Jawad Bendaoud, l’inénarrable « logeur » du 13 novembre

Cette galerie de portraits serait incomplète si l’on omettait celui de Jawad Bendaoud, le logeur de Chakib Akrouh et Abdelhamid Abaaoud, dans la planque du numéro 8 de la rue du Corbillon, à Saint-Denis, où les deux hommes ont été assiégés et occis par le RAID le matin du 18 novembre. Jawad Bendaoud a en effet déjà été jugé en janvier 2018, dans le cadre d’une procédure disjointe de celle des attentats du 13 novembre, pour ce service rendu aux deux terroristes en fuite.

Nous insérons dans ce portrait de larges extraits du livre de Patrick Jardin, père de Nathalie assassinée au Bataclan, qui a assisté aux trois semaines de son procès et dont la colère et l’indignation ont inspiré des pages pleines d’une verve vengeresse. Nous évoquons également des révélations faites par Jawad Bendaoud en janvier 2024, à la veille de la parution de son ouvrage aux éditions Max Milo : Rien à cacher, dans lesquelles il fait tout un ensemble de révélations destinées à laver sa réputation, révélations il faut bien le dire d’emblée extrêmement convaincantes, quelle que soit l’antipathie ou la sympathie que peut inspirer l’homme, qui est devenu depuis un personnage très connu sur Tik Tok et Snapchat.

NB : Les liens hypertextes sur les noms des protagonistes des attentats du 13 novembre renvoient aux articles à leur sujet déjà publiés sur ce site.

Jawad Bendaoud, à sa sortie du tribunal en avril 2018, après sa condamnation à six mois de prison avec sursis pour menaces contre son ex-compagne, et un an avant sa condamnation en appel à quatre ans de prison ferme pour avoir « logé » Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh dans une chambre de la rue du Corbillon, à Saint-Denis

Jawad Bendaoud, né le 30 août 1986 – 29 ans au moment des faits – est issu d’une famille marocaine comptant cinq enfants originaire d’Agadir, dont le père exerçait le métier de restaurateur et de formateur en bâtiment et sa mère celui d’assistante maternelle1/2. Son destin de délinquant n’était pas inéluctable si l’on en croit l’intéressé lui-même à son procès en janvier 2018, où il a expliqué que tous ses frères avaient réussi, l’un étant devenu mécanicien chez Airbus, et l’autre gérant d’une boutique d’antiquités. Après une scolarité laborieuse, il décide de s’orienter vers une carrière de délinquant qui le mène très rapidement en prison, et pas pour n’importe quel prétexte : le 4 novembre 2008, il est condamné à huit ans de réclusion pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le 26 décembre 2006, de son meilleur ami David Manwal, un immigré camerounais et étudiant en BEP de 16 ans, qu’il a poignardé mortellement par erreur alors que ce dernier tentait de s’interposer dans une rixe opposant Bendaoud à un autre homme à qui il voulait faire la misère pour avoir volé le téléphone portable de sa mère3. Le théâtre de ce crime est déjà la rue du Corbillon, presque à l’adresse-même de la chambre louée par la suite aux tueurs des terrasses. Malgré la gravité du crime, il est libéré pour bonne conduite en 2013 et peut purger la fin de sa peine sous bracelet électronique. Reprenant aussitôt certaines habitudes, il devient le caïd de la rue du Corbillon, selon Stéphane Peu, ancien maire adjoint de Saint-Denis4 : « Il avait 300 mètres de trottoirs. Il dealait. Il était assez violent et impulsif. Il avait aussi un œil sur la prostitution qui était liée au trafic de stupéfiants dans cette rue. » Entre 2014 et 2015, persévérant dans sa mise à l’épreuve, il est condamné à 13 reprises pour infraction à la législation sur les stupéfiants, détention d’armes et violences aggravées en réunion, faux et usage de faux, conduite en état d’ivresse, violences conjugales. Et nous en arrivons au funeste 13 novembre. Sollicitée depuis la Belgique par Mohamed Belkaid, Hasna Aït Belhacem, la cousine d’Abdelhamid Abaaoud, est chargée de trouver à ce dernier une planque alors qu’il se cache dans un terrain en friche à Aubervilliers. Elle parvient à entrer en contact avec Jawad Bendaoud par l’intermédiaire de son frère, Youssef Belhacem, et l’un de ses associés, Mohamed Soumah. Jawad Bendaoud, contre de l’argent liquide, loue aux deux fuyards un appartement au 8 de la rue du Corbillon, qui n’est pas sa propriété, mais dont il a fracturé la porte pour en changer la serrure, et le louer comme marchand de sommeil. Le 18 novembre, à 6h30, comme il se trouve rue Gaston Philippe à quelques centaines de mètres de la rue du Corbillon, Jawad Bendaoud est étonné de se trouver face à un cordon de police qui l’empêche de rejoindre son quartier et, mis au courant de l’intervention du RAID qui est encore en cours, il demande à une journaliste : « Vous avez des photos des mecs qui sont dans l’appart’ ? » Puis il se retrouve par hasard à s’exprimer devant les caméras de BFMTV : « J’ai appris que c’était chez moi (la fusillade), (…) j’ai appris que c’était chez moi et que les individus se sont retranchés chez moi, et que, voilà… (…) J’habite rue du Corbillon là où ça a tiré. » Et comme le journaliste lui demande des éclaircissements il se justifie : « J’étais pas au courant que c’était des terroristes. On m’a demandé de rendre service, j’ai rendu service Monsieur. On m’a demandé d’héberger deux personnes pendant trois jours et j’ai rendu service. Je ne sais pas d’où ils viennent. On est au courant de rien, si je savais vous croyez que je les aurais hébergés? » Fâcheux concours de circonstances… Un des nombreux policiers présents a entendu l’échange et prend la décision d’interpeller Jawad, qui est aussitôt placé en une garde-à-vue qui durera six jours. En même temps, cette interviou surréaliste, aussitôt diffusée par la chaîne d’information en continu, frappe les esprits et il devient la risée de la toile, un mème de la bêtise, de la naïveté, ou de la mauvaise foi. Dans la foulée il est incarcéré à la prison de Villepinte et mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes. Quoiqu’il ait toujours protesté de son innocence, des éléments de preuve joueraient fortement en sa défaveur. C’est ainsi qu’en juillet 2016, son ADN aurait été retrouvé sur le gilet explosif de l’un des deux terroristes, ainsi que sur un rouleau de scotch orange et un morceau de scotch gris dont ils se sont servi (détails massivement relayés). Par ailleurs, selon le procureur François Molins, Jawad Bendaoud apparaît « en lien avant et après les attentats avec une ligne téléphonique belge, elle-même en contact avec une ligne utilisée par les terroristes »5. Très instable, impulsif, et intolérant à la frustration, le 16 septembre 2016 il saccage sa cellule de Villepinte avant d’y mettre le feu, et est en conséquence placé pendant 24 heures dans une cellule anti-suicide6. Le 26 janvier 2017, il est condamné avec son collègue Mohamed Soumah à huit mois ferme pour le trafic de cocaïne qu’il avait dévoilé lors de sa garde à vue consécutive aux attentats du 13 novembre 2015 ; la comparution est écourtée en raison du flot ininterrompu d’injures proférées à l’encontre des policiers qui l’escortent, et il est finalement condamné en son absence. Le 29 janvier 2018, s’ouvre enfin son procès en compagnie de ses deux acolytes, Mohamed Soumah et Youssef Aït Belhacem, un frère d’Hasna accusé pour sa part de non dénonciation de projet terroriste. Le déroulement et l’issue du procès ont ignifié certaines parties civiles qui ont pu y assister. Lisons ce qu’en dit Patrick Jardin, le père de Nathalie, assassinée au Bataclan, dans son livre Pas devant les caméras, publié en 2020 : « Pendant le procès, Jawad Bendaoud a fait un grand numéro de guignol. Bien que beaucoup de ceux qui, comme moi, étaient présents, l’aient trouvé pathétique, le Procureur général n’a demandé que quatre ans de prison. Moi qui croyais naïvement qu’au regard du palmarès de l’individu il allait demander le maximum, je n’en suis pas revenu. C’était incompréhensible que le tribunal ne le renvoie pas devant les assises. C’était à se demander si les juges ne font pas exprès de feindre la crédulité, ou pire ! En faisant un rapide calcul, il avait déjà effectué trente mois, le procureur en demandait 48. S’il obtenait les quatre ans, il resterait donc douze mois ce qui signifiait en fait la moitié du fait des remises de peine ! Dans six mois il est dehors, c’est incroyable ! Mais le pire était à venir : Mohamed Soumah, cinq ans ! Aït Boulahcen, cinq ans mais curieusement sans mandat de dépôt ; Jawad Bendaoud, acquitté ! C’en était trop et, rentrant dans une colère folle, je m’en prends au tribunal, ce qui me vaut une expulsion de la salle manu militari. (…) rendez-vous compte, après avoir entendu tant d’avocats clamer qu’ils étaient certains de voir renvoyer cette crapule aux assises, le voir sortir libre et l’imaginer frimer devant les racailles de son quartier, c’est au-delà du supportable . Quelle justice, quel pays, et pourtant ils étaient tous certains, ces avocats de la partie civile, que les chefs d’inculpation seraient requalifiés afin de le faire inculper de terrorisme. Tous avaient parlé de ce morceau de scotch utilisé pour la confection de la bombe que portait Chakib Akrouh, l’un des terroristes. Sur ce morceau on avait trouvé l’ADN de Jawad Bendaoud, lui-même ayant déclaré pendant le procès que les terroristes lui avaient demandé comment fabriquer une bombe ! C’était incroyable qu’après tout cela le procès accouche d’une souris. Depuis, je me suis demandé, si la Présidente, Isabelle Prévost Desprets, avait bien rendu sa décision en toute indépendance.  Un doute subsistera toujours en moi depuis que j’ai appris que Jawad Bendaoud connaissait Alexandre Benallah, qu’il est inutile de présenter, et Makao, le garde du corps d’Emmanuel Macron. » Tout ce qui est dit ici est exact, y compris la relation de Jawad avec ce garde du corps d’Emmanuel Macron. M. Jardin, le parquet, ainsi que la mairie de Saint-Denis qui s’était constituée partie civile, font aussitôt appel de ce jugement.

Pas devant les caméras, du père de victime Patrick Jardin, l'un des rares livres sur les attentats du 13 novembre qui ose en attaquer frontalement la version officielle
Pas devant les caméras, l’ouvrage-choc de Patrick Jardin, soigneusement passé sous silence par la critique, son auteur ayant fait l’objet de manipulations toutes plus abjectes les unes que les autres

Remis en liberté, Jawad Bendaoud ne semble pas avoir la franche volonté ou la possibilité de faire profil bas… Le 24 avril 2018, il est ainsi placé en garde à vue pour avoir proféré des menaces de mort contre son ex compagne et mère de son fils de 7 ans, ce qui entraîne sa comparution immédiate au tribunal de Bobigny. Le 6 juin 2018, il invite chez lui Makao, l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron7 – c’est l’anecdote rapportée par Patrick Jardin, en conséquence de quoi Alexandre Benallah, proverbialement connu pour son sens de la déontologie chevillé au corps, lui demande alors d’arrêter toute mission auprès du président. Le 13 juin 2018, toujours aussi volcanique, il se fait brièvement interner pour une crise de démence après avoir dégradé le domicile de ses parents. le 4 juillet 2018, il est à nouveau placé en garde à vue au commissariat de Saint-Denis pour des faits d’outrage et rébellion commis à l’encontre de fonctionnaires de Police. Jawad Bendaoud aurait insulté des policiers tout en filmant la scène avec son téléphone, et appelé des jeunes présents à proximité à le libérer8.

Makao, l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron, jouant à Fifa avec Jawad Bendaoud à son domicile le 6 juin 2018 (séquence publiée sur Snapchat). Deux jours avant il était invité à l’Elysée par l’actuel président en compagnie duquel il s’affichait tout sourire (source : rubrique Checknews de Libération). Makao a participé à l’édition 2017 de « Secret story », qui lui a ouvert les portes de la notoriété. Il a également une grande influence sur les réseaux sociaux avec près d’un millions de fans sur Instagram)

Le 29 juillet 2023, Makao s’est expliqué sur la chaîne TikTok de Samzirah. Comme ce dernier lui demande comment il a pu se retrouver au domicile de Jawad, il explique qu’il n’a pas de réticence à s’exprimer sur le sujet : « Moi quand j’ai croisé Jawad à l’époque, parce que comme d’ici là il y allait avoir les jeux olympiques, j’avais un projet, moi, par rapport à tout ce qui concerne la réinsertion, tu vois ici dans tout l’Europe, tout ce qui concerne la réinsertion en Europe, ici en France c’est pas trop top. Il y a certains jeunes qui ont pu faire des trucs pas si légal, des bêtises ou quoi quand ils étaient jeunes. (…) Moi je voulais ramener un projet pour aller voir les jeunes, entendre un peu les jeunes. Comme je te dis je suis un modèle pour certains. Il y en a certains qui voulaient faire le travail de sécurité rapprochée, ils apprécient bien mais leur casier posait un souci. Moi je partais dans les cités, tu vois je discutais avec tout le monde, et toi-même tu sais, j’ai dû faire Secret Story. Combien de personnes qui me connaissent en prison ? Pourquoi les gens ont apprécié la personne que j’étais, parce que j’ai pas su jouer un rôle, j’étais cash et direct, j’étais sincère et du coup, ils me voient, moi je suis quelqu’un de très simple. A l’époque on l’appelait K2, c’est son surnom là-bas, moi je connaissais pas c’était qui Jaawad, maintenant il m’invite, il me dit Makao, je t’apprécie bien, en plus c’était pendant la période du ramadan. Tu vois, nous, comme je suis là chez toi tu m’as proposé à boire, même si j’appréciais pas quelque chose, je dois au moins accepter un truc par respect, et sa maman nous a invités à la maison, et on était avec une famille, tu vois, moi, déjà à cette époque j’étais orphelin de mère, toutes les mamans, même si c’est pas ma mère, mais peu importe la maman que je vois à l’extérieur, quand elle me dit « Makao viens ici », tu vois comme si, désolé de le dire, ne me portez pas préjudice, c’est comme si t’avais un animal de compagnie, tu dis « Ici! » Tu vois ce que je veux dire, voilà, donc pas de préjugé s’il vous plait. » Ce n’est pas très clair, mais pour résumer on doit comprendre, que Jawad ayant vu Makao sur Secret Story, qu’il l’y avait apprécié, et comme Makao se baladait dans les cités pour un programme de réinsertion des jeunes délinquants dans le domaine de la sécurité à l’approche des jeux olympiques, les deux hommes se sont croisés, et comme c’était ramadan et que la mère de Jawad a vivement insisté pour l’inviter, il n’a pas pu refuser ce moment avec Jawad qu’il ne connaissait pas par ailleurs sinon par son surnom de K2. La vanne nous brûle les lèvres : n’était son pedigree de « logeur de Daech », Bendaoud aurait pu être propulsé vers les hautes sphères et devenir, qui sait, un proche d’Emmanuel Macron.

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Puis il entre un peu plus dans le détail, en continuant de prendre des pincettes: « Moi je ne suis pas là pour raconter son histoire. Si Dieu le permet, si il va voir la vidéo, tu pourras l’interviouver, il a son histoire à relater, parcque peut-être il y a certaines personnes qui sont tombés au mauvais endroit au mauvais moment, parcque si c’était vraiment la personne qui était si négative que ça, il n’allait pas sortir. D’ailleurs au jour d’aujourd’hui, tu vois, là, il est là, il fait des selfies, il fait des trucs sur les réseaux ou quoi que ce soit. » Et comme Samzirah lui demande s’il serait allé s’il avait su il se défend: « Avec « si et seulement si«  on peut refaire le monde, parfois tu vois, il faut accepter ses erreurs et aller de l’avant tu vois, c’est fait c’est fait, c’est comme ça, one life, c’est fait. Peut-être c’est un mal pour certaines personnes, ils vont parler : « ouais, nanani… » Je suis un peu désolé pour les familles qui ont perdu des proches. moi aussi, j’ai perdu mes parents, j’ai perdu des personnes très chères à mon cœur. Je suis désolé parce que nous on blague pas sur la mort des gens, selon moi. Mais en même temps, ça m’a appris la personne qu’il est, tu vois, on est tombé sur quelque chose de mauvais, le fait qu’on a fait une photo… Si j’ai compté le nombre de selfies que j’ai fait avec les gens ou quoi que ce soit… Peut-être y a certains, ils ont braqué. Mais c’est tombé sur lui, tu vois ce que je veux dire. Tac. Seul Dieu sait, parce que moi je dis : « les hasards n’existent pas », peut-être c’était un mal pour un bien. » Et il assure qu’il ne savait rien de l’historique, de son histoire médiatique, ni de l’implication potentielle de Jawad Bendaoud. Même si nous manquons de détails, nous allons voir dans la deuxième partie de cet article que ces explications sont plutôt convaincantes.

Enfin, le 29 mars 2019, Jawad Bendaoud est tout de même condamné à quatre ans de prison pour « recel de malfaiteurs terroristes », pour avoir hébergé les deux terroristes des terrasses. Ce procès en appel a encore donné lieu à des dérapages mémorables que Patrick Jardin rapporte dans son livre, et dont voici un échantillon : « Comme lors de la première instance, pas une journée sans un ou plusieurs éclats de Jawad Bendaoud. A plusieurs reprises, le président a été obligé de le faire évacuer de la salle. Il y eut même une fois où, alors que les gendarmes l’évacuaient après avoir dû le plaquer au sol, il se mit à hurler « Condamnez-moi à six mois je m’en branle… De toute façon je vous encule tous. » C’en était trop ! D’un seul coup, je me lève et alors que, traîné par les gendarmes, il passait près de moi, je ne pus m’empêcher de lui dire « Moi tu ne m’encules pas et je ne me ferai jamais enculer par personne ». Évidemment, scandale ! Le président me rappelle à l’ordre et, à la prochaine manifestation, je serai obligé de quitter la salle. Je me suis excusé m’ai j’ai été excédé par cet incident, ce mec me dégoûte à tel point qu’il était hors de question de me laisser insulter. Pendant tout le procès, nous nous sommes rendus compte à quel point Jawad Bendaoud est un menteur, racontant tout et son contraire, jamais à une contradiction près, s’emmêlant en permanence les pinceaux dans ses propres délires. S’il s’en rend compte, il devient immaîtrisable, et élève alors la voix. Il y eut même un grand moment quand empêtré dans ses mensonges et ne sachant plus comment s’en sortir, il lâcha : « Monsieur le président, je dis la vérité, mais c’est la vérité qui change. » (…) Pour moi, ce type est complètement abruti, a un casier long comme le bras, a été condamné aux assises pour meurtre, n’a jamais travaillé, a vendu de la drogue, n’a jamais voulu suivre une formation ou quoi que ce soit du genre. Mais qu’est-ce que la société va faire d’un boulet pareil, sans parler du danger qu’il représente ? Pour en finir avec son palmarès, je me souviens de l’avant avant dernière audience du procès. Au lieu de commencer à neuf heures comme c’est l’usage, tout était retardé d’une heure trente, Jawad Bendaoud ayant dû être incarcéré. Motif : deux jours avant, une jeune fille très émue était venue déposer à la barre. Elle avait même éclaté en sanglots tant elle était marquée par les blessures par balles dont elle avait été victime lors de l’attaque des terrasses du 13 novembre. Elle nous a d’ailleurs parlé de stigmates qu’elle garderait toute sa vie. Eh bien, lorsque Jawad Bendaoud la croisa en sortant de l’audience, il la menaça de mort en gueulant tellement fort que des policiers en faction devant le tribunal l’ont entendu, pouvant ainsi témoigner lorsque la jeune fille porta plainte. Jugé en comparution directe, Jawad Bendaoud se prit six mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Le tout s’ajoutant bien sûr aux nombreuses autres condamnations. Le procès continua sans incident, l’avocate générale réclama cinq ans pour chaque prévenu. Puis ce fut le tour de la défense. Après avoir vaguement prononcé quelques mots que nous avons devinés être des excuses aux parties civiles, Jawad Bendaoud s’adressa au président :

« Si vous me condamnez M. Le Président , vous condamnerez un coupable.

– Lapsus révélateur, soupira le président. »

Mais comme nous allons le voir, ça n’est pas si simple que cela, et l’histoire de Jawad Bendaoud n’est pas terminée : libéré en avril 2022, Il reçoit, le 23 mai, l’invitation, annoncée sur Twitter, de Cyril Hanouna pour participer à l’émission de télé-poubelle « Touche pas à mon post » (TPMP pour les intimes). Cette proposition suscite le scandale chez tous ceux qui ont suivi ces dernières années le parcours sinistre de l’énergumène, en particulier les victimes et familles de victimes des attentats du 13 novembre, dont le procès est en train de toucher à sa fin, et alors que les avocats des parties civiles viennent d’entamer leurs plaidoiries, l’invitation est finalement décommandée au dernier moment par l’animateur.

Jawad Bendaoud refait sa vie sur TikTok

L’avenir s’annonce moins sombre que pour d’autres pour Jawad, qui depuis qu’il est sorti de prison, gagne très bien sa vie en réalisant des « lives » (directs) sur TikTok dans lesquels il réalise des performances de Non Playable Character (NPC), ou Personnage Non Jouable (PNJ), l’exercice consistant à répéter pendant des heures en boucle, avec une chorégraphie, des répliques de divers personnages de jeux vidéo figurants dont les possibilités d’expression sont réduites à une poignée de sons et de propos. Les suiveurs de la performance ont la possibilité d’interagir avec l’acteur en offrant des cadeaux virtuels, qui apparaissent à l’écran, symbolisant tel ou tel des PNJ possibles. Par exemple, dans le cas de Jawad, l’envoi d’une rose le pousse à prononcer « rôsicce », une citrouille « Haloween », un père noël « jingle Bell », un renard « le renard est dans la maison », un chapeau pancho « nosotros bandidos », une paire de talons-aiguilles roses « ana chiftik », chaque mot étant accompagné d’un geste ou d’un mouvement typique associé. La difficulté, au-delà de l’absurdité du principe, consiste à honorer en continu les « cadeaux » pendant assez longtemps, sans s’essouffler, ni se tromper, et en plaisant. Ces cadeaux, dont le prix est variable, doivent être achetés sur la plate-forme par les utilisateurs grâce à une monnaie virtuelle, les pièces TikTok, dont il faut créditer son compte avec de la monnaie bien réelle… de la monnaie tout aussi réelle étant reversée en partie à l’acteur (TikTok prend 50 % de commission), après que les cadeaux aient été convertis, à la fin du live NPC, en une autre monnaie virtuelle intermédiaire, les « diamants ». Dans les liens ci-après voici trois exemples de performances NPC de Jawad : n°1, n°2, n°3.

Aussi incroyable que cela puisse paraître au néophyte, ce genre de performance peut s’avérer fort lucratif, la multiplication du nombre de suiveurs entraînant la multiplication des cadeaux, et donc du salaire, qui peut monter très vite assez haut : près de 6000 dollars par jour pour Pinkydoll, la championne en la matière avec ses 1.7 millions d’abonnés. Il rapporte ainsi sur TikTok, le 21 octobre 2023 : « Tu sais j’ai pris combien cette semaine ? En six heures de live… 1300 euros… En six heures : Et écoute bien ce que je te dis Loumani, je fais 53 minutes, je coupe, après je fais 45 minutes je coupe, et je rentre chez moi. J’ai jamais fait trois heures de live, moi. Sur le Coran ma gueule, et eux ils sont là en mode… Hè c’est des malades le gens… Mais le fou il a pris un salaire en six heures ! Une heure là, une heure là, parcque tu sais quand les gens ils me voient faire ça pendant une heure (il mime la performance), ils croient que ça dure six heures, mais tu ne peux pas faire six heures de NPC parce que c’est fatigant. 1300 euros en six heures, on ne peut pas me traiter de fou. »

@la.bande.de.tiktok

Jawad le logeur nous dévoile combien il a gagner en 6h de live ! 😨😨 #jawadlelogeur #lajawaderi93 #jawadlive #jawadnpc #gains

♬ son original – La bande à tiktok 🎵

Début janvier 2024, eu égard au succès rencontré, Jawad décide de se lancer dans des sessions de formations d’acteurs NPC. Il les facture 200 euros par personne pour des groupes de 30 (pour l’instant ses groupes ne dépassent pas les 6), ses « bébés monstres » comme il les appelle seront ensuite tenus de lui reverser 15 % de ce qu’ils gagneront grâce à ses inestimables conseils. Son cœur de cible est les vendeurs chez Amazon, les livreurs de pizza, les dealers de drogue – en un mot tous ceux qui misèrent leur vie dans son entourage – , à qui il promet une rémunération incomparable. L’objectif affiché est de se retirer peu à peu des performances pour gérer tout cela dans l’ombre en homme d’affaires. Plus déconcertant, il a lancé ce même mois le projet « J’irai dormi chez Jawad« . De quoi s’agit-il ? Dans une maison qu’il est en train d’aménager avec des comparses, vous aurez la possibilité, moyennant un peu moins de 200 euros, de « dormir chez Jawad ». A 5km de la maison, vers 22 heures, on vous bande les yeux pour vous mener à destination. Sur place vous avez droit à un dîner, le visionnage du film de votre choix, à trois photos et trois vidéos avec Jawad, la possibilité de jouer à la PlayStation avec lui, qu’il vous chante une berceuse pour vous endormir… Une simulation de perquisition « très musclée » est même proposée. Il n’est pas encore précisé si c’est compris dans le forfait et si le projet est destiné à des groupes. La soirée prend fin le lendemain à 10 heures. Les participants doivent auparavant signer un papier dans lequel ils assurent qu’ils n’ont pas fait de tourisme et qu’ils ne sont pas des touristes.

Mais revenons à des choses plus sérieuses : il a également signé un contrat pour un documentaire et un bouquin. C’est du moins ce que l’intéressé lui-même révèle lors d’une courte vidéo de mise au point publiée en mai 2022 suite à l’annulation de l’émission d’Hanouna : « Bon je vais pas rentrer moi dans des délires pour faire le buzz, tout ça, publier des trucs, ou quoi… Mais faut savoir que TPMP m’a fait super mal à la tête, pour que je vienne. C’est-à-dire qu’ils m’avaient contacté à la base mardi pour venir mercredi. Ensuite moi j’ai refusé parce qu’il était minuit, je devais aller à l’émission le lendemain. Enfin, bref, bref… ils m’ont fait mal à la tête tout le week-end pour que je vienne. Moi j’ai refusé à la base car comme je vous ai dit j’ai signé un contrat, pour un documentaire et un bouquin. Je pouvais pas donner trop d’infos sur mon histoire et raconter tout sur TPMP. Enfin, bon, bref, ils ont eu les arguments… Tout ça pour vous dire que ce que j’ai pas aimé c’est le retournement de veste c’est tout… Après on s’en bat les couilles, il a subi une pression de ouf’, vous voulez qu’il fasse quoi. Il y a une victime des attentats, avec une boule à la gorge qui vous dit « je vous en supplie, ne faites pas venir Jawad ». Je suis d’accord, il y a pas de problème, t’es une victime des attentats, ça fait pitié, j’ai de la peine, tout… mais moi, j’ai rien à voir dans l’histoire les amis, et encore une fois on essaye d’étouffer la vérité, et vous savez encore ce qui m’a dégoûté, c’est quand Hanouna il dit « il a été condamné je sais pas quoi ». Mais j’ai été innocenté en 2018, j’ai été relaxé puis condamné. Non mais de toute façon les amis je vais vous dire la vérité, on vit dans un pays raciste, il y a pas besoin de polémiquer ou quoi que ce soit, on vit dans un pays raciste, y a pas à faire de la langue de bois ou vous voyez ce que je veux dire, on vit dans un pays raciste, et en fait la vraie histoire, elle arrange pas beaucoup de gens en fait, vous voyez ce que je veux dire, donc le but c’est de garder le plus longtemps les français dans cette logique, moi logeur de Daech »

Comme nous allons le voir à présent, il se pourrait en effet que, pour une fois dans sa vie, Jawad soit en fait plutôt innocent des faits très graves qui lui sont reprochés.

Janvier 2024, l’heure des révélations

En janvier 2024, Jawad Bendaoud, à la veille de publier aux éditions Max Milo un livre de témoignage intitulé Rien à cacher, sort du silence et fait un certain nombre de révélations qui chamboulent de fond en comble ce qu’on pouvait penser jusqu’à présent de lui, de son histoire, avec l’épisode de la location à Abaaoud et Akrouh d’une chambre dans un immeuble de la rue du Corbillon.

Le livre de Jawad Bendaoud vient de sortir au moment où nous publions cet article (février 2024)

Interviouvé par l’influenceur Mounir pendant près d’une heure et demie, Jawad Bendaoud revient point par point sur chacun des divers aspects de son affaire depuis son arrestation au petit matin du mercredi 18 novembre 2015, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’opération de déballage s’avère instructive ! Comme trop souvent, la lunette médiatique s’y révèle avoir joué le rôle d’une grossière et mensongère lentille déformante. Passons à présent en revue chacune de ces révélations dans l’ordre où Jawad les aborde au cours de l’interviou. Nous avons pris le parti de retranscrire ses propos tel quel, au besoin phonétiquement pour faire ressortir son argot ouèche avec les mots typiques dont nous donnons la traduction quand nous avons su en trouver le sens. Nous recommandons le visionnage de cette interviou qui vaut le détour. Ça déménage !

Il interprète sa garde-à-vue d’une durée exceptionnelle et les 27 mois de détention provisoire préventive qui ont suivi comme une manifestation de la volonté du pouvoir de montrer à l’opinion publique qu’il savait tout de même à l’occasion se montrer efficace, au milieu d’une myriade d’imprévoyances et de ratés. Même si le rôle involontaire qu’il a joué et son profil de criminel et délinquant endurci n’ont évidemment pas plaidé pas en sa faveur, on peut difficilement contester cette interprétation avec le recul. Si son acquittement par la juge à l’issue de son premier procès le 14 février 2018 a pu être interprété comme une preuve du laxisme de la justice – par exemple par Patrick Jardin dont nous avons cité de larges extraits –, nous estimons quant à nous, tout bien pesé, que la juge a su trancher avec discernement, surtout si l’on considère que le parquet avait donné des consignes d’extrême sévérité envers les suspects accusés d’association de malfaiteurs terroriste, comme on a pu le constater, par exemple, au procès des attentats de janvier 2015 qui s’est tenu à l’automne 2020. Sa condamnation ultérieure à quatre ans de prison, le 29 mars 2019, pour recel de terroriste, suite à l’appel fait par le parquet du premier jugement, semble par ailleurs avoir été prononcée dans des conditions discutables : « j’ai même pas été condamné pour terro, j’ai été condamné pour un délit de droit commun frérot, déjà les gens y trouvent pas ça bizarre qu’on innocente un mec, il fait 27 mois de hèbz (prison), y a une juge elle dit il est innocent, il sort dehors, il fait un an et après ils ramènent un juge il a 80 piges il lui met quatre ans, c’est chelou t’as vu… Frérot t’as vu le juge quand je lui parlais, wallah (par Allah) je disais monsieur je vendais de la coke il faisait que ça (il imite les mouvements de tête de gauche à droite du juge le snobant) »

Extrait de la vidéo de BFMTV du mercredi 18 novembre, avec les commentaires d’époque de la chaîne

Il restitue le contexte dans lequel il a été filmé devant la caméra de BFM TV, y dévoilant innocemment son rôle : il avait essayé de franchir le cordon de police quelques minutes plus tôt, voulant rentrer dans son quartier, un policier alors l’avait vivement rabroué : « J’arrive à un barrage de keufs, je leur dis « laissez-moi passer, on est train de me dire ça défouraille dans un immeuble où j’ai un appartement. » Le condé (policier) il me dit « casse-toi de là y a personne qui passe. »(…) Les condés t’as vu au moment où je vais pour passer, le condé i’m dit « tu passes pas », j’dis « hè, l’appartement où ça tire c’est possible que c’est chez moi. » Le condé i’m dit « bouge, bouge ! », t’as vu il me braque avec son bras libre… I’m dit « bouge », moi j’fais quoi Mounir, j’recule. J’vois y a une foule, je leur dis « i’s’passe quoi ?«  I’m disent « ouais ça défouraille (tire) dans telle rue telle rue », moi au début t’sais c’ qu’y m’disent les gens ? I’m disent « en fait y a des terros i’z’étaient dans un appart’ », i’m dit le mec i’z’étaient dans un appart’ caché, ils ont couru maintenant i sont en train de se faire courser dans la rue. I’z’en ont pété (arrêté) un et y en a un autre qu’est en train de leur tirer dessus, ils m’ont même pas dit que les mecs i’z’étaient encore dans l’appart’, i sont sortis d’l’appart’ et il y a une chasse dans la ville, c’est-a-dire que dans ma tête les mecs y en a un i s’est fait péter(arrêter). » Cette histoire de chasse à l’homme n’est pas une rumeur, elle a été confirmée par la suite, mais personne à cet endroit n’en savait plus à ce moment.

Il retente sa chance quelques minutes plus tard et c’est là qu’il se retrouve face à la journaliste de BFM : « moi j’vais voir la journaliste j’dis « hè Madame (…) vous êtes journalistes ou pas ? » Elle m’dit « ouais t’as vu une photo des mecs ils tirent sur les keufs ? Elle me dit pourquoi ? Ouais j’ai les photos, è’m’dit pourquoi vous vous voulez les photos, j’dis parcque j’crois qu’c’est moi qui ai hébergé les mecs. Tu sais ce qu’elle fait la meuf, elle me dit « vous rigolez monsieur ou vous êtes sérieux ? » J’dis « ah non non non madame, j’suis sérieux, hier j’ai loué un appart à des mecs, qui soit disant i s’est embrouillé avec sa meuf, et là c’est en train de défourrer (tirer) chez moi, montrez moi une photo pour que je sache si c’est eux ou pas. » Qu’est ce qu’elle fait la meuf ? Tu sais ma gueule, elle court elle ouvre un cametard (camionnette), elle crie « Gérard, sors ! J’ai le logeur ! » (…) un mec il est sorti du cametard avec la caméra il m’a mis le flash dans la tête. Il a dit « ouais monsieur, vous avez hébergé machin, j’sais pas quoi », et moi c’est là t’as vu je m’retrouve avec deux caméras comme ça, deux lampes torches comme ça, moi j’sais même pas qu’c’est en direct ! (…) au moment où j’regarde la caméra moi j’suis perturbé frère, moi je savais pas qu’c’étaient des terroristes, moi on m’a demandé un service j’ai rendu service, vous croyez qu’si je savais qu’c’étaient des terroristes j’allais les héberger ? « Hè regarde là vers nous ! » Le coran de la Mecque qu’c’est comme ça. T’sais quoi [un policier] m’attrape par l’épaule, t’as vu celui-là qui m’a recalé deux minutes avant, (« casse-toi, casse-toi »), lui il a commence à capter, j’ai dit ouèche, lui y a deux minutes il vient me voir, i’m dit quel appartement j’sais pas quoi, là il fait une interview à la télé, il m’a pris par le bras il m’a dit « suivez-moi« , hè t’as vu à la télé quand tu me vois, quand ils m’prennent tout calme, ils me ramènent dans la rue à côté, t’as vu dans la rue à côté. » Bref, il a été complètement pris par surprise, tant médiatiquement que policièrement. Il apprendra les jours suivants en garde-à-vue qu’il est devenu la risée du web, que son interview a fait l’objet de multiples parodies, dont les premières à ses dires sont sorties moins d’une demi heure après son interpellation.

Quand il arrive en garde-à-vue, on lui fait des tests qui révèlent sur lui de la poudre de kalachnikov mais il explique : « quand ils m’ont fait les tests en garde à vue ils m’ont dit je suis positif à la poudre de kalachnikov ou de je sais pas quoi, mais en fait, moi j’étais pas positif, je leur ai dit « vous êtes des oufs ! J’ai même pas tiré à la fête foraine et tu veux que moi je suis positif à la kalach ? Mais c’est pas possible gros », mais dans ma tête je suis en train de me dire wah… j’ai serré la main aux terros, c’est genre lui il m’a transféré la poudre dans les mains, eux i croient moi maintenant que j’ai tué des gens, je m’fais un film dans ma tête t’as capté ? mais en fait après enquête c’est les mecs de la BRI, t’as vu les mecs de la BRI, ils sont en train de m’envoyer les mecs de la BRI qui sont en train de rafaler sur les terros, ils étaient remplis de poudre, quand ils sont venus pour me palper, pour me mettre dans la voiture, ils m’ont mis que de la poudre sur moi, c’est pour ça que j’étais positif, tous mes vêtements i’z’étaient positifs à la poudre. » On doit ajouter qu’Abaaoud et Akrouh ayant abandonné leur voiture avec toutes les kalachnikovs trois jours plus tôt, et ayant passé trois jours dans la friche d’Aubervilliers, ils n’avaient plus de kalachs sur eux au moment de la location et on voit mal comment ils auraient pu exhaler sur Bendaoud un nuage de poudre révélatrice.

Il avait également sur lui son téléphone portable de travail pour ses clients de coke : « Après j’avais un téléphone port’, le condé il a cru que c’était une voiture (?)… j’ai pas de porche moi, t’as capté ? C’est un téléphone le truc, il me dit « c’est quoi« , j’ai dit c’est un téléphone, hè ils m’ont mis trafic de stups, le téléphone c’étaient que des clients de coke, ils sont rentrés ils ont analysé le téléphone, ils ont appelé tous les boloss (clients), affaire de terros, Ils m’ont mis trafic de stups, wallah… terros, affaire de stups… » Où l’on comprend pourquoi il est en même temps tombé pour trafic de cocaïne : les services de police ont voulu faire d’une pierre deux coups : à défaut de le faire tomber pour association de malfaiteurs terroristes, on l’a d’abord fait tomber pour trafic de stupéfiants, pour lequel il a été condamné à 8 mois de prison ferme à l’issue du procès dédié fin janvier 2017.

Il tient à rectifier la présentation habituelle de la première affaire pour laquelle il a pris 9 ans de prison. Il s’agissait vraiment d’un accident, et la victime était bien son meilleur ami, il n’a pas été jugé pour assassinat ou homicide volontaire mais pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. C’est exact, et il est également exact que les médias n’ont pas tous fait la nuance en rapportant cette affaire, qui comme il le dit, ont fait de lui le coupable idéal : « Dans tous les terros ils étaient 13, y en a aucun il fait plus d’un an de prison, moi quand je me fais péter à BFM j’en ai fait 10 et demi,(…) j’ai 13 condamnations, j’ai fait 14 ans et six mois de hèbz (prison), mais rien à voir avec le terro, quand ils m’ont pété, ils ont vu mon CV, ils ont dit « lui il est dedans », alors que je suis pas dedans frère, moi je suis juste un mec qu’est marchand de sommeil, je loue des apparts, ça aurait pu tomber sur un mec qu’a un gros casier comme sur un mec qu’a un petit casier, c’est tombé sur moi j’ai un gros casier. »

Il dénonce aussi le fait qu’étant arabe, il a été automatiquement suspecté d’être musulman, donc terroriste, donc complice. A propos de ces soupçons et amalgames permanents il donne quelques exemples frappants et livre quelques réflexions.

Question de bon sens : comment vu son profil a-t-on pu le suspecter à ce point d’être un terroriste djihadiste ? « Moi pourquoi alors moi j’me fais péter (arrêter) ? Je vends d’la coke, je vends du shit, je tapasse trois escorts par semaine, comment t’explique que je dors mardi soir, Jawad normal qui baise des escorts, qui vend de la coke, à 23 heures, je me réveille à six heures du matin je suis logeur de Daech ? Explique-moi ! Si c’est pas parcque j’suis arabe ou qu’on m’a associé à l’Islam. Frère t’es rebeu, pratiquant ou pas, t’es associé à l’Islam, faut pas faire la langue de bois, sur la vie de ma mère, qu’ils associent l’arabe à l’Islam c’est ça qui nous nique. » Il renchérit : « moi quand j’arrive en garde à vue, je suis pas un muslim, t’es d’accord avec moi, je vends de la coke, je vends du shit, je prie pas, je baise des putes, on est d’accord, j’arrive en garde à vue, wallah al adhim (par Allah le très grand), j’étais en train de faire un 69 poto, quand j’arrive en garde à vue ils essayent de me faire passer pour un terro t’as capté ? Un jour je suis en 69 avec une meuf, tatatata, t’as capté ? le lendemain, 24 heures après, j’arrive devant ils me font quoi ? ils me montrent la photo d’Abaaoud, et ils montrent la vidéo où il est avec le pick-up où il dit « ouais avant on traînait des quads et des jet skis, maintenant on traîne les moqzeb (?) » et il accélère là. Je regarde le condé, je dis quoi au condé ? moi je suis en état de choc Mounir, wallah : quand je regarde la vidéo je reconnais le mec que j’ai hébergé, je vois le nez du mec que j’ai hébergé le soir avant que j’aille chercher mon escalope boursin et ma beuh, c’est à dire je le regarde je lui dis « hè ! C’est le mec que j’ai hébergé ! » Le condé il me regarde il fait « ça, bah ouais c’est lui le mec que t’as hébergé », et c’est là que j’ai dit « ah les fils de pute… » t’as vu moi je suis choqué, j’ai hébergé lui qui traîne des cadavres, mais lui dans sa tête, moi je suis son pote à lui ! Comme je suis rebeu que je viens des quartiers je cautionne ce que lui il fait. » Plus tard dans l’interviou il rapportera deux autres anecdotes comparables. En fouillant le téléphone portable de sa mère, les enquêteurs trouvent « des vidéos des réseaux sociaux qui venaient de prêches d’imams salafistes ». Or à ses dires sa mère n’a rien d’une acharnée de la religion et le contenu est bénin. Pourtant des enquêteurs ont voulu y voir un signe de radicalisation, si bien qu’au procès le procureur lui a demandé : « on a retrouvé une vidéo d’imam qui fait un prêche sur le téléphone de votre mère, et vous nous dites vous n’êtes pas un terroriste M Bendaoud, comment expliquez vous qu’y a une vidéo d’imam dans le téléphone de votre mère ? » Bendaoud ironise : « donc un imam = un mec qu’a des ceintures, t’as vu, c’est des malades voilà… ça a choqué personne frérot, y avait 1000 personnes au jugement j’ai même pas vu une ligne dans la presse, j’ai des témoins. » Par ailleurs, quand ils ont interrogé sa copine de l’époque, une « blonde aux yeux bleus », les enquêteurs n’ont eu de cesse de traquer grotesquement les moindres indices de déviance ou de taqqiya (dissimulation) : venait-il chez elle avec un tapis de prière ? Mangeait-il hallal ? L’a-t-il forcé à manger hallal ? Est-elle sûre d’avoir jamais vu une djellaba ou un tapis de prière ? A-t-il tenté de lui faire porter le voile ? L’empêchait-il d’aller manger au Mc do ? L’avait-elle déjà vu sur un tapis priant ? » Bendaoud ironise encore : « Qu’est ce que ça a à voir ? La prière et le terrorisme ça a rien à voir… »

Il en vient alors au fonds de l’affaire : le détail de sa rencontre avec les terroristes. Il est dans un premier temps contacté par son acolyte Mohamed Soumah (le renoi), qui a été contacté par Youssef Aït Belhacem, le frère de Hasna Aït Belhacen, qui est elle-même la cousine d’Abdelhamid Abaaoud qui a été contactée depuis la Belgique, sans doute par Mohamed Belkaid (les précédents détails sont de nous) : « T’a vu les terros quand ils appellent la meuf, la meuf je la connais pas Hasna, après elle, è contacte mon pote le renoi, mon pote le renoi il me contacte, mais pourquoi ces gens-là ils m’ont contacté ? Ils m’ont pas contacté parcque j’suis un mec de Daech, gros, ils m’ont contacté parcque j’ai des squats à louer, et quand ils sont venus me voir Mounir tu crois ils sont venus comment ? Hè mon frère, poto ils m’ont appelé lundi, 16 novembre, il m’a dit « frérot t’es où ? » j’ai dit « j’suis au quartier », il m’a dit « j’arrive, hè j’arrive mon frère ». La meuf elle descend de la bécane, bouteille de jack, paquet de Marlboro dans la main, au nom d’Allah [NDR il ne dit pas wallah], celle qu’est morte dans l’appart’, Hasna ait Boulhacen, bouteille de jack, paquet de garros (cigarettes), et elle descend de la bécane, je sers la main des bonshommes, j’dis « ça va bien frérot ? bien et toi ? t’as vu la pico (bouteille) ? Elle cherche un sèm sèm (?) », je regarde sa pico, je lui dis « ça va ou quoi ? » T’as vu sa bouteille de Jack elle la met dans sa main, elle me sert la main, « ouèche, ça va bien et toi ? j’ui dit t’es une meuf d’où ? Ah j’habite dans la cité à ton pote. Vous voulez quoi ? Bah attends il va t’expliquer ton poto. »Tac mon poto il me regarde. Hè les mecs (…) tu crois qu’elle m’a dit « voilà mon cousin il a cassé des gens il faut l’héberger », c’est pas ça qu’elle m’a dit, déjà elle m’a dit que c’est son frère, elle m’ a dit « il s’est embrouillé avec sa femme, et comme sa famille ils aiment bien sa femme, sa famille ils veulent pas héberger son frère car son frère il a haga (?) sa femme, donc son frère il est à la rue, et il a pas assez d’argent pour payer un hôtel, donc steplait est-ce que tu peux le dépanner trois quatre jours ? » Et Abaaoud [le lendemain] je lui ai serré la main gros, je suis allé avec lui dans l’appart’, avec sa ceinture d’explosifs, je savais pas qu’il avait une ceinture Mounir. » Cette version est très vraisemblable, et le portrait extraordinaire que fait Bendaoud de Hasna ait Belhacen, aussi incompatible soit-il en apparence avec la vocation djihadiste des deux tueurs des terrasses, corrobore exactement celui qui en est fait dans Témoin, le livre de témoignage de « Sonia », la femme qui couvait Hasna et a mis la police sur la piste d’Abaaoud et Akrouh.

Le lendemain, mardi 17, il est seul pour accueillir les deux hommes du massacre des terrasses : « quand mon pote il vient me voir avec la meuf, il me dit d’héberger les mecs, le mec il va venir, c’est à dire que c’est moi qui vais être tout seul au rendez-vous, c’est moi qu’accueille les mecs c’est moi qui les fais rentrer dans l’appartement, mais mon pote il vient pas au rendez-vous, c’est moi qui vais au rendez vous, c’est moi qui rentre avec eux, c’est moi qui ai l’appart’, et je suis enfermé avec eux. »

Et il rapporte ce détail glaçant, à ses dires acté dans la procédure, qui suffit à l’innocenter : « Il y a une écoute téléphonique, tu sais le terro il a appelé sa cousine, il dit quoi ? « Ouais t’as vu le mec qui va m’héberger, c’est comment ? hè j’ai fait ça bien, il a rien cramé, t’inquiète c’est propre, hè t’es courant si il va dans l’appart’ il me reconnaît je l’égorge. » Hè j’ai les papiers Mounir, il a dit s’il me reconnaît, voilà ! »

Il s’est scandalisé que dans Novembre, film de 2022 vulgarisant les attentats du 13 novembre, ce détail ait été complètement occulté : «T’as vu dans le film Novembre, ils ont pas montré comment j’ai loué l’appartement, t’es d’accord avec moi ? Le commissaire de la DGSI, t’a vu l’actrice qu’est dans le film, même à la fin du film elle dit : « Elle où ma pote Hasna ? Elle est où ? Elle est morte, t’as vu ? Bah, cette fille-là, ils lui ont dit c’est qui le mec chez qui va loger les terroristes ? Je sais pas, mais c’est un marocain, beau gosse, à lunettes, il s’appelle Jawad. Ah ouais ? Appelle ta pote là. Bah non elle va cramer que j’ai bossé avec vous. Non non non, on a besoin d’en savoir plus sur le logeur… » J’ai des papiers qui prouvent qu’y a des écoutes téléphoniques, là, pourquoi c’est pas dans le film ça ? Pourquoi ils l’ont pas mis dans le film ? » L’insertion d’une telle précision dans un film regardé en salle par plus de deux millions de spectateurs aurait il est vrai pu aider à dissoudre la caricature qui est colportée de lui depuis des années.

Cela fait partie de cet ensemble d’éléments qui lui font dire qu’il existe une volonté de jeter un voile sur ce coin de l’histoire et de l’empêcher de rapporter la sienne : « hè Mounir tu vois le live qu’on a fait, ben justement c’est ce qu’ils veulent pas, gros, ils veulent pas que je raconte l’histoire comme j’ai raconté à TPMP [NDR : quand ils préparaient l’émission finalement annulée], parcqu’il y aurait eu des réactions comme dans TikTok, t’as vu, on t’aime… » Il fait ici allusion aux messages d’affection et marques d’estime qu’il reçoit de ses fans sur TikTok, qui eux aussi permettraient de donner de lui une meilleure image dans l’opinion. Il assure par ailleurs recevoir une quantité de commentaires négatifs ou nuisibles inexistante en proportion.

Isolons avant de conclure deux autres remarques de bon sens qu’il avance pour sa défense :

Quant à sa rencontre avec Abaaoud, sans même parler des menaces de mort au téléphone de ce dernier : « ç’a duré 5 minutes ma rencontre avec lui, en 5 minutes je rencontre un mec que je connais pas, qui a tué 130 personnes, qui a des ceintures d’explosifs, des calibres, j’lui sers la main, « ça va frérot, t’as tué 130 personnes je te mets un sandwich au jambon, une bouteille de coca, à demain, je vais partir ». »

Pourquoi s’évertue-t-on à ce point à taire sa version ? « hè frérot y a un mec i tombe en vélo sur Paname, il tombe par terre sur un trottoir ils le mettent sur tf1, là y a le logeur qui sort, il est innocenté, acquitté, puis condamné on veut même pas juste savoir ce qui s’est passé, comment il a hébergé les mecs qui il est c’est tout, moi je demande juste qu’on me laisse raconter comment j’ai hébergé les mecs, pour que les gens qui m’insultent ils arrêtent de m’insulter, parcqu’ils sont complètement à l’ouest. »

Ajoutons : s’il était complice, comment peut-on avoir soupçonné qu’il se présente spontanément chez lui, en plein assaut de l’appartement, à un barrage bourré de flics, avec son téléphone portable de dealer contenant tous ses contacts, sa « cons’ » dans sa sacoche, et se mette à déblatérer stupidement, devant les caméras, les pires révélations et questions possibles au cas où il voudrait se tirer de ce terrible pas ?

A un moment de l’interviou il explose : « y a une stratégie qui est mise en place pour me pousser à bout et si demain je fais une dinguerie, je vais faire une dinguerie on va dire c’est un terro mais moi, moi je vais pas enculer des gens qui boivent des jus d’orange sur des terrasses, qui m’ont rien fait moi, moi si j’encule la mère à quelqu’un, j’encule la mère à quelqu’un qui m’a fait un truc, moi j’encule pas des innocents, wallah ! (hurlant) Moi tu crois je vais niquer, je vais laisser les gens qui m’ont fait du mal, wallah moi je baise la mère aux gens qui m’ont fait du mal, j’baise pas la mère aux gens qui m’ont rien fait, à partir de là, on a tout dit, t’as capté Mounir ? »

Non sans humour – il a incontestablement l’art de la vanne – il tient médiatiquement à rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui ont cru aveuglément à la cabale dont il a été victime : « La vérité Mounir tu vois les gens ils me voient comme un guignol, ils se disent « c’est un gogol c’est un cassos », mais t’sais comment j’suis mort de rire frérot dans mon lit tous les soirs, j’me dis mais comment ils se font manipuler ces trous d’balle, ils ont des trous du culs comme ça en fait les français t’as vu (il mime avec ses deux mains un énorme trou du cul), hè tu leur ramène un caméléon tu dis c’est un dinosaure c’est un tyrannosaure, ils vont te dire ouais eu c’est un tyrannosaure. » Et de citer en illustration de sa théorie le fait que les électeurs aient de nouveau porté Macron malgré la répression féroce des gilets jaunes.

Alors que lui n’a de cesse de traiter les Français de racistes, collectivement et sans nuance, pointons tout de même qu’il est lui-même extrêmement raciste dans ses propos, tout au long de l’entretien, ne les évoquant que par les épithètes injurieuses de « babtous » ou de « Gwèrs » (mécréant), et quand il les nomme comme tels c’est pour moquer leur trou de balle. Nous lui ferons simplement remarquer que les élections françaises présidentielles sont de plus en plus largement truquées de nombreuses façons, que nombreux sont ceux en France qui en ont conscience – pas lui apparemment –, et que pour l’instant – ni bougnoule ni babtou – personne en ces contrées dévastées n’y peut rien. Après il n’a pas tort de se désoler d’une forme de naïveté politique qui irrigue incontestablement toute une partie de la population, le phénomène touchant tous les camps. Il n’est pas le seul…

Enfin… Concluons en répétant que la raison principale pour laquelle aucune publicité n’a jusqu’à présent été donnée à la version de Jawad Bendaoud sur son rôle dans l’affaire du 13 novembre n’est pas l’impératif moral de préserver la quiétude du deuil des familles des victimes meurtries, c’est surtout qu’elle détruit la version initiale du complice arabe délinquant un peu couillon qui colle bien dans la photo de famille que l’on a voulu communiquer au public, afin de stigmatiser toujours le même genre d’individus, à défaut de pointer la loupe beaucoup plus haut dans le ciel, vers les gestionnaires de la catastrophique politique étrangère de la France, qui est le mobile principal des assassins du 13 novembre, comme nous espérons pouvoir l’exposer dans un prochain ouvrage.

Le profil et le parcours de Jawad Bendaoud, de même que ses sorties tonitruantes et irrespectueuses lors de ses procès, quelle que soit la répulsion qu’elles puissent inspirer, ne doit pas entrer en ligne de compte quand il s’agit de passer au crible les différentes responsabilités, directes et indirectes, dans la perpétration du 13 novembre. En transformant en boucs émissaires des acteurs aussi mineurs et inconscients, et qui auraient pu être des victimes collatérales, on passe à coup sûr à côté de l’essentiel.

Le schéma est exactement le même que celui que nous avons mis en lumière dans notre enquête consacrée au Massacre de Charlie Hebdo, l’enquête impossible : à défaut d’avoir pu arrêter à temps les auteurs du massacre et de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, d’avoir pu retracer la provenance des armes des frères Kouachi, d’avoir expliqué les failles béantes de la sécurité de l’hebdomadaire, on a été bien content de se rabattre sur des seconds couteaux, qui n’avaient sans doute rien à voir, mais qui avaient eu le malheur d’avoir été en contact avec Amédy Coulibaly tout en étant d’avérés ou petits truands : combinaison fatale, puisque dès lors c’est le toboggan vers la détention provisoire illimitée et les manchettes de journaux vous présentant invariablement comme un complice ou un coupable, voire un mongolien dont on peut commercialiser des figurines… faute d’avoir pu arrêter les bons à temps. Nous songeons ici par exemple à Abdelaziz Abbad, Metin Karasular, Said Makhlouf ou Miguel Martinez.(p.255 à 280)

Il faut aussi rappeler que tout retour en arrière (excuses, reconnaissance d’erreur, amende honorable) est difficilement envisageable en République manichéenne : il y a ceux qui sont innocents par principe, et qui bénéficient à la moindre rumeur – très souvent infondée – de soutiens politiques affichés au plus haut niveau et de manifestations ultra médiatisées, et ceux dont le destin est d’être a priori et éternellement coupables, sans possibilité de rédemption, quelque répulsion que puisse à juste titre susciter auprès de nombre de Français ordinaires ce genre de profil sur leur terre ancestrale : Les médias, chose impensable – hormis quand leurs exécutants se retrouvent sous l’œil sévère d’une huile écornée par mégarde et sous les pieds de laquelle aussitôt ils s’écrasent – se retrouveraient obligés de manger leur chapeau, tous ceux qui ont fait des parodies des interventions de Jawad seraient obligés de présenter leurs excuses, de reconnaître qu’en fait ce sont eux les dindons de la farce, qui ont pris des vessies pour des lanternes au quart de tour. Nous pronostiquons que, ainsi qu’il le soupçonne au début de l’entretien, son livre à paraître prochainement aux éditions Max Milo, ne bénéficiera que d’une recension symbolique, dont cet article sera l’une des pièces.

Réflexion finale : admettons que par le seul bref contact qu’il a eu avec les deux terroristes survivants des terrasses au soir du mardi 17 novembre, Jawad Bendaoud se soit vu en cette occasion, par la magie d’on ne sait quel immatériel fluide contagieux, transmettre une complicité dans les attentats du 13 novembre – rappelons qu’il n’a été condamné que pour recel de terroriste, et encore dans des conditions douteuses –, procédé judiciaire de plus en plus répandu ces dernières années dans les affaires de terrorisme… Admettons… Mais alors nous entretenons là une jurisprudence dangereuse que l’on pourrait être tenté d’étendre à beaucoup d’affaire beaucoup plus graves. Des centaines de journalistes de premier plan pourraient être condamnés pour n’avoir pas dénoncé certains experts et responsables politiques relayés, cités ou interviouvés dans leurs colonnes, sur leurs ondes ou sur leurs plateaux, personnalités mouillés jusqu’au cou et de la façon flagrante dans des scandales dont ils savent la plupart des tenants et aboutissants. La liste des affaires que nous avons en tête occuperait une page entière. En se taisant, en ne dénonçant pas, alors qu’ils savent, ne sont-ils pas mécaniquement complices ? Et un traitement tout aussi sévère que celui appliqué à Jawad Bendaoud ne devrait-il pas leur être appliqué ?

1 « Attentats à Paris. Le logeur d’Abaaoud mis en examen » , Ouest-France.fr, 25/11/2015

2 « Procès de Jawad Bendaoud. Entre show et coups de chaud, le parcours d’un délinquant », Ouest-France.fr, 29/01/2018

3 « Huit ans de prison pour le meurtrier de David », Marylène Lenfant, lejsd.com, 10/11/2008

4 « Jawad Bendaoud, « logeur » des jihadistes du 13 novembre et ancien caïd », Robin Verner, bfmtv.com, 24/01/2018

5 « Attentats de Paris : un proche du logeur d’Abaaoud en garde-à-vue », lepoint.fr, 01/12/2015

6 « Jawad Bendaoud a tenté d’incendier sa cellule à la prison de Villepinte », lejdd.fr, 17/09/2016

7« Checknews. Est-ce bien Makao, l’ex garde du corps de Macron, que l’on voit dans une vidéo en compagnie de Jawad Bendaoud ? », liberation.fr, 07/06/2018.

8 « Jawad Bendaoud de nouveau en garde à vue. Surnommé le « logeur de Daech », Jawad Bendaoud a été interpellé par les forces de l’ordre pour outrage et rébellion, et avec quelques grammes de cannabis sur lui. », Cécile de Sèze, rtl.fr, 05/07/2018

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