Attou, Amri et Oulkadi, les chauffeurs de Salah Abdeslam

Sont réunis dans ce chapitre le profil, le parcours et le rôle des trois hommes qui ont aidé Salah Abdeslam a fuir de Paris vers Bruxelles dans la matinée du 14 novembre pour le déposer dans une planque au 86 de la rue Henri Bergé à Schaerbeek. Hamza Attou et Mohamed Amri ont pris la route pour la France en pleine nuit pour accéder à l’instante demande de leur ami qui a prétexté une panne, pour ne leur avouer la réalité de sa situation qu’une fois monté dans la voiture. Sidérés et prisonniers d’un conflit de loyauté, ils n’ont pas dénoncé Salah Abdeslam lors des trois contrôles de police qu’ils ont dû subir avant de passer la frontière. Quant à Ali Oulkadi, il a pris en charge le dixième homme du commando à l’arrivée du trio à Bruxelles pour le conduire dans la planque précitée. Contrairement à Attou et Amri, Oulkadi a toujours juré ses grands dieux qu’il ignorait tout du guêpier dans lequel il s’était fourré, pensant seulement rendre un banal service.

Nota bene : les liens hypertextes sur les noms des protagonistes des attentats du 13 novembre renvoient aux chapitres les concernant publiés sur ce site.

Hamza Attou

Hamza Attou, lors du procès des attentats du 13 novembre 2015 (© Radio France – Valentin Pasquier)

Âgé de 21 ans au moment des faits, Hamza Attou est le plus jeune accusé des attentats du 13 novembre 2015. Comparaissant libre au procès, sous contrôle judiciaire, son profil rappelle furieusement celui des amis ou collègues en truanderie d’Amedy Coulibaly inculpés pour les attentats de janvier 2015 (( Nous pensons ici en particulier à Amar Ramdani, Willy Prevost, Nezar Mickael Pastor Alwatik et Ali Riza Polat dont nous avons retracé le parcours dans notre ouvrage consacré au Massacre de Charlie Hebdo, l’enquête impossible, pp. 267 à 288)) , mais pour lesquels la charge d’association de malfaiteurs terroristes a finalement été parfois abandonnée : piégé par ses mauvaises fréquentations, il a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, sans trop comprendre le service qu’on lui demandait de rendre et qu’il a rendu par loyauté, service qui n’est tout de même pas rien puisqu’il est celui que Salah Abdeslam a appelé au téléphone la nuit des attentats pour lui demander de le rapatrier sur Bruxelles, ce qu’il reconnaît dès sa première déclaration au procès le 15 septembre 2021 : « Je reconnais avoir voulu chercher Salah Abdeslam ». Toutefois, conteste-t-il, « à aucun moment, je n’ai voulu faire du terrorisme. » Comme Christophe Raumel, accusé d’avoir participé à l’achat avec Willy Prevost pour le compte de Coulibaly de fournitures non létales ayant servi à ce dernier pour la préparation de la pris d’otage de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes du 9 janvier 2015, il a assisté à tout le procès sur le strapontin des prévenus, ayant passé deux années en détention provisoire avant d’être relâché. L’infraction pour laquelle il est poursuivi est « recel de terroriste », pour laquelle il encourt 6 ans de prison. De fait, Salah Abdeslam lui a avoué, à lui et Mohamed Amri, dès le début du voyage retour vers Bruxelles, qu’il était un membre du commando du 13 novembre, et, arrêté et contrôlé trois fois par des barrages de police, en ces occasions il n’a pas dénoncé l’unique survivant du commando.

Interpellé dès le 14 novembre 2015 en même temps que Mohammed Amri, la justice belge a accepté son extradition en France le 27 avril 2016. Il a été libéré sous contrôle judiciaire après avoir passé deux années derrière les barreaux. Auparavant, passant entre les mailles du filet, il n’avait jamais été attrapé et condamné pour le trafic de cannabis auquel il collaborait pour le compte de Brahim Abdeslam.

Hamza Attou est né en Belgique, de parents marocains : père travaillant dans la restauration, le bâtiment, le chemin de fer, et mère au foyer. Il a quatre sœurs et un frère. Si sa vie a bien commencé : « j’ai eu une bonne enfance, ça se passait bien, en respectant la loi bien sûr », il s’est retrouvé tôt en échec scolaire, arrêtant en première, en raison notamment d’une grosse consommation de cannabis dans lequel il est tombé à l’âge de 15 ans. Il a alors commencé par faire les marchés le week-end, puis à travailler dans un supermarché, mais, comme cela ne payait pas, est devenu dealer au café les Béguines tenu par les frères Abdeslam, dès son ouverture en 2013. Dans ce trafic il était en quelque sorte l’« employé » de Brahim Abdeslam qui se fournissait en gros et en était le pilote : pour 100 grammes de cannabis revendus 800 euros, il en touchait 100, a-t-il expliqué lors de son second interrogatoire le 3 février 2022. Son profil n’est pas celui d’un radicalisé et il buvait régulièrement de l’alcool. Lors du premier interrogatoire le 3 novembre 2021, le président lui a signalé qu’il avait violé à plusieurs reprises son contrôle judiciaire, pour des sorties nocturnes, Attou s’expliquant ainsi : « C’était un semblant d’une vie normale, faire abstraction de mon procès. L’ambiance n’est pas la même le jour, je ne me voyais pas faire la fête le jour ! » Et comme le président lui rappelle qu’il pourrait être condamné pour violation de ce contrôle judiciaire, il explique : « Souvent dans ma vie, j’agis et ensuite je réfléchis. C’est d’ailleurs ce qui m’a amené ici. J’aurais aimé ne pas être là. »

Quand le président lui a demandé, le 3 février 2022 : « Vous ne vous êtes pas aperçu de la radicalisation de Brahim Abdeslam au café les Béguines ? », il a répondu : « moi j’étais dans le café, mais en électron libre. » Questionné sur les vidéos de Daech que certains regardaient dans le café, il explique qu’il n’a « jamais assisté à ces séances vidéo ». Il assure par ailleurs n’avoir jamais vu prier les frères Abdeslam : « J’ai jamais vu un truc alarmant de radicalisation. Ça peut paraître difficile à croire. Mais Brahim il a bien caché son jeu avec moi, et avec d’autres. » Il plaide également l’ignorance pour le fait d’avoir accompagné Brahim Abdeslam, le 27 janvier 2015 à l’aéroport de Bruxelles Zaventem, pour un voyage en Turquie : il était persuadé que ce dernier partait en vacances et n’imaginait pas que sa véritable destination pût être la Syrie. Et comme un avocat des parties civiles lui demande pourquoi ils étaient à quatre dans la voiture ce jour-là pour l’accompagner, il explique : « vous pouvez pas comprendre, on est pas de la même classe sociale, je suis désolé, des fois on part même à cinq pour aller chercher une baguette. il y a pas de mal à accompagner. » Et pourquoi a-t-il accepté d’aller chercher Salah Abdeslam la nuit du 13 novembre ? Attou explique que c’était un ami, qu’il a cru au prétexte que ce dernier lui a avancé, un accident de voiture à Barbès. Une décision conforme au portrait qu’en fait sa famille, rapporté par le président de la cour : « Votre famille dit que vous êtes naïf, généreux, toujours serviable ». A quoi il répond : « Malheureusement oui, mais cela ne m’a pas porté chance. »  Et de conclure concernant Salah Abdeslam : « Je lui en veux aujourd’hui, c’est normal. »

Le 29 juin 2022, alors que le Pnat avait requis six ans de prison, Hamza Attou n’est finalement condamné qu’à quatre ans, pour « recel de terroriste », et à dix ans d’interdiction de territoire français. Aucun mandat de dépôt n’ayant été prononcé contre lui, il a pu sortir libre.

Mohammed Amri

Mohamed Amri

Mohamed Amri est celui qui, avec Hamza Attou, est parti, dans la nuit du 13 au 14 novembre, à la rescousse de Salah Abdeslam prétendument victime d’une panne à Barbès. Comme Hamza Attou, Mohamed Amri fréquentait assidûment les Béguines où il lui arrivait de passer derrière le comptoir, contre rémunération : « Je l’ai déjà dit, c’est quelqu’un qui a un café au quartier, que je fréquentais pas en dehors du café, qui m’a aidé financièrement en me faisant travailler, qui m’a vendu sa voiture… » a-t-il expliqué lors de son interrogatoire du 28 janvier 2022 ; une Volkswagen Golf qu’en plus il n’avait pas fini de payer. Il était donc ami avec les deux frères mais leur était aussi un peu redevable, en particulier à Brahim : « un copain, un pote, un frère », a-t-il assumé lors de son interrogatoire de personnalité le 4 novembre 2021. Amri était bien sûr au courant du trafic de stupéfiants dont le café était le centre – lui-même en fumait depuis ses quatorze ans au Maroc avant son arrivée en Belgique –, mais il ne dealait pas comme Attou. En revanche, il reconnaît le visionnage à l’occasion de vidéos de l’EI dans le café, en en minimisant toutefois la portée. Pour lui il ne s’agissait pas de séances sur grand écran, comme on peut en voir dans tous les cafés de France qui diffusent les vidéos de radicalisation républicaine de BFMTV.

BFM TV, qui sur son site (source de l’image), s’autoproclame « première chaîne d’information de France dans les tranches de la matinée, participe activement, chaque jour que Marianne fait, à la radicalisation des millions de personnes dans d’innombrables cafés et restaurants de France, ouvertement et dans l’impunité la plus totale.

Il y avait un ordinateur sur le comptoir et si Brahim y regardait des vidéos, il « faisait ça discrètement », et le fait qu’il en regardât n’a pas fait tilt dans son esprit sur son éventuelle radicalisation. Il l’a expliqué à plusieurs reprises le 28 janvier : « A l’époque on appelait ça les barbus, les gens radicalisés c’est des gens qui fréquentent pas le café où il y avait du shit. Ils fréquentent pas les filles, ils boivent pas. C’est religion, religion, religion… »/ « C’est pas que j’ai pas vu sa radicalisation, c’est que pour moi, il était pas radicalisé. Quelqu’un de radicalisé, c’est quelqu’un qui serrait pas la main aux femmes, qui buvait pas, Brahim, il faisait tout ça. » Pour ce qui le concerne, il a toujours nié avoir embrassé l’idéologie daéchienne. Dès sa première intervention au procès le 15 septembre il a clamé son innocence : « On m’a collé une étiquette de terroriste alors que je suis pas un terroriste, monsieur le président. » Unique pièce susceptible d’étayer sa radicalisation, on a retrouvé à son domicile et dans sa voiture des clés USB sur lesquelles étaient enregistrés des anasheeds, des chants religieux extrêmement communs chez les musulmans. Son entourage conteste de même formellement sa radicalisation. Lui-même concède avoir téléchargé des anasheeds à trois reprises entre juin et juillet 2015, mais quant aux clés USB, à ses dires elles appartenaient à Brahim Abdeslam. Pour son épouse Kim, interrogée parfois brutalement pendant son audition de trois heures le 29 janvier, puéricultrice de son état, blonde belge convertie à l’Islam mais dévoilée : « Il n’a pas changé, il ne s’est pas soudainement mis à prier toute la journée. » Une perquisition et arrestation pour « des stupéfiants ça m’aurait pas étonnée mais du terrorisme… ». Concernant son éventuelle radicalisation, connaissant « ses valeurs » elle n’a « jamais eu aucun doute ». Le soir du 13 novembre, il l’a simplement appelée pour la prévenir : « je suis parti chercher un copain. » A la barre son père Benassar a livré un témoignage identique.

Il est également reproché à Mohammed Amri d’avoir loué en son nom la BMW utilisée par Salah Abdeslam pour aller chercher des terroristes du 13 novembre en Allemagne. Amri dit ne s’être pas méfié parce qu’Abdeslam lui avait expliqué qu’il avait un problème avec l’agence suite à une précédente location. Et quant à la liasse de billets qu’il lui a donnée pour effectuer l’opération : « Je l’avais déjà vu avec des liasses de billets. Je savais qu’il était dans le stup’ avec son frère et qu’il avait les moyens de se payer des locations. » Du reste dans le quartier, d’après lui, une telle pratique était tout ce qu’il y a de plus commun : « Les locations, pour nous à Molenbeek, c’est tellement banal. Je connais des jeunes qui roulent en location toute l’année. »

Quatrième enfant d’une fratrie de six, son père lui avait trouvé un travail au SAMU social de Bruxelles. C’est ainsi qu’il faisait le chauffeur pour des maraudes, au cours desquelles étaient distribuées des boissons chaudes et des couvertures aux sans-abri. Il terminait justement une maraude quand il a été contacté pour aller chercher Salah Abdeslam la nuit du 13 au 14 novembre. Il a été arrêté le 14 novembre en même temps que Hamza Attou, et remis à la France le 6 juillet 2016 par la justice belge.

Sa ligne de défense est la même que celle de Hamza Attou et Ali Oulkadi : c’est uniquement à cause des mensonges de Salah Abdeslam qu’il se retrouve sept ans après les événements sur la banc des accusés. Il estime avoir été « trahi » et que « c’est une double peine parce que je me suis fait avoir par les frères Abdeslam et l’autre peine c’est la prison ». Sa position envers Salah Abdeslam est toutefois ambiguë : « Salah Abdeslam, c’est à cause de lui que je suis ici donc je lui en veux un peu mais je suis prêt à pardonner. J’ai entendu des victimes ici dire qu’elles étaient prêtes à pardonner. Je suis sensible… »

Le 29 juin, suivant les réquisitions du Pnat, la cour a reconnu Mohamed Amri coupable d’ »association de malfaiteurs terroriste criminelle » et « recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste », et l’a condamné à huit ans de prison, et dix ans d’interdiction du territoire français. Ayant déjà effectué six ans et demi de détention provisoire, il a pu bénéficier d’un aménagement de sa peine.

Ali Oulkadi

Ali Oulkadi

Ali Oulkadi, 32 ans au moment des faits, est l’un des trois accusés à comparaître libre au procès des attentats, mais demeure accusé d’association de malfaiteurs terroristes, pour avoir fourni une aide à Salah Abdeslam le 14 novembre, en transportant celui-ci dans la planque de la rue Henri-Bergé à Schaerbeek – là-même où ont été confectionnées par Ahmad Alkhad les ceintures explosives du 13 novembre – après son rapatriement dans la nuit par Hamza Attou et Mohammed Amri.

le 86 de la rue Henri Bergé à Schaeerbeek dans la banlieue de Bruxelles (source de l’image), où Ali Oulkadi a conduit Salah Abdeslam le 14 novembre 2015

Né le 9 juillet 1984 au Maroc de deux parents marocains qui se sont connus en Algérie, le père cariste magasinier et la mère femme au foyer, il est l’aîné d’une fratrie d’une sœur et trois frères dont l’un est magasinier à l’aéroport de Zaventem. De nationalité française, il est marié et père de trois enfants âgés de 2, 7 et 10 ans. Son épouse a été secrétaire avant de devenir aide-soignante.

Après une scolarité sans histoires, il mène avec succès des études d’électricien et décroche un diplôme qui lui permet d’entrer à la SNCB, équivalent belge de la SNCF, où il travaille à la signalisation des rails de chemin de fer, devenant chef d’équipe.

Il rencontre Brahim Abdeslam à l’hiver 2013/2014 au café les Béguines et les deux hommes deviennent de très bons amis au point de se voir tous les jours. Ils ont des points communs frappants : ils sont nés le même mois, dans le même hôpital, sont originaires du même village au Maroc, et résident à cette époque tous les deux à Molenbeek. En 2014, il assiste à son mariage au Maroc, et le 27 janvier 2015, il fait partie de la bande d’amis qui l’accompagnent à l’aéroport pour son voyage en Turquie. Ali Oulkadi se rend souvent au café les Béguines à Molenbeek, y jouant aux échecs et aux cartes avec les deux frères. De ce fait il connaît aussi très bien Hamza Attou et Mohammed Amri.

Les enquêteurs n’ont décelé aucun signe de radicalisation chez Oulkadi qui se déclare musulman mais peu pratiquant, et il a toujours nié être au courant du projet terroriste auquel a participé son meilleur ami. En même temps, il ne nie pas avoir visionné des vidéos de l’EI qu’il arrivait aux deux frères de faire tourner dans le café sur un ordinateur, y compris la fameuse vidéo d’Abaaoud tractant des cadavres avec un pick-up. A ce propos il a dit : « Brahim Abdeslam connaissait Abdelhamid Abaaoud. Il s’en vantait un peu. Il légitimait sa vidéo. ». Selon lui, c’est son petit frère Salah qui l’a radicalisé environ 10 mois avant les attentats : il arrivait aux deux frères de se disputer à ce propos et finalement c’est Brahim qui est devenu le plus radical. Ali Oulkadi n’a aucun antécédent judiciaire si l’on excepte des faits pénaux mineurs, comme la détention de stupéfiants (cannabis), pour sa consommation personnelle. Bref, beaucoup plus proche au sens amical du terme de Brahim Abdeslam que Hamza Attou, il présente toutefois un profil beaucoup plus conventionnel et ordinaire.

Aucun élément de radicalisation n’est trouvé lors de la perquisition de son domicile, après son interpellation le 22 novembre 2015. Transféré en France en juin 2016, il a bénéficié d’une libération conditionnelle sous contrôle judiciaire en juin 2018, après deux ans et demi de détention provisoire. Au-delà de son profil de brave type dépassé par les événements, il a bénéficié du dédouanement de Salah Abdeslam. Comme l’a expliqué son avocat dans une interviou le 19 juin 2018 : « Salah Abdeslam s’est tu pour tout le monde et dans toutes les langues, mais pas pour mon client. » Ali Oulkadi est demeuré toutefois accusé d’association de malfaiteurs terroristes au procès des attentats : en effet, outre l’aide qu’il a apporté au frère de son meilleur ami le 14 novembre, il est soupçonné d’avoir été au courant de la radicalisation des deux frères et savait que Brahim était un ami d’Abdelhamid Abaaoud, ce simple lien pouvant suffire à inculper un homme pour ce type de chef d’accusation.

Le 29 juin 2022, suivant les réquisitions du Pnat, la cour a condamné Ali Oulkadi à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs terroristes et recel de terroriste sans mandat de dépôt. Il a pu sortir libre du tribunal mais sous contrôle judiciaire. A propos de cette condamnation citons Emmanuel Carrère dans V13 : « Il en faut plus pour contenter Marie Dosé, qui est une avocat passionnée, têtue, mauvais coucheuse, je l’adore. Ce verdict, dit-elle, c’est n’importe quoi. Du point de vue du droit, c’est n’importe quoi. Elles ont demandé l’acquittement d’Oulkadi. On le déclare coupable de tout, association de malfaiteurs terroristes, recel de malfaiteur terroriste, des choses extrêmement graves pour lesquelles on le condamne à quoi ? Aux deus ans de prison ferme qu’il a déjà tirés, c’est-à-dire le tarif pour un vol de sac à l’arraché en comparution immédiate. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu’on n’a rien de terrible à lui reprocher mais au lieu de l’acquitter ou de lui coller ses deux ans pour un simple recel de malfaiteur, ce qui serait la pure vérité, on veut pour faire jurisprudence que rien n’échappe à l’AMT, la fameuse association de malfaiteurs terroristes qui était déjà, renchérit Judith Lévy, une infraction poubelle mais qui est en train de se transformer en infraction décharge. Tout le sens du jugement, c’est d’éviter qu’ils fassent appel. Surtout par d’appel. A priori elles ne feront pas appel. La décision est aberrante. Il gardera toute sa vie l’étiquette de terroriste collée sur le front mais il sera libre, c’est l’essentiel. Idem pour Chouaa et Attou. D’une façon générale, on a donné à tout le monde un peu moins que ce qu’a requis le parquet, le sous-texte étant: estimez-vous heureux, et si vous faite appel, soyez sûrs que vous aurez plus, pour tout concentrer sur la tête d’Abdeslam, le terroriste absolu, définitif et terminal, en taule jusqu’à ce que mort s’ensuive, comme ça tout le monde sera content ((Emmanuel Carrère, V13, P.O.L, p.358-359)) . »

Epilogue à la brasserie des Deux Palais

La brasserie des Deux Palais, sur l’Ile de la Cité, en face du Palais de justice, entre Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, et la Conciergerie.

Signe de leur statut à part parmi les inculpés du procès des attentats du 13 novembre, Hamza Attou, Mohamed Amri et Ali Oulkadi ont participé à la fête des Ewoks finale du procès des attentats, qui s’est tenue à la brasserie des Deux-Palais, en face du palais de justice, au soir du verdict, à laquelle ont participé tant les avocats généraux, les avocats des parties civiles, deux de la défense, les chroniqueurs et journalistes qui ont couvert « V13 » pendant plus de neuf mois, et même des victimes et familles de victimes. Emmanuel Carrère relate ainsi l’épisode dans V13 : « Il n’y a plus que nous aux Deux Palais, nous qui avons passé tant d’heures sur ses banquettes sombres, devant ses tables en bois verni, nous cette communauté qui ce soir se sépare. Nous sommes tous là et parmi nous un bon tiers de parties civiles, assez pour que les autres, ceux qui n’ont pas souffert, ceux qui comme moi sont de l’autre côté de la barrière, puissent se dire que l’étrange liesse de cette soirée n’est pas quelque chose d’indécent. Ou alors si ? Est-ce que c’est indécent que Nif-Nif, Naf-Naf, et Nouf-Nouf, les trois petits qui l’ont échappé belle mais qui ont tout de même tenu leur rôle au service de la mort, soient là, éberlués, n’en revenant pas leur chance, et qu’on les félicite, et les embrasse, et fasse des selfies avec eux ? La question se pose, les réponses varient. Une jeune fille lourdement handicapée parce qu’elle a eu la mauvaise idée de fêter son anniversaire à la Belle Equipe est partie avec son compagnon tellement ils trouvaient ce spectacle obscène. « On m’a fait plus de bisous ce soir qu’à mon mariage », dit Ali Oulkadi. Ses deux copains sont interdits de séjour pour dix ans sur le territoire français mais bon, on va dire que les dix ans commencent demain, ce soir même les avocats généraux les regardent s’épanouir devant leur grandissant fan-club avec attendrissement. ((Emmanuel Carrère, V13, P.O.L, p.347)) »

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