La Covid-19 au prisme de Molière (1/3)

« Il y a de certains esprits qu’il ne faut prendre qu’en biaisant »

Valère, dans L’avare ou l’école du mensonge, acte I, scène 8

Introduction

Si d’aventure cette étude se révélait de quelque utilité pour arracher au moins quelques esprits pris au piège dans la toile du discours sanitaire anti Covid martelé quotidiennement depuis près de neuf fois par les médias et les politiques des démocraties occidentales, je m’estimerais payé au centuple des efforts qu’elle m’a coûté en imagination, relectures, et composition. Qui sait si, forts de leur expérience de prisonniers de la caverne tout frais sortis à l’air libre et pur du dehors, ils se sentiront une ardeur vierge et puissante pour venir grossir les rangs des écarteurs de paupières et arracheurs de chaînes, qui doivent encore endurer sans pouvoir répliquer haut et fort les calomnies et diffamations publiques continuelles des marionnettistes qui maintiennent sous hypnose les esprits depuis les écrans de télévision, les baffles des radios, les pages des quotidiens et magazines, et les autels des ministères, avec leur jeu perpétuel d’ombres trompeuses projetées sur le fond du salon.

Si seulement nous disposions d’un peu de temps et de sérénité, s’il était possible de forcer tous nos compagnons d’infortune à faire retraite pendant plusieurs semaines en quelque endroit paisible et sacré, pour qu’ils oublient le tintamarre absurde et aliénant dont ils sont en permanence étourdis ! Hélas, le temps de cerveau disponible est ce qui le plus cruellement nous manque : Covid, Covid, Covid, Black Lives Matter, Covid, Covid, Charlie Hebdo, Covid, Charlie Hebdo, Covid, Trump, Covid, Trump, Covid, Covid, Covid… les marionnettistes sollicitent continûment les méninges collectives, ne laissant pas une seconde de répit, même dans les rêves, aux ombres d’esprits libres que tant d’entre nous sommes devenus ! Le recul est impossible, dès que la tête du clou se relève un peu, un coup de marteau plus fort revient la maintenir au ras du crâne.

Je veux ici pousser le lecteur à prendre un recul de 350 années. Peut-être que placé d’un coup à cette distance, le son assourdi de la propagande pour un moment décisif lui apparaîtra pour ce qu’il est, c’est-à-dire absurde, cacophonique, étouffant, tout entier pétri de mensonges et gonflé par le levain des intentions les plus noires.

Replongeons-nous dans quelques unes des plus célèbres comédies de Molière, dans l’ordre le Bourgeois Gentilhomme, le Malade imaginaire, Tartuffe, et les Femmes savantes. Nous allons commencer, dans cette première partie, par les résumer en nous concentrant sur les extraits et détails utiles au traitement que je propose d’administrer – une sorte de thérapie à base d’antiviral littéraire -, et en restituant les répliques où les marionnettes que sont les personnages principaux passent soudain de l’obscurité à la lumière, de la maladie à la guérison, de l’égarement à la raison. Je suggère d’emblée au patient, pour accroître l’efficace du traitement, en guise d’antibiotique, de remplacer spontanément les « médecins », « dévots » et « bel esprit », par « journalistes », « experts », et « politiques » ; les dupes par « opinion publique », « population » ou « téléspectateurs » ; les membres de leur entourage qui s’efforcent de les désenvoûter, par « lanceurs d’alerte », « sonneurs de tocsin », « bons samaritains », « sauveteurs en mer », « pompiers volontaires ». Je pourrais ici donner des noms mais je m’en garderai bien, de crainte de faire fuir dès l’orée de la forêt la foule des malades en craintif troupeau, que le chien de berger médiatique terrorise et regroupe encore avec ses harcelants « Waf ! Waf ! ».

De cette pelote ensuite nous tâcherons de tirer, dans le volet suivant, quelques fils analogiques vers l’actualité de ces neuf derniers mois surdosée de Covid-19.

Première partie: Molière dans le texte

Parmi les personnages de Molière, ceux dont le ressort comique est le plus puissant, ceux qui donc prêtent le plus à rire, sont les riches barbons que domine entièrement une obsessionnelle lubie. D’une pièce à l’autre, le type est à peu après invariable : père de famille, il règne en tyran, échafaudant pour lui-même ou ses enfants des plans de mariage où il ne considère que son intérêt propre. Buté au dernier degré, n’écoutant que lui-même et comptant pour rien l’opinion de ses proches, il a en outre l’infortune d’être sous l’empire invincible d’une lubie, phobie, obsession, idée fixe, qui en fait le pigeon par excellence pour les escrocs, charlatans, et parasites en tous genres suffisamment habiles pour épouser sa pente. Il est la risée et le sujet d’indignation de presque toute la maisonnée, jusqu’à sa servante qui l’emporte à tout coup du point de vue du bon sens en le faisant plaisamment tourner en bourrique.

M. Jourdain, le bourgeois qui veut devenir gentilhomme

Dans le Bourgeois Gentilhomme, M. Jourdain est, comme le suggère le titre de la pièce, un riche parvenu dont l’ambition maladive est de devenir un membre reconnu de la noblesse. Il devient ainsi la cible de toutes sortes de « maîtres » véreux et intéressés, qui de musique, qui de danse, qui d’armes, qui de philosophie, qu’il paie à prix d’or pour apprendre les usages des « gens de qualité ». Alors que tout le monde dans la maisonnée, sa femme et sa servante Nicole au premier chef, est douloureusement conscient qu’il est la dupe de tous ces flatteurs attirés par son argent, qui chacun l’éblouissent avec le jargon propre à leur art, ne parvenant avec leurs leçons qu’au résultat le plus gauche et le plus ridicule, M. Jourdain finit par se laisser convaincre, dans la pensée d’atteindre tout de bon le dernier étage de l’ascenseur social, d’accorder la main de sa fille Lucie au fils du grand Turc, qui le sollicite avec force flatteries à cet effet ; cela lui permettra en même temps de devenir Mamamouchi, accédant ainsi à une dignité qui dans son fol et influençable esprit surpasse la plus haute noblesse française. Or il s’agit d’une ruse mise en œuvre par l’amant de sa fille, Cléonte, jeune homme plein de mérite mais qui n’a pas l’heur d’être gentilhomme. Sous l’habit de fils du Grand Turc, c’est Cléonte qui finalement parvient à épouser celle qu’il aime d’un amour réciproque. La bêtise de M. Jourdain est si crasse et son obsession si obnubilante, qu’ils sont parvenus à le circonvenir en usant de cet improbable stratagème.

Mme Jourdain explose de colère en apprenant la nouvelle :

MADAME JOURDAIN.- Comment donc, qu’est-ce que c’est que ceci ? 
On dit que vous voulez donner votre fille
en mariage à un carême-prenant.
MONSIEUR JOURDAIN.- Voulez-vous vous taire, impertinente ? 
Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, 
et il n’y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.
MADAME JOURDAIN.- C’est vous qu’il n’y a pas moyen de rendre sage,
et vous allez de folie en folie. 
Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire
avec cet assemblage ?

S’ensuit alors une violente dispute qui cesse soudain quand Covielle, le valet de Cléonte qui a eu l’idée du stratagème, parvient enfin à mettre Mme Jourdain dans la confidence : « Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n’est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l’abusons sous ce déguisement, et que c’est Cléonte lui-même qui est le fils du Grand Turc ? »

A la différence d’Argon et d’Argan dont nous allons parler, M. Jourdain n’a pas le privilège d’une révélation finale propre à lui remettre l’esprit à l’endroit. Juste avant que l’ubuesque cérémonie commence, c’est Covielle qui prononce la dernière réplique de la pièce : « Si l’on en peut voir un plus fou, je l’irai dire à Rome. »

Argan, le malade imaginaire

Argan, le personnage central du Malade imaginaire, est une caricature d’hypocondriaque. Persuadé d’être un fini valétudinaire, vivant dans la hantise continuelle de la mort, il passe ses journées à prendre tous les traitements possibles et imaginables, à la composition souvent abracadabrante, dépensant des fortunes en consultations de médecins et en ordonnances de médecines. Trois charlatans ont bien compris cette faille psychologique et tout le profit qu’ils pouvaient en tirer : un apothicaire, Monsieur Fleurant, et deux médecins : Monsieur Purgon et Monsieur Diafoirus qui lui font des visites continuelles, en ayant soin de le conforter dans sa phobie, au besoin en le terrorisant, afin que jamais le filon ne se tarisse. Ceux-ci ont fini par acquérir aux yeux d’Argan une valeur supérieure à celle de son entourage proche, sa femme épousée en secondes noces Béline exceptée, celle-ci l’ayant su séduire en caressant complaisamment son tempérament maladif dans le sens du poil, dans l’espoir, à sa mort qu’elle espère prochaine, de frustrer de leur héritage les deux filles issues de son premier mariage, Angélique et Louison. Afin d’éteindre une bonne fois pour toutes, croit-il, l’idée fixe qui lui ronge la cervelle, Argan finit par arrêter la décision de marier sa fille aînée Angélique au fils de Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus, qui vient d’être reçu médecin à la faculté ; au grand désespoir de celle-ci qui est amoureuse du jeune Cléante avec qui elle projetait de se marier.

Le frère d’Argan, Béralde, qui dans la pièce incarne le bon sens et la mesure, déploie des trésors de rhétorique pour le faire revenir à la raison, d’autant qu’il a vu clair dans le jeu des médecins et de Béline. Cela donne lieu, dans la scène 3 de l’acte III, à l’échange suivant :

ARGAN.— Mais raisonnons un peu, mon frère. 
Vous ne croyez donc point à la médecine?
BÉRALDE.— Non, mon frère, et je ne vois pas 
que pour son salut, il soit nécessaire d'y croire.
ARGAN.— Quoi vous ne tenez pas véritable une chose établie 
par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée?
BÉRALDE.— Bien loin de la tenir véritable, 
je la trouve entre nous, une des plus grandes folies 
qui soit parmi les hommes ; et à regarder 
les choses en philosophe, je ne vois point 
de plus plaisante momerie; je ne vois rien de plus ridicule, 
qu'un homme qui se veut mêler d'en guérir un autre.
BÉRALDE.— Par la raison, mon frère, que les ressorts 
de notre machine sont des mystères jusques ici, 
où les hommes ne voient goutte; 
et que la nature nous a mis au-devant des yeux
 des voiles trop épais pour y connaître quelque chose.
ARGAN.— Les médecins ne savent donc rien, à votre compte?
BÉRALDE.— Si fait, mon frère. Ils savent la plupart 
de fort belles humanités; savent parler en beau latin, 
savent nommer en grec toutes les maladies, les définir, 
et les diviser; mais pour ce qui est de les guérir, 
c'est ce qu'ils ne savent point du tout.
ARGAN.— Mais toujours faut-il demeurer d'accord, 
que sur cette matière les médecins 
en savent plus que les autres.
BÉRALDE.— Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, 
qui ne guérit pas de grand-chose, 
et toute l'excellence de leur art 
consiste en un pompeux galimatias, 
en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, 
et des promesses pour des effets.
ARGAN.— Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages 
et aussi habiles que vous; et nous voyons 
que dans la maladie tout le monde a recours aux médecins.
BÉRALDE.— C'est une marque de la faiblesse humaine, 
et non pas de la vérité de leur art.
ARGAN.— Mais il faut bien que les médecins croient 
leur art véritable, puisqu'ils s'en servent pour eux-mêmes.
BÉRALDE.— C'est qu'il y en a parmi eux, qui sont eux-mêmes 
dans l'erreur populaire, dont ils profitent, 
et d'autres qui en profitent sans y être.(...)

A la scène 16 de l’acte III, Béralde tente de lui ouvrir les yeux sur la fausseté de Béline à qui, se croyant parvenu à la dernière extrémité, il a confié une très forte somme d’argent, prise sur l’héritage du à ses deux filles :

BÉRALDE.— Hé bien oui, mon frère, 
puisqu'il faut parler à cœur ouvert, 
c'est votre femme que je veux dire ; 
et non plus que l'entêtement de la médecine, 
je ne puis souffrir l'entêtement où vous êtes pour elle, 
et voir que vous donniez tête baissée 
dans tous les pièges qu'elle vous tend.

C’est finalement sa servante Toinette qui va trouver le moyen d’enfin lui faire ouvrir les yeux sur ces rapaces qui lui tournent autour, sa femme en particulier. Il se refuse à entendre aucun discours raisonnable ? alors qu’il entende, énoncées à coeur ouvert, les véritables pensées de Béline. Et pour obtenir ce dévoilement, quel meilleur stratagème que d’annoncer faussement sa mort, et d’observer en cadavre attentif la réaction des uns et des autres ? Sur ce survient Béline. Comme Toinette faussement éplorée lui apprend l’affreuse nouvelle, en prenant soin de préciser qu’elle est la première à en prendre connaissance, loin de fondre en larmes elle exulte :

BÉLINE.— Le Ciel en soit loué. 
Me voilà délivrée d’un grand fardeau. 
Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !
TOINETTE.— Je pensais, Madame, qu’il fallût pleurer.
BÉLINE.— Va, va, cela n’en vaut pas la peine. 
Quelle perte est-ce que la sienne, 
et de quoi servait-il sur la terre ? 
Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, 
sans cesse un lavement, ou une médecine dans le ventre, 
mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, 
ennuyeux, de mauvaise humeur, 
fatiguant sans cesse les gens, 
et grondant jour et nuit servantes, et valets.
TOINETTE.— Voilà une belle oraison funèbre.
BÉLINE.— Il faut, Toinette, 
que tu m’aides à exécuter mon dessein,
et tu peux croire qu’en me servant ta récompense est sûre. 
Puisque par un bonheur personne 
n’est encore averti de la chose, 
portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, 
jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire. Il y a des papiers, 
il y a de l’argent, dont je me veux saisir, 
et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit 
auprès de lui mes plus belles années. 
Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs.

Les yeux dessillés d’un coup d’un seul, Argan ressuscite et explose d’indignation, provoquant la fuite de Béline.

ARGAN, à Béline qui sort.— Je suis bien aise 
de voir votre amitié, et d’avoir entendu 
le beau panégyrique que vous avez fait de moi. 
Voilà un avis au lecteur, qui me rendra sage à l’avenir,
et qui m’empêchera de faire bien des choses.
L’expérience n’est toutefois pas terminée. 
Toinette suggère à son maître de la reproduire 
avec sa fille Angélique, afin de bien lui montrer, 
par contraste, de quel côté doit pencher 
sa tendresse et sa sollicitude, ce qui donne :
ANGÉLIQUE.— Ô Ciel ! quelle infortune ! 
quelle atteinte cruelle ! Hélas ! 
faut-il que je perde mon père, 
la seule chose qui me restait au monde ; 
et qu’encore pour un surcroît de désespoir, 
je le perde dans un moment où il était irrité contre moi ? 
Que deviendrai-je, malheureuse, 
et quelle consolation trouver après une si grande perte ?

Cette mise en scène permet également à Valère, qui arrive opportunément sur ces entrefaites, de montrer son bon naturel:

VALERE.— Ô Ciel ! quel accident ! quel coup inopiné ! 
hélas ! après la demande que j’avais conjuré 
votre oncle de lui faire pour moi, 
je venais me présenter à lui, 
et tâcher par mes respects et par mes prières, 
de disposer son cœur à vous accorder à mes vœux.

L’esprit presque remis à l’endroit par ce traitement de choc, Argan accepte de bon gré de donner la main d’Angélique à Valère à la condition que ce dernier se fasse médecin, puis finit par se laisser convaincre tout aussi facilement qu’il peut tout aussi bien lui-même devenir médecin:

ARGAN.— Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. 
Est-ce que je suis en âge d’étudier ?
BÉRALDE.—Bon, étudier. Vous êtes assez savant ; 
et il y en a beaucoup parmi eux, 
qui ne sont pas plus habiles que vous.
ARGAN.— Mais il faut savoir bien parler latin, 
connaître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.
BÉRALDE.— En recevant la robe et le bonnet de médecin, 
vous apprendrez tout cela, 
et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.
ARGAN.— Quoi ? l’on sait discourir 
sur les maladies quand on a cet habit-là ?
BÉRALDE.— Oui. L’on n’a qu’à parler ; 
avec une robe, et un bonnet, tout galimatias 
devient savant, et toute sottise devient raison.
TOINETTE.— Tenez, Monsieur, 
quand il n’y aurait que votre barbe, 
c’est déjà beaucoup, et la barbe 
fait plus de la moitié d’un médecin.

Orgon, l’obsédé du salut de son âme

Orgon, l’équivalent de M. Jourdain et Argan dans la plus célèbre pièce de Molière, le Tartuffe ou l’imposteur, est un chef de famille fortuné. Père d’un fils, Damis, et d’une fille, Marianne, issus d’un premier mariage, il a épousé en secondes noces la belle Elmire, qui contrairement à Béline, l’aime d’amour sincère. Angoissé jusqu’aux tréfonds de son âme pour son salut, et la vie éternelle qui va avec, Orgon reçoit tous les jours chez lui depuis plusieurs mois Tartuffe, dévote personne dépourvue de tout bien, qui passe son existence en œuvres pies et mortifications ostensibles, prône l’austérité absolue dans les occupations terrestres, et se prétend tout entier tourné vers les félicités célestes dont il fait miroiter l’obtention à Orgon. De la sorte Tartuffe a acquis dans la maison une influence croissante et finalement démesurée, au point de prendre aux yeux d’Orgon plus de valeur que les membres de la maisonnée, auxquels il se permet de faire d’audacieuses remontrances. La mère d’Orgon, Mme Pernelle, fieffée bigote, est aussi entichée de Tartuffe que son fils : elle n’a pas de mots assez durs contre les membres de la maisonnée, qu’elle accuse de dépravation, et ne tarit pas de louanges au contraire envers Tartuffe, au point de le proclamer un Saint Homme, représentant sur Terre des vertus divines. Or tout cela n’est que du cinéma, Tartuffe en réalité est un escroc, un imposteur, un scélérat, qui ne joue ce rôle que pour tirer tout ce qu’il peut de la bourse sans fond d’Orgon, dont il a compris à merveille la béante faille psychologique, qui ne demande qu’a être comblée. Il a même poussé son emprise si loin qu’il est parvenu à décider son bienfaiteur à lui accorder la main de sa fille, afin de l’avoir auprès de lui à tout instant. La cuirasse du traître ne comporte qu’un seul défaut : il est tombé amoureux d’Elmire. Mais si loin va la cécité d’Orgon que lorsque son fils Damis pense pouvoir se débarrasser du faussaire en révélant à son père une déclaration d’amour que celui-ci à faite à Elmire et qu’il a surprise, plutôt que de l’en remercier le père ne veut rien entendre, et explose en imprécations contre son fils. Il défend Tartuffe envers et contre tout, et loin de prendre la décision de le chasser, intime à ce dernier de rester dans sa maison : « Non, vous demeurerez ; il y va de ma vie ! ». Emporté par son aveugle rage, il prend en sus la décision de déshériter son fils à son profit, ce qu’il fait sur l’heure !

La question lancinante que se posent toutes les personnes de l’entourage d’Orgon, comme dans les deux autres pièces est la suivante : comment diable allons-nous enfin parvenir à ouvrir les yeux à cet être littéralement envoûté, qui dans un aveuglement complet et de plus en plus obstiné achemine pas à pas sa famille à la ruine ? Comment, nom d’un homme, allons-nous parvenir à lui faire comprendre que Tartuffe est en tout l’antithèse exacte de ce qu’il prétend être, à savoir un menteur, un voleur, un imposteur, un manipulateur, disciple et membre de la secte la plus infâme dont l’humanité ait à déplorer et subir l’existence ?Ni Damis (par la colère), ni la servante Dorine (par la raillerie), ni son frère l’avisé Cléante (par la raison), ni sa fille Marianne (par la compassion) ne parviennent à libérer Orgon du sort que Tartuffe lui a jeté. De surcroît ce dernier est parvenu à isoler complètement la famille en faisant fuir tous les visiteurs. Comme dans les deux autres pièces, la tâche a d’abord l’air impossible… La faille psychologique d’Orgon est trop profonde, Tartuffe est parvenu à la combler avec une habileté diabolique, et Orgon est depuis trop longtemps persuadé de la sainteté de Tartuffe pour pouvoir changer facilement et du tout au tout d’opinion à son égard. Il en est venu à nourrir une relation de dépendance à l’égard de Tartuffe, qui de simplement rassurant au départ a fini par devenir indispensable. Le bon sens d’Orgon été réduit à néant. Un et un peuvent faire trois. Il peut faire jour quand il fait nuit. L’étranger peut être préféré au prochain. Tartuffe pourrait facilement le convaincre qu’en se mettant un masque en tissu béni sur la bouche, il pourrait se protéger des propos et pensées impurs dont les miasmes flottent dangereusement dans la maison sous la forme d’écharpes contagieuses d’une fumée impie, même si chacun sait qu’un masque en tissu, aussi serrées en soient les mailles, ne sauraient protéger d’une matière aussi insaisissable que la parole et la pensée.

Finalement, le destin de la famille est en train les mains d’Elmire, qui heureusement n’est pas une Béline ! Elle met son mari au défi :

ELMIRE.— J'admire, encore un coup, cette faiblesse étrange.    
Mais que me répondrait votre incrédulité,
Si je vous faisais voir qu'on vous dit vérité?
ORGON.— Voir?
ELMIRE.— Oui.
ORGON.— Chansons.
ELMIRE.— Mais quoi! si je trouvais manière
De vous le faire voir avec pleine lumière?
ORGON.— Contes en l'air.
ELMIRE.— Quel homme! Au moins répondez-moi.
Je ne vous parle pas de nous ajouter foi:
Mais supposons ici, que d'un lieu qu'on peut prendre,
On vous fît clairement tout voir, et tout entendre,
Que diriez-vous alors de votre homme de bien?
ORGON.— En ce cas, je dirais que... Je ne dirais rien,
Car cela ne se peut.
ELMIRE.— L'erreur trop longtemps dure,
Et c'est trop condamner ma bouche d'imposture.
Il faut que par plaisir, et sans aller plus loin,
De tout ce qu'on vous dit, je vous fasse témoin.
ORGON.— Soit je vous prends au mot. Nous verrons votre adresse
Et comment vous pourrez remplir cette promesse.

Cela dit elle demande à son mari de se cacher sous la table, et fait venir Tartuffe. Lui expliquant pourquoi elle n’a pas voulu d’abord répondre positivement à sa déclaration d’amour, elle s’avoue finalement toute à lui. D’abord méfiant face à ce revirement qui le ravit, Tartuffe trop amoureux peu à peu abaisse ses défenses, et renouvelant sa déclaration d’amour, la presse d’en avoir sur le champ la preuve charnelle. Face à tant d’empressement Elmire lui présente ce scrupule :

Mais comment consentir à ce que vous voulez,
Sans offenser le Ciel dont toujours parlez ?

Tartuffe dévoile alors toute la noirceur de son âme.

Si ce n'est que le Ciel qu'à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle, est à moi peu de chose,
Et cela ne doit pas retenir votre cœur.
(…)
Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l'art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements;
Mais on trouve avec lui des accommodements.
(…)
Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi,
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
(…)
Enfin votre scrupule est facile à détruire,
Vous êtes assurée ici d'un plein secret,
Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait.
Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense;
Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence.

Enfin, pour faire tomber les dernières défenses d’Elmire, Tartuffe lâche ces phrases terribles :

Qu'est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez?
C'est un homme, entre nous, à mener par le nez.
De tous nos entretiens, il est pour faire gloire,
Et je l'ai mis au point de voir tout, sans rien croire.
Quel biais a-t-il fallu trouver pour enfin amener Orgon à reconnaître l’abominable duplicité de Tartuffe !

Cette fois, enfin, Orgon est convaincu, et plus que convaincu : sa rage est à la mesure de l’aveuglement dans lequel il a si longtemps été englué. Malheureusement, comme il s’empresse, après avoir jailli de sa cachette, de chasser avec fracas Tartuffe de chez lui, ce dernier, se dévoilant pour de bon, lui rappelle qu’il lui a remis par écrit tout son bien, et que c’est à lui de vider les lieux dont il est le nouveau propriétaire légitime.

Pour l’analogie que nous allons développer ensuite, ce dénouement à d’autres suites instructives : alors qu’Orgon se réconcilie avec tous ses proches, qui lui pardonnent volontiers, et qu’ils cherchent ensemble un moyen de s’extirper de cet horrible piège, survient Mme Pernelle qui continue de ne rien vouloir croire. C’est à présent au tour d’Orgon d’affronter en clairvoyant les rationalisations stupides de sa radicalisée de mère :

MADAME PERNELLE .— Mon fils, je ne puis du tout croire
Qu'il ait voulu commettre une action si noire.
ORGON .— Comment?
MADAME PERNELLE .— Les gens de bien sont enviés toujours.
ORGON .— Que voulez-vous donc dire avec votre discours,
Ma mère?
MADAME PERNELLE .— Que chez vous on vit d'étrange sorte,
Et qu'on ne sait que trop la haine qu'on lui porte.
ORGON .— Qu'a cette haine à faire avec ce qu'on vous dit?
MADAME PERNELLE .— Je vous l'ai dit cent fois, quand vous étiez petit.
La vertu, dans le monde, est toujours poursuivie;
Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.
ORGON.— Mais que fait ce discours aux choses d'aujourd'hui?
MADAME PERNELLE .— On vous aura forgé cent sots contes de lui.
ORGON.— Je vous ai dit déjà, que j'ai vu tout moi-même.
MADAME PERNELLE .— Des esprits médisants, la malice est extrême.
ORGON .— Vous me feriez damner, ma mère. Je vous di,
Que j'ai vu de mes yeux, un crime si hardi.
MADAME PERNELLE .— Les langues ont toujours du venin à répandre;
Et rien n'est, ici-bas, qui s'en puisse défendre.
ORGON .— C'est tenir un propos de sens bien dépourvu !
Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,
Ce qu'on appelle vu: faut-il vous le rebattre
Aux oreilles cent fois, et crier comme quatre?
MADAME PERNELLE .— Mon Dieu, le plus souvent, l'apparence déçoit.
Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit.
ORGON .— J'enrage.
MADAME PERNELLE.— Aux faux soupçons la nature est sujette;
Et c'est souvent à mal, que le bien s'interprète.
ORGON.— Je dois interpréter à charitable soin,
Le désir d'embrasser ma femme?
MADAME PERNELLE.— Il est besoin,
Pour accuser les gens, d'avoir de justes causes,
Et vous deviez attendre à vous voir sûr des choses.
ORGON.—Hé, diantre, le moyen de m'en assurer mieux?
Je devais donc, ma mère, attendre qu'à mes yeux
Il eût... Vous me feriez dire quelque sottise.
MADAME PERNELLE .— Enfin d'un trop pur zèle on voit son âme éprise,
Et je ne puis du tout me mettre dans l'esprit,
Qu'il ait voulu tenter les choses que l'on dit.
ORGON.— Allez. Je ne sais pas, si vous n'étiez ma mère,
Ce que je vous dirais, tant je suis en colère.

Dialogue de sourds, que Dorine conclut malicieusement par cette morale :

Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas.
Vous ne vouliez point croire, et l'on ne vous croit pas.

Pour faire changer d’avis Madame Pernelle, il faut que Tartuffe paraisse devant eux avec son vrai visage, les sommant impérieusement de vider les lieux dans les 24 heures. Alors seulement elle accepte de se ranger à l’opinion de tous : « Je suis tout ébaudie, et je tombe des nues. » Comme son fils, il fallait qu’elle voie de ses propres ses yeux.

Heureusement, comme toujours chez Molière, tout est bien qui finit bien. Accompagné de l’exempt du Prince, qui est censé exécuter l’arrêt d’expulsion en sa présence, Tartuffe dévoile à nouveau sans fard son hideux vrai visage, ce qui signe sa perte. C’est à ce dernier, et non à Orgon, que l’Exempt intime de le suivre, et pour l’emmener en prison. Il tient alors ce discours au maître de maison :

Philaminte, la femme savante

Remettez-vous, Monsieur, d'une alarme si chaude.
Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude,
Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs,
Et que ne peut tromper tout l'art des imposteurs.
D'un fin discernement, sa grande âme pourvue,
Sur les choses toujours jette une droite vue,
Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle,
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,
Et l'amour pour les vrais, ne ferme point son cœur
À tout ce que les faux doivent donner d'horreur.
Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D'abord il a percé, par ses vives clartés,
Des replis de son cœur, toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même,
Et par un juste trait de l'équité suprême,
S'est découvert au Prince un fourbe renommé,
Dont sous un autre nom il était informé;
Et c'est un long détail d'actions toutes noires,
Dont on pourrait former des volumes d'histoires.
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté
Sa lâche ingratitude, et sa déloyauté;
À ses autres horreurs, il a joint cette suite,
Et ne m'a, jusqu'ici, soumis à sa conduite,
Que pour voir l'impudence aller jusques au bout,
Et vous faire, par lui, faire raison de tout.
Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,
Il veut qu'entre vos mains, je dépouille le traître.

On trouve le pendant féminin de ces trois barbons envoûtés et tyranniques chez Philaminte, dans L’école des femmes : Philaminte, épouse de Chrysale, que dans le couple elle a subjugué, s’est prise d’une passion immodérée, de concert avec sa belle-sœur Béline et sa fille aînée Armande, du « bel esprit » et homme d’âge mûr Trissotin. Il vient tous les jours dans la maison où il éblouit son public féminin fasciné par un langage plein de pompe, d’apprêts, de figures, de références pédantes aux auteurs et philosophes grecs et latins, et aux grammairiens célèbres. A l’instar de ses alter ego masculins, Philaminte se met en tête de forcer sa fille cadette, Henriette, jeune fille de bon sens insensible au verbiage de l’escroc ès us du bien-dire, à prendre Trissotin pour époux, mariage auquel ce dernier n’est pas hostile, non par amour pour Henriette, mais par ambition de devenir ainsi riche grâce à la dot considérable qu’elle lui apportera. Le faible mari, la cadette victime et la servante Martine au langage châtié tentent tour à tour, chacun tentant avec ses mots à lui de frayer un chemin dans le labyrinthe où le bon sens de Philaminte s’est perdu, afin de la faire descendre de son Olympe de pacotille. Mais c’est en pure perte ; quand elle reçoit, d’un jaloux et concurrent de Trissotin sur ce marché, une lettre révélant les plagiats de ce dernier dans les poèmes qu’il leur a présentés pour siens, jointe à un colis des ouvrages marqués aux pages pillées, elle refuse de les ouvrir pour vérifier par elle-même, refuse même d’en lire les titres, d’en regarder même les couvertures !… imputant la démarche à pure volonté jalouse de nuire au saint homme de lettres qui dans son âme ensorcelée a pris l’importance du soleil dans le ciel. Comme Argan et Orgon, il faut littéralement lui mettre le nez dedans pour qu’elle s’éveille enfin de l’enchantement. Le stratagème est mis en œuvre par Ariste, le frère de Chrysale : alors que le mariage est près de se conclure en présence du notaire, celui-ci déboule in extremis porteur de deux lettres adressées, l’une à son frère, l’autre à son épouse Philaminte : la première lui annonce sa complète banqueroute, la seconde qu’elle vient d’être ruinée dans un procès ; ce qu’apprenant, Trissotin se dégage brusquement de son engagement, n’y voyant plus aucun intérêt matériel. Alors Philaminte reconnaît :

Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire,
Ce que jusques ici j’ai refusé de croire.

Puis :

Qu’il a bien découvert son âme mercenaire !
Et que peu philosophe est ce qu’il vient de faire !

En tout être humain réside une faille psychologique susceptible de réduire à néant son bon sens, qui le rend vulnérable aux manipulations des escrocs, charlatans, parasites en tous genres. Telle est l’une des grandes leçons que Molière a voulu transmettre dans son œuvre. Quand sont en jeu les questions d’intérêt les plus intimes, à savoir l’ambition personnelle, le désir des richesses, la peur de la maladie et de la mort, l’aspiration à l’éternité, l’amour, un vice, une phobie, une passion profondément enracinés, il n’est rien qu’on ne soit porté à croire, jusqu’au point où tout discours démystificateur, aussi convaincant soit-il, se retrouve impuissant devant mur infranchissable, à moins d’un biais qui n’ait rien à devoir au raisonnement… Nous allons voir à présent, guidés par cette boussole, comment les Tartuffes modernes ont orgonisé toute une partie de la population à l’occasion de la crise sanitaire de la Covid-19 qui ressemble de plus en plus à un tunnel sans fin.

François Belliot, 1er décembre 2020

Seconde partie le 8 décembre : Les Tartuffes et les Orgons modernes de la Covid-19

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