Il est dangereux à notre époque d’avoir un terroriste dans sa famille, surtout quand c’est votre frère et qu’il a été identifié comme le commanditaire d’un attentat qui a fait 130 morts, et c’est naturellement bien pire encore quand vous avez en plus deux cousins, dont vous étiez proche, qui se sont fait sauter quatre mois plus tard dans un attentat ayant fait 42 morts. C’est ce qui est arrivé à Yassine Atar, le frère d’Oussama, présumé mort en Syrie en 2017. En revanche, il est en un sens plus facile d’être un terroriste – ou un combattant djihadiste – de retour dans son pays natal suite à une campagne de presse humanitaire bien rodée : vous êtes placé sous contrôle judiciaire, votre passeport vous est retiré, mais vous pouvez faire une nouvelle demande, obtenir le sésame avec l’aval du pouvoir politique, qui a décidé de faire de vous un agent double, et vous envoler en Syrie planifier – si l’on se fie aux verdicts des procès – les attentats de Paris du 13 novembre, puis ceux de Bruxelles du 22 mars, sans que quiconque par la suite n’ait à rendre des comptes pour cette bourde monstrueuse.
Yassine Atar
Aujourd’hui âgé de 35 ans, Yassine Atar est resté en détention provisoire pendant plus de cinq ans, depuis son arrestation, le 27 mars 2016, cinq jours après les attentats de Bruxelles. C’est un cousin d’Ibrahim et Khalid el Bakraoui, deux frères qui se sont fait sauter respectivement dans le métro bruxellois et dans l’aéroport de Zaventem. Il est également le jeune frère d’Oussama Atar, présenté comme le commanditaire des attentats du 13 novembre 2015. D’une façon ou d’une autre à la croisée de ces deux énormes affaires, Yassine Atar, accusé en particulier d’avoir eu en sa possession la clé de la planque qui a servi à la cavale de Salah Abdeslam, n’a eu de cesse de clamer son innocence depuis toutes ces années, ce qu’il a réitéré dès ses premières déclarations au procès des attentats, le 15 septembre 2021 : « On m’a collé une étiquette de terroriste alors que je suis pas un terroriste, monsieur le président. »/ « Monsieur le président, je reconnais ma participation aux attentats. Mais dans ce malheur qui a touché la France, je ne suis pas le commanditaire ni le cerveau. J’ai apporté aucune aide logistique financière. »
Finalement peu de preuves, sinon aucune comme on s’en rendra compte, mais un faisceau d’indices suggérant qu’il était au courant des terribles projets en préparation, et une radicalisation « islamiste » pendant les mois et les années précédents. Dans son téléphone portable ont été exhumés des SMS suspects. Ainsi en janvier 2016, à sa sœur qui lui souhaite la bonne année il rétorque que « c’est une fête de kouffars » (NDA : mécréants). Quelques semaines plus tard, à sa femme qui va à la piscine, il s’indigne : « si ces chiens de kouffars regardent la vidéosurveillance. » Un peu plus tard encore il évoque cette « Belgique de merde ». On a par ailleurs retrouvé, lors de la perquisition de son domicile, dans une boîte à chaussures, une clé USB contenant un nachid (NDA: chant religieux) djihadiste ou le Coran est psalmodié avec des bruits d’armes à feu en arrière-fonds. Lors d’un voyage en Thaïlande avec sa femme qu’il a épousée en 2013, on le voit sur une photo en habit genre treillis en tongs et doigt levé vers le ciel, signe de l’unicité d’Allah qui constituerait un indéniable geste de ralliement à l’État Islamique ; sur cette photo projetée à l’audience du 3 décembre 2021, sa femme arbore un t-shirt floqué « arme » et effectue le même geste terrifiant. Sur Facebook, il avait, sur un groupe de motards, les « kamikazes bikers », trois friends pouvant être rattachés à la « mouvance islamiste radicale ». Il y a par ailleurs contre lui le témoignage d’un certain Marocain Zoubair E. qui aurait constaté chez lui un changement brutal dans son comportement au retour de son frère Oussama d’Irak fin 2012, et après son mariage en 2013 avec une dame très portée sur la religion. Lors de l’audience du 3 décembre 2015, une enquêtrice belge lit d’elle le révélateur courrier suivant : « Quand tu essaies de faire le djihad, tu passes pour un terroriste, quelle époque pourrie ! Puisse Allah hâter la fin des temps, qu’on en finisse ! »
Ses liens très concrets avec son frère Oussama et les frères el Bakraoui ne plaident évidemment pas non plus en sa faveur. Avec sa famille il a remué ciel et terre, après 2005, pour ramener en Belgique son frère parti se joindre au djihad contre les forces d’occupation étasuniennes, et fait prisonnier dans la prison d’Abou Ghraib – où la torture et les sévices divers étaient monnaie courante de la part des forces de « l’axe du bien » – montant un comité de soutien en sa faveur ayant reçu une certaine médiatisation à l’époque. Il y a également ces nombreuses visites en prison qu’il a faites à ses cousins el Bakraoui fin 2012/début 2013, quand ces derniers purgeaient une peine pour trafic de stupéfiants – précisons que lui-même a été condamné pour ce même motif à la fin de l’année 2015, juste après la naissance de son enfant, qu’il a d’abord prénommé Oussama, comme son frère. Et selon les policiers belges qui se basent sur une retranscription d’une conversation enregistrée, il aurait recherché une planque pour un terroriste. Le dossier contre lui a été essentiellement monté par la juge d’instruction belge Sophie Grégoire, qui a suscité les vives protestations des deux avocats de Yassine Atar, Raphaël Kempf et Christian de Saint-Palais quand on a appris, le 27 janvier 2022, qu’elle refusait de témoigner physiquement au procès, afin de se réserver pour la procédure des attentats de Bruxelles. Pour le premier, « il est impossible de comprendre comment Yassine Atar se retrouve dans ce box des accusés sans que l’on pose des questions à la personne qui l’a incarcéré pour la première fois en mars 2016, à savoir Mme Sophie Grégoire. », le second dénonce carrément « un bras d’honneur à la cour d’assises ».
Malgré ce faisceau d’indices, de relations et présomptions en apparence accablants, force est de reconnaître que l’interrogatoire de l’accusé, ainsi que de quelques personnes qui ont accepté de témoigner en sa faveur à la barre, les 1 et 2 février 2022, ont dessiné les contours d’un emballement judiciaire.
Les SMS daéchoïdes ? Ceux que nous avons cités sont les seuls sur un nombre de 35 000, et peuvent s’expliquer par d’innombrables autres motifs psychologiques et circonstanciels. « Vous ne croyez pas que c’est une certaine beaufitude plutôt que le germe du terrorisme ? » argue l’un de ses avocats. La photo de Thaïlande ? En quoi dresser en couple le doigt vers le ciel est la preuve irréfutable qu’on rêve de poser des bombes dans des cafés ? La clé USB avec les chants daéchonocidaires ? Atar explique qu’il l’a trouvée dans une voiture d’occasion et qu’il ne l’a jamais écoutée, et ce serait l’unique preuve de radicalisation trouvée à son domicile. Les visites à ses cousins en prison ? Qui ne visite pas ses proches dans de telles circonstances, et il jure n’avoir jamais repéré leur radicalisation. Le témoignage à charge de Zoubaïr E ? C’est l’unique du genre, l’homme a refusé de venir témoigner physiquement au procès, et il est battu en brèche par celui de sa sœur, de son oncle, et de l’homme qui l’a visité en prison à 60 reprises depuis son extradition et détention provisoire illimitée en France en 2018. Passons sur les autres griefs pour lesquels des objections comparables ont été produites. Le témoignage des enquêteurs belges qui ont mené l’investigation, entendu début décembre 2021 a été unanimement jugé désastreux par les observateurs1, désastre accentué par leur refus de venir témoigner physiquement au procès, et leur remplacement en visioconférence par des collègues n’ayant pas mené les enquêtes, ce qui a entraîné la colère des avocats de la défense, et même des parties civiles, jusqu’à pousser les accusés mis en examen par leur soins à déserter le box des accusés tout le temps de leurs interventions.
Rapportons en guise d’illustration cette anecdote rapportée par Sophie Parmentier le 1er mars 2022 pour franceinter.fr : « Me Raphaël Kempf, l’un des avocats de Yassine Atar, est le plus fougueux et se fâche contre ce policier belge. « Écoutez monsieur, si Yassine Atar est dans le box, c’est à cause de vous ! » s’emporte-t-il, alors que l’enquêteur antiterroriste bruxellois a oublié les détails du procès-verbal que l’avocat veut lui rappeler. Sur ce PV-là, les policiers belges ont estimé que Yassine Atar, petit frère du commanditaire présumé Oussama Atar, cherchait une planque, sur la base d’une conversation téléphonique retranscrite. L’avocat tient à faire entendre cet audio dans la grande salle d’audience. Un interprète traduit le dialecte avec des mots d’arabe. « T’as pas un appart’ à Marbella ? », entend-on. « C’est où à votre avis ? » demande Me Kempf. « J’imagine que c’est au Maroc ? » tente le policier. « En Espagne ! », s’époumone l’avocat. « Il cherchait pas une planque mais un appartement pour des vacances ! » Et brillamment, point par point, l’avocat continue à démonter les hypothèses du policier belge. « Un policier ne doit pas vérifier des hypothèses ? », ironise-t-il. Le policier a bien du mal à répondre à toutes les questions qu’on lui pose, et il finit par bredouiller : « je ne saurais vous dire ». »
Enfin dans l’après-midi du 2 février ont été successivement produits trois témoignages, extrêmement convaincants mis bout à bout. Pour sa sœur Imane, âgée de 39 ans, « Yassine Atar est le « frère de… », le « cousin de… » il est évident que s’il se retrouve dans le box, c’est à cause de ça. » Quand on la questionne sur l’éventuelle radicalisation de son frère : « C’est très simple monsieur le président : Yassine n’a jamais été radicalisé. » Quand on lui demande s’il était « acquis aux thèses de l’État islamique ». Elle coupe : « Je trouve ça ridicule. » Non seulement il n’était pas religieux et ne « tenait même pas ses prières », mais Oussama et Yassine n’étaient plus du tout proches, le premier ayant pratiquement renié le second en raison de son mode de vie par trop épicurien. Yassine est « innocent », on s’est « acharné » sur lui. Concernant les SMS, on « prend un message sur des milliers pour le faire passer pour ce qu’il n’est pas. » Même chose pour cette histoire de piscine et de kouffars.
Le portrait qu’en a fait ensuite son oncle Mustapha B a rendu l’atmosphère encore plus surréaliste. « Quand Atar Yassine dit qu’il condamne les attentats, il le fait sincèrement. » commence-t-il. Peut-être les frères el Bakraoui ont-ils subi l’influence délétère d’Oussama Atar, mais pour ce qu’il en savait, les visites de son neveu à ses derniers en prison étaient anodines et il n’était absolument pas question de djihad à l’époque. Oussama du reste réprouvait fortement le trafic de cannabis de son frère. Aux dires de l’oncle Mustapha, Yassine trompait sa femme allégrement, notamment au Maroc quand il passait par les bordels de Tanger. « Une personne intégriste ne va pas tromper sa femme, ne va pas aller aux prostituées ! » Il souligne que Zoubaïr E. ne témoigne pas lors du procès, et dit encore : « L’État islamique, ce n’est pas son idéal. Je vous l’assure. » Était-il « acquis aux thèses de l’État islamique », lui demande-t-on encore ? « Je le répète, c’était vraiment pas l’idéal d’Atar Yassine. Il aime les belles voitures, les femmes… » Il n’a jamais constaté de modification notable du comportement : « Yassine, c’est toujours le Yassine que j’ai connu. »
Le témoignage de Paul C, 76 ans, son visiteur de prison, n’est pas moins convaincant. Il émane d’un homme qui se revendique « athée », qui « ne supporte pas l’intégrisme religieux ». Pourquoi vient-il déposer aujourd’hui ? Depuis douze ans maintenant, l’homme est visiteur de prison. Il a rendu visite à Yassine Atar « à peu près 60 fois » depuis septembre 2018 au parloir du quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Fresnes, en banlieue parisienne, puis ailleurs, à Fleury-Mérogis par exemple. Comme les premiers mots d’Atar ont été « Monsieur, j’ai honte que l’on me présente à vous comme un terroriste. », Paul C commente : « Des 82 détenus qu’il a rencontrés à Fresnes, il est le premier à parler ainsi, à se dire innocent », explique-t-il. Son profil est également unique si jamais il était un djihadiste : « Il n’y a pas beaucoup de djihadistes qui demandent un visiteur de prison. On n’est pas dans le même monde, on est mécréants, kouffars… » Concernant le sujet de la religion et de la radicalisation : « Il était à 1000 km de ça. Ce n’était pas son affaire. Son affaire, c’était son dossier. » Il en a profité pour évoquer les conditions de détention particulièrement dures : « l’humiliation n’a jamais fait partie de la peine », dit-il. L’isolement total, les fouilles à nu après chaque visite… « Subir ça pendant quatre ans, je le souhaite à personne. […] Sans visite, je ne sais pas ce que ça aurait donné. »
Quoiqu’il en soit, Yassine Atar demeure accusé d’association de malfaiteurs terroriste et encourt pour cette raison 20 ans de prison, auxquels pourrait s’ajouter une seconde condamnation dans le cadre du procès des attentats de Bruxelles dans lequel il figure également au rang des accusés.
Le 29 juin, alors que le Pnat avait requis contre lui huit ans d’emprisonnement avec une période de sûreté des deux tiers, la cour a ajouté une année supplémentaire, le reconnaissant coupable d’association de malfaiteurs terroristes. Ayant toutefois déjà effectué six ans de détention provisoire, il a pu rapidement bénéficier d’un aménagement de sa peine.
Entendu comme témoin au procès des attentats de Bruxelles, qui s’est tenu de novembre 2022 à septembre 2023, il a refusé de s’y exprimer, arguant qu’il avait dit tout ce qu’il avait dire à l’occasion du procès des attentats du 13 novembre.
Oussama Atar
Oussama Atar, né le 5 mai 1984 à Bruxelles – 31 ans donc au moment des faits – a été présenté comme le commanditaire des attentats du 13 novembre. La certitude ne semble pas absolue, les médias parlent souvent de commanditaire « présumé », recourent souvent au conditionnel, mais son parcours de djihadiste précoce et chevronné, sa place dans l’organigramme de l’EI, et les contacts qu’il a pu avoir avec les différents accusés dont certains présents dans le box, suggèrent qu’il peut avoir joué un rôle de premier plan dans l’organisation des attentats.
Nous rappelons qu’il est le fils de parents marocains ayant émigré en Belgique, et qu’il était le quatrième d’une fratrie de sept enfants (cinq filles et deux garçons) – son frère Yassine étant le cinquième. C’était par ailleurs un cousin des frères el Bakraoui qui auront un rôle clé dans la logistique des attentats du 13 novembre et se feront sauter à Bruxelles le 22 mars 2016.
Comme presque tous les protagonistes de ce dossier, son parcours scolaire est des plus médiocres, jusqu’à tripler une classe. Il opte alors pour l’enseignement technique dans le domaine de la chimie. Mais rapidement il se découvre une nouvelle passion qui va le faire complètement bifurquer : le Levant, l’arabe, l’Islam, puis le djihad. C’est ainsi qu’il n’a que 17 ans quand il entreprend son premier voyage en Syrie en 2001, qu’il effectue en compagnie d’un de ses amis , et du père de ce dernier, un certain Bassam Hayachi, fondateur du Centre islamique belge à Molenbeek, et informateur des services français et belges.
En septembre 2003, il effectue un second voyage en Syrie, et c’est en cette occasion, rapportera un enquêteur belge au procès le 2 décembre 2021, qu’il « aurait été en contact pendant ses cours avec des professeurs hostiles aux États-Unis. Il aurait illégalement gagné l’Irak en 2004. Il y avait des groupuscules présents en Syrie et qui auraient pu permettre à des candidats de se joindre en zone de combats. » L’Irak a en effet été envahi par les États-Unis le 20 mars 2003, en représailles aux attentats du 11 septembre 2001, et sous le prétexte fallacieux de la détention d’armes de destruction massives qui ne seront jamais retrouvées. L’Irak suscite à l’époque de multiples vocations chez ceux qui veulent en découdre avec des soldats considérés comme une force d’occupation illégale, ce qui avec le recul est parfaitement exact. On peut dire qu’à l’époque, Oussama Atar était un « combattant de la liberté », même s’il fait partie d’un groupe de combattants liés à al Qaida. En Irak, il participe ainsi en 2004 à la meurtrière bataille de Falloujah2, qui vit s’opposer en deux temps des « rebelles » irakiens à l’armée des États-Unis assistés par des supplétifs kurdes. Le 24 février 2005, Oussama Atar est arrêté à un point de contrôle tenu par l’armée étasunienne, avec de faux papiers au nom d’Ali Salah Mohamed. L’enquêteur belge auditionné le 2 décembre détaillera : « Plusieurs maisons sont visitées, les militaires retrouvent un fichier avec 200 djihadistes sur lequel figure le nom d’Oussama Atar qui serait rentré sur le territoire en juillet 2004. Le 27 février 2007, il est condamné à la prison à perpétuité pour accès illégal sur le territoire. Il se pourvoit en cassation, et, le 20 mai 2007, est condamné à 10 ans d’emprisonnement pour être entré illégalement sur le territoire irakien. Interpol précise que les faits étaient en lien avec le terrorisme, mais ça n’apparaît pas dans le jugement ». Il purge sa peine dans la prison d’Abu Ghraib, ou il fait la rencontre Abu Mohamed al-Adnani, qui jouera, en tant que numéro 2 de l’EI et chef de la Copex de Daech – responsable des opérations extérieures – un rôle clé dans la planification des attentats du 13 novembre.
En Belgique toutefois, sa famille se mobilise et monte un comité de soutien auquel participe activement son jeune frère Yassine. Lors d’une conférence de presse, ce comité de soutien expose en effet qu’Oussama est atteint d’une tumeur et affligé d’une extrême maigreur. Des rassemblements ont également lieu dans la capitale belge sous l’intitulé «Sauvons Oussama, L’oublié belge détenu en Irak », avec le soutien d’Amnesty International, de la Croix-Rouge et de l’ambassade de Belgique en Jordanie3. Il parvient ainsi à bénéficier d’une libération anticipée le 24 août, et le 16 septembre 2012 le voilà de retour à Bruxelles. On se rendra compte par la suite que ses problèmes de santé ont été extrêmement exagérés, en particulier sa tumeur.
Deux jours plus tard, le 18 septembre, il est tout de même entendu par la police belge et il mis en examen par un juge d’instruction pour « participation aux activités d’un groupe terroriste ». La police fédérale belge reçoit pour mission de le contrôler régulièrement et il a l’interdiction de quitter le territoire, mais dans les faits il est laissé à peu près sans surveillance.
Ses proches le trouvent profondément changé. Sa sœur Imane, qui a témoigné au procès des attentats le 2 février 2022, rapporte qu’alors qu’il était « refermé sur lui-même, déjà adolescent », « quand il est revenu après ces dix ans, il parlait encore moins. » « Un jour, on a vu des traces sur sa main, on lui a demandé si c’était des traces de tortures mais il n’a pas voulu répondre. » Selon son oncle, également témoin au procès, « il était devenu fondamentaliste dans sa pratique, Ce n’était plus le Oussama souriant qui se promenait dans le parc main dans la main avec sa petite amie. » Son frère dans le box des accusés tempère : « Il mettait peut-être le qamis pour aller à mosquée à l’occasion. Mais sinon il mettait un sweat-shirt Adidas, il avait le même en plusieurs couleurs. Après, il avait une barbe, ça c’est sûr. »
Il trouve alors un emploi dans une boulangerie, et, à l’instar de son frère Yassine, rend assidûment visite à des cousins el Bakraoui qui purgent une peine de prison, l’un pour avoir tiré à la kalachnikov sur des policiers lors d’un braquage, l’autre pour vols avec violence, car-jackings, et détention de kalachnikovs. C’est en cette occasion, selon l’enquêteur belge, qu’il les aurait tous les deux radicalisés.
Et c’est là que nous entrons dans le surréalisme : alors qu’il est interdit de quitter le territoire belge et que son passeport lui a été retiré, il effectue à Anderlecht une demande de passeport, qui lui est accordé. Avec ce passeport, il se rend en novembre 2013 en Tunisie, où il est refoulé par les services tunisiens et renvoyé en Belgique, et alors qu’il a à l’évidence violé son contrôle judiciaire avec des papiers qu’il ne devrait pas avoir reçus, à son retour il ne rencontre aucune sorte de problème avec la justice. Une note de la Police Judiciaire Fédérale mentionne qu’Atar a obtenu son passeport sur intervention du ministère belge des Affaires étrangères. L’exposé de cette situation a évidemment suscité la stupéfaction scandalisée au procès des attentats, notamment dans les rangs des avocats des parties civiles. L’hypothèse est alors ouvertement évoquée qu’Atar ait pu être recruté comme un agent double par les services de renseignement belges, mais alors que de dangereux soupçons pointent le bout de leur nez, le président de la cour d’assises siffle la fin de la récréation : « Nous ne sommes pas là pour faire le procès de telle institution ou de tel service. Qu’il y ait eu des failles, des gens qui soient passés à travers les mailles du filet, malheureusement, c’est acquis depuis un moment. Nous ne sommes pas là pour donner de bons ou de mauvais points… » Et puis avec tous ces gibiers de potence et boucs émissaires à disposition le box des accusés, n’est-ce pas…
C’est ainsi que le 6 décembre 2013, Oussama Attar peut s’envoler vers le Levant en transitant par la Turquie. Parvenu dans les zones contrôlées par l’EI, il intègre l’organisation sous le kounya (nom de guerre) d’Abu Ahmed.
C’est le 18 novembre 2021, au 45ème jour du procès, que des agents de la DGSI, intervenant floutés sur un fonds blanc, ont expliqué la probable façon dont les attentats du 13 novembre ont pu être décidés et mis en œuvre, et le rôle qu’a pu jouer Oussama Atar en cette occasion. Dans sa structure, l’EI avait constitué une cellule spéciale destinée aux opérations spéciales à l’étranger, la Copex – ce serait l’équivalent de la CIA ou de la DGSE si l’on considère, comme François Hollande lors de son audition, que l’EI pouvait être considéré comme un État. Pour planifier ce genre d’attaques, la Copex, qui aurait été créée « courant 2014 » sous l’impulsion d’al-Adnani, et qui était organisée en bureaux régionaux (Turquie, Europe, Arabie saoudite, Liban…) ou thématiques (Explosifs), eux-mêmes divisés en compétences géographiques, pouvait recruter des candidats parmi la brigade Liwa el-Saddiq, un bataillon de forces spéciales de l’EI également fondé en 2014, « une unité facilement projetable par l’EI » et « constituée de soldats d’élite », a expliqué l’agent 948SI. Oussama Atar en aurait été le commandement opérationnel. Un flou certain entoure toutefois le projet 13 novembre en particulier : « nous n’avons pas d’informations pour savoir comment il a été élaboré de manière précise mais nous avons des hypothèses de travail jugées fiables et fortement plausibles. Elles se basent avant tout sur les propos d’Osama Krayem tenus lors de ses auditions. » Le projet aurait été élaboré en Syrie entre Osama Atar, Abou Mohamed al-Adnani et les frères El Bakraoui, mais quant au choix précis des cibles, « ce sont les opérationnels eux-mêmes qui les auraient choisies ». Selon l’agent 948SI, « Oussama Atar est un noyau central, il fait le lien entre les frères el Bakraoui et certains des opérationnels venant de groupes avec qui il était lié comme Abdelhamid Abaaoud membre de la Copex », en conséquence de quoi « L’hypothèse de travail privilégiée est qu’Oussama Atar ait donné sa validation à ce projet. » « Oussama Atar était un cadre de premier plan de l’EI. Il était l’un des ressortissants européens avec les fonctions les plus élevées au sein de l’EI. »
Outre le témoignage précieux d’Osama Krayem, Le rôle d’Atar a été étayé le 23 novembre 2021 par un enquêteur de la DGSI : Adel Haddadi et Mohamed Usman, les deux « Autrichiens », l’auraient rencontré dans un appartement de Raqqa pour leur confier « une mission commune : aller en France pour commettre une action suicide. » Durant leur trajet de Syrie vers l’île de Leros, les deux hommes, qui rappelons-le voyageaient en compagnie des deux « Irakiens du Stade de France », auraient été en contact constant avec lui via l’application cryptée Telegram. On doit toutefois rappeler que ces deux hommes, dont nous avons déjà évoqué le parcours, ont été en contact direct avec lui dans des circonstances fort incertaines, et qu’ils n’avaient absolument pas le profil de « soldats d’élite’.
Le 28 décembre 2016, il est visé par un mandat d’arrêt international, et le 17 novembre 2017, il aurait trouvé la mort en Syrie par une frappe de la coalition internationale contre l’EI. Le 29 juin 2022, comme cette mort pas été prouvée de façon certaine, il est condamné à la perpétuité incompréhensible au terme du procès des attentats du 13 novembre.
Selon sa sœur Asma, malgré les allégations de l’« Autrichien » simple d’esprit Adel Haddadi, qui l’aurait formellement reconnu lors de son entretien d’embauche destiné à l’enrôler pour participer comme kamikaze aux attentats du 13 novembre, Oussama n’aurait rien à voir dans la conception et la préparation tant de cette opération que de celle de Bruxelles : « Pour moi, il n’y a aucune preuve, c’est sûrement quelqu’un qui a peur de prendre perpète et qui dénonce mon frère », et elle est convaincue qu’il est encore en vie quelque part : « Je vais vous dire une chose : mon frère a refait sa vie. Il n’a pas du tout l’intention de remettre les pieds en Belgique et en Europe. J’ai aucune idée s’il est toujours en Syrie ou en Irak, mais il n’est pas en Europe. Bientôt, on fera un démenti et nous, contrairement aux autorités, on a des preuves de ce qu’on avance ! »
Oussama Atar a été de nouveau condamné à la réclusion à perpétuité à l’issue des attentats de Bruxelles le 15 septembre 2023. Dans les jours suivants les événements, il avait envoyé une lettre non datée à sa mère dans laquelle il clamait son innocence : « Je te rassure par rapport à tous les mensonges et la diffamation qui a été menée ces derniers temps dans les médias à mon propos. Non, je ne suis pas le mentor ou le cerveau qui a mis en place les attentats de Bruxelles et je n’étais pas au courant de ce que Brahim et Khalid projetaient (qu’Allah leur fasse miséricorde) et ces chiens savent très bien que depuis qu’ils m’ont poussé à m’enfuir de Belgique je n’ai plus jamais eu de contact avec eux. Non, je ne suis pas Oussama ben Laden, ni le bras droit d’Abu Bakr el Baghdadi, et ces chiens savent très bien qu’à aucun moment je ne l’ai rencontré, ni en prison ni ailleurs. Non, je ne suis pas en Europe, et je ne pense même pas y retourner après qu’Allah, gloire à lui, m’a sauvé de ces criminels, et ces chien savent très bien où je me trouve en ce moment, alors pourquoi ces mensonges et cette guerre acharnée contre vous ? »
1Charlotte Piret, franceinter.fr, 25 novembre : « au jour 49, un premier enquêteur belge essuie les protestations de tous bords. » Thibauld Guichard, rfi.fr, 29 novembre : « L’agacement que suscite pour le moment l’intervention des enquêteurs belges, semble général. Excepté le ministère public, les critiques sont venues de toutes parts : des avocats de la défense, mais aussi des bancs des parties civiles et de certaines victimes qui suivent le procès. » Sophie Parmentier, franceinter.fr, 30 novembre : « Au soir du 51ème jour de ce procès des attentats du 13 novembre, beaucoup se demandent quelle est la pertinence de ces témoignages d’enquêteurs belges qui depuis trois jours, se renvoient la balle, bottent en touche, ou lisent les PV rédigés par d’autres. » Gérard Chemla (avocat de parties civiles), Libération, 1er décembre : « Pour l’avocat Gérard Chemla, qui représente 140 parties civiles au procès, le manque de transparence des enquêteurs belges fragilise leurs propres investigations et renforce l’argumentaire de la défense. » Aude Mazoue, 8 décembre, France24.com : « Le volet de l’enquête belge laisse comme un goût d’inachevé dans le procès. Les explications apportées le 7 décembre par un enquêteur belge sur le parcours, les relations et la radicalisation de Salah Abdeslam, principal accusé des attentats du 13 novembre, ont passablement frustré l’auditoire, quand elles ne l’ont pas fait rire ou énervé. »
2Début avril, la ville de Falloujah se révolte en réaction à la répression dans le sang d’une manifestation par les troupes US qui a fait 13 morts. Quatre employés de Blackwater sont alors lynchés par les habitants. Pendant tout le mois d’avril, l’armée US essaye en vain de reprendre le contrôle de la ville, ce qui sera chose faite le 23 décembre 2004, suite à ce qu’il est convenu par la deuxième bataille de Falloujah.
3« Oussama Atar, l’oublié belge de Bagdad », 7sur7.be, 08/05/10