Le trio du Bataclan… et celui qui aurait pu en faire partie

Après avoir dans une première partie rappelé le contexte et le déroulement des attentats du 13 novembre 2015, nous passons en revue les portraits et les parcours des différents acteurs et complices des attentat du 13 novembre 2015, à commencer par le trio responsable du massacre du Bataclan.

Foued Mohamed Aggad, Samy Amimour et Ismaïl Omar Mostefai se distinguent de tous les autres tueurs du 13 novembre, et des accusés au procès des attentats d’être originaires de France. Les frères Abdeslam étaient titulaires d’un passeport français, mais ayant passé toute leur existence en Belgique, on ne peut pas dire que le cas soit comparable. Wissenburg, Drancy, Chartres, telles sont les trois villes dans lesquelles ces trois hommes se sont progressivement daéchisés, avant de prendre le départ pour la Syrie, dès 2013, s’y aguerrir, et revenir dans leur pays natal pour participer – au nom de la vengeance – au carnage des attentats du 13 novembre. Deux de ces cas ont par ailleurs été l’occasion des ratés les plus monumentaux des services de renseignement français, ce qui augmente le scandale que ces trois hommes aient pu un jour pouvoir perpétrer ce qu’ils ont perpétré. Ces ratés sont des pièces du puzzle plus général de l’abandon du Bataclan. Nous avons ajouté à ce trio de portraits celui de Bilal Hadfi qui initialement semblait promis à faire partie du groupe qui a commis le massacre du Bataclan, mais qui inexplicablement a changé de planque en pleine nuit, rejoignant le groupe qui se fera sauter au Stade de France.

Foued Mohamed Aggad

Capture d’écran d’une photographie non datée de Foued Mohamed Aggad, postée sur facebook (MAXPPP, reprise par franceinfo.fr)

Foued Mohamed Aggad – 23 ans au moment des faits – est né le 13 juillet 1992 dans le département du Bas-Rhin. Fils d’un père d’origine algérienne et d’une mère d’origine marocaine, il a passé son enfance dans le pittoresque village de Steinseltz, jusqu’à ce que la famille s’installe dans un quartier HLM de la ville de Wissenburg, située à 60 km de Strasbourg. Membre d’une fratrie de quatre enfants, ses parents sont divorcés et il vivait chez sa mère. Le 19 novembre 2021, au procès des attentats, l’enquêtrice de la DGSI 020SI a rappelé plusieurs faits de violences volontaires pour lesquels il était connu des services de police. Longtemps il n’a rien eu d’un radicalisé, fumant des joints et buvant de l’alcool. A sa majorité il tente le concours d’entrée dans la gendarmerie et dans l’armée, mais n’est pas retenu et en conçoit de l’amertume, attribuant son échec à son origine maghrébine. Son destin bascule à l’été 2013, quand il fait la connaissance sur internet d’un certain Mourad Farès, alias Abou Hassan ou Mourad al-Faransi (le français), recruteur de djihadistes de son état. Décrit par des proches comme influençable, le jeune Aggad tombe dans ses filets et entre littéralement en métamorphose. Il se laisse pousser la barbe, se rend à la mosquée en djellaba et jupe blanche. L’amie qu’il fréquente depuis l’été 2011, une certaine Kaltoum, qui témoignera le 15 décembre 2021 au procès des attentats, est saisie par le changement. Alors qu’elle vivait avec un jeune homme « joyeux, drôle, gentil », apprécié par son entourage, « il s’est mis à regarder des vidéos sur YouTube, c’était beaucoup d’endoctrinement. Il voulait me faire porter le voile. Il me coupait mes talons, me déchirait mes vêtements qu’il trouvait trop courts. Il s’est mis à être violent mais sans me porter réellement de gros coups. Et, je l’ai compris bien trop tard, il arrivait à me faire comprendre que c’était de ma faute. » Son rigorisme va jusqu’à le faire exclure par le président du centre culturel turc qu’il fréquentait, en raison de sa volonté de prier à part : « Je l’ai mis à la porte parce qu’il voulait faire sa prière tout seul », tout seul c’est-à-dire à l’écart des autres fidèles qu’ils ne jugeait pas assez purs à son gré. Son frère Karim, de deux ans son aîné, le suit dans cette dérive, et Mourad Farès finit par organiser leur départ vers la Syrie, en décembre 2013, avec une douzaine de jeunes principalement issus du quartier de la Meinau à Strasbourg : en plusieurs vagues, ils prennent l’avion depuis Francfort vers la ville d’Antalya, tout proche de la frontière syro-turque, et de là passent en Syrie, où ils sont accueillis par Mourad Farès dans la banlieue d’Alep. Aggad est fiché S à partir de cette époque. Assez vite, en janvier 2014, deux jeunes du groupe, Yassine et Mourad Boudjellal, sont tués au combat dans la région d’Alep, et sept des jeunes bas-rhinois, dont Karim, décident de prendre le chemin du retour deux mois plus tard : ils seront tous interpellés lors d’une vaste opération de police en mai 2014, et tous mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et incarcérés1. Le recruteur Mourad Farès sera à son tour arrêté par les Turcs en décembre 2014 et remis à la justice française. Foued Mohamed Aggad est le seul du groupe à demeurer sur place. Comme il s’efforce en vain de faire venir sa petite amie, il se met en quête par internet d’une épouse daéchophyle, à qui il confie le 8 mars 2014, avant qu’elle ne le rejoigne au Levant : « Si je rentre en France, c’est pour tout exploser. »2 Un mois plus tard il confie à sa mère avec laquelle il est en contact quotidien que son but dans la vie est de mourir en martyr. C’est ainsi qu’au printemps 2015, il aurait dû mourir en kamikaze en Irak, mais au dernier moment la mission est annulée. Ce projet de vie n’était pas incompatible à ses yeux avec la vie de famille puisque sa femme, qui partage ses idées et aspirations, était alors enceinte. Si l’on suit les enquêteurs de la DGSI auditionnés le 19 novembre 2021 au procès des attentats, c’est vers mars 2014 qu’il rencontre, dans la ville d’Al Shaddadi, au nord-est de la Syrie, ses deux futurs acolytes du Bataclan, Ismaïl Omar Mostefai et Samy Amimour. Foued Mohamed Aggad donne encore beaucoup de nouvelles à son frère. En juillet 2014, il lui confie ainsi qu’il va rejoindre la katibat « al battal » qui peut correspondre à la katibat « al Battar » (du sabre), dans laquelle étaient notamment les deux hommes mais aussi Abdelhamid Abaaoud.

Avant de prendre le chemin du 13 novembre, les trois futurs assassins-kamikazes se font filmer dans une vidéo intitulée « Et tuez-les (NDLR: les mécréants) où que vous les rencontriez. », où chacun égorge un otage. Soudés par ce pacte de sang, les trois hommes prennent ensemble le chemin de l’Europe en empruntant l’itinéraire classique des migrants : Turquie, Grèce, Macédoine, Serbie, Hongrie… sans doute à la fin du mois d’août puisque le dernier message – d’adieu – est reçu par son frère en date du 23 août. Il lui annonce qu’il va participer à une opération martyre en Irak. On retrouve par la suite la trace des trois hommes pour la dernière fois le 16 septembre en Hongrie (source DGSI).

Foued Mohamed Aggad réalise finalement le rêve qu’il poursuivait depuis tant de mois le soir du 13 novembre 2015, au premier étage du Bataclan, quand la colonne de la BRI et de la BI pénètre dans la pièce où il s’est retranché deux heures plus tôt avec Ismaïl Mostefai, après que Samy Amimour a été abattu sur la scène par un commissaire de la BAC et son chauffeur. Après avoir vidé un chargeur de kalachnikov sur le bouclier Ramsès tenu par la colonne de policiers, il est atteint d’une balle et actionne le bouton de son gilet explosif. La position dans laquelle il se trouve toutefois déplace miraculeusement l’essentiel du souffle de l’explosion vers le plafond, et il blesse très grièvement son acolyte qui ne parvient pas à actionner son gilet et est aussitôt abattu – tous les otages retenus dans la pièce étant indemnes.

Son identité mettra plus de temps que celle de ses deux complices à être révélée puisqu’il faudra attendre le début du mois de décembre, et un SMS envoyé par sa femme à sa mère depuis la Syrie, ou elle lui annonce : « Ton fils est mort en martyr avec ses frères le 13 novembre. », pour que le mystère du troisième kamikaze du Bataclan soit levé. Apprenant cette nouvelle son père se désole : « je l’aurais tué avant. Je l’ai appris comme vous, depuis minuit. Je savais qu’il était parti en Syrie, depuis deux ans, mais pas qu’il était revenu. La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a deux ans, quand il est parti. J’ai pas de mots, je l’ai appris ce matin, il faut que je m’en remette ».

La fin terrible de Foued Mohamed Aggad ne signifie pas la fin des ennuis pour les membres restants de sa famille. En plus de son frère qui a été condamné en appel à neuf ans de prison en 2017 pour sa participation à la filière strasbourgeoise, sa mère Fatima Hajji, le 4 mars 2022, a elle aussi été condamnée à quatre ans de prison dont 18 mois fermes pour avoir envoyé de l’argent à son fils quand celui-ci se trouvait dans les zones syro-irakiennes tenues par Daech : elle lui a envoyé en tout 13 000 euros en six mandats en plus d’un colis. A la barre la mère a tenté d’expliquer qu’elle avait voulu soutenir son fils, sa femme et leur futur enfant, mais pas la cause, et que l’argent aurait dû servir à payer des passeurs pour le faire revenir, mais elle n’a pas convaincu la cour qui l’a condamnée.

Samy Amimour

Capture d’écran de Samy Amimour extraite de la vidéo de revendication des attentats du 13 novembre publiée le 24 janvier 2016 (HO / AL-HAYAT MEDIA CENTRE / AFP)

Le parcours de Samy Amimour, né le 15 octobre 1987 – 28 ans au moment des faits – détonne légèrement dans la galerie de portraits des individus impliqués dans les attentats du 13 novembre. Ses parents sont certes tous les deux d’origine algérienne, il a certes été traditionnellement circoncis à l’âge de deux ans et demi, comme le rapporte son père Azdyne dans son livre d’entretien avec George Salines3, mais la famille était beaucoup mieux intégrée, tant socialement que financièrement, que nombre de celles des hommes impliqués de près ou de loin dans les attentats du 13 novembre. Il a grandi à Drancy (Seine Saint-Denis) dans une fratrie de trois enfants, entre une grande et une petite sœur. Son père travaillant dans l’import export entre la France et la Belgique, et étant souvent absent, c’est essentiellement par sa mère qu’il a été élevé. « Ma mère s’est toujours occupé de tout, des devoirs, des activités extra-scolaires », a expliqué sa sœur Maya, auditionné au procès des attentats le 10 décembre 2021 ; une mère féministe militant dans une association culturelle berbère qui avait été employée comme auxiliaire de vie scolaire4. Son père, longuement auditionné lui aussi le même jour, a évoqué un parcours en apparence sans histoire : « Je sais que mon fils a eu une bonne éducation, il a suivi un parcours scolaire sans faute, il a eu son brevet, son bac du premier coup. Il s’est inscrit pour une licence de droit. » entrant finalement à la RATP où il devient conducteur de bus ; et un foyer où l’on ne manquait de rien : « Je n’ai pas eu le millionième de ce qu’il a eu. Je ne comprends pas ». Il y avait toutefois des signes avant coureurs. Il aurait ainsi été très marqué par le suicide de sa cousine survenu dans son adolescence : « Ses quinze ans en tout cas n’ont pas été une année heureuse, c’est en effet à ce moment-là que sa cousine Roxane s’est suicidée. Il ne la voyait pas souvent mais je crois que sa disparition l’a beaucoup marqué. C’était son premier rapport à la mort, et à partir de là il s’est mis à prier5» Il était par ailleurs, selon sa mère, « très renfermé, fragile et ayant du mal à communiquer » Le père abonde dans ce sens : « Adolescent il me faisait penser à tant d’autres enfants d’aujourd’hui : renfermés, peu diserts, mystérieux. J’ai creusé jusqu’à ce qu’il me dise à 18 ans : « Papa je ne suis pas heureux. » Je ne comprenais pas car il me semblait lui avoir donné tout ce que je n’avais pas eu.6 » Le père encore : « Je pense que redevenir musulman a été dans un premier temps pour Samy un salut et un moyen de s’approprier son identité. Pas particulièrement convaincu par les identités française et algérienne, il devenait, pour la première fois de sa vie, fier d’une identité qu’il pouvait choisir. (…) Tous les ingrédients du basculement étaient là : un mal-être identitaire, une série d’échecs, sa soif de connaissances de l’Islam, son caractère influençable… Tout, jusqu’à la mauvaise rencontre7. » La fin de sa scolarité marque dans tous les cas le commencement d’une métamorphose. Le père, toujours : « Après ça s’est passé à une vitesse vertigineuse. Il a commencé à s’intéresser à la religion, je n’étais pas contre tant qu’il était dans la bonne voie. Il a commencé à aller à la mosquée, son allure a changé. J’étais inquiet. Mais je faisais la navette entre la Belgique et Paris. Voilà. » Son comportement à la maison s’en ressent. Il lui arrive de traiter sa mère de « mécréante » et « va jusqu’à jeter les bouteilles d’alcool à la poubelle ou décrocher les décorations en papyrus égyptien disant que c’était contraire à l’islam » rapporte l’enquêteur de la DGSI 209SI auditionné le 19 novembre 2021 au procès des attentats. Et sa sœur explique qu’il « rompt petit à petit avec ses amis non-musulmans, mettrait des gants pour serrer la main à des non-musulmans et jetterait ses CD de musique ». C’est par internet, seul, qu’il acquiert les bases de sa nouvelle personnalité. Son père, qui fixe sa radicalisation à l’âge de 24 ans – entre 2010 et 2012 selon sa mère –, explique qu’il a été séduit par un certain « Abourayan », qui « par la suite, a eu des liens avec sharia4belgium, la pépinière de djihadistes d’Anvers, conduite par Fouad Belkacem8. » Par ailleurs, « Il était aussi très sensible au discours d’un Turc sur internet, un certain Haroun Yahya, arrêté depuis. Nous le considérions comme un charlatan, mais mon fils ne voulait rien entendre. Harun Yahya vivait dans une grande villa, entouré de femmes, et représentait le courant du créationnisme musulman, proche de la doctrine des chrétiens évangéliques. Opposé à l’évolution darwinienne, proche de la doctrine des chrétiens évangéliques, ce courant défend la théorie de la main de Dieu à l’origine de toute chose. Antisioniste, anti franc-maçon et homophobe, Yahya intervenait aussi dans le débat public. Il a été arrêté pour fraude et agressions sexuelles9. » En 2012 Il se met à fréquenter la mosquée du Blanc-Mesnil où il rencontre les premiers frères en Islam avec qui lesquels il va former le projet de partir combattre sous cette bannière dans des pays lointains. L’enquêteur de la DGSI déjà cité rapporte, lors du procès des attentats, que le 4 avril 2012, six individus sont interpellés à Djibouti alors qu’ils tentaient de rallier la Somalie. Un lien est fait en France avec un certain Charaffe Mouadan, qui a des liens avec Samy Amimour qu’il côtoie depuis l’adolescence à Drancy, Amimour dont on apprend qu’il s’est inscrit à des clubs de tir et s’est acheté des vêtements de randonnée. C’est ainsi qu’il est interpellé à son domicile en mai 2012. « Lors de l’audition Samy Amimour reconnaît avoir voulu rejoindre une terre de djihad, soit le Yémen, soit l’Afghanistan », mais il a finalement renoncé. L’exploitation de ses supports numériques permet toutefois de l’identifier comme un aspirant djihadiste déterminé et il est placé sous contrôle judiciaire : ses papiers lui sont retirés et il a l’obligation de pointer une fois par semaine au commissariat. Lui et ses deux amis Charif Mouadan et Samir Boudaout n’ont en outre pas été interrogés par n’importe qui : le cabinet du juge antiterroriste Marc Trévidic, qui a personnellement interrogé les deux hommes mais pas Samy Amimour : « Après ce qui s’est passé, ce massacre, on ne peut que regretter de ne pas l’avoir mis en prison » reconnaîtra ce dernier le 3 mai 2022 lors de son audition au procès des attentats. Ce coup de semonce est toutefois loin de détourner Samy de sa vocation. L’agent 209SI rapporte que dès septembre 2012, il « commence à vider progressivement des comptes courants », et en avril 2013 il verse 21 000 euros pour financer l’achat d’un appartement pour deux individus connus pour leur adhésion à un islam rigoriste.

En même temps, il va exploiter une faille dans le système de surveillance et de contrôle dont il fait l’objet, ou plutôt dont il ne fait pas l’objet : il déclare à la préfecture la perte de ses papiers d’identité et parvient à s’en faire fabriquer de nouveaux en remplacement de ceux confisqués par la police, et le contrôle de ses pointages au commissariat est inexistant – le bracelet électronique n’existait pas encore – et le voilà qui peut quitter la France et prendre la direction de la Syrie en compagnie d’Ismaïl Omar Mostefai. Ce raté a suscité quand on en a eu connaissance par la suite un énorme scandale, dont la commission d’enquête parlementaire, pourtant très compréhensive envers les ratés des services de renseignement français dans la prévention des attentats, s’est fait l’écho en 2016 : « Selon toute vraisemblance, il se serait fait refaire ses papiers d’identité par la préfecture, en arguant une prétendue perte. Alors que toute demande de nouveaux papiers d’identité déclenche normalement la consultation par la préfecture du fichier national des personnes recherchées (FPR), dans lequel sont portées les interdictions de sortie du territoire, il semblerait que cette consultation ne soit pas systématique, a regretté M. Marc Trévidic lors de son audition par la commission d’enquête. Alors juge d’instruction au pôle antiterroriste, celui-ci a expliqué à la commission d’enquête qu’il avait souhaité, à la lumière d’éléments nouveaux, entendre trois individus placés sous contrôle judiciaire, dont Samy Amimour. Il apprit à cette occasion « qu’aucun des trois ne pointait plus au commissariat depuis au moins quatre semaines sinon davantage, alors même qu’ils étaient tenus à un contrôle hebdomadaire ». Cet épisode plus que malheureux met en relief deux problèmes majeurs et distincts. Premièrement, le contrôle judiciaire de Samy Amimour a manifestement échoué et n’a pas été suffisamment rigoureux. Deuxièmement, si la surveillance administrative dont il avait été l’objet a été abandonnée simultanément avec sa mise en examen, conformément aux principes du procès équitable et des droits de la défense, elle n’a manifestement été remplacée par aucune mise en œuvre par la justice des techniques de renseignement qui eussent permis de détecter les intentions de Samy Amimour. » Point capital, admis par le directeur de la DGSI lui-même lors de son audition devant la commission d’enquête : « Vous venez de rappeler que nous avions arrêté Samy Amimour, par la suite déféré, mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Or, nous ne pouvons mettre en œuvre aucune technique de renseignement concernant un individu mis en examen afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits de la défense. » Ce qui a suscité ce commentaire ironique de la part du député Pierre Lellouche : « Autrement dit, tout bon terroriste doit demander à être mis en examen. » Le père de Samy, tout aussi incrédule, apporte quant à lui les éléments suivants : « Comment est-il possible qu’il n’y ait eu aucun barrage administratif ? Après les événements, on nous a assuré qu’il n’en était rien. Mais il se trouve que, côtoyant les employés de la mairie via des activités bénévoles, Mouna connaissait l’agent qui a remis la carte d’identité à Sam. Celui-ci a confirmé que mon fils était bien venu récupérer sa carte en personne. Ce n’est malheureusement pas le seul point obscur de cette histoire… Ce que je sais c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas d’interconnexion entre le fichier des personnes recherchées (FPR) et celui où les prévenus consignent le dépôt de leurs papiers saisis. C’est ainsi que Samy et ses acolytes quitteront le territoire pour la Syrie, destination plus accessible que l’Afghanistan ou le Yémen. Au moment où la guerre s’accélérait ils ne sont pas trompés10. »

« Pour couvrir [son] départ, Amimour écrit à sa mère pour lui dire qu’il part en vacances dans le Sud. », explique l’enquêteur de la DGSI 209SI. Mais c’est bien le Levant qu’il a rallié avec ses nouveaux papiers fraîchement obtenus alors qu’il se trouvait sous contrôle judiciaire.

En binôme avec Mostefai, Amimour rejoint la katibat « al muhajirin11 », par laquelle est passé Abdelhamid Abaaoud, et devient donc un combattant de Daech. Il a été localisé notamment à Hraytan, Raqqa ou Shaddadi, des villes du nord et du nord-est de la Syrie alors sous le contrôle de l’organisation. Il rejoint ensuite la katibat « Tariq Ibn Zyad », où il fait la rencontre du troisième membre du trio du Bataclan, Foued Mohamed Aggad, une brigade qui « est un vivier de combattants pour les opérations extérieures », «une troupe d’élite », précise 209SI. Il demeure toutefois en contact régulier avec sa famille, en particulier sa mère et ses sœurs. Par le truchement de l’une d’elle – qu’il a en vain tenté d’inciter à le rejoindre sur zone – il tente rapidement de démarcher une « sœur » susceptible de le rejoindre en Syrie pour devenir son épouse. Une première tentative échoue, le père de la jeune mineure ayant pu intervenir à temps, mais la seconde est la bonne et le voilà marié au Levant avec une Kahina âgée de 17 ans, qu’il avait rencontrée alors qu’elle allait à l’école dans un bus dont il était le chauffeur12. Auditionnée par les services de renseignement, la première expliquera que Samy «se présentait comme quelqu’un appartenant aux combattants contre Bachar el-Assad et expliquait avoir été blessé au tibia ».

Lors des premiers entretiens Skype avec sa famille – il les contactait chaque dimanche – il avait dit qu’il faisait partie du Jabhat al Nosra, dont le père à ses dires ignorait à l’époque son affiliation à al Qaida. « Au début il nous parlait de son action humanitaire en faveur de syriens qui souffraient du régime de Bachar el-Assad. Puis petit à petit, il a glissé et essayé de nous convaincre de le rejoindre, un classique de l’endoctrinement13. » avance-t-il. Se refusant à admettre cet incroyable soudain départ sans retour de son fils unique, celui-ci décide finalement de prendre à son tour le chemin de la Syrie pour tenter de le raisonner et le convaincre de revenir en France. Il passe par la Belgique pour se rendre en Turquie le 13 juin 2014, et passe la frontière turque le 27 par la ville de Gaziantep. Il est orienté vers son fils après avoir décliné son identité à un émir, qui le prend dans ses bras en le félicitant : « La katibat de votre fils, c’est la katibat des héros ». Quand il le rencontre, Samy est visiblement blessé aux jambes, et se déplace en béquilles. Hasard de dates, son arrivée coïncide avec la proclamation de l’État Islamique par Abu Bakr el Baghdadi : « Au matin, le califat a été proclamé. Vers 8 heures, j’ai entendu des coups de feu un peu partout dans la ville, j’ai cru au départ à une attaque. Cela ne semblait faire ni chaud ni froid à Samy, il regardait au loin, son arme sur l’épaule. Il avait une allure de vrai bon petit soldat, assuré mais blasé. Les hommes ont fini par se congratuler et Samy s’est plié à l’exercice en esquissant enfin un vague sourire. Je crois que nous avons échangé deux phrases en quatre jours. Alors qu’il parlait beaucoup avec sa mère et ses sœurs, avec moi c’était le blocage14. » Le père essaye bien de l’égayer en lui parlant par exemple de football, mais les échanges en Syrie sont tout aussi impossibles qu’en France. Il joue alors son va-tout en lui remettant une lettre écrite par sa mère : « C’était une belle lettre, intelligente. Dans l’enveloppe, moi j’avais glissé un billet. Il est parti la lire dans un coin. Il est revenu, normal, rien. Il m’a rendu le billet et il a gardé la lettre ». Et c’est ainsi qu’au terme d’un séjour de quatre jours où il ne l’aura presque pas vu, Azdyne prend le cœur brisé le chemin du retour.

Le livre d’entretiens entre Azdyne Amimour et Georges Salines, Robert Laffont, 2020

Six mois avant les attentats, Samy rompt tout contact avec sa famille et nous disposons de peu de détails. Dans son livre d’entretien avec Georges Salines, son père rapporte au moins : « Aujourd’hui on sait que c’est via l’île grecque de Leros, au large de la Turquie, qu’il a pénétré en Europe. Depuis la Syrie, il a dû rouler jusqu’à Bodrum, en Turquie, faire la traversée jusqu’à Leros avec de faux papiers, puis gagner la Hongrie. A l’époque, les pays de l’est étaient des vraies passoires. Ce que je sais aussi aujourd’hui, c’est que du 10 au 17 septembre 2015, les trois assaillants, dont Samy, ont logé dans un hôtel de Budapest. C’est probablement là que Salah Abdeslam est venu les chercher pour les ramener jusqu’en Belgique. Ils sont ensuite restés près d’un mois et demi à Bruxelles15. » Son ADN sera retrouvé par la suite sur une fourchette dans l’appartement conspiratif belge du 408 avenue de l’Exposition à Jette, dans la banlieue de Bruxelles, loué en septembre 2015 par Mohamed Bakkali sous la fausse identité d’Algerto Malonzo. Il reparaît à la lumière le soir du 13 novembre. Après les premières salves, on l’entend, dans un enregistrement pirate, haranguer ainsi la foule : « Les soldats français, américains, ils bombardent dans les airs […]. Nous on est des hommes, on vous bombarde ici sur terre. On n’a pas besoin d’avions, nous. Voilà, vous avez élu votre président Hollande, voilà sa campagne. Remerciez-le. » (…) « Vous vous en prendrez à votre gouvernement français. D’accord ? Qui a envoyé le (…) dans le pays des musulmans pour massacrer les nôtres. Avec des bombes et des missiles… Ils tuent des femmes et des enfants sans distinction… comme ils font on leur fait. C’est exactement ça. Donc maintenant vous pourrez vous en prendre qu’à votre président Hollande. D’accord, il fait le… Il fait le cow-boy à envoyer ses troupes partout dans le monde combattre les musulmans. Aujourd’hui l’heure de la vengeance a sonné. C’est terminé tout ça. » A 21h55, sept minutes après l’entrée du trio dans le Bataclan, un commissaire de la BAC pénètre dans la salle de spectacle avec son chauffeur. Ils aperçoivent Samy Amimour sur la scène en train de haranguer et mettre en joue un otage. Ils dégainent leurs armes de petit calibre et tirent six balles : le terroriste s’effondre. Dans sa chute il a toutefois le temps d’actionner son gilet explosif et son corps en charpie vient arroser toute la salle. Le spectateur mis en joue survivra et témoignera le 12 octobre au procès des attentats : « J’ai été sauvé in extremis par le commissaire de la Bac nuit et son collègue. Sans eux, je ne serais probablement pas ici. »/ « le terroriste me demande d’aller relever une vieille personne qui était accroupie. Il me dit : « aide ce fils de pute à se relever et on va voir s’il est mort. » Il aperçoit alors « deux ombres »/ « J’ai vite compris qu’il s’agissait de policiers, je ne saurais pas dire pourquoi. » Après leurs tirs, il prend la fuite, non sans ressentir le souffle de l’explosion, s’en sortant par miracle.

Le lundi 16 novembre, trois jours après les attentats, le domicile des parents de Samy Amimour, qui a été identifié grâce à ses empreintes palmaires, est perquisitionné et le père, la mère et la plus jeune sœur sont placés en garde-à-vue pour une durée de 96 heures. Azdyne ne parle pas de son séjour de la dernière chance en Syrie lors de sa garde-à-vue, ce qui lui sera reproché lors de son audition du 10 décembre, mais c’est qu’il redoutait, expliquera-t-il en cette occasion, de voir sa garde à vue indéfiniment prolongée en détention provisoire illimitée, ce qui peut se comprendre quand on sait comment la justice anti terroriste fonctionne : laxiste en amont mais impitoyable en aval, une fois que l’attentat a été perpétré. Samy est inhumé le 24 décembre au carré musulman du cimetière intercommunal de la Courneuve.

Quant à son épouse demeurée en Syrie, qui était enceinte de huit mois au moment des attentats, elle s’est déclarée quelques jours après leur perpétration « très fière de son mari kamikaze ». Elle a finalement été rapatriée contre son gré en France le 4 juillet 2022, à l’âge de 25 ans, avec ses trois enfants, celui qu’elle a eu avec Amimour, et deux autres d’une seconde union. A son arrivée elle a été aussitôt arrêtée, mise en examen pour association de malfaiteurs terroristes, mise en détention provisoire, et ses enfants ont été placés dans une famille d’accueil de l’aide sociale à l’enfance dans le département de la Seine-Saint-Denis.

Ismaïl Omar Mostefai

Ismail Omar Mostefait (AFP)

Le troisième membre du trio du Bataclan, Ismaïl Omar Mostefai – 30 ans au moment des faits – est né le 21 octobre 1985 à Courcouronnes (Essonne), d’un père Algérien prénommé Mohamed et d’une mère portugaise répondant au nom de Lucia de Fatima Moreira. Avec deux frères et deux sœurs, il se situe dans la moyenne des accusés des attentats. Contrairement à d’autres, il a grandi dans une famille où un Islam rigoriste occupait une place très importante et qui l’a profondément influencé. Son père, chauffeur routier de son état, est très pieux – il va tous les jours à la mosquée, ne serre pas la main aux femmes, et arbore l’énorme barbe typique – et sa mère est naturellement une convertie. Cela ne l’empêche pas de basculer dans la délinquance multiforme : entre 2004 et 2010, il est condamné à huit reprises pour, en vrac, violence volontaire avec usage ou menace d’armes, vol et violence en réunion, vol par effraction, achat de stupéfiants, contrefaçon de chèque. Ces délits, commis à cheval sur Courcouronnes et Chartres où toute la famille déménage en 2005 pour s’installer dans le quartier de la Madeleine, ne sont toutefois pas jugés assez graves pour le mener en prison. On note tout de même qu’il effectue en 2005 une peine de travail d’intérêt général dans une cuisine collective de Chartres. A son dernier procès dans cette ville, pour conduite sans permis, il a l’idée de se présenter sous l’identité de son frère, procédé toutefois rapidement éventé quand les policiers se rendent compte qu’il a dissimulé sa propre carte d’identité dans sa chaussure16. Du reste, c’est semble-t-il à cause de ces pratiques délinquantes – aussi médiocres soient-elles – que la famille a été contrainte de déménager de Courcouronnes pour enrichir de sa présence la ville de Chartres : Mostefai appartenait à une bande qui était en rivalité avec une autre ; il avait reçu des menaces de mort à son domicile ; demeurer dans le quartier devenait impossible. Le maire de Courcouronnes Stéphane Baudet confirme : « C’est allé trop loin, ils ont reçu des menaces. Les parents ont donc pris la décision de partir17. »

Très pieux, Mostefai intègre en 2007 un groupe tablighi dans lequel il reste jusqu’en 2010. Il « était connu de la DGSI dès 2009 pour son appartenance à la tendance salafiste de Chartres. » expliquera le 19 novembre 2021 un enquêteur de la DGSI au procès des attentats. Il fréquente à partir de 2010 la mosquée de Beaulieu où il fait la funeste rencontre d’un certain « Rachid » qui n’est autre qu’Abdelilah Ziyad. Alors âgé de 53 ans, ce dernier a été condamné en janvier 1997 par un tribunal français à huit ans de prison pour avoir commandité un attentat à la bombe contre l’hôtel de luxe Atlas-Asni de Marrakech au cours duquel avaient péri deux touristes espagnols le 24 août 1994, peine assortie d’une interdiction de territoire de dix ans. La justice marocaine l’avait, de son côté, condamné à la peine de mort, commuée ensuite en 25 années d’emprisonnement18. Après avoir été libéré en 2001 – n’ayant donc effectué que les deux tiers de sa peine – il disparaît, se cachant dans la ville de Migennes sous de fausses identités. Il réapparaît en 2008 à Chartres, effectuant de fréquents aller-retours entre les deux villes19, il a pu continuer tranquillement à reprendre son prosélytisme en France, dans le cadre toutefois de cours privés, fondés sur la doctrine salafiste20. Après son passage à Chartres, il a pu prendre en charge la mosquée de Troyes, dans l’Aube.

Le terroriste et ancien imam de la mosquée de Troyes Abdelilah Ziyad

Le 10 juin 2008, Mostefai se marie en Algérie avec une Khadidja, habitante de Sig, un village près d’Oran. Il la fait venir en France, à Chartres, et elle obtient une carte de séjour. Le 6 août 2010, il devient père d’une petite fille, puis le 16 août 2013 d’un petit garçon, qu’il déclare tous les deux lui-même à l’état-civil, en les domiciliant à la Madeleine. C’est à l’occasion de cette seconde naissance, ne se sentant décidément aucune affinité pour ce pays qui lui a fait tant de mal, la France, qu’il décide de se faire appeler non plus seulement Ismaïl Mostefai, mais Ismaïl Omar Mostefai, en hommage au second calife.

L’année 2012 est une année charnière pour la famille Mostefai. Le père et la mère se sont fait construire une maison à Romilly-sur-Seine, dans l’Aube, et Ismaïl prend la décision de couper tous les ponts avec eux. Le 29 septembre de cette même année, il est localisé à Charmoy, une commune limitrophe de Migennes : lors d’un contrôle de police, il est repéré en tant que fiché S, et l’on constate qu’il a expliqué chercher une rue qui n’existe pas.

C’est l’avant dernière trace que l’on a de Mostefai en France : le 6 septembre 2013, il passe en Turquie en compagnie de Samy Amimour et d’un autre homme21. Et oui l’avant-dernière parce qu’il a été une dernière fois localisé le 9 avril 2014 à Chartres22 à l’occasion d’une réunion sous l’égide d’Abdelilah Ziyad. Une note de la DGSI révélée par Libération indique ainsi que « Pendant le séjour [de Ziyad à Chartres, NDLR], les membres du groupe se sont entraînés physiquement en présence de Bachir Abdelmalek [faux nom de Ziyad], qu’ils considèrent comme leur maître […] Ils se sont également livrés à l’apprentissage de technique de combat de rue, sous l’égide de Bachir Abdelmalek, qu’ils jugent expert en la matière […] Durant le séjour de Bachir Abdelmalek sur l’agglomération chartraine, les membres du groupe ont récupéré des dons afin de financer son déplacement. » La tenue de cette réunion a été jugée assez sérieuse, explique Libération, pour engager des procédures de surveillance contre certains participants, jusqu’en septembre 2015, mais pas contre Mostefai dont la présence n’est pas jugée porteuse de sens.

Le 17 septembre 2015, il est récupéré par la cellule bruxelloise en Hongrie en même temps que Samy Amimour et Foued Mohamed Aggad.

Après avoir participé au massacre du Bataclan, le soir du 13 novembre, il est abattu à 0h20 lors de l’assaut par la colonne de la BRI/BI de la pièce où il s’était retranché en compagnie d’Aggad et une douzaine d’otages. Grièvement blessé par l’explosion du gilet de son complice, son propre gilet est en outre déplacé, il ne peut plus atteindre le bouton déclencheur, et est en conséquence abattu par les policiers.

En décembre 2015, Abdelilah Ziyad est démis de ses fonctions d’imam de la mosquée de Troyes, et Ismaïl Omar Mostefai est inhumé le 12 février 2016 dans le carré musulman du cimetière parisien de Thiais (Val-de-Marne). Il aurait dû être inhumé à Romilly-sur-Seine, lieu de résidence de ses parents qui s’y sont fait construire une grande maison, mais Eric Vuillemin, le maire de cette commune, est parvenu à l’empêcher quoiqu’il n’en ait légalement pas le droit23. Le maire de Chartres, Jean-Pierre Gorges, s’est également catégoriquement opposé à une inhumation dans sa ville. « Rien ne m’y oblige. J’ai vérifié légalement et, pour moi, il ne remplit pas toutes les conditions. Sa famille a quitté La Madeleine en 2012. Lui est resté ici, mais il n’avait pas d’adresse propre, il squattait chez quelqu’un. J’attends qu’on prouve où était son domicile jusqu’en 2015. Je ne ferai aucun effort. D’autant que nous avons perdu une jeune Chartraine qui ne demandait qu’à vivre lors de ces attentats » En effet parmi les victimes du massacre du 13 novembre figurent deux euréliennes : La Chartraine Marion Jouanneau au Bataclan et la Drouaise Djamila Houd, assassinée à la terrasse du bistrot La Belle Équipe.

La chartraine Marion Jouanneau, assassinée au Bataclan (L’écho Républicain)
la Drouaise Djamila Houd, assassinée à la terrasse du bistrot La Belle Équipe

Bilal Hadfi

Bilal Hadfi, dans une capture d’écran de la vidéo de revendication des attentats du 13 novembre

Né le 22 janvier 1995, Bilal Hadfi – 20 ans au moment des faits, et plus jeune des terroristes du 13 novembre – est le benjamin d’une fratrie de trois frères et une sœur. De nationalité française, il a passé son enfance dans le quartier de Versailles à Bruxelles, au nord est de Molenbeek. Malgré une éducation particulièrement choyée – sa mère Fatima rapporte ainsi que « Quand il avait des lacunes à l’école, [elle] lui payai[t] des cours privés. C’était cher, mais [elle] [s]’en foutai[t]. [Elle] n’a rien fait de ma vie, [s]es parents n’avaient pas la possibilité de [lui] donner les outils pour réussir. Alors, si [ses] enfants arrivaient, eux, à faire quelque chose, ce serait [s]a réussite à [elle] aussi. » – son adolescence n’a pas été la moins chaotique de celle des autres terroristes. Un enquêteur belge auditionné le 25 novembre 2021 le décrit comme « un gamin mal dans sa peau » qui s’est mis à consommer de l’alcool dès l’âge de 12 ans, âge auquel son père décède. Dans sa longue et poignante interviou donnée à Francetv.info24 en décembre 2016, la mère dénonce un « système qui ne laisse pas sa place aux jeunes ». Appelant en direct lors d’une émission de Maghreb TV, elle avait expliqué un an plus tôt : « Il vivait comme tout le monde. Il allait à l’école (…) Il était victime de cette société des regards, des paroles : « T’es pas le bienvenu ici », « dégage dans ton pays » ». Témoignage de cette souffrance, Il était défavorablement connu des services de police pour de multiples faits de délinquance entre 2011 et 2014 : détention de drogues, vols qualifiés, vols simples…

Montant en colère, Il se signale par des positions ouvertement pro djihadistes à l’école Anneessens-Funck, l’établissement scolaire qu’il fréquentait à Bruxelles, exprimant par exemple en classe son contentement à l’annonce du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, ce qui entraîne sa convocation dans le bureau du proviseur25. C’est en vain d’ailleurs que ce dernier signale à l’administration de l’enseignement (l’équivalent du rectorat en France) un dossier sur la radicalisation de Bilal – qui remontait à plusieurs mois avant cet événement – sans que celui-ci soit pris au sérieux et transmis à la justice.

Grand utilisateur de réseaux sociaux, qu’il utilisait sous différents pseudos, comme « Pomme Cassis Framboise » sur Facebook, ou « Billy du hood. » (procès, 25 novembre), il poste dans la foulée sur les réseaux sociaux les messages suivants : « Bientôt, c’est l’hebdo de Bruxelles qui va sauter hahahaha ». Et le 6 février : « Préparer vos gilets pare balles. L’heure est arrivée les frères. » En novembre 2014, il avait posté le message suivant : « Arrêtez avec vos manifestations à la con… même si ses pour Gaza ou je ne sais quoi encore. Je sais que sa ne sert a rien vos manifs. Vous voulez bouger ? Ben prenez vos couilles en main et allez sur le terrain d’Allah. »

Le 14 février 2015, jour de la Saint-Valentin, il quitte le domicile familial, en faisant croire à ses parents qu’il se rend au Maroc par besoin de se ressourcer dans leur pays d’origine. Mais c’est bien la Syrie et l’EI qu’il a l’intention de rallier : il prend un vol pour Antalya, passe quelques nuits dans un hôtel turc, puis, comme le précisera le 25 novembre 2021 l’un des enquêteurs belges au procès, il disparaît « en abandonnant ses effets personnels et son téléphone portable dans sa chambre ». Il réapparaît en Syrie où, le 18 février, il contacte sa famille pour leur avouer sa destination véritable et son nouveau projet de vie. Comme son grand frère essaye en vain de le raisonner, il prend la mouche, menace de raccrocher, et ne donne pas de nouvelles de lui les deux mois suivants.

La mère dévastée expliquera par la suite n’avoir décelé aucun signe avant-coureur. Il avait certes arrêté quelques semaines auparavant les bitures et la fumette, mais ce n’était pas la première fois… Très protectrice, elle décide de ne pas prévenir les autorités belges, afin qu’il ne soit pas emprisonné dans le cas où il déciderait de rentrer. « Je ne voulais pas le cramer de tous les côtés », expliquera-t-elle.

Quand il reprend contact avec eux, sa mère mesure l’étendue de la métamorphose : « Des fois, je retrouvais mon petit Bilal, mais d’autres fois, il ne faisait que me répéter de le rejoindre. »/ « Il n’y avait plus de « je t’aime », il me disait seulement « Nhabek fillah » [« je t’aime à travers Dieu », en arabe]. » Il envoie également des photos de lui vêtu d’un treillis militaire, bonnet noir sur la tête, l’index levé vers le ciel en combattant. Sur l’une d’elle il a un fusil-mitrailleur posé sur le genou (procès, 25 novembre). Et quand elle le supplie de revenir, il éclate encore de colère et menace de couper tout contact. Le dernier échange téléphonique, avec toute la famille, a lieu le 17 juillet 2015, jour de la fin du Ramadan.

Certains de ses propos soit téléphoniques soit électroniques étaient sans la moindre équivoque quant à la façon dont il contemplait l’horizon. A un contact facebook, il écrit ainsi : « Faut tout faire péter inshallah. » A sa sœur qui souhaite le revoir il répond : « Tu peux toujours oublier cette envie parce que… moi honnêtement j’ai pas envie. Moi je suis là moi. Je resterai là jusqu’à ma mort. Inch Allah. Jusqu’à où je suis « Chahid » [martyr NDLA]. Je veux pas revenir. Le jour où je viendrai, faire une attaque ici mais c’est pas pour revivre avec vous. » Un enquêteur belge auditionné le 25 novembre rapporte que « le 19 août 2015, Bilal explique à sa sœur être à l’entraînement et demande à Allah de faire de lui un martyr. À ce moment se prépare quelque chose. » Le 22 août 2015, il se connecte pour la dernière fois à ses comptes Facebook.

Bilal Hadfi et Chakib Akrouh (terrasses) entrent « en Hongrie 27 août 2015 et achètent le même jour à Kiskoros deux cartes sim hongroises afin de communiquer avec Salah Abdeslam, qui est venu les chercher dans cette ville le 30 août 2015. » (procès, idem)

Le 12 novembre, il franchit la frontière franco-belge France dans la première voiture du « convoi de la mort » en compagnie des trois assassins du Bataclan. Parvenu avec ses trois complices au pavillon d’Alfortville, il rallie finalement, en pleine nuit, l’appart’hôtel de Bobigny, où transite le restant des terroristes (preuve par la téléphonie, procès, 9 juin 2022). Les enquêteurs se sont interrogé sur ce changement de dernière minute sans pouvoir apporter de réponse solide et définitive, supputant par exemple – c’est l’hypothèse du Parquet National Anti Terroriste – qu’il fut décidé qu’au lieu d’être le quatrième homme du Bataclan, il se joigne finalement aux kamikazes du Stade de France, pour pallier la défection inattendue, à Bobigny, de Mohamed Abrini : explication qui peut se comprendre quand on a à l’esprit le profil suicidaro-psychopathe de Hadfi, mais qui semble absurde si l’on songe que la cible principale était le Bataclan et qu’il eût été plus utile de compter un combattant aguerri supplémentaire – ce qu’Hadfi était, et pas Abrini – pour ce volet de l’opération, qu’un kamikaze supposé faire diversion du côté de l’enceinte sportive de Saint-Denis, et médiocrement puisqu’il n’a finalement même pas été capable de faire mieux qu’une douzaine de blessés sans même après avoir pu pénétrer à l’intérieur du stade. En tous cas, il est le dernier des trois kamikazes à se faire tout de même sauter, selon les enquêteurs, à 21h53, devant un Mc Donald, à 500 mètres de l’entrée sud-est du stade de France, et l’on retrouvera son ADN sur le gilet explosif abandonné par Salah Abdeslam dans une poubelle à Montrouge (procès, 4 avril). Un vigile racontera par la suite avoir empêché, avec succès, Bilal de pénétrer dans le stade entre 21h05 et 21h25 dans le stade, alors qu’il n’avait pas de billet sur lui.

Avec le recul, la mère anéantie se demande : « Je m’en veux de n’avoir rien vu. J’en suis arrivée à douter de tout. Je n’ai peut-être pas su l’élever correctement, je n’ai peut-être pas su lui montrer que je l’aimais, que je tenais à lui… Pourquoi je n’ai pas vu la souffrance dans son regard avant qu’il parte ? Si j’avais su, je l’aurais emmené loin d’ici, en Alaska, dans la brousse, je m’en fiche, mais on serait partis loin… »

Le crime de son fils la hante, l’obsède, la poursuit jour et nuit : « Si vous êtes dans une salle d’attente et que vous entendez quelqu’un appeler « Madame Hadfi », vous allez tout de suite lever la tête, pour voir qui est la femme qui a eu cet enfant. Je ne suis plus moi, je ne suis plus la maman de mes autres enfants, je ne suis plus que la maman de Bilal, le terroriste de Paris. » Certains membres de sa famille lui ont tourné le dos, « comme si [elle] étai[t] contagieuse ».

Les autorités françaises ont mis beaucoup de temps avant de rendre ce qui restait du corps de Bilal à sa famille, et ce n’est que 118 jours après les attentats, le 11 mars 2016 qu’il a pu être enterré au cimetière de Schaerbeek26. Le souhait de la famille était qu’il fût enterré au Maroc mais les autorités marocaines ont opposé leur refus.

Comme il arrive presque invariablement dans ce genre d’affaires, faute d’avoir pu mettre la main à temps sur le criminel, la « justice » exerce sa vengeance sur les plus ou moins proches, coupables ou non de ceci ou cela. C’est ainsi que son frère Belkacem a eu droit à un traitement spécial après avoir été arrêté dans le cadre d’une affaire de trafic de stupéfiants : quoique acquitté trois mois plus tard, ce père de deux enfants est demeuré incarcéré, en raison d’une peine antérieure qu’il effectuait sous bracelet électronique, à la prison de Tournai où il a été placé à l’isolement et n’a pas le droit d’entrer en contact avec d’autres détenus : pour résumer il est traité comme s’il était le complice d’une association de malfaiteurs terroristes. Son avocat Yannick de Vlaemynck dénonce la situation : « Mon client n’a pas choisi sa famille et ne doit pas être sanctionné plus sévèrement parce qu’il est le frère d’un terroriste ». Longtemps sa mère n’a pu lui parler qu’à travers une vitre, avant d’avoir droit à l’ordinaire parloir. Elle rapporte également l’épisode suivant : « On lui avait promis qu’il pourrait assister à l’enterrement de son petit frère, mais au dernier moment, ils ne l’ont pas laissé sortir de la prison ».

Détail supplémentaire qui ne manque pas de sel, la véritable raison du prolongement de son incarcération tiendrait au fait, selon son avocat, qu’il aurait refusé de devenir un informateur de Sûreté de l’État27 : « Deux policiers lui ont rendu visite à Forest en lui promettant qu’ils pouvaient le faire libérer. Belkacem Hadfi a néanmoins refusé de devenir informateur : on l’a remis en régime terro et il s’y trouve toujours, à la prison de Tournai, alors qu’il n’a aucun lien et n’est pas suspecté de terrorisme. »/ « il a dit « non » à l’antiterrorisme qui voulait le recruter comme indic. » L’exemple d’Oussama Atar n’a pas apparemment pas été retenu par les Belges, et c’est sans doute le meilleur moyen de créer des Oussama Atar – fussent-ils des délinquants – que de soumettre des êtres humains à un tel régime.

1« Le troisième terroriste du Bataclan est originaire de Wissenburg », Antoine Bonin, 9/12/15, Les dernières nouvelles d’Alsace

2« Qui est Foued Mohamed Aggad, le troisième kamikaze du Bataclan ? », Cécile Bouanchaud, 9/10/15, Europe1.fr

3Il nous reste des mots, Georges Salines et Samy Amimour, Robert Laffont, 2016, p.89

4« Samy Amimour, de la prière en cachette au djihad », Sophie Marteau, 17/11/15, le Figaro

5op. cit., p. 29

6Ibid, p. 94

7Ibid, p. 36

8Ibid, p. 34

9Ibid, p. 34

10Ibid, p. 45

11Fondée en mars 2013, la katibat al muhajirin regroupe pour l’essentiel des djihadistes étrangers. A cette époque c’était la brigade qui regroupait la majorité des djihadistes francophones. En faisait également partie le djihadiste Tyler Vilus, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cours d’Assises spéciale de Paris en septembre 2021, en raison d’un projet d’attentat en France en 2015 et de crimes commis au nom de Daech sur le territoire syrien.

12« Attentats de Paris : les « mails » de l’épouse de Samy Amimour, l’épouse d’un des kamikazes du Bataclan », 28/10/15, rtbf.be

13Ibid, p. 50

14Ibid, p. 61

15Ibid, p. 150

16 « Ismaïl Omar Mostefai : la métamorphose d’un petit délinquant de Chartres en tueur fanatique », l’Écho républicain, 17/11/15

17Ibid

18« Chartres, un ancien terroriste expulsé vers le Maroc », Bertrand Mallen, 30/10/21, France3-info

19« Mostefai, kamikaze du Bataclan, repéré pendant des années par la police », Willy le Devin, 29/03/17 liberation.fr

20Audition de l’enquêteur de la DGSI le 19 novembre 2021

21 Cette information n’a été révélée au services français par les services turcs qu’en novembre 2014, suite à une demande d’information sur le passage sur le sol turc de djihadistes.

22« Mostefai, kamikaze du Bataclan, repéré pendant des années par la police », Willy le Devin, 29/03/17 liberation.fr

23« Omar Ismaïl Mostefai finalement enterré en région parisienne », Florent Boutet, 13/02/16, france3-info

24« « Ce terroriste, c’était aussi mon enfant », la mère de Bilal Hadfi, membre du commando du 13-novembre, se confie », Kocila Makdeche, Juliette Duclos, Diego Miranda, francetvinfo.fr

25 « Bilal Hadfi, l’un des kamikazes du stade de France, signalé par son école à Bruxelles », huffingtonpost.fr, 26/12/2015

26« 118 jours après les attentats, Bilal Hadfi a été enterré à Bruxelles », la libre Belgique, 11/03/2016

27 « Le frère de Bilal refuse de devenir informateur », Gilbert Dupont, dhnet.be, 07/01/17

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