de Mehdi Nemmouche – le futur auteur présumé de l’attentat du musée juif de Bruxelles du 24 mai 2014 – et sous les ordres d’Abu Obeida. Il se distingue des autres geôliers, aux dires des otages eux-mêmes, par sa relative douceur et même sa culture. L’otage Didier François6 racontera ainsi : « C’est un garçon qui est brillant, cultivé et qui lisait beaucoup. Il était en contact direct avec l’Émir [Abu Obeida]. Il m’est apparu comme faisant partie de l’appareil politico-sécuritaire avec un poste à responsabilité plus important que simple geôlier ». A tel point que c’est lui qui est chargé, le 19 janvier 2014, d’organiser le transfert en catastrophe des otages vers Raqqa7, après que le front al Nosra a mené une sanglante opération vengeresse contre l’EI, chassant ses affiliés d’Alep et sa région. Nous rappelons qu’à l’époque avait éclaté ce qu’on peut appeler la guerre civile entre les djihadistes, les milices d’al Qaida à l’œuvre depuis 2011 dans l’ouest de la Syrie refusant les visées hégémoniques de l’EI. Le statut élevé de Najim Laachraoui dans l’organisation sera confirmé au procès des attentats le 25 novembre par l’un des enquêteurs belges.

18 mars 2014, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, mais, indice de l’extrême porosité des frontières et des contrôles à l’époque, il parvient tout de même à effectuer un aller-retour en Belgique sans être inquiété.

En février 2015, il est condamné à 15 ans de prison pour sa participation à la filière djihadiste de Verviers, démantelée in extremis le 15 janvier alors qu’elle s’apprêtait à prendre d’assaut, avec un impressionnant arsenal, le commissariat de Molenbeek. Rappelons qu’Abaaoud a été quant à lui condamné à une peine de 20 ans à l’issue de cette procédure.

De retour en Syrie il intègre, en 2015 – avec la fonction d’artificier et spécialiste en explosifs8, fonction partagée avec Ahmad Alkhald – la cellule chargée de perpétrer les attentats du 13 novembre, et, empruntant comme tous ses comparses le flot des migrants se déversant de façon massive et incontrôlée sur l’Europe, est rapatrié en Belgique depuis la Hongrie, par Salah Abdeslam, sous le faux nom de Soufiane Kayal, en compagnie de Mohamed Belkaid, qui voyage quant à lui sous la fausse identité de Samir Bouzid.

Son rôle dans les attentats du 13 novembre a consisté à participer à la fabrication des dix gilets explosifs. Son ADN a été ainsi retrouvé sur plusieurs d’entre eux, et dans les deux planques de la rue Henri Bergé et d’Auvelais – cette dernière ayant été louée par ses soins sous la même fausse identité de Soufiane Kayal9. Il a sans doute également coordonné les trois commandos du 13 novembre en compagnie de Mohamed Belkaid depuis la Belgique, s’efforçant notamment de trouver en catastrophe une planque pour Abaaoud et Akrouh.

Le dernier signe de vie de Najim Laachraoui dont on a trace serait un message envoyé à Oussama Atar le 21 mars, dans un message audio : Salah Abdeslam vient d’être arrêté en compagnie d’Osama Krayem, la photo des frères el Bakraoui a été diffusée dans les médias et ce qui reste de la cellule terroriste de Molenbeek sent les mailles du filet se resserrer inexorablement : « On a eu quelques empêchements, quelques imprévus, t’as pu t’en rendre compte en lisant l’actualité. La situation est telle qu’on ne peut plus, on ne peut plus retarder quoi que ce soit, tu vois. On doit travailler le plus vite possible et on a décidé de travailler Inchallah demain mardi 22 mars. Parce qu’on n’a plus de planque de sécurité, il n’y a plus personne, etc. Tu vois il n’y a plus de frère pour logistique, etc. Tout le monde est cramé tu vois. »

Le lendemain matin, 22 mars, il pénètre dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles Zaventem, en compagnie d’Ibrahim el Bakraoui et Mohamed Abrini, et déclenche une énorme charge explosive posée sur un chariot, mettant par là-même le point final à son existence. « Il avait une mission. Il était déterminé. C’était un aller sans retour. » dira de lui par la suite Osama Krayem, qui quant à lui – à l’instar d’Abrini – a renoncé au dernier moment à se faire exploser dans le métro bruxellois.

Comme pour d’autres terroristes – et nous songeons ici en particulier au membre du trio du Bataclan Samy Amimour – le procès des attentats a été l’occasion d’entendre des proches de Najim Laachraoui, en l’occurrence son père Driss qui a témoigné, le 14 décembre 2021, de son incompréhension et de l’inexorable perte de prise et de contrôle sur son fils. Comme Azdyne Amimour, le père de Samy, il a évoqué une relation de plus en plus distante, une absence de communication, à un moment l’endoctrinement qui survient contre lequel on est complètement impuissant. Comme le président tente d’obtenir plus de lumières, il ne peut pas donner plus de détails que : « Monsieur le président, mon fils, c’était un gentil garçon, je sais pas qui l’a endoctriné, c’est un grand point d’interrogation. » Il semble bien que Najim ait eu une enfance heureuse où il était improbable de deviner les germes d’une vocation djihadiste. Et il suffira sans doute ici d’évoquer la trajectoire spectaculairement découplée de son frère Mourad devenu champion de Taekwondo, parvenu jusqu’au 6ème rang mondial dans la catégorie des moins de 54 kilos, chargé de défendre les couleurs de la Belgique aux championnats du monde en Russie en 2015, puis aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, finalement champion d’Europe en mai 2016. Lui aussi confesse son incompréhension : « On essaie de ne pas trop s’interroger (sur sa radicalisation), on essaie de tourner la page », demandant que ne soit pas fait l’amalgame avec sa famille10. Il n’avait plus de contact avec Najim depuis le départ de ce dernier en Syrie en février 201311.

Mourad Laachraoui, le petit frère de Najim, champion d’Europe de Taekwondo pour la Belgique en 2016 (source : Daniel Mitchell, Keystone via AP)

Mohamed Belkaid

Mohamed Belkaid

Mohamed Belkaid est l’un des protagonistes des attentats sur lequel nous disposons le moins d’informations : son nom n’a ainsi pratiquement pas été cité lors du procès. Mais il faut bien signaler son existence puisque son rôle y est avéré et crucial.

Il est né en Algérie le 9 juillet 1980 et, à 35 ans au moment des faits, se trouve donc être le plus âgé des participants à l’opération. Le 7 mars 2014, il est arrêté en flagrant délit de vol à l’étalage à la gare centrale de Bruxelles12. Comme il se trouve en situation illégale, il reçoit l’ordre de quitter le territoire ; mais il s’évanouit dans la nature. La porte de sa cellule était sans doute mal fermée. On n’a pu en cette occasion obtenir aucune information sur son origine, sa famille et son parcours. Il n’était pas fiché à l’OCAM.

Un enquêteur belge entendu au procès des attentats le 25 novembre 2021 donnera les éléments suivants le concernant : « en mars 2016, des médias font état que la chaîne britannique Skynews est en possession de plusieurs documents de l’État islamique portant sur 22 000 djihadistes ». Parmi ces fiches, celle de Mohamed Belkaïd avec son état civil mais aussi la spécialité de « fabricant en sucre« . » « Selon un article de propagande de Daech, Mohamed Belkaïd a rejoint un groupe de combattants connu pour son jeûne, ses prières toute la nuit. C’est quand il a entendu que Najim Laachraoui se préparait à faire quelque chose en Europe qu’il a voulu le rejoindre. »

On est au moins certain aujourd’hui, de l’aveu même de Salah Abdeslam au procès, que c’est sous le faux nom de Samir Bouzid qu’il a pénétré en Europe en compagnie de Najim Laachraoui le 9 septembre, rapatrié par Salah Abdeslam depuis la Hongrie. Son nom refera surface quand Abaaoud le contactera au lendemain des attentats du 13 novembre, pressé de trouver une porte de sortie et une planque. C’est vraisemblablement avec lui que la cousine d’Abaaoud, Hasna Aït Belhacem, a été en contact comme intermédiaire, notamment pour l’envoi d’un mandat Western Union de 750 euros, envoyé à cette dernière depuis la Belgique, précisément au nom de Samir Bouzid. Il apparaît en outre sur les images de vidéosurveillance de l’agence bruxelloise Western Union d’où a été effectué le virement, en compagnie de Laachraoui13. Il semble bien également que c’est à cet homme qu’a été envoyé à 21h42 le SMS (« On est parti, on commence ») envoyé par le portable abandonné par le trio du bataclan dans une poubelle face à la salle de spectacle, juste avant de passer à l’action. Les enquêteurs en ont déduit que seul, ou avec Najim Laachraoui, Mohamed Belkaid était l’opérationnel chargée de coordonner les trois équipes du 13 novembre depuis la Belgique.

Un enquêteur français auditionné le 25 mars 2022 expliquera le principe de cette répartition des rôles : « Dans chaque voiture : un téléphone relié à une ligne en Belgique. » Ainsi les différents groupes n’ont-ils pas besoin de communiquer entre eux. «  Avec tout le respect que j’ai pour l’armée, c’est un fonctionnement militaire. » Un avis de recherche à l’encontre de Samir Bouzid est émis le 4 décembre 2015.

Façade de l’immeuble où Mohamed Belkaid, Salah Abdeslam, et Sofien Ayari se cachaient à Forest, au 60 rue de Dryes (REUTERS/François Lenoir)

On retrouve sa trace, presque par hasard, le 15 mars 2016, lors d’une perquisition de routine conjointe de policiers français et belges dans le cadre de l’enquête sur les attentats du 13 novembre, dans une maison de deux étages au n° 60 de la rue de Dryes. Comme les policiers forcent la porte, ils sont accueillis par des tirs nourris, blessant légèrement trois d’entre eux. L’auteur des tirs n’est pas l’un des frères el Bakraoui, auquel ils auraient pu s’attendre puisqu’ils pensaient qu’il s’agissait d’une de leurs planques, mais de Mohamed Belkaid. Les deux autres hommes qui se cachent dans cette maison, qui ne sont autres que Salah Abdeslam et Osama Krayem, en profitent pour prendre la fuite par les toits. Mohamed Belkaid tient ensuite face au policiers pendant près de quatre heures, finalement abattu par un tir de précision, « neutralisé par un tireur d’élite des unités spéciales, alors qu’il allait clairement ouvrir le feu sur la police », selon Thierry Werts, porte-parole du parquet fédéral14. Aux côtés de son cadavre, on retrouve un drapeau de l’EI, et une kalachnikov avec onze chargeurs.

1« Najim Laachraoui, un « bon élève » propulsé au coeur des attentats de Paris et de Bruxelles », AFP, 24/03/2016

2« La connexion Laachraoui », Pierre Alonso et Isabelle Hanne, Libération, 23/03/2016

3« Chambre du conseil pour les attentats de Bruxelles : Najim Laachraoui, le kamikazze cultivé », Dominique Demoulin, rtl.be, 23/11/2020

4Les espions de la terreur, Matthieu Suc, p. 64 & 65

5« Chambre du conseil pour les attentats de Bruxelles : Najim Laachraoui, le kamikazze cultivé », Dominique Demoulin, rtl.be, 23/11/2020

6Enlevé le 6 juin 2013, Didier François a été libéré le 19 avril 2014. 15 otages occidentaux, dont les quatre français (lui-même, Nicolas Hénin, Édouard Elias, Pierre Torres), ont été libérés entre mars et juin 2014, contre des rançons de 2 millions d’euros, les otages étasuniens et britanniques (parmi lesquels James Foley) demeurant entre les mains de l’EI (Espions de la terreur, p 105)

7Les espions de la terreur, p. 99

8On peut ainsi lire dans le numéro de Dabiq daté du 14 d’avril 2016 : « C’est Abu Idrïss (alias Najim Laachraoui) qui a préparé les explosifs pour les deux raids de Paris et Bruxelles ».

9« Bruxelles : le frère de Laachraoui « condamne » les actes de son frère », AFP, 24/03/2016

10« Les frères Laachraoui : une enfance semblable, des vies opposées », S. A. et Antoine Heulard, BFMTV.com, 25/03/2016

11« Le frère du kamikaze Najim Laachraoui « apeuré » et « attristé », YouTube, 24/03/2016

12« Qui est Mohamed Belkaid, l’homme abattu par la police à Forest ? », RTBF, 16/03/2016

13« Mohamed Belkaid, « vraisemblablement » l’un des logisticiens des attentats de Paris », L’Est républicain, 18/03/2016

14« Opération anti-terroriste à Bruxelles : le portrait-robot d’un des deux fugitifs diffusé », l’Est éclair, 16/03/2016

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