La Covid-19 au prisme de Molière (3/3)

Première partie : Molière dans le texte

Deuxième partie : Orgons et Tartuffes au XXIème siècle

Troisième partie : De Molière à Charlie Hebdo et de Louis XIV à Emmanuel Macron

L’homme est un animal rationalisant

Le propre de l’homme n’est pas d’être un animal rationnel mais un animal rationalisant. Si c’était la pure logique qui régnait en maître dans tous les esprits, les médias et le gouvernement auraient atteint une crédibilité proche de zéro dès le début du mois d’avril, et une ribambelle de têtes seraient tombées au plus haut niveau. Le bon sens est peut-être « la chose du monde la mieux partagée », disait Descartes, mais La Fontaine avait aussi raison : « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour le mensonge ». Plus récemment, San Antonio, lui aussi ami des bêtes, avait cette image : « Les humains, ce sont des mulets pensants. Plus vous essayez de vaincre leur entêtement, plus ils se butent ». La tendance rationalisante de l’homme se révèle quand il se trouve placé face à une dissonance cognitive, c’est-à-dire une situation où ce qu’il perçoit entre en contradiction radicale avec ses convictions. Le phénomène a été nommé et étudié par Léon Festinger dans L’échec d’une prophétie : le gourou d’une secte avait annoncé à ses adeptes que la fin du monde aurait lieu tel jour et à telle heure, et les avait invités à assister tous ensemble au spectacle depuis le sommet d’une colline, en leur assurant qu’ils seraient les seuls à être sauvés in extremis par des extra-terrestres venus depuis la planète Clarion dans une soucoupe volante. L’heureux événement tardant à se produire, les adeptes entrèrent en patience, et pendant de longues heures défièrent, les yeux rivés sur l’horloge, l’échec de la prophétie. Cependant, de son côté, le gourou qui était une femme répondant au nom de Marian Keech cogitait ferme, et la solution lui vint opportunément par un message des extra-terrestres dicté au cours d’une soudaine transe d’écriture automatique : Eu égard à la sagesse et l’amour manifestés par ces quelques élus qui avaient daigné entendre le message, Dieu avait décidé de sauver la Terre et l’Humanité de la destruction. Immensément soulagés et le cœur gonflé d’allégresse, tous les fidèles alors redescendirent de leur colline, et loin de remettre en question les talents du devin qui les avait envoûtés, se mirent à répandre la bonne nouvelle avec un prosélytisme décomplexé, et purent ainsi, comme si de rien n’avait été, reprendre le cours de leur onirique existence.

« L’échec d’une prophétie », l’ouvrage fondateur des études sur la dissonance cognitive (titre original : When Prophecy Fails), 1956, Leon Festinger, Henry Riecken, Stanley Schachter

Dans une situation plus ordinaire et banale, le gourou n’a même pas besoin d’intervenir pour que l’adepte lâché à l’envers retombe sur ses pattes. Sa dépendance à l’omniscience et l’autorité est telle, que, placé face aux plus flagrantes contradictions, son intellect inconsciemment lui fournit des explications toutes faites pour ne pas voir ce qui pourtant crève les yeux. C’est ce que nous montre Madame Pernelle quand son fils Orgon lui révèle qu’il vient de surprendre de ses propres yeux Tartuffe tenter d’obtenir de sa femme Elmire les dernières faveurs : plus Orgon lui fournit d’accablants détails, plus elle s’enlise dans des ratiocinations déconnectées de toute réalité (Cf première partie).

C’est ainsi, pour revenir à notre sujet, que beaucoup de ceux qui vivent quotidiennement l’œil rivé au petit écran, et l’oreille collée aux enceintes de la radio – la mauvaise habitude ayant été renforcée par l’isolement forcé depuis des mois –, se sont aisément contentés des grossiers rafistolages des tartuffes de la pandémie, quand ceux-ci se sont retrouvés nez à nez avec leurs mensonges et contradictions. Nous en avons déjà vu quelques exemples en parcourant les prises de position de certains experts/médecins. Ce fut particulièrement lumineux quand il leur fallut s’expliquer devant la commission d’enquête parlementaire en juin, puis sénatoriale en septembre, dont tous les membres n’avaient pas avec eux les mêmes relations symbiotiques que celles qui les unissent aux tendeurs de micros dans l’écosystème médiatique ((Il y a tout de même lieu de croire que certaines cervelles ont été portées à un très haut degré d’ébullition. Pour en donner une idée, voici la teneur du coup de gueule poussé le 30 juin par Jean-Christophe Lagarde, député et président de l’UDI, président en 2010 de la « Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée, la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1) », après l’audition d’Agnès Buzyn : « Je n’ai pas l’habitude de pousser un coup de gueule. J’ai beaucoup de respect pour Mme Buzyn, mais là je sors de son audition à l’assemblée nationale, consterné, atterré, et même révolté. Elle vient de nous raconter, après le directeur générale de la santé, M. Salomon, celui qui a compté nos morts jour après jour pendant le confinement, et refusé de répondre aux questions qu’on lui posait, elle vient de refuser de répondre à tout un tas de questions. Elle vient de nous raconter qu’on a tout anticipé par rapport aux autres, on a tout prévu, on a tout bien fait, et si on a quatre fois plus de morts qu’en Allemagne, c’est le fruit du hasard, si ils avaient des masques dans beaucoup d’autres pays, et pas nous, c’est le fruit du hasard, si il y avait des tests, et ils ont pu beaucoup tester et limiter l’épidémie, c’est la faute à personne si on a subi une telle catastrophe. Enfin, avec une telle incapacité à se remettre en question, on s’étonne pas que le pays ait été à ce point dans la merde et que on ait subi une telle catastrophe. (…) Le comble c’est qu’on a appris depuis longtemps que c’est Mr Salomon qui alerte le président de la République pour lui dire « on n’est pas prêts à faire face à une épidémie ». Il devient directeur général de la santé en 2018, on voit que pendant deux ans, il y a une doctrine qui prévoit d’avoir un milliard de masques, on découvre qu’il y a 600 millions de masques qui sont périmés, qu’on ne peut pas utiliser, et on en rachète deux fois cinquante millions. Est-ce que vous assumez madame que vous et le directeur général de la santé, vous avez décidé, sans doute pour des raisons budgétaires, de faire en sorte que la France soit dépourvue, pur protéger les Français, pendant 3, 4, 5 ans, en commandant 50 millions de masques… et d’ailleurs c’est pour ça qu’on nous a expliqué que les masques n’étaient pas nécessaires, qu’on ne savait pas s’en servir. (…) Des exercices contre les épidémies devaient avoir lieu régulièrement. Je pose la question : « est-ce qu’ils ont eu lieu pendant votre ministère pendant trois ans… pas de réponse ! Et alors elle conclut par un truc extraordinaire, et là je cite : « On ne pouvait pas s’attendre à une telle crise car elle peut arriver tous les jours. » (…) Je trouve que la commission d’enquête tourne mal parce qu’on se fout de nous, on se fout de nous ! J’espère que la travail sera fait plus sérieusement par d’autres commissions d’enquête, notamment au sénat, et qu’ils aillent au bout des questions, et qu’enfin les gens qui étaient responsables en charge de nous protéger, qui aujourd’hui à déplorer 30 000 morts, et sans doute d’autres difficultés, et la montagne de crise économique que nous avons devant nous, j’espère que ces gens-là vont finir par répondre aux questions, et comme ils ne le font pas à l’assemblée nationale, je souhaiterais au moins qu’ils puissent le faire au Sénat. (…) Y en a marre de gens qui ont des responsabilités et qui finalement, non seulement ne les assument pas, mais ne répondent pas aux questions pour éviter que ça se reproduise. C’est sûr qu’avec des gens qui se remettent aussi peu en question, il y a peu de chances qu’on soit protégés un jour. »)) !

Comme il ne s’agissait que d’une commission d’enquête de complaisance, et non d’une enquête judiciaire sérieuse dans le cadre d’une accusation pour mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire, avec à la clé privation définitive des droits civiques et de très lourdes peines de prison ferme, eu égard aux dizaines de milliers de morts et de faillites qui auraient pu être évitées, tous les responsables de premier plan ont pu s’en tirer à très bon compte, en ne répondant pas aux questions, en répondant à côté, en inondant de chiffres hors sujet, en inondant de mots quand il s’agissait de répondre par des chiffres, et parfois avec le sourire de l’autosatisfaction et en donnant l’impression de mener crânement les débats face à une assemblée d’écoliers craintifs – la spécialité du Directeur général de la santé en personne, Jérôme Salomon. Penchons-nous un peu sur ce merveilleux cas d’école, qui n’a rien à envier à celui du gourou Marian Keech. Après la Diafoira Karine Lacombe, le Tartuffe M. Salomon.

Quelques éléments succincts de biographie pour commencer : Jérôme Salomon est le descendant en ligne directe du célèbre capitaine Alfred Dreyfus (( Extrait du portrait de Jérôme Salomon fait par Décisions et Stratégie Santé(propriété de Gérard Kouchner, le frère de l’homme politique), à l’occasion de sa nomination en 2018 au poste de Directeur Général de la Santé, cité dans l’émission de Faits&Documents du 2 avril 2020 : « Les patrons d’administration centrale sont le plus souvent sans histoire. Ce n’est pas exactement le cas pour Jérôme Salomon, âhé de 48 ans à la tête de la DGS. Enfi, il doit se construire son fil généalogique avec le tissu décousu d’une histoire personnelle secouée par le drame de la Shoah et de l’affaire Dreyfus. « J’ai pu ainsi entendre comment le 4 juin 1908, lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon, on a tiré sur le capitaine Dreyfus. Le plus terrible, c’est que le tireur lors de son procès a été acquitté. » Cette mémoire familiale est aussi habitée par le souvenir de grands savants. Le docteur Pierre-Paul Levi est l’un des découvreurs du vaccin contre la dyphtérie. » Commentaire de Xavier Poussard : « Je rappelle que le docteur Jérôme Salomon est né le 26 avril 1969, ça veut dire qu’il se vit en contemporain du capitaine Dreyfus, lequel est en fait son arrière-arrière grand-père, donc (…) ça veut dire que là on est dans un besoin de réparation de la mémoire de cet aïeul, dont il se sent contemporain, et acquitté par qui ? Par la justice française. Donc c’est quelqu’un qui est dans un ressentiment par rapport à la France. Là il y a un vrai problème : est-ce qu’on peut confier notre santé à quelqu’un qui a à ce point-là un compteà régler avec la France. La santé des Français est entre les mains d’un individu qui a des comptes à régler avec la France. » )) – comme le président du Conseil d’État Bernard Stirn qui a fait interdire, in extremis et en tordant le droit ((Nous renvoyons à une interviou de Jack Lang dans le Monde du 16 janvier 2014 intitulée : « Jack Lang sur l’affaire Dieudonné : « La décision du Conseil d’Etat est une profonde régression » ». Extraits : « je ressens une profonde amertume, je dirais même un goût de cendre en raison de l’atteinte partielle portée à une conception de l’État de droit par le Conseil d’État. »/ « Dans cette affaire, l’émotion, la colère et la révolte contre l’infamie ont fait vaciller les meilleurs esprits. Sous prétexte que les autorités judiciaires n’étaient pas parvenues à faire rendre gorge à Dieudonné, on a voulu donner à la police administrative un pouvoir de répression morale et pénale qu’elle ne détient pas. »/ Aucun élément sérieux ne donnait à penser que la menace était irrésistible. Le Conseil d’État aurait donc dû, sur ce point, donner raison au tribunal administratif de Nantes. Plus grave encore, en évoquant l’atteinte à la dignité humaine, il a fragilisé sa décision en mettant en balance la liberté d’expression avec un autre principe, le respect de la dignité de la personne humaine, qui peut faire penser que, désormais, un ordre public moral s’ajoute à l’ordre public matériel. »/ [Ce qui me choque?] : « Deux choses majeures. D’abord, la confusion entre deux ordres juridictionnels, l’ordre administratif et l’ordre judiciaire. Par exemple, le principe constitutionnel de dignité ne regarde en rien la police administrative. Sa protection relève du juge judiciaire, du législateur et éventuellement du Conseil constitutionnel. La seconde chose qui me choque, c’est que cette ordonnance marque un retournement de jurisprudence. Par rapport à l’histoire du Conseil d’État qui a toujours été un gardien vigilant des libertés, c’est un vrai bouleversement, une profonde régression qui tend à instaurer une sorte de régime préventif, voire de censure morale préalable à la liberté d’expression. La boîte de Pandore aux dérives et aux abus est ouverte. »/ « La justice administrative n’a pas à se substituer à l’institution judiciaire. Ce n’est pas par des interdits mal fondés juridiquement qu’on s’attaque à la racine du mal. Certes, on met provisoirement fin au spectacle de Dieudonné, mais ça ne change rien à la gravité du fléau raciste. C’est sur le terreau social, scolaire et territorial qu’il faut agir. Je ne pense pas que l’on s’attaque au racisme en tordant le droit. Militant antiraciste depuis toujours, je rêve que les pouvoirs publics inventent une politique radicalement nouvelle de la ville et de la citoyenneté. »)), le spectacle de Dieudonné à Nantes en janvier 2014 –. Proche de Bernard Kouchner, conseiller chargé de la sécurité sanitaire auprès de la ministre de la santé Marisol Tourraine de 2013 à 2015, conseiller santé d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, il a été nommé Directeur général de la santé le 8 janvier 2018 par la ministre de la santé Agnès Buzyn. Inconnu du grand public, son visage devient familier des Français pendant la crise sanitaire, qui l’a vu animer un point presse quotidien où il annonçait, pour rassurer la population, le bilan quotidien des morts de la Covid-19 et des malades en réanimation. Très présent dans les médias, occupant une position clé dans la mise au point de la politique sanitaire du gouvernement, il a commis une série d’erreurs impardonnables et lourdes de conséquences dramatiques. De nombreuses questions précises et très dérangeantes lui ont été posées pendant quatre heures le 22 avril par les commissionnaires, dont il a su esquiver les lignes d’hameçons avec une rouerie consommée – lignes il est vraies tenues par des pêcheurs ignorants de la signification qu’il faut prêter à un bouchon qui s’enfonce.

Sur une audition aussi longue, toutefois, même à une anguille aussi souple et huileuse que lui il a pu arriver d’avoir son moment d’égarement révélateur : ainsi quand le député LR Damien Abad lui demande s’il regrette d’avoir publiquement affirmé le 4 mars que « les masques n’ont aucun intérêt pour le grand public » ? celui-ci répond : « Comme disait Voltaire, il a été repris souvent depuis, avant de savoir, on ne sait pas. Nous avons toujours suivi les recommandations internationales et fait état avec humilité de ce que nous ne savions pas et parfois en toute transparence, de ce que nous savions. » Le lendemain de cette audition, les médias, pourtant peu avares de louanges en ce genre de circonstances, ont été unanimes pour pointer le caractère fuyant, louvoyant, élusif, jargonneux, de son intervention, et tous ont relevé cette saillie extraordinaire.

Si l’on ne prend pas de pincettes, les charges sont en effet accablantes : Jérôme Salomon était le premier au courant qu’en cas de crise sanitaire grave il n’y aurait pas de stocks stratégiques de masques suffisants, or il a prétendu le contraire à la face de tous les Français ((Le 26 février, Jérôme Salomon déclare : « Santé publique France détient des stocks stratégiques importants de masques chirurgicaux. Nous n’avons pas d’inquiétude sur ce plan. Il n’y a donc pas de pénurie à redouter. » Philippe Douste-Blazy dans Maladie française : « Lors de son passage devant la commission d’enquête, le 17 juin 2020, François Bourdillon, ancien directeur général de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France, relate un épisode déterminant sur la gestion de l’épidémie. Il révèle avoir adressé un courrier d’alerte en septembre 2018 au directeur général de la santé, dans lequel il demandait des instructions sur le fait que 600 millions de masques du stock d’État (sur un total de 700 millions) étaient désormais non conformes. Il reçut le mois suivant une note l’informant que le directeur générale de la santé souhaitait la « destruction » des masques inutilisables ainsi qu’une commande de « 50 millions de masques, voire de 100 millions si les moyens financiers le permettaient ». Ce la signifiait donc que moins d’un masque sur dix serait remplacé. Lors de ses réponses aux députés, François Bourdillon a reconnu que cette situation découlait en partie des impératifs de coupes budgétaires, confiant qu’il avait lui-même été contraint de réduire 10 % des effectifs de Santé publique France, alors qu’une autre réduction avait déjà eu lieu u cours des année précédentes. Bilan : en dix ans, l’agence de sécurité sanitaire avait été privée de 20 % de son personnel ! Qui sème le vent… » (Douste-Blazy, op cit, p. 93))) ; il avait forcément en mémoire, qu’en dépit de cette carence, en février, des stocks de masques venaient d’être envoyés en Chine alors que la France n’en disposait qu’en quantités faméliques ((« Quelques jours après la démission d’Agnès Buzyn, les Français apprennent par les médias que le gouvernement a envoyé par avion 17 tonnes de matériel médical à la Chine pour aider le personnel soignant local à lutter contre l’épidémie de Wuhan. Quel type de matériel ? Des combinaisons de protection, des produits désinfectants, des gants… et des masques ! Ce que les Français ignorent encore à ce stade, c’est que notre pays ne dispose plus que d’un stock réduit de masques. » (Douste-Blazy, op cit, p.40) « Avant de nous quitter, la ministre de la santé Agnès Buzyn prend deux mesures phares, confirmées par son successeur Olivier Véran quand il arrive le 17 février : il envoie à l’étranger les derniers masques qui nous restent, c’est déjà très fort, mais, et c’est encore plus fort, il ramène le virus en France, à bord des avions de l’armée de l’air. C’est l’un des aspects les plus méconnus de la crise sanitaire qui nous a frappés. Un communiqué du Quai d’Orsay annonce, en effet, qu’un Airbus A340, affrété par la France, a bien envoyé en Chine 17 tonnes de matériel médical. Quelques jours plus tard, on apprend, notamment dans un article du point en date du 29 février, que le foyer épidémique de l’Oise est parti de la base aérienne de Creil. Parce que les dizaines de personnes, militaires et civils, qui ont participé au rapatriement des Français vivant à Wuhan, n’ont pas été confinées à leur retour. » (Christian Perronne, p. 19) )) ; il se souvenait forcément de ne pas s’être élevé contre la fermeture de la dernière unité de production de masques française en mai 2018 ((En mai 2018, la dernière usine de fabrications de masques, située à Plaintel, dans les Côtes d’Armor, possédée par Honeywell Safety Products ferme ses portes. L’usine fabriquait des masques respiratoires jetables depuis 44 ans. En septembre 2010, le site comptait 300 salariés. Huit plans sociaux s’étaient succédé depuis. Il ne restait plus que 38 emplois. L’unité de production est délocalisée en Tunisie. Selon les syndicats, les profits du groupe Honeywell ont doublé pendant cette période.)) ; c’est lui qui a signé en toute connaissance de cause l’arrêté interdisant sans motif clair la prescription de l’hydroxychloroquine le 13 janvier ; qui a affirmé avec force que les masques ne servaient à rien pour dire trois semaines plus tard que tout le monde devait en porter ((Le 4 mars, face à Bruce Toussaint : « les masques n’ont aucun intérêt pour le grand public. » ; le 17 mars, lors de son point presse quotidien : « Ne portez pas des masques.Les masques sont uniquement pour les malades, pour les transports sanitaires, pour les secours aux personnes et pour les soignants. Ces masques sont mal portés, mal utilisés, ils manquent aux soignants. Ne portez pas des masques, soyez solidaires avec nos soignants qui se battent au quotidien« )); qui a défendu pendant longtemps que les tests ne servaient à rien alors que ce sont les pays qui ont entrepris massivement et précocement des dépistages massifs – l’Allemagne pour prendre le meilleur exemple – qui s’en sont sortis avec le meilleur bilan ((Le 4 mars, face à Bruce Toussaint : « ça n’a absolument aucun intérêt car vous pouvez être négatif ce soir et être positif demain, (…) on peut tester beaucoup de gens en France aujourd’hui il n’y a pas de problème de capacité, il y a un problème d’indications, tester tout le monde n’a pas beaucoup de sens. Tester autour de cas groupés, tester dans un établissement de santé, tester dans une maison de retraite a un véritable intérêt. »)) ; qui a mis trois semaines – une éternité dans une « guerre » –, à la fin du mois de mars, pour suspendre la norme interdisant aux biologistes vétérinaires de traiter des prélèvements humains pour les tester massivement par PCR ((Le 16 mars, les présidents de conseils départementaux et les fournisseurs des laboratoires départementaux d’analyse, destinés habituellement aux filières agricoles et viticoles, indiquent au directeur général de la santé Jérôme Salomon disposer d’un stock suffisant de réactifs pour réaliser 150 000 à 300 000 tests de dépistage du SARS-Cov-2 du Covid-19 par semaine. La suspension de la norme interdisant aux biologistes vétérinaires de traiter des prélèvements émanant d’un corps humain n’intervient toutefois que le 7 avril.)). C’est bien sous la pression des soignants qu’il a enfin consenti à intégrer le détail des morts en Ehpad dans son macabre point presse quotidien à partir du 2 avril ((Cf Jérôme Marty, le scandale des soignants contaminés.)), et c’est par pur opportunisme qu’il s’est abrité sous la nécessité de préserver le secret médical – la déontologie !– pour refuser jusqu’à aujourd’hui de donner le bilan exact des soignants morts sur le front de la Covid (( Le 8 avril, l’UFMLS, lance une pétition pour obtenir du DGS le nombre de soignants contaminés par le coronavirus, signée par 11500 soignants, suivie deux jours plus tard d’une lettre ouverte de son président Jérôme Marty: « Professeur Salomon, vous pensez cacher ce chiffre combien de temps ? Vous pensez que nous allons nous taire ? Vous pensez que nous allons laisser les soignants tomber sans rien dire ? Vous avez masqué le manque de masques. Vous avez justifié le port de matériel inadapté, etc. [litanie]«  commentaire de Jérôme Marty dans son ouvrage p 201: « Bien sûr –et je ne me fais aucune illusion à ce sujet– cette lettre restera sans réponse… A cet engagement le gouvernement répond le jeudi 16 avril par l’annonce … d’une prime ! Le prix du danger sans doute ? 500 à 1500 euros suivant le degré d’engagement de nos consœurs et confrères hospitaliers… Et rien du tout pour la médecine de ville. A cette date, 14 soignants sont déjà décédés du coronavirus, dont la moitié de médecins libéraux ! »)). Jérôme Marty a sans doute résumé l’indignation de tous les soignants quand il a explosé le 23 avril : « je suis médecin, et je me demande parfois si M. Salomon l’est. Le Salomon du 23 avril n’est pas le Salomon du 22 qui n’est pas celui du 15, qui n’est pas celui de mars, qui n’est pas celui de février. Ça va à un moment ! Il nous dit tout et son contraire avec le même aplomb, le même dédain, presque. C’est un général qui n’a pas su armer ses troupes. C’est un général qui a envoyé ses troupes combattre un virus à poil, comme se sont trouvés les soldats français en 14. C’est délirant cette histoire ! On a véritablement un chef qui a menti, faut dire les choses quand même à un moment, qui a menti, il n’y pas d’autre mot, par omission ou réellement, de façon volontaire. (…) donc à un moment M. Salomon il démissionne, et il a l’honneur de démissionner, si il lui en reste un peu. Mais on ne peut pas le reconnaître nous… Il n’y a même pas de soit et soit. Il démissionne… ça suffit, franchement la profession n’en peut plus. Je vous le dis parce que l’immense majorité des médecins et des soignants n’en peut plus de ce pantomime. On n’en peut plus de ce numéro de risque qu’il nous fait tous les soirs, de capitaine Constate où il nous dit tant de décès, tant d’entrées dans les hospitalisations, tant de sorties, ce qui n’a strictement aucune valeur épidémiologique, rien. »

Deux mois plus tard, aggravant son cas, le directeur général de la santé Jérôme Salomon a outrageusement menti, d’une façon ou d’une autre, sur tous les points, devant les commissionnaires. Et précisons, puisque nous ne sommes pas à une escroquerie près, que la citation de Voltaire n’existe pas ! Et existerait-elle qu’elle ne saurait s’appliquer qu’à des marins d’eau douce surpris de découvrir que dans la mer on rencontre des écueils, et que c’est pour les signaler et non pour faire joli sur les cartes postales que servent certains phares. Si une équipe d’enquêteurs dédiée à cette affaire tombait sur un tel suspect, au début d’une investigation, l’une de ses premières décisions serait sans doute de le placer derechef en détention provisoire. Or non seulement un tel étalage d’incurie, pointé par les médias eux-mêmes ! n’a entraîné aucune démission, sanction, pas même un commencement de remise en cause, mais début août, Jérôme Salomon a fait son grand retour quand la « seconde vague » est enfin arrivée, pour son point presse quotidien dans son costume de croque-morts rappelant le personnage des aventures de Lucky Luke, mais certains médias ont même osé expliquer que les Français avaient besoin en ces temps troublés d’avoir une figure familière et paternelle à laquelle se rattacher pour se rassurer ! L’inconcevable dissonance entre un tel niveau de compromission et l’aura d’indiscutabilité conférée par son éminente position, a certainement empêché la majorité des orgonisés de passer de la docilité béate à la sainte indignation. En plus de dissonance cognitive collective, nous pourrions également parler, en suivant l’excellent Alexis Cossette, de Radio Québec, de syndrome de Stockholm : quand un groupe d’otages a passé trop de temps en compagnie de terroristes qui les retiennent sous la menace de la mort, ils peuvent entrer en empathie avec eux et en venir à prendre leur parti !

le croque-morts dans Lucky Luke (source: collector bd.com)

Les effets des croyances collectives longtemps partagées

Parmi les objections qu’Argan fait à son frère, dans Le malade imaginaire en figure une d’apparence redoutable : « Vous ne croyez donc point à la médecine? » qu’il renforce ainsi à la réplique suivante : « Quoi vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée? » Je renvoie à la première partie pour l’ensemble du débat. De même que jadis, pendant cette longue suite de siècles où la France s’est patiemment construite, roi après roi, pierre après pierre, région après région, il était tenu pour indubitable par tous les Français ou presque que le salut de leur âme dépendait de l’intercession des prêtres, de la tutelle de l’Église, au moins de l’adhésion et du suivi de l’enseignement de Jésus Christ et de Saint-Paul, depuis quelques décennies, il est tenu pour peu douteux par beaucoup que l’accès à une information fiable, complète, diversifiée, touchant à tous les sujets, dépend de l’intercession des journalistes, de la tutelle des grands quotidiens et des chaînes de radio et de télévision, et de l’adhésion et du suivi des « valeurs de la République », dont la liste hétéroclite et de plus en plus loufoque n’a jamais cessé de s’enrichir depuis deux siècles : la laïcité, le féminisme, le charlisme ((Nous employons ici le néologisme de « charlisme », en prenant pour modèle des mots comme « communisme », « bouddhisme », « marxisme », « christianisme », au sens de corpus de valeurs sociétalement « progressistes » auxquelles on adhère inconditionnellement comme le fidèle d’une religion. Peut être considéré comme « charliste » toute personne qui s’est sentie Charlie ou a fait sien et continue aujourd’hui de faire sien le slogan « Je suis Charlie » depuis janvier 2015, exactement comme d’autres pourraient dire « je suis chrétien » ou « je suis communiste ».)), le droit-de-l’hommisme, l’homosexualisme, l’antiracisme, le devoir de bombarder démocratiquement les « dictatures », la liberté dont chacun était privé avant 1800, l’égalité dont les rois Capétiens nous avaient spolié pendant plus de mille ans, la fraternité dont la cène annuelle du CRIF est le symbole, l’acceptation de l’immigration de masse comme un don du ciel, le remplacement de Rome par Auschwitz comme Ville Sainte ((parmi d’innombrables déclarations publiques allant dans ce sens, contentons-nous de citer l’ancien Premier ministre manuel Valls qui a déclaré en février 2014, le regard complètement possédé : « La choa, l’extermination des Juifs, doivent être sacralisés, sacrés »)) et centre de pèlerinage (( Le terme de « pélerinage » est très fréquemment employé pour évoquer le voyage à Auschwitz, même quand il s’agit du pape lui-même ! Quelques exemples de formulations typiques : 1) « Alors que, vendredi 29 juillet, le pape François fait mémoire de « toutes les victimes de la haine et de la folie humaine » aux camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, plusieurs milliers de JMjistes parisiens y ont accompli un pèlerinage en silence, lundi 25, sous la forme d’un long chemin de croix. » (2016) 2) «Le site d’Auschwitz-Birkenau, symbole de l’Holocauste, où plus d’un million de juifs ont été exterminés pendant la Deuxième Guerre mondiale, est devenu un lieu de pèlerinage. La construction d’un carmel sur ce lieu symbolique avait déjà suscité il y a quelques années un profond conflit entre la communauté juive et les autorités polonaises. » (1996) 3) « Cette invocation de la miséricorde qui est le thème du pèlerinage du pape François en Pologne, avec les jeunes du monde entier pour la JMJ de Cracovie 2016, a jailli sur le lieu de l’horreur nazie. La miséricorde dont on parle chaque jour de cette Année jubilaire et dans le sillage de Jean-Paul II ne serait-elle pas que de l’eau de rose si on n’y puisait aussi la force de surmonter les tragédies du XXe siècle et les tragédies – écologiques ou terroristes – de ce millénaire qui commence et y mettre fin : « jamais plus », disait le silence du pape. » 4) « Malheureusement, bon nombre de visiteurs considèrent Auschwitz comme une attraction touristique classique : ils ne viennent au musée que pour découvrir un lieu supplémentaire parmi ceux qu’il est « de bon ton » de visiter. D’autres s’y rendent pour comparer les connaissances acquises avec la réalité. Le groupe le plus important est celui des « pèlerins » qui viennent sur le site de l’ancien camp non seulement pour s’informer sur son histoire tragique, mais également pour témoigner du respect et de l’empathie aux victimes. » (2012) )). Que la croyance soit fondée ou non ne fait rien à l’affaire : une habitude prise en masse par tout un peuple pendant un très long temps, aussi absurde ou loufoque soit-elle, a un effet formatant d’une puissance quasi invincible sur les individus qui le composent, au point qu’il semble déraisonnable et condamnable d’avoir une opinion inverse. Quand le voyageur des États et Empires de la lune, de Cyrano de Bergerac, parvient à destination, il rencontre un peuple d’humains aux mœurs étranges qui le mettent en cage : « « Hé ! je vous prie (dis-je à mon Hôte, quand l’autre fut parti), de me dire pourquoi cet envoyé portait à la ceinture des parties honteuses de bronze ? » Ce que j’avais vu plusieurs fois pendant que j’étais en cage, sans l’avoir osé demander, parce que j’étais toujours environné de Filles de la Reine, que je craignais d’offenser si j’eusse en leur présence attiré l’entretien d’une matière si grasse. De sorte qu’il me répondit : « Les femelles ici, non plus que les mâles, ne sont pas assez ingrates pour rougir à la vue de celui qui les a forgées ; et les vierges n’ont pas honte d’aimer sur nous en mémoire de leur mère Nature, la seule chose qui porte son nom (( On usait alors couramment du mot « vit » pour désigner l’organe masculin dont la double-fonction est connue de tous. )) . Sachez donc que l’écharpe dont cet homme est honoré, et où pend pour médaille la figure d’un membre viril, est le symbole du gentilhomme, et la marque qui distingue le noble d’avec le roturier. » Ce paradoxe me sembla si extravagant, que je ne pus m’empêcher de rire. » Mais pour les hommes de la lune, cet usage est consacré par toute l’invincible force d’une coutume universellement partagée depuis des lustres : notre cervelle est ainsi faite qu’il n’est rien, absolument rien, dont on ne puisse finir par être convaincu, où dont on ne puisse douter malgré l’évidence. A ce titre il n’est pas anodin que Descartes, dans les Méditations métaphysiques, afin de démontrer l’existence de Dieu, ait jugé utile de commencer par s’efforcer de s’assurer de l’indubitabilité de sa propre existence ! De cette faille béante qui sépare le réel de l’intellect, Philip K. Dick a su tirer un extraordinaire principe romanesque avec des livres comme Ubik ou Le maître du haut château.

L’argument d’autorité qu’Orgon oppose à son frère s’applique encore mieux aux journalistes qu’aux médecins. La propagande médiatique a envahi et imprégné notre quotidien à un degré inégalé dans l’histoire de l’humanité, surpassant de loin celle des prêtres ou des médecins de toutes les époques. Comme les infortunés qui ont été élevés dans une secte, où chacun sans nulle exception est tenu de s’en remettre à la fantaisie intransigeante et totalitaire du gourou, de nombreux êtres humains non seulement révèrent le métier de journaliste, mais encore sont incapables d’imaginer un seul instant que ceux-ci puissent faire presque tous partie, de plein gré ou en désespoir de cause, au moins pour ceux qui sont en vue et ont le pouvoir de signer, d’une vaste machine dont la destinée cardinale est de les tromper pour leur malheur.

Et, ironie du sort, alors qu’au moins devrait-on concéder aux disciples de Jésus Christ que s’ils se trompaient, c’était de bonne foi et dans de bonnes intentions, les escrocs médiatiques trompent en toute connaissance de cause, animés par les plus noires intentions du monde et capables, pour étendre leur empire, de tous les artifices pervers et déloyaux que la Tradition, en tous temps et sous tous les cieux, a attribué au génie du Diable !

Les tartuffes modernes sont plus difficiles à démasquer

A ces effets de la croyance longtemps partagée, qui alourdit l’esprit jusqu’à le rendre aussi difficile à soulever qu’un corps plongé jusqu’au cou dans une boue épaisse, s’ajoute la particularité aggravante majeure, dans nos sociétés du spectacle permanent, qu’il est presque impossible de faire sortir l’envoûté de son hypnose par un de ces chocs adroitement administrés qui ramènent d’un coup à la lucidité dans les pièces de Molière. Argan peut découvrir la fausse sollicitude de sa femme en constatant son exultation quand Toinette lui conseille de faire le mort, Philaminte les véritables intentions de Trissotin quand Ariste révèle la fausse nouvelle de sa ruine, Orgon enfin l’envers ignoble de l’âme de Tartuffe en l’entendant et le voyant lutiner sa propre femme dans sa propre maison. Pour le médiomane, de telles occasions ne se rencontrent guère. Les participants aux émissions et les rédacteurs d’articles son triés sur le volet très en amont. Les oppositions sont toujours factices et sous contrôle, et quand elles sont réelles, c’est le plus souvent pour étaler des règlements de compte entre des concurrents de la même équipe se disputant les premières places. Quand une révélation est impossible à passer sous silence, demeure la ressource de la présenter de façon truquée en diabolisant ses promoteurs. La quasi totalité des émissions sont tournées à l’avance, les extraits gênants, dissonants, iconoclastes, étant soigneusement coupés au montage. J’ai eu la curiosité de participer au début des années 2000 à une série d’émissions dans le public et j’ai été sidéré de la différence entre la version brute et la version montée proposée au public. Je me souviens en particulier d’une émission de Franz-Olivier Giesbert où Arno Klarsfeld, célèbre fils de qui a fait son service militaire dans l’armée israélienne, avait violemment injurié avec des propos racistes et haineux un intellectuel arabe, lui balançant pour finir un verre d’eau à la figure. « Celui-là, sa carrière est finie, me suis-je naïvement dit alors en sortant des studios. Sa sortie va faire la une de tous les médias qui vont l’exhiber comme il se doit dans leur charrette ((C’était jadis la coutume d’exposer les condamnés à mort à la colère aveugle des foules bien en vue sur une charrette pendant le trajet menant de la prison au lieu de leur supplice. Cette coutume barbare, qui peut être considérée comme l’un des rituels de la Révolution Française, pendant laquelle, aux heures les plus terribles, elle était devenu un spectacle quotidien pour la populace. Elle fut remplacée par le plus humain « panier à salade » en 1832, qui dérobait à la vue du public le condamné, dont le jour de l’exécution était tenue secret, et l’heure déplacée de quatre heures de l’après-midi à six heures du matin. Cette coutume a été ces dernières décennies rétablies sous la forme de ce qu’on pourrait appeler le supplice de la charrette médiatique : celui qui est désigné comme coupable – avant tout jugement, ou après un procès truqué où il est impossible de se défendre dans des conditions honnêtes et loyales – est ostensiblement diabolisé dans tous les médias, de façon à bien faire connaître à tous son visage et susciter un rejet universel contre sa personne. La peine de mort quant à elle a été remplacée par d’incessantes persécutions judiciaires, financières et professionnelles, pour faire en quelque sorte mourir socialement le condamné, son infamie étant bruyamment rappelée à chaque fois qu’une occasion se présente. Aux USA, on parle de « Cancel Culture » (culture de l’annulation ou du bannissement). Dans une tribune publiée le 24 août 2020, 20 intellectuels de gauche français dénoncent naïvement son exportation en France, donnant l’impression de la découvrir : « La cancel culture consiste à essayer de détruire l’existence d’une personnalité dans le débat d’idées, dans la vie professionnelle, dans la vie sociale, et le cas échéant dans la vie académique ou artistique, au motif que ce qu’elle a dit ou fait est offensant du point de vue des « cancellistes ». Cela s’étend aussi aux idées et aux objets. Telle présentation des faits, par exemple dans un manuel d’histoire, décrétée offensante, c’est-à-dire mise à l’index, ne doit pas être débattue : elle doit être effacée. L’existence de telle statue, de telle plaque de rue, décrétée offensante, ne doit pas être débattue : elles doivent être déboulonnées. De fait, les cancellistes ne débattent pas : ils excommunient. »)). » Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant que l’extrait avait été entièrement coupé au montage ! J’ignorais à l’époque que certaines personnes bénéficiaient d’une quasi immunité qui les plaçait à l’abri de toute révélation fâcheuse et les protégeait en toutes circonstances, je ne soupçonnais pas non plus le degré d’ignominie abyssal où de nombreux présentateurs télé, celui-là en particulier, pouvaient hasarder sans crainte ni scrupule leur indestructible bathyscaphe. Et qu’est devenu Arno Klarsfled par la suite ? Loin de pâtir de ce « dérapage » – comme tant d’autres pour bien moins que cela, et sans l’avoir mérité ! – il est devenu membre du Conseil d’État en 2010 ((Selon Yvan Stepanovitch, auteur de Petits arrangements entre amis (Albin Michel, novembre 2020), « les deux tiers des conseillers d’État sont nommés par le président de la République, parmi les élèves arrivés dans le haut du classement de l’ENA. Le tiers restant peut être parachuté au poste de conseiller d’État par le président de façon discrétionnaire, à la seule condition d’avoir au moins 45 ans (ou au moins 30 ans et dix années dans la fonction publique). On appelle cela la nomination au tour extérieur. Les heureux élus n’affichent pas toujours une grande assiduité. C’est notamment le cas de l’avocat médiatique Arno Klarsfeld qui a participé à 117 arrêts du Conseil D’État en tant que rapporteur à la section du contentieux, de février 2011 à octobre 2019 (un peu plus d’un arrêt par mois) ainsi que de l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, Jeannette Bougrab (environ deux arrêts par mois entre 2008 et 2010). » En parallèle de cette lucrative sinécure rémunérée près de 10 000 euros par mois – et l’on imagine sans peine la nature des quelques affaires sur lesquelles il a daigné pencher son nez avec zèle –, Arno Klarsfeld a développé une lucrative activité d’entrepreneur et est devenu l’avocat le mieux payé de France, avec une fortune estimée à 145 millions d’euros.)) et de 2011 à 2013 président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ! Ça ne s’invente pas ! En 2020 M. Klarsfeld est toujours au Conseil d’État, qui n’a pas joué son rôle de gardien des libertés qui aurait dû être le sien pendant la crise sanitaire ((Selon Yvan Stepanovitch, « Chargé d’évaluer la solidité juridique des textes réglementaires, le Conseil d’État joue d’abord un rôle consultatif d’avocat conseil auprès du gouvernement, en examinant les projets de loi ou ordonnance avant leur passage en Conseil des ministres. Mais il est également la voie de recours (avec les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel) dont disposent les citoyens pour contester les décisions de l’administration en matière réglementaire, c’est-à-dire en ce qui concerne les décrets et les arrêtés, qu’il peut censurer. Son importance est donc capitale, mais la plupart des Français l’ignorent. La crise sanitaire représentait l’occasion pour le Conseil d’État d’endosser pleinement son rôle de gardien des libertés des Français, mais le moins que l’on puisse dire c’est que l’institution du Palais Royal n’a pas fait preuve d’une grande témérité. »/ « Fermeture des magasins non-essentiels, mise à disposition de masques pour les professionnels de santé, port obligatoire du masque dans la rue… Depuis le mois de mars, le Conseil d’Etat a été saisi d’une multitude de requêtes portant sur la légalité des décisions réglementaires édictées par le gouvernement pour faire face à la crise. Dans l’immense majorité des cas, il s’est contenté d’avaliser les textes et s’est donc montré particulièrement légitimiste. Il aurait pourtant eu l’opportunité d’exercer son pouvoir de censure à plusieurs reprises. Et d’apparaître comme un contre-pouvoir efficace aux yeux des Français. Mais il a courbé l’échine. Dans l’ADN de cette institution, il semble inscrit qu’il ne faut pas gêner le gouvernement. » On l’a en effet constaté à l’occasion de l’interdiction in extremis du spectacle de Dieudonné à Nantes en janvier 2014, interdiction dont Arno Klarsfeld s’est publiquement félicité dans les médias.)), bénéficiant par ailleurs d’une protection de complaisance permanente par des gardes du corps du SDLP, qui l’accompagnent notamment aux frais du contribuable jusque dans ses parties de tennis ((Stéphanie Marteau : « Chez les people et les politiques, avoir un garde du corps, c’est encore mieux qu’une rolex », nouvelobs.com, 18/05/2016. Extrait : « Pour d’autres, le bodyguard relève du pur confort, d’une prestation de service de luxe. C’est le cas, dit-on, de l’avocat médiatique Arno Klarsfeld : « Il est classé Uclat 4. On est, à ce stade, dans la mission de complaisance totale. Il nous appelle quand il a envie d’aller jouer au tennis, voilà… Tu es un service Uber!« , lâche un policier déprimé. » Sur le scandale des accompagnements de complaisance, nous renvoyons également à l’article de l’ancien commissaire divisionnaire Eric Stemmelen, et ancien membre du Service de Protection des Hautes Personnalités (SPHP), devenu en 2013 le Service De La Protection (SDLP), intitulé Charlie Hebdo : que d’erreurs !, et publié sur son blog de Mediapart le 6 janvier 2016.)).

Et quand un événement vraiment, vraiment gênant passe tout de même à l’antenne, qu’il est impossible d’atténuer, d’inverser, de truquer, il suffit, tout simplement, de passer brutalement à autre chose en allumant un contre-feu. Le moment d’égarement, bref dans tous les cas, est vite effacé par le déluge de stimuli distracteurs par lesquels on s’empresse de le recouvrir. Pour filer la comparaison avec le Tartuffe de Molière, le plus grand risque auquel s’expose la corporation journalistique, c’est du niveau de Damis surprenant l’imposteur faisant une déclaration d’amour à Elmire et révélant la chose à son père. Demeure toujours l’expédient, même dans un péril aussi grand, de donner le change avec un grand numéro de cinéma, dont l’effet pour Tartuffe est non pas de révéler à nu pour de bon son âme diabolique, mais de pousser le père à déshériter le fils à son profit ! A ce jeu-là c’est « face je gagne, pile tu perds ».

Il existe encore un autre bouclier, qui joue d’un défaut de la nature humaine : le public finit par s’habituer et tolérer de voir revenir encore et encore sur le devant de la scène, en histrions culottés et hâbleurs, ceux dont les vices et les mensonges ont été exposés en pleine lumière depuis des années. Comme un couple, à force de faiblesse, finit par cesser d’entendre le tintamarre incessant émis par son infernale marmaille, comme un professeur sans autorité qui continue de faire cours sans prêter attention à la dissipation générale, n’interrompant même plus les batailles de boulettes qui se déroulent sous ses yeux, le téléspectateur, à force de voir les faussaires intellectuels pris la main dans le sac, venir et revenir encore, finit par se convaincre que de tels écarts au fond ne sont pas si graves : si la personne est si coupable que cela, comment n’aurait-elle pas été punie comme il se doit, et comment pourrait-on continuer de l’inviter sur les plateaux comme si de rien n’avait été ? Qui n’a jamais péché jette la première pierre, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, et chacun sait qu’avant de savoir on ne sait pas. Bref, ce qui immanquablement scandaliserait un esprit vierge de toute influence des médias devient indécelable voire excusable quand on y a été exposé sans cesse et sans contre-exemple pendant des années. Les chercheurs en neurosciences ont analysé et nomme ce phénomène « dépression neuronale » ou « habituation neuronale » : à force de répétition d’un même stimulus sensoriel n’engendrant aucune ou de moins en moins de réaction de l’organisme, les neurones moteurs voient leur connectivité avec les neurones sensoriels régresser au point de limiter voire inhiber toute réaction. Le phénomène fonctionne aussi bien sur le court terme : quand par exemple on fixe du regard un point au milieu d’un cercle il finit par s’évanouir ; que sur le long terme : quand par exemple on tombe pour la première fois sur un humain sale en train de faire la manche on est choqué, mais à force de répétition le phénomène finit par sortir de l’espace conscient. Pour prendre un autre exemple facile, cette-fois ci utile pour le sujet de cette étude, et tellement emblématique : la présence obsédante et ininterrompue de Bernard-Henri Levy, nabab déguisé en philosophe, dans tous les médias et aux côtés de tous les présidents successifs, la promotion systématique de tous ses ouvrages dont l’audience est cliente et famélique, sa haine ((En 1985, dans le magazine Globe, Bernard-Henri Levy déclarait sans complexe : « Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref, « franchouillard » ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. » gageant que de nombreux Français orgonisés ne peuvent plus être choqués par une telle phrase, antisémitisons-là pour voir ce que cela donne : « Bien sûr, nous sommes résolument Français. Bien sûr, tout ce qui est « Terre Promise », kippa, papillotes, bar-mitzvah, bref, « youpin » ou sioniste, nous est étranger, voire odieux. » La première phrase est considérée comme bénigne, tandis que la seconde tombe sous le coup de la loi, et pourtant structurellement où est la différence ? Et qu’on ne vienne pas invoquer l’ancienneté de la citation, qui lui vaudrait en quelque sorte prescription ! L’opinion de BHL sur une certaine France, qu’il hait de toute son âme, n’a pas baissé d’un iota en 2020, et que l’on se souvienne qu’à l’âge de 90 ans, Jean-Marie le Pen continue d’être harcelé et poursuivi pour des phrases prononcées au début des années 1990, comme s’il venait de les prononcer hier. Deux poids, deux mesures, comme toujours… Plus récemment, il a déclaré au magazine Nouvel Obs en 2007 : « Je suis un cosmopolite résolu. J’aime le métissage et je déteste le nationalisme. Je ne vibre pas à « la Marseillaise ». J’espère que le cadre national sera un jour dépassé. Et l’un des principaux mérites de l’Europe, à mes yeux, est de fonctionner comme une machine à refroidir cette passion nationale. »)) et sa trahison de la France au profit de l’État le plus raciste du monde, Israël, de notoriété publique, sa complicité dans tant de coups d’État et de crimes contre l’humanité aux quatre coins du monde ((Contentons-nous ici de rappeler son rôle de premier plan, et hautement revendiqué, dans la destruction de la Libye en 2011, où il a court-circuité, au nom de la France, le ministre des Affaires étrangères de l’époque Alain Juppé. Dans L’esprit du judaïsme, il a ainsi osé écrire : « Tout ce que j’ai tenté là, toutes ces res gesta, je les ai faites comme « français » et parce que j’étais fier de contribuer à ce que mon pays soit à la pointe d’un combat qui allait débarrasser le monde d’une de ses pires tyrannies. A cela s’ajoutait une deuxième raison, plus importante, qui tenait à mon indéfectible croyance en l’universalité des droits de l’homme et en la tâche sacrée, partout et toujours, de se porter en soutien de victimes immolées sur l’autel des machines d’état. Et puis une dernière raison, enfin, dont je déclarai qu’elle tenait à mon inflexible fidélité à mon nom juif – « comme tous les juifs du monde j’étais inquiet », dis-je très exactement à l’homme de bonne volonté, mais rien de ce que j’ai fait je ne l’aurais fait si je n’avais pas été juif. » Je renvoie également à un article publié le 22 novembre 2011 dans L’humanité intitulé : « BHL, philosophe officiel au service d’intérêts d’État ». Extrait : « Dernier invité de la première convention nationale organisée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Bernard-Henri Lévy est revenu sur son engagement en faveur de la révolution libyenne. Invité à s’exprimer sur le thème des « nouveaux défis pour les juifs de France », le journaliste et écrivain a évoqué les raisons qui l’avaient conduit à s’engager il y a huit mois contre le régime du colonel Kadhafi. Ce fut « d’abord comme Français », mais, poursuit-il, « je l’ai fait pour des raisons plus importantes encore ». Parmi celles-ci, « la croyance en l’universalité des droits de l’homme » mais aussi, plus curieusement, « pour une autre raison dont on a peu parlé, mais sur laquelle je me suis pourtant beaucoup étendu : cette raison impérieuse, qui ne m’a jamais lâché, c’est que j’étais juif. C’est en tant que juif que j’ai participé à cette aventure politique, que j’ai contribué à définir des fronts militants, que j’ai contribué à élaborer pour mon pays et pour un autre pays une stratégie et des tactiques ». Et Bernard-Henri Lévy de préciser le fond de sa pensée : « J’ai porté en étendard ma fidélité à mon nom, ma volonté d’illustrer ce nom et ma fidélité au sionisme et à Israël. » Avant de conclure : « Comme tous les juifs du monde, j’étais inquiet. Malgré la légitime anxiété, c’est un soulèvement qu’il convient d’accueillir avec faveur : on avait affaire à l’un des pires ennemis d’Israël. » Que Bernard-Henri Lévy fasse sienne la défense d’Israël contre ses adversaires dans le monde, c’est son droit le plus strict, et ce n’est d’ailleurs un secret pour personne, tout comme était de notoriété mondiale l’aversion de Kadhafi pour cet État. Plus contestable, en revanche, est l’enrôlement par BHL de « tous les juifs du monde » derrière la bannière du gouvernement israélien, au nom du syllogisme suivant : je suis juif, Kadhafi et Israël sont ennemis, donc je prends le parti d’Israël. Cela à l’heure où la politique étrangère de cet État, notamment vis-à-vis des Palestiniens, suscite la réprobation dans le monde de tous ceux qui sont attachés, juifs ou non- juifs, à l’établissement d’une paix durable conforme aux résolutions de l’ONU. À ce propos, on s’interroge : Bernard-Henri Lévy, qui tenta de s’engager comme soldat pour Israël pendant la guerre des Six Jours mais y parvint trop tard, s’inscrit-il ici dans les valeurs d’universalité du judaïsme ou dans l’intérêt d’une nation du Proche-Orient ? Ce qu’on relève en tout cas, c’est l’ampleur du mensonge du philosophe sur les prétendues raisons qui l’avaient poussé à militer pour une intervention étrangère en Libye : bien loin du souci de donner sa chance à la démocratie en chassant le tyran et de protéger les civils menacés par la répression du régime, BHL se faisait en fait l’instrument d’une banale raison d’État.« )), devraient apparaître dans l’esprit de chacun comme la manifeste et suffisante preuve du caractère sui generis vicieux et pourri de toute la machine. Mais quand on fait partie de la procession des ensorcelés qui ont remplacé dans leur permanent horizon mental et spirituel le Golgotha par le rail conduisant à Auschwitz, cela, on ne le voit plus…

Dans le cadre du scandale de la gestion de la crise sanitaire, c’est une impression que j’ai eu très nettement en m’infligeant l’audition filmée du directeur général de la santé Jérôme Salomon par la commission d’enquête parlementaire. Il suffit de l’écouter pendant dix minutes pour se convaincre que « M. Covid », à l’origine de tout un ensemble de décisions et non décisions que nous venons de passer en revue, qui ont certainement aggravé le bilan des victimes, épaissi la psychose, et eu des conséquences économiques dramatiques, est un Tartuffe moderne dans toute sa splendeur. Or on lui pose des questions, il répond n’importe quoi, et personne ne relève. Et quand il explique que, comme disait Voltaire « avant de savoir on ne sait pas », en reprenant une citation qui n’existe pas et dont la banalité du reste de mérite pas de droit d’auteur, on trouve des adeptes pour applaudir au bon mot et prendre sa défense avec le même fanatique entêtement que Madame Pernelle.

Remplaçons dans la seconde profession de fois de Dom Juan l’expression « homme de bien » par homme public, et émerveillons-nous encore de la perfection du décalque à 350 années de distance : « Le personnage d’homme public est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée, et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie à force de grimaces une société étroite avec tous les gens du parti ; qui en choque un, se les jette tous sur les bras, et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés : ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres, ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. »

Allons, Orgon, un effort… Ouvre les yeux et revisite ta mémoire : connais-tu un seul cas dans les vingt dernières années où un journaliste ou l’un de ses copains « experts » ait eu à rendre des comptes, se soit publiquement excusé, soit revenu sur ses prédictions erronées, ait été exemplairement châtié, envoyé réviser sa géométrie dans l’espace entre les quatre murs d’une geôle ?

Le vrai remède : devenir journaliste

La solution que propose Béralde à Argan dans Le malade imaginaire pour guérir son hypocondrie une bonne fois pour toutes peut sembler à première vue invraisemblable : plutôt que de donner un médecin pour époux à sa fille, devenir lui-même médecin – plus encore à notre époque où la médecine ne peut plus être facilement ravalée au rang de proverbiale charlatanerie. Et pourtant, si l’on considère la spécificité de la séquence actuelle de l’épidémie de Covid-19, en sommes-nous si loin ? Les médecins de Molière, déguisés ou patentés, prescrivent tout et n’importe quoi à la population tout entière, mais quand, par exemple, dans Le médecin malgré lui, Sganarelle apprend que si Lucie a perdu la parole, ce n’est pas en raison d’un dysfonctionnement physique, mais parce que son père veut la marier de force à un autre que celui qu’elle aime, au moins s’efforce-t-il de mettre à profit cette révélation pour employer toute sa ruse à sortir par le haut du guêpier où on l’a de force fourré, dans son propre intérêt et celui de sa patiente. Il ne lui viendrait pas à l’esprit d’écarter par principe le seul remède susceptible de résoudre son problème. Or c’est bien ce qu’ont fait un grand nombre de médecins experts médiatiques aveuglés – ou corrompus – par leurs liens d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques : quand le seul remède à la Covid-19 tant soit peu efficace a fait son apparition, la bithérapie à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine testée avec succès par les équipes du professeur Raoult à l’IHU de Marseille (( Depuis la fin du mois février 2020, l’IHU de Marseille n’ a cessé de publier les résultats de ses études démontrant la supériorité de l’efficacité du traitement à base d’hydroxychloroquine sur tous les autres types de traitements précoces de la Covid-19. La bonne nouvelle est donnée pour la première fois du 25 février par le professeur Didier Raoult, le plus grand spécialiste des maladies infectieuses en France, l’un des scientifiques français les plus cités dans la communauté scientifique internationale, professeur de microbiologie à la faculté de médecine et à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, lauréat du grand prix de l’INSERM en 2010. Il annonce un « scoop de dernière minute », « une nouvelle très importante »: « les Chinois, qui sont ceux qui vont le plus vite, qui sont les plus pragmatiques, plutôt que de chercher une nouvelle molécule qui soigne le coronavirus, ont fait ce qu’on appelle du repositionning. C’est-à-dire qu’ils ont pris des molécules qui sont anciennes, qui sont connues, qui sont sans problème de toxicité, pour les tester contre le nouveau virus. Ils ont trouvé (comme cela avait été fait pour le SARS), que la chloroquine était active in vitro. J’avais été interviouvé par la télévision chinoise, on m’avait demandé le conseil que je donnais aux Chinois que je considère comme les meilleurs équipes de virologie au monde. Je leur ai dit: j’espère que les Chinois donneront les résultats d’une première étude sur l’efficacité de la chloroquine sur les coronavirus et là ça vient de sortir ! C’est efficace sur les coronavirus et là ça vient de sortir ! C’est efficace sur les coronavirus avec 500 mg de chloroquine par jour pendant dix jours. Il y a une amélioration spectaculaire pendant dix jours. Il y a une amélioration spectaculaire et c’est recommandé pour tous les cas cliniquement positifs à l’infection au coronavirus chinois donc c’est une excellente nouvelle. C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes et donc c’est pas la peine de s’exciter. Il faut travailler ! C’est pas la peine de promettre des vaccins dans dix ans, il faut travailler, voir les molécules potentiellement actives, et qui sont immédiatement disponibles sur le marché. La seule chose que je vous dis c’est : « faites attentions, y aura plus de chloroquine dans les pharmacies. » Le 16 mars, Didier Raoult présente les premiers résultats obtenus à l’IHU de Marseille. Le 9 avril, il présente sur le site de l’IHU les résultats de sa troisième étude sans groupe contrôle portant sur 1061 patients présentant des symptômes cliniques peu sévères: Au bout de dix jours 91,7 % des patients n’excrètent plus de virus; aucune toxicité cardiaque n’est observée; 0,47 % de morts, âgés de 71 à 95 ans. Macron fait une visite de 3h30 à l’IHU de Marseille où ces résultats lui sont présentés en cette occasion. Les médias accueillent cette excellente nouvelle dans un silence de mort ou en minimisant la portée des résultats présentés. Le 26 juin, l’IHU de Marseille publie les résultats de son étude portant sur 3737 patients (présentation par le docteur Raoult dans une vidéo le 16 juin), établissant que l’association hydroxychloroquine/azithromycine est le traitement le plus efficace contre les cas précocement diagnostiqués de Covid-19; aucun accident cardiaque constaté; la maladie tue exclusivement les patients très âgés ou déjà affaiblis par des faiblesses ou pathologies accroissant la co-morbidité; 0 décès parmi les moins de 60 ans, 2 parmi les moins de 70 ans; 1,1 % de mortalité parmi l’ensemble des patients ; réduction du nombre de décès de 50 %.)), alors que nous nous trouvions dans l’impérieuse urgence de la « guerre » pour reprendre les termes du président Macron, non seulement ils ne s’en sont pas félicités, mais au contraire se sont lancés à corps perdu dans la campagne de dénigrement du traitement, ont traité son promoteur de tous les noms, se sont efforcés de salir sa réputation, pour certains l’ont menacé de mort, et ont uni toutes leurs forces pour présenter comme nocif un médicament pris sans danger depuis plus d’un demi siècle et sans effets secondaires par des milliards d’individus dans le monde. En ce sens, les médecins aux postes de commande politiques (Jérôme Salomon, Agnès Buzyn, Jean-François Delfraissy, Martin Hirsch, Olivier Véran…) ou promus dans les médias (Karine Lacombe, Martin Blachier, Anne-Claude Crémieux, Michel Cymès, Nathan Peiffer-Smadja…) sont des monstres en comparaison de ceux de Molière. Et en plus de ne rien trouver à redire sur sa mystérieuse et opportune inscription dans la catégories des « substances vénéneuses » ((Le 30 juin, lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire, la ministre de la santé en poste à l’époque, Agnès Buzyn, a expliqué : « Vous m’interrogez sur le classement de l’hydroxychloroquine sur la liste II des substances vénéneuses – des médicaments qui nécessitent une prescription médicale. Il faut savoir que ce produit était en vente libre, alors que son homologue, la chloroquine, est vendue sur ordonnance depuis vingt ans. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, comme les centres de pharmacovigilance, reçoit en permanence des remontées sur la dangerosité de certains médicaments et elle a dû recevoir des signalements d’accidents causés par l’hydroxychloroquine. Elle a alors demandé à l’ANSES un avis sur la dangerosité de ce produit, qui a été rendu en novembre 2019. Conformément à cet avis, l’ANSM a ensuite demandé au ministère de classer ce médicament parmi les substances vénéneuses. Le directeur général de la santé a entériné cette décision par un arrêté, comme cela se produit tous les jours. (…) Après la crise du Médiator, on ne peut pas reprocher au ministère de la santé de veiller à ce que les Français ne consomment pas trop de médicaments sans ordonnance. Moins on consomme de médicaments, mieux on se porte. J’ai vu des théories complotistes circuler sur cet arrêté, mais il est pris le 12 janvier. À cette date, on compte cinquante cas en Chine, et un mort… » Cette pseudo explication est extrêmement suspecte, et plus encore si l’on considère l’attitude générale d’Agnès Buzyn pendant toute son audition : floue, bégayante, pleine de silences et d’hésitations, perdue dans ses notes, secondée par une sorte d’assistant de vie scolaire (personnel qui aide dans les classes les élèves en extrême difficulté) lui soufflant parfois les réponses. Après une performance aussi calamiteuse et confondante, on ne peut qu’être stupéfié que son placement en détention provisoire illimitée n’ait pas immédiatement été prononcé.)) par arrêté du Directeur général de la santé Jérôme Salomon le 13 janvier 2020, de militer pour son interdiction pure et simple, de saboter les protocoles destinés à tester l’efficacité de l’hydroxychloroquine ((Lorsque le « bras » de l’hydroxychloroquine a été intégré in extremis à l’essai « Discovery », lancé par le gouvernement le 22 mars 2020, en plus de remdesivir, du lopinavir/ritovir avec ou sans interféron, le protocole stipulait qu’elle devait être administrée au patients uniquement dans les formes graves et avancées, et sans son complément l’antibiotique azithromycine. Or le protocole Raoult suppose une prise d’HCQ dès les premiers symptômes, quand la maladie en est à ses premiers développements. Ensuite elle ne sert plus à rien. L’antibiotique au contraire doit être administré dans la seconde phase de la maladie, pour contenir la réaction inflammatoire de l’organisme, qui peut obturer les poumons, et entraîner une dyspnée mortelle. Le 26 mars, le professeur a ainsi fait remarquer : « Si on avait envie de prouver que ça ne marche pas, on ne s’y prendrait pas autrement. Il y aura une enquête parlementaire après tout ça, et elle sera sanglante, autant que l’affaire du sang contaminé. Et ce sera pire si le gouvernement décide de refuser l’accès au médicament »)), nombreux sont ceux qui ont promu un autre antiviral, le remdesivir, qui coûte 400 fois plus cher (!) et entraîne des effets secondaires graves pour la circulation rénale, quand ils n’avaient pas le mot « vaccin » à la bouche, le répétant en boucle comme un mantra et évoquant sa mise au point prochaine, sous une forme parfaite, comme des illuminés parlant de la venue prochaine de leur messie ((Cette formulation n’est ni hyperbolique ni sarcastique. Que le lecteur se souvienne seulement de l’enthousiasme manifesté Karine Lacombe dans son interviou du 22 novembre (Cf la seconde partie) : « Voyez ce qui se passe pour ce vaccin ARN qu’on n’attendait pas avant plusieurs années. C’est juste inouï. »)). L’immense majorité des médecins de ville, honnêtes, expérimentés, proches des gens, non graissés par les labos, qui contrairement à leurs confrères haut perchés doivent tenir compte des retours de leur clientèle, ceux-là dont parle Jérôme Marty dans son livre Le scandale des soignants contaminés, qui ont été complètement livrés à eux-mêmes et pour certains l’ont payé de leur vie, ne sauraient en aucun cas être comparés aux apprentis sorciers du XVIIème siècle qui ont inspiré Molière, mais ceux d’en haut que nous pointons ici du doigt sont encore plus ridicules et condamnables puisqu’en plus d’enfumer et de jargonner en charlatans 2.0, ils ont sciemment tourné le dos à leur serment d’Hippocrate qui leur enjoint de prescrire à leurs patients le meilleur traitement possible : en plus d’être des charlatans, ne seraient-ils pas des criminels?

L’échange entre Argan et Béralde que nous avons rapporté dans la première partie devient d’une plus grande justesse encore si l’on y remplace les « médecins » par les « journalistes » ou les « experts ». Examinons-le réplique par réplique :

ARGAN.– Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis en âge d’étudier ?

Contrairement à ce que trop de passifs fainéants lobotomisés se figurent, on peut apprendre à tout âge, et de façon bien plus poussée qu’on ne le pense. Le monde moderne et une existence frénétique nous cantonnent à un étroit domaine de spécialité en dehors duquel nous pouvons nous sentir démunis, mais à y bien examiner, en retroussant ses manches et en prenant son courage à deux mains, on peut effectuer des progrès notables et suffisants dans de très nombreux domaines, pour se faire une idée par soi-même dans la plupart des sujets sur lesquels pérorent les « experts » en faisant assaut d’autorité. La tâche ne nous paraît d’abord insurmontable que parce que ceux-ci parlent d’un certain ton pontifiant et un jargon rebutant qui impressionne. Voici le credo simple que chacun devrait se réapproprier : on peut apprendre à tout âge ! Et en ménageant un tant soit peu sa peine on peut devenir soi-même aussi bien voire même bien mieux informé qu’un « journaliste » encarté.

BÉRALDE.– Bon, étudier. Vous êtes assez savant ; et il y en a beaucoup parmi eux, qui ne sont pas plus habiles que vous.

Si en effet l’on est « assez savant », c’est-à-dire pourvu d’un minimum de bases, de bon sens, et de méthode, on se surprend vite à pouvoir défricher soi-même une bonne partie des chemins qui nous sont présentés comme frayables par les seuls experts, et assez vite on se rend compte que les « experts » en question ne le sont pas tant que cela, et d’autant moins qu’obligés de mentir, ils recourent à des artifices rhétoriques grossiers et déloyaux invariables d’un sujet à l’autre. Si l’ambition partagée dans cette corporation – nous parlons de ceux qui tiennent les créneaux des places-fortes médiatiques – était d’informer honnêtement, nous nous confronterions à des professionnels compétents et indépassables, mais ça n’est pas le cas !

ARGAN.– Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.

BÉRALDE.– En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.

On doit penser ici à l’effet formidable que peut produire sur l’esprit non averti un « expert » présenté sur un plateau de télévision, poudré, costumé, l’air sérieux, la bouche pleine de jargon médical, à qui l’interviouveur s’adresse avec déférence, après avoir énuméré ses diplômes et ses postes de responsabilité. Si l’on enlève cette mise en scène, que reste-t-il ? Déboulonné de son piédestal et mis à nu, l’expert cesse d’être impressionnant, d’autant moins quand on a fait l’effort, en « étudiant », de découvrir ses liens d’intérêt, sa culture du mensonge, la « suite d’actions toutes noires » dont son CV déverni est fatalement entaché, et d’en savoir plus sur les coulisses sordides et cocaïnées où il a été grimé et préparé pour abrutir la grégaire et paresseuse plèbe.

ARGAN.– Quoi ? l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ?

BÉRALDE.– Oui. L’on n’a qu’à parler ; avec une robe, et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.

Lisons bien : tout galimatias, et pas seulement celui de médecin expert. Cette réplique s’applique à merveille aux experts sollicités dans les médias dont certains le sont sur tous les sujets importants. Un expert « couteau suisse », sans aucun diplôme ad hoc, Rudy Reichstadt par exemple, pour en prendre un emblématique, fondateur du site anticomplotiste Conspiracy Watch, membre de l’observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès, auteur de l’essai L’opium des imbéciles, financé par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS), intervient par exemple depuis dix années sur absolument tous les sujets techniques les plus sensibles et les plus différents : interrogé sur le génocide rwandais, il devient historien de l’Afrique des grands lacs, pour l’assassinat de JFK en 1963 il se mue en spécialiste des États-Unis d’Amérique, pour les attentats du 11 septembre 2001, il devient spécialiste des gratte-ciel, des crachs d’avions et des démolitions contrôlées, pour la Seconde Guerre Mondiale et la construction européenne, il se met à parler des chambres à gaz et des traités européens comme s’il les avait lui-même conçus et se lance doctement dans de grandes leçons d’histoire contemporaine sur le « vieux continent », pour l’incendie de Notre-Dame il revêt la tunique du spécialiste des cathédrales. A chaque fois qu’une affaire terroriste louche survient, il saisit à la va-vite sur la patère son polyester et son feutre d’inspecteur de la Sous-Direction Anti-Terroriste pour venir illico dans les médias dénoncer l’évident barbu coupable, et quand survient l’épidémie de Covid 19, il rentre comme un charme dans la blouse de l’infectiologue et de l’épidémiologue, parlant du professeur Raoult ou du professeur Montagnier comme un berger le ferait de brebis égarées, ou un maître d’école d’élèves fautifs. Et tous les médias le sollicitent pour recueillir la parole de Rudy bouche d’or, qui n’a aucun diplôme sur rien ni le moindre travail de niveau universitaire à faire valoir ! Ce n’est évidemment pas un hasard si, quatre jours après l’interviou d’une complaisance écœurante de l’experte Karine Lacombe, (Cf fin de la deuxième partie), le journal le Monde a accordé une interviou pleine page à Rudy Reichstadt pour l’écouter mettre en garde (titre de l’interviou) : « Il faut impérativement cesser de trouver des excuses au complotisme ». Et à l’instar de sa commère Annick Cojean, pas un instant il ne vient à l’esprit de Luc Cédelle, le plot souriant qui lui tend le micro, de le questionner sur ses liens d’intérêt avec les néoconservateurs « français », autrement dit avec le lobby pro-israélien qui fait la pluie et le beau temps en France et détourne la politique intérieure et étrangère de la France de façon de plus en plus apparente et décomplexée depuis le début des années 2000. Du même tonneau sont faits les Laurent Joffrin, Eugénie Bastie, Christophe Barbier, Franz-Olivier Giesbert, Caroline Fourest, Bernard Henri Levy, Yves Calvi, Mohamed Sifaoui, équipés à toute heure du jour et de la nuit, même dans leur lit creusé à cet effet, d’un sac à dos à dos rempli de rouleaux de rubans rouges prêts à la pose sur les fameuses lignes à ne pas franchir par le troupeau ((C’est là en effet la différence notable entre les humains d’élevage et les animaux d’élevage : pour les premiers une ligne grossièrement tracée au sol suffit ; pour les seconds il est impossible de faire l’économie d’une solide clôture. Souvenons-nous de cette remarque de Baudelaire : « Ce qui est créé par l’esprit est plus vivant que la matière. »)).

Grande interviou, dans le Monde du 26 novembre 2020, de l’expert couteau-suisse Rudy Reichstadt, dont le site et les activités d’inquisition anticomplotiste (AC) sont financés par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Le secret pour parler de tout sans avoir de légitimité sur quelque sujet que ce soit ? Répéter inlassablement les mêmes katas AC sans jamais entrer dans le détail de quoi que ce soit sur les affaires à propos desquelles on est consulté comme expert, en étant assuré au préalable, à l’instar des laboratoires pharmaceutiques concernant les vaccins qu’ils produisent, d’une immunité totale, et de ne jamais être placé face à un contradicteur sérieux.

Nous vivons sous un prince ami de la fraude : de Louis XIV à Emmanuel Macron

Le dénouement du Tartuffe de Molière est unique en son genre dans toute l’œuvre de Molière ; à deux titres. Premièrement il s’agit d’un double dénouement : une fois évanoui le charme sous l’emprise duquel Orgon se trouvait, encore faut-il lui faire recouvrer son bien qu’il a tout entier légué par écrit à Tartuffe, ce que ce dernier, dès qu’il a été démasqué, ne manque pas de lui rappeler, lui donnant seulement 24 heures pour vider le logis avec toute sa famille. Seconde différence, d’habitude, c’est une ruse machinée par l’un ou l’autre des protagonistes, ou un concours de circonstances extraordinaire et invraisemblable (songeons par exemple aux Fourberies de Scapin ou au Médecin malgré lui ((Dans l’acte III du Médecin malgré lui, comme Géronte, le père de Lucinde, est averti par son valet Lucas de l’imposture de Sganarelle, il le fait saisir pour le faire pendre. Il est sauvé in extremis par le retour de Lucinde et son pauvre prétendant Léandre qui vient apprendre à Géronte la bonne nouvelle d’un grand héritage qu’il vient de faire, ce qui en fait soudain un parti acceptable aux yeux du père, qui consent à lui donner la main de sa fille en même temps qu’il pardonne à Sganarelle. A la fin des Fourberies de Scapin, deux mariages d’abord impossibles, à cause de la tyrannie des deux pères, Géronte et Argante, et malgré les savantes manigances de Scapin, se trouvent d’un coup miraculeusement résolus : pour le premier, Argante se rend compte que par pur hasard, celle qu’il destinait à son fils est précisément celle dont ce dernier est tombé amoureux et a épousé sans son consentement, c’est-à-dire la fille de Géronte ; pour le second, Argante s’aperçoit, reconnaissant à son bras un certain bracelet, que l’ « Égyptienne » dont s’est entichée le fils de Géronte n’est autre que sa propre fille qu’il a cru perdre dans un naufrage il y a quinze années de cela ! Comme le résume bien la jeune Hyacinthe dans la scène 11 de l’Acte III : « Ô Ciel ! Que d’aventures extraordinaires ! »))), qui permet que tout soit bien qui finisse bien, et c’est l’occasion d’un dernier fou rire général : dans Tartuffe l’atmosphère finale est beaucoup plus lourde, et il faut rien moins que l’intervention du Prince, autrement dit du Roi, par l’intermédiaire de son Exempt, pour tout arranger sur le fil.

Cette invention de Molière est le reflet exact de la querelle qui a freiné pendant cinq ans, de 1664 à 1669, la production au public de la pièce. Elle ne figurait pas dans la première version jouée devant le jeune Louis XIV et la cour, le 12 mai 1664, à l’occasion de la première des grandes fêtes organisées à Versailles, les « Plaisirs de l’île enchantée », où elle rencontra un vif succès. Le roi cependant dut ensuite prendre la décision, sous l’influence du parti dévot, de l’interdire au public, en raison de la confusion qui pouvait être répandue entre la vraie piété et ses apparences trompeuses. Le contexte religieux était celui de la lutte contre le jansénisme, et il s’agissait de ne pas affaiblir l’Église en une période de crise où son unité était compromise. Ce n’est qu’une fois la controverse résolue lors de la Paix clémentine, le 3 février 1669, et après de profonds remaniements comprenant l’adjonction de l’acte V et l’intervention salutaire du Prince, que la pièce est enfin autorisée à être jouée devant le public le 5 février, rencontrant aussitôt un succès énorme et durable.

Pour donner une idée de la proximité entre le souverain et le dramaturge, quand la jeune épouse de Molière, Armande Béjart, met au monde leur premier enfant, le 24 février 1664, c’est Louis XIV en personne qui en devient le parrain. Il faut également lire le « placet au roi » pour la première version censurée pour constater la libéralité que pouvait se permettre l’homme de théâtre avec l’homme politique : « On a profité, Sire, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l’on a su vous prendre par l’endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l’adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu’elle fût, et quelque ressemblante qu’on la trouvât. » Après la seconde interdiction, Molière écrit au roi dans un second placet, daté du 6 août 1667 : « J’attends avec respect l’arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière : mais il est très assuré, Sire, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l’avantage ; qu’ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume. Daignent vos bontés, Sire, me donner une protection contre leur rage envenimée ! » Dans le troisième placet du 5 février 1669 enfin, date de la délivrance, rappelons pour le clin d’œil qu’il profite de l’occasion pour solliciter une grande faveur pour son médecin personnel : l’octroi du canonicat de la chapelle royale de Vincennes : « Oserais-je demander encore cette grâce à Votre Majesté le propre jour de la grande résurrection de Tartuffe, ressuscité par vos bontés ? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots ; et je le serais, par cette seconde, avec les médecins. »

Le portrait que fait l’exempt du Prince dans le Tartuffe est un hommage déguisé à Louis XIV. Rappelons les vers clés de sa tirade :

Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude,

Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs,

Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.

D’un fin discernement sa grande âme pourvue

Sur les choses toujours jette une droite vue ;

Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès,

Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.

Il donne aux gens de bien une gloire immortelle :

Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,

Et l’amour pour les vrais ne ferme point son cœur

À tout ce que les faux doivent donner d’horreur.

Si maintenant l’on se transporte en 2020 et que l’on tente de faire le bilan de la relation entre le prince d’aujourd’hui et les « gens de bien » et les « tartuffes », quelle différence extraordinaire, et quelle complète inversion des valeurs !

Le prince c’est Emmanuel Macron, qui à 42 ans fait figure de barbon à côté du jeune Louis XIV qui vient d’avoir 30 ans. Quand le second commençait d’édifier Versailles, le premier disait amen à la version officielle-éclair du plus que douteux incendie de Notre-Dame ((Nous renvoyons à L’incendie de Notre-Dame et la crise de la République, étude de Youssef Hindi et Pierre-Antoine Plaquevent, pour une revue exhaustive des questions légitimes et très dérangeantes posées par la version officielle de cet événement historique.)). Tartuffe c’est Jean-François Delfraissy et son conseil scientifique réunissant des spécialistes de l’hépatite et du virus du SIDA, le directeur général de la santé Jérôme Salomon, les ministres de la santé Agnès Buzyn et Olivier Véran, le directeur de l’AP-HP Martin Hirsch, et les « médecins médiatiques » comme Karine Lacombe et Martin Blachier. Molière, c’est Didier Raoult qui essaye en vain de faire valoir son traitement contre la Covid-19, et les médecins et professeurs lanceurs d’alerte comme Christian Perronne, Jérôme Marty, Jean-François Toussaint, Michel Taubiana ou Louis Fouché.

Élargissons la comparaison pour mesurer avec plus d’exactitude la profondeur du gouffre où nous avons été précipités entre ces deux ères. Nous sortons un peu du sujet mais l’occasion est belle. Si l’on prend le contexte général de la querelle entre les autorités « françaises » et les mal-nommés « complotistes », le prince, qui est moins qu’une ombre de prince, un Monsieur de la Souche ((Monsieur de la Souche est le nom que veut qu’on lui donne le parvenu Arnolphe dans L’école des femmes, afin de donner le change aux nobles dans le Monde. Son ami le sage Chrysalde lui objecte plaisamment (Acte I, scène 1) : «Qui diable vous a fait aussi vous aviser, A quarante et deux ans de vous débaptiser, Et d’un vieux tronc pourri de votre métairie Vous faire dans le monde un nom de seigneurie ? […] Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères ! De la plupart des gens c’est la démangeaison ; Et, sans vous embrasser dans la comparaison, Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre, Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre, Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux, Et de Monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux. »)) parfaitement interchangeable, c’est un homme sans nom et sans qualités propres qu’on appelle par commodité « le président » : qu’il s’appelle Sarkozy, Hollande, Macron, les décisions sont les mêmes ; nous avons affaire à un employé ou un camelot de marché, non à un souverain. Tartuffe, c’est la nébuleuse d’associations comme le CRIF, la LICRA, l’UEJF, la LDH, le MRAP, SOS racisme, et leurs relais médiatiques et judiciaires dont elles usent comme des pieuvres de leurs tentacules, qui définissent ce qui est bien et ce qui mal, ce qui est licite et ce qui est illicite, ce qui est haram et ce qui cacher, en imposteurs et en hypocrites. Leur pouvoir sur le président est incomparablement plus puissant que celui de l’Église sur Louis XIV, puisque rien ne vient jamais s’opposer à leurs édits, fatwas, malédictions, campagnes de lynchage médiatiques, persécutions judiciaires, lois et projets de loi liberticides. L’équivalent de Molière est tout trouvé en la personne de Dieudonné M’bala M’bala que nous prendrons pour représentant de toute la réinfosphère, en raison de son statut d’homme de théâtre comique dont le thème de prédilection est les problèmes de famille, et de l’ampleur et de l’iniquité des persécutions dont il est victime depuis 15 ans par le moderne parti dévot. On peut même se plaire à voir une coïncidence onomastique dans le fait que Louis XIV avait pour second prénom Dieudonné, ajouté en raison du fait que sa naissance fut considéré pour le Royaume comme un don du ciel, après 23 années de mariage stérile entre Louis XIII et Anne d’Autriche.

le « vagin de la reine » d’Anish Kapoor, sur lequel le coup d’œil est superbe depuis la Galerie des Glaces
Chateau de Versailles – la Galerie des Glaces, le chef-d’œuvre de Jules Hardouin-Mansart

Alors que Louis XIV avait le don de repérer, de favoriser, et s’entourer des hommes les plus méritants de son siècle, dans toutes les disciplines, de Vauban à Racine, de Colbert à le Nôtre, de Louvois à Lully, d’Hardouin-Mansart à Bossuet, de Mazarin à Molière, les éphémères rois-lunes de notre époque copinent et adoubent, reflétant les injonctions du vrai soleil, caché, sans la lumière duquel il ne seraient rien, des artistes médiocres, de la pâte humaine sans mérite, des parvenus sans scrupules, des rastaquouères complexés et pleurnichards. C’est François Hollande prenant la défense de l’immonde « vagin de la reine » d’Annish Kapoor et du plug anal géant de Patrick Mc Carthy en 2015, Emmanuel Macron s’affichant le jour de la fête de la musique en juin 2018 avec la reine mère à l’Élysée en compagnie d’une troupe de danseurs sodomites d’origine subsaharienne, dont le DJ Kiddy Smile s’affiche avec un T-Shirt sur lequel on peut lire « fils d’immigré, noir et pédé » ; le même défendant publiquement et solennellement, le 1er septembre 2020, lors d’une conférence de presse à Beyrouth meurtri par une gigantesque explosion, Charlie Hebdo qui allait de nouveau publier le lendemain les célèbres caricatures de Mahomet, à l’occasion de l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015, en même temps que le droit au blasphème ! De qui Hollande ou Macron pourraient-ils bien devenir les parrains à notre époque ? certainement pas d’un enfant de l’humoriste Dieudonné, ou du rédacteur en chef de Rivarol Jérôme Bourbon, qui a lui aussi sa case donnant beaucoup de points sur la cible de fléchettes anticomplotiste. En revanche on imagine tout à fait Leonarda, Greta Thumberg, ou l’une des dizaines de graines de délinquants du clan Traoré ((Les éléments d’information suivants sont compilés d’une vidéo publiée par Stéphane Edouard le 19 juin 2020, et d’une autre vidéo intitulée « Les vérités qui dérangent sur l’affaire Adama » publiée le 8 juin 2020 sur le site profession-gendarme.com, dans le contexte des manifestations du mouvement « black lives matter », déclenchées aux États-Unis par la mort ultra médiatisée de Georges Floyd, et reprises en France par le comité « Justice pour Adama », du prénom de ce délinquant multirécidiviste mort à l’occasion d’une interpellation musclée par des policiers le 19 juillet 2016. Le comité « Justice pour Adama », dénonçant les violences policières contre les noirs, a été pendant l’été 2020 emmené par sa sœur Assa Traoré, pour qui les médias ont déroulé le tapis rouge, relayant son combat avec bienveillance, en passant sous silence bien des détails gênants sur le détail de l’interpellation ayant conduit à sa mort, le passé de délinquant d’Adama Traoré, et les nombreux cas de délinquance parmi ses 17 frères et sœurs issus d’une famille polygame d’origine malienne (un père et quatre épouses). Voici ces détails sous forme de liste : – Avant sa mort, Adama Traoré a été interpellé une fois par an par la police (17 condamnations en tout), et se serait montré violent à chaque fois : injures, outrages, tentatives de fuite. – Lors de sa première tentative d’interpellation le 19 juillet, qui l’a vu prendre la fuite, deux des policiers étaient noirs, invalidant la thèse de la motivation raciste. – Lors de sa seconde interpellation le 19 juillet, il a été retrouvé en possession de 1300 euros en liquide et de cannabis. – Son frère Samba Traoré, le 17 mai 2018, a agressé à coups de balai-brosse un épicier de Boyenval, manquant de peu de le tuer. Jugé en comparution immédiate, il a été condamné à quatre ans de prison, dont 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans. La victime a raconté qu’Assa Traoré serait venue le voir à l’hôpital et lui aurait proposé de l’argent afin qu’il retire sa plainte. – Son demi-frère Bagui s’est rendu coupable de harcèlement, violences et extorsion de fonds entre 2015 et 2016 sur deux personnes sous curatelle, et à été condamné à deux ans et demi de prison ferme. En prison il s’est livré à du trafic du drogue pour lequel il a de nouveau été condamné. – En 2016, Bagui et un autre frère, Youssouf, sont poursuivis pour violences et outrages sur huit policiers municipaux et gendarmes, et condamnés à huit et six mois de prison ferme. – En détention, Adama Traoré a violé son co-détenu. Étant mort au moment de la reconnaissance des faits en 2020, il n’a pas pu purger la peine associée. – Deux ans après ces faits, ce détenu violé a été retrouvé par un autre frère Traoré, prénommé Yacouba, qui l’ont séquestré et tabassé dans le cadre d’un règlement de comptes.– Ce même Yacouba a été condamné à trois ans de prison pour avoir incendié un bus à Beaumont-sur-Oise en novembre 2016. Le projet était de se servir du bus pour s’en servir comme véhicule bélier contre la gendarmerie.– En avril 2018, Serene Traoré, encore un autre frère a été condamné à quatre mois de prison ferme et 600 euros d’amende pour outrage envers le maire de Beaumont-sur-Oise Nathalie Groux.– coïncidence de date, alors que la mort d’Adama Traoré résulte d’un malaise cardiaque et non de violences policières, la famille obtient une contre-expertise le 2 juin 2020 contredisant cette version des faits, ce qui permet d’agréger le comité « justice pour Adama » à « black lives matter ». Le comité a reçu très tôt le soutien et la mobilisation de l’ultra gauche, les natifs et les blacks blocs. Les habitants de Beaumont-sur-Oise, évoquent sous couvert d’anonymat une famille qui fait régner la terreur dans la ville.)), pour peu qu’ils ne s’y refusent en lui exhibant leur majeur ! Qui se ressemble s’assemble : Molière était à Louis XIV et à la Monarchie ce que Charlie Hebdo est à François Hollande et à la République.

C’était le bon temps d’avant la Covid-19 : on pouvait dire ce que l’on pensait du pouvoir sans la contrainte des gestes-barrière (photo, francetv.info)

Épilogue : l’esprit Charlie versus l’esprit Molière

Cette évolution monstrueuse implique naturellement la dégradation d’une certaine forme d’esprit dans une autre, et il peut être intéressant, pour clore cette étude, de mettre dos à dos celui qui, dans le registre comique, a incarné les valeurs, les canons, et le style du Grand Siècle, au point de servir à désigner sa langue natale dans une périphrase, avec celui qui l’a remplacé sur la bannière du pouvoir au XXIème siècle, à savoir l’hebdomadaire porno-satyrique Charlie Hebdo, élevé depuis le 7 janvier 2015 à la dignité de divin enfant de Marianne. Après tout, et Molière et Charlie Hebdo ont prétendu ou prétendent combattre l’hypocrisie et le fanatisme religieux, et tous deux avaient pour point commun d’être les enfants terribles et chéris du Jupiter du moment.

La première remarque que l’on peut faire, toute bête, est que Molière, 350 années plus tard, fait toujours autant rire au larmes : Jean-Baptiste Poquelin a laissé à la postérité une œuvre, qui malgré son français un peu vieilli, est à l’évidence pourvue des attributs de la jeunesse éternelle. En comparaison la lecture d’un numéro de Charlie Hebdo arrache à peine un sourire. Il l’arrache, certes, mais à grand peine et sans bruit. Cela tombe si souvent à plat ou à côté que la vocation comique en devient pathétique, au sens ridicule du terme. Les médias rabâchent que les journalistes de Charlie Hebdo ont été assassinés « simplement parce qu’ils faisaient rire » sur des sujets dangereux. Si au moins ils étaient morts pour cela… La vérité est qu’il s’agissait d’un journal que plus personne ne lisait, qui ne faisait plus rire grand monde, et qui n’a jamais eu le courage une seule fois, dans sa période néoconservatrice récente incarnée par Philippe Val, de s’attaquer à un seul sujet véritablement polémique, qui eût pu attirer sur lui les foudres de la censure, par ailleurs de plus en plus dure, injuste, et sans pitié.

Pour ne prendre que le sujet de la présente étude, l’épidémie de Covid-19 et sa gestion politique et médiatique, on chercherait en vain un commencement de critique féroce, alors que le filon est là, à fleur de sol, inépuisable. Dans le récent numéro 1480 du 2 décembre 2020 (j’ai une pile de 10 numéros des trois derniers mois devant les yeux, que j’accumule pour des raisons professionnelles) par exemple, dont l’essentiel est consacré aux violences policières et au racisme des policiers blancs, concernant la Covid-19 on relève :

p.3 : un commentaire sur les protestations de l’archevêque de Paris à propos des jauges pour la messe (pas plus de 30 personnes en même temps). Comme ce dernier a fait justement remarquer le 25 novembre sur Radio Notre-Dame : « Là, ça suffit, il faut arrêter de nous infantiliser ! », Charlie ironise : « Pourtant dans, les églises, on joue volontiers avec les enfants. » Il eut été plus judicieux de pointer l’absurdité d’une telle recommandation dans des lieux aussi vastes que des cathédrales, et concernant la pédophilie, de consacrer enfin un dossier à l’affaire Jeffrey Epstein, et de déplacer la loupe sur le fléau qu’il représente dans les communautés juives ultra orthodoxes ((« Pédophilie : pourquoi la communauté juive ultra-orthodoxe est ciblée », Nissim Behar, Libération, 28/03/17 ; « « M » : documentaire choc sur la pédophilie dans le milieu juif ultra-orthodoxe », Jacky Bornet, francetv.info, 19/03/19 ; « Un juif ultra-orthodoxe écope de 103 ans de prison pour pédophilie », lapresse.ca via AFP, 22/01/13 ; «Israel Becoming a ‘Refuge for Pedophiles,’ Warns Advocate for Child Sex Abuse Victims », Judy Maltz, Haaretz, 22/03/16 ; « Pédophilie à l’école : un rabbin mis en examen à Paris », ladepeche.fr, 22/02/13, « Et la pédophilie au sein de la communauté juive… », Pierre-Alain Depauw, medias-presse.info, 27/08/18.)).

p. 11 : une chronique de Philippe Lançon imaginant une histoire absurde d’un joggeur qui se fait verbaliser en pleine campagne par deux salauds de gendarmes alors qu’il court seul en rase campagne à 2 km de chez lui. Alors qu’ils le traquent les jours suivants, le « plus vieux des deux », se jette à l’eau pour l’interpeller… et se noie. La tonalité de la chronique est caricaturalement anti-flics, sans doute pour coller au thème général du numéro, mais il eut été plus pertinent de dénoncer sur un patron kafkaïen l’absurdité d’avoir édicté l’interdiction de s’éloigner de plus d’1 km de chez soi sur tout le territoire, sans faire la moindre distinction, en plaignant la majorité des gendarmes et gardiens de la paix qui en ont plus qu’assez de faire respecter ces règlements absurdes et qui font tout pour éviter de se retrouver dans l’état de passer pour des gardes chiourmes aveugles et cruels des autorités. Sur cette même page, la dessinatrice Corinne Rey (alias Coco), celle-là même qui a fourni aux tueurs sous leur menace le code d’entrée de la porte blindée des locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 ((Cf Attentat contre « Charlie Hebdo », le témoignage poignant des survivants, Pascal Robert Diard, et Henry Saeckel, Le Monde, 19/09/2020, pour une transcription complète du récit fait par Corinne Rey de ces instants terribles lors du procès des attentats de janvier 2015.)), propose une série de caricatures de personnalités ayant récemment pris publiquement des positions « complotistes » sur l’épidémie. On attend des caricatures de Karine Lacombe, Martin Blachier, Jérôme Salomon, ou Jean-François Delfraissy.

L’anticomplotisme : l’un des angles d’attaque privilégiés de Charlie Hebdo pour évoquer la crise sanitaire de 2020. Plus facile de se moquer de Madonna et de Kim Glow que de Didier Raoult et de Christian Perronne.
La pédophilie dans l’Eglise catholique : un autre des angles d’attaques privilégiés par Charlie Hebdo pour parler de la Covid-19. Cette page donne par ailleurs une idée représentative de la médiocrité littéraire et imaginative de l’humour qui prévaut dans les pages de l’hebdomadaire.
La Covid-19 prétexte à dénoncer la pédophilie dans l’Église catholique : un autre exemple dans le numéro du 9 décembre 2020

p. 12, Yannick Haenel prend son courage à deux mains, et au détour d’une chronique se plaignant très timidement des mesures de confinement se lâche : « Voilà, à force de n’aspirer qu’ à sa propre propre protection, on n’a tout simplement plus de vie. » Olala quelle prise de risque !

p. 13, le titre de la chronique de Gérard Biard s’annonce prometteuse : « Le triomphe de la médecine médiatique. » Hélas, aucun nom, aucun détail, aucune circonstance, aucune citation, aucun conflit d’intérêt n’est évoqué. C’est toutefois le prétexte pour une violente charge anticomplotiste contre le documentaire Hold-up : « Résultat, le carton cinématographique de l’année est un documentaire manipulateur et complotiste, tissu d’affabulations qui vont du risible au sordide, mais qui, aux yeux du public, ne semble guère plus aberrant que les joutes d’ « experts » qui se succèdent à un rythme effréné dans la cour de récré médiatique. »

Second exemple de dessin anticomplotiste sur la Covid-19 dans le numéro du 9 décembre 2020
A Charlie Hebdo on n’aime pas et on dénonce ceux qui osent braver le confinement, surtout quand il s’agit d’ennemis idéologiques comme « les catholiques traditionalistes et les intégristes de Civitas » : extrait du numéro du 4 novembre. Ce texte christianophobe, est signé Jean-Yves Camus, issu d’une famille catholique marrane qui a fait son coming out, président de l’Observatoire des radicalités politiques (l’Orap), une structure créée par la Fondation Jean Jaurès, dont sont membres exclusivement des « experts » de « l’extrême-droite ». Ce militant très sioniste publie chaque semaine une chronique très engagée dans Charlie Hebdo depuis début 2015. Ses thèmes de prédilection sont la dénonciation du Front national, de l’extrême droite, de l’antisémitisme, du révisionnisme, du négationnisme, de la Russie, du Vénézuela, du « lobby chrétien », du « lobby islamiste ».
Troisième angle d’attaque privilégié par Charlie Hebdo, pour le coup véritablement obsessionnel, celui de l’islamistophobie, numéro du 30 septembre 2020
Charlie Hebdo, la Covid-19 et l’islamistophobie, second exemple extrait du numéro du 28 octobre
Charlie Hebdo, la Covid-19 et l’islamistophobie, troisième exemple extrait du numéro du 7 octobre 2020

Autre différence majeure entre Molière et Charlie Hebdo. Le premier, pour se livrer à des satyres féroces, respecte toujours les bienséances, n’est jamais vulgaire. Il est parfois grivois et scatologique dans ses farces, mais sans jamais être lourd, et dans les grandes comédies comme L’École des femmes ou Tartuffe, c’est toujours avec une infinie délicatesse, en laissant l’imagination faire son travail plutôt que de mettre brutalement sous les yeux pour n’importe quel prétexte des bites, des chattes, des anus, des paires de seins, et des scènes de fellation, de sodomie et de double-pénétration. Cette remarque paraîtra aux Charlies teintée de puritanisme, mais comment ne pas voir comme un symbole du dérèglement de notre époque – un parmi tant d’autres ! – ce remplacement de la pudeur et des bienséances comme valeurs morales et règles de composition, par l’exhibitionnisme outrancier et la pornographie comme tuteur sacralisé, surtout quand dans le même temps le réel courage politique qu’il fallait pour oser Tartuffe a laissé la place à la lâcheté politique la plus hypocrite. Si Molière revenait d’entre les morts et se mettait en tête de créer une version moderne de Tartuffe, c’est en partant des modèles de Jérôme Salomon, Karine Lacombe, et Laurent Sourisseau (alias Riss, l’actionnaire majoritaire et directeur de la publication de Charlie Hebdo) qu’il donnerait vie à son imposteur.

François Belliot, 16 décembre 2020