Fabien et Jean-Michel Clain, les voix des attentats du 13 novembre

NB : les informations disponibles sur Jean-Michel Clain sont plus parcellaires que celles concernant son frère Fabien, d’où le flou plus important du portrait du premier.

Nés respectivement en 1978 et 1980, Fabien et Jean-Michel Clain ont passé leur enfance avec leur mère et leurs deux sœurs dans la ville d’Alençon (Orne). En 1991, ils s’envolent pour quatre années à destination de l’île de la Réunion, dont leur famille est originaire, et où réside leur père Jocelyn qui a quitté le foyer quand Fabien avait trois ans, et qu’ils n’ont donc pratiquement pas connu. De retour à Alençon, Fabien intègre le lycée professionnel Mezen jusqu’en 19971. A partir de cette époque, toute la famille va, membre après membre, se tourner vers l’Islam, et pas n’importe quel Islam, l’Islam salafiste. Leur sœur aînée Anne-Diana se marie en 1998 avec Mohamed Amri, une figure de cette mouvance résidant dans leur quartier. Les deux frères, convertis dans la foulée, se marient religieusement, Fabien à Mylène Foucre, Jean-Michel à Dorothée Maquerre, dont ils auront quatre et huit enfants. Lors du procès des attentats, l’enquêtrice de la DGSI auditionnée le 14 décembre 2021 avancera la thèse d’un effet de groupe et d’une contagion familiale : « Ce qui est intéressant à comprendre, c’est que cette famille vit en clan très fermé selon les règles très strictes de la charia ».

Anne-Diana, condamnée à neuf ans de prison en septembre 2020 pour avoir tenté de se rendre en Syrie avec ses quatre enfants2, et auditionnée depuis le centre pénitentiaire de Réau le lendemain 15 décembre, expliquera quant à elle : « On était dans une recherche spirituelle, on cherchait une réponse à pourquoi on était sur terre. On était chrétiens, on a cherché dans la Bible, on a trouvé des choses qui concordaient pas… On a continué à chercher, on a rencontré quelqu’un qui nous a apporté des réponses ». Une autre sœur, Marie, interrogée par Hugo Micheron le 5 décembre 2016 à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, raconte quant à elle3 : « En 1999, on s’est tous reconvertis, un à un […] C’est une révélation qui est entrée dans notre cœur et qui nous a permis de nous sentir bien. On était des fumeurs de shit, nous, on fumait en bas des immeubles [à Alençon] et mes frères c’étaient des chanteurs de rap. Mais on descendait de la création , on était cathos, ma mère a toujours été derrière nous pour les baptêmes, et en fait, ben, […] j’ai lu le coran, et c’est là qu’est venue la conversion. » C’est ainsi que tous les membres de la famille sont convertis « les uns après les autres », en seulement quinze jours, jusqu’à la mère, qui était professeure de catéchisme. Auparavant toute la famille était catholique pratiquante. La métamorphose est brutale. Hommes et femmes se mettent à vivre séparément, les femmes portent le niqab, les deux frères la barbe et le qamis. Les murs de l’appartement de la mère sont « tapissés de photos de la Mecque » (DGSI). Sur le site « Copains d’avant », Fabien raconte ainsi l’évolution de la passion qu’il avait avec son frère pour la poésie et la chanson : « Mon frère Jean-Michel et moi chantons ensemble, nous avons comme projet de former un groupe qui s’appellerait « rappeleur », des chants de rappel à l’islam, des anachid. J’ai été rappeur avant d’être poète. Puis après conversion à l’islam j’ai tout arrêté »4.

C’est en déménageant à Ambad, à 60 km Toulouse, en 2000 qu’ils entrent, selon leur sœur, dans une dimension encore plus radicale : « mes frères, ils fréquentaient du monde à Toulouse… des salafistes, ce qui explique qu’on est tombés dans un islam radical… ». Marie rapporte quant à elle5 : « En 2000 il y a eu un changement radical dans ma vie. C’est pas seulement une conversion, mais c’est un mouvement, un élan… J’ai fui Alençon parce que je connaissais tout le monde […] Alençon c’est pas top pour l’Islam […]. Je suis partie à Toulouse, et là, ça a été un nouveau départ. » Ils se rapprochent notamment d’un immigré syrien du nom d’Abdullah al-Dandachi ayant fui la répression des autorités syriennes, au nom francisé d’Olivier Corel, qui devient leur mentor. Ils se rapprochent des familles Essid et Merah6, qui gravitent autour de l’influenceur, qui a sans doute joué pour eux le rôle de figure paternelle de substitution7. En 2003, Fabien Clain, personnalité la plus charismatique et influente de la famille, aux dires de sa sœur (procès), et qui se signalait par son prosélytisme agressif, déménage avec sa femme en Belgique, premier port d’attache du salafisme en Europe, où il faisait auparavant des allers retours pour faire provision de littérature religieuse salafiste, introuvable à l’époque en France8, qu’il revendait ensuite sur les marchés de la région toulousaine.

Abdullah al-Dandachi, alias Olivier Corel, « l’émir blanc d’Artigat », le mentor des frères Clain

Jean-Michel et sa femme, de leur côté, prennent la destination de l’Égypte en 2005. Dans les deux cas, ils tissent des liens avec la mouvance salafiste locale. Fabien et sa femme les y rejoignent en 2006. Ils y rencontrent et fréquentent Farouk Ben Abbès, suspecté d’avoir participé à l’attentat contre une groupe de jeunes français au Caire le 22 février 20099, et qui a évoqué lors de sa détention en Égypte un premier projet d’attentat contre le Bataclan, pour se venger du soutien militaire apporté par Nicolas Sarkozy à Israël dans le cadre d’un massacre rituel de Palestiniens portant le nom de « Plomb durci » (à ce sujet nous renvoyons à notre article « 7+2+x=15 : l’équation interdite des attentats du 13 novembre (2/2)). A leur retour en France, ils se retrouvent pour la première fois dans le viseur de la police, pour leur participation à la filière d’Artigat, du nom du hameau dans lequel se sont regroupées des familles de convertis dévoués à Olivier Corel, à une filière d’envoi de combattants pour le djihad en Irak contre les forces d’occupation étasuniennes : Fabien Clain, très impliqué, est condamné à cinq ans de prison ferme en 2009, avec neuf autres complices, son frère Jean-Michel parvenant à passer entre les gouttes en minimisant son action (source DGSI). Nullement démotivé, Fabien poursuit son prosélytisme en détention, et quand il est libéré en 2012, il décide de se faire discret en donnant des cours d’arabe et vendre des « produits diététiques naturels via une société qu’il a domiciliée chez lui ».

Fabien Clain, surnommé Omar, Abou Adam Al-Faransi, Panda, Abou Anas
Jean-Michel Clain

Jean-Michel est le premier, en février 2014, à prendre le chemin du Levant, en passant par l’Espagne, rejoint peu après par sa femme et ses enfants. A Alep, puis Kobané (ville du nord e la Syrie, frontalière de la Turquie), il rejoint un groupe de combattants dont il prend la tête en tant qu’émir (DGSI). En 2015, il commence son activité de propagandiste contre la France, notamment en diffusant des anasheed « répétitifs, galvanisants, qui rendent sacrés le combat ». Sa sœur Anne-Diana reconnaît sa voix dans la vidéo de félicitation de la prise d’otages de l’Hyper Cacher par Amédy Coulibaly (à ce sujet Cf notre article consacré à « la bibliothèque d’Amédy Coulibaly« . Fabien de son côté se prépare à le rejoindre. Quoiqu’il y soit interdit de séjour dans le département et théoriquement sous surveillance, il se rend dans un magasin de Hi-Fi de la région toulousaine, le 21 janvier, le 30 janvier et le 4 février 2015, pour y acheter 3557 euros de matériel d’enregistrement haut de gamme, expliquant au vendeur qu’il souhaite enregistrer des chants religieux. Il règle la facture en espèce et avec un crédit contracté au nom de sa mère. A en croire Philippe Cohen-Grillet, l’auteur de Nos années de Plomb, la surveillance le concernant était plus que laxiste : « Rien de délictuel à apprécier la Haute-Garonne, Toulouse et Artigat. Sauf que Fabien Clain, soumis à une mise à l’épreuve de sa libération, était interdit de séjour dans ce département, comme dans vingt autres. Les derniers souvenirs des anciens potes sont précis, car très récents, et n’en sont que plus glaçants. « C’était un secret de Polichinelle que les Clain vivaient à Alençon et se baladaient. Il y ont encore beaucoup d’amis. Ce qui, aujourd’hui, me paraît dingue, c’est que je les ai encore vus début mars 201510« , affirme l’un de mes interlocuteurs ». Mieux : il logeait même « dans un appartement appartenant à la municipalité. » Le 9 mars, il prend à son tour la route du Levant, rejoint deux mois plus tard par sa femmes et ses enfants qui lors d’une première tentative ont été refoulés à la frontière turque.

Sur place, à Raqqa, ils se mettent au service de Daech en se spécialisant dans la propagande audiovisuelle, Fabien travaillant pour la radio al Bayane, Jean-Michel pour Ajnad11. Et le clan Clain se trouve entièrement reformé à Raqqa, avec les arrivées successives de tous les autres membres de la famille. Là encore l’émulation familiale joue à plein. Anne-Diana expliquera ainsi lors de son audition au procès des attentats qu’elle a tenté de partir en Syrie parce que c’était la seule à ne pas encore y être. La vie est belle à l’époque, si l’on peut dire, pour les frères Clain et leurs familles, les spécialistes du djihad médiatique percevant les plus hautes rémunérations, et bénéficiant donc des meilleures conditions de vie.

Le 14 novembre 2015, c’est par la voix de Jean-Michel Clain que l’EI revendique les attentats perpétrés la veille à Paris, sur Telegram, dans un fichier audio de cinq minutes ; et dans la vidéo de 17 minutes intitulée « Just terror », publiée en janvier 2016 à la gloire des terroristes, c’est Jean-Michel qui chante les anasheed, et Fabien qui lit le communiqué de revendication.

La vie devient cependant plus difficile pour la famille Clain qui doit se replier au fur et à mesure de l’avancée de la coalition internationale contre l’EI, massivement bombardé depuis le ciel, et harcelé au sol par les supplétifs kurdes des Forces Démocratiques Syriennes (FDS).

En juin 2018, les deux frères font l’objet d’un mandat d’arrêt international, et le 28 décembre de cette année, Fabien diffuse pour la dernière fois un message audio sur la radio al Bayane.

Suivant les derniers fidèles le l’EI dans la dernière poche tenue par l’organisation au Levant, la ville de Baghouz, située le long de l’Euphrate, à la frontière syro-irakienne, Fabien et Jean-Michel sont tués à quelques jours d’intervalle. Cette mort est officialisée fin février par la coalition internationale, puis par Abou Bakr el Baghdadi en personne le 15 mars 2019. Leur sœur Anne-Diana informera lors de son audition au procès des attentats qu’en tout sept membres de sa famille ont péri au Levant, dont la matriarche. Les deux épouses des frères Clain, Mylène et Dorothée, croupissent actuellement, avec leurs enfants encore vivants, dans les camps de réfugiés du nord de la Syrie tenus par les FDS, où les conditions de vie sont extrêmement difficiles.

A l’occasion du verdict, malgré la certitude quasi complète de leur mort, Fabien et Jean-Michel Clain sont tout de même, en absence de preuve formelle et définitive de leur mort, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.

1« Fabien Clain qui a revendiqué les attentats du 13 novembre est né à Alençon », Ouest France, 17/11/2015

2« Terrorisme, la sœur aînée des frères Clain condamnée à 9 ans de prison en appel », Sarah Ugolini, Rtl.fr, 15/,9/2020

3 Le jihadisme français, p. 59

4 « De Toulouse à la Syrie : Fabien Clain, le parrain djihadiste, qui a revendiqué les attentats », Doan Bui, nouvelobs.com, 18/11/2015

5 Le jihadisme français, p.60

6 Ce n’est pas le sujet du présent ouvrage que d’entrer dans le détail de la filière d’Artigat et des liens qui unissaient certaines de ses figures majeures. Il ne me semble toutefois pas inutile de citer en note cet extrait de l’article fouillé de Doan Bui pour le nouvelobs.com, qui a fourni nombre des touches de ce portrait de Fabien Clain : « A 37 ans, Fabien Clain, l’homme qui a revendiqué les attentats du vendredi 13 novembre au nom de Daech, est un vétéran du djihad. Dans les années 2000, il était déjà le cerveau d’une filière chargée d’acheminer des combattants en Irak. Son nom : « la filière d’Artigat », du nom de ce petit village de l’Ariège où se sont retrouvés toute une galaxie de jeunes radicalisés. Et où Mohamed Merah, lui aussi, s’initia à la religion. Olivier Corel, l’éminence religieuse d’Artigat, n’a jamais été emprisonné, n’ayant jamais explicitement appelé au djihad. Ce n’est pas le cas de Fabien Clain. D’ailleurs, pour les enquêteurs, le groupe des djihadistes toulousains, la filière d’Artigat, a longtemps été désigné comme « Groupe Clain ». Fabien Clain est à l’intersection de tout. L’affaire Merah, d’abord. Le tueur au scooter a été embrigadé religieusement par son grand-frère Abdelkader. Mais aussi et surtout par Sabri Essid (qui deviendra leur demi-frère, son père ayant épousé en secondes noces la mère des Merah). Mais qui a été le guide en religion de Sabri Essid ? Fabien Clain, un converti de sept ans son aîné, d’origine réunionnaise, qui se fait appeler Omar. En 2008, Sabri Essid expliquait ainsi aux policiers : « J’ai rencontré Omar quand j’avais 16 ans. Il a eu une grande influence religieuse sur moi. » »

7 « Chez « l’émir blanc », à Artigat, plaque tournante du djihadisme », Philippe Cohen-Grillet et Jacques Duplessy, Paris Match, 12/01/2018

8 Le jihadisme en France, p.87

9 Nos années de plomb, p. 35

10 Nos années de plomb, p. 205

11 « Syrie : l’EI confirme la mort des frères Clain, jihadistes français », L’Orient le jour avec AFP, 15/03/2019

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