Voici la dernière pièce de la galerie de portraits et parcours consacrée aux protagonistes des attentats du 11 septembre 2015 dont l’implication a été considérée à l’occasion du procès qui s’est tenu de septembre 2021 à 2022. Comme Ahmed Dahmani n’y était pas présent, emprisonné qu’il se trouve actuellement en Turquie, et que les informations le concernant ne sont pas légion, je n’ai pas pu aller beaucoup plus loin que ce qui en a été dit dans les médias ces dernières années, c’est-à-dire presque rien. Sa collaboration à la cellule du 13 novembre semble toutefois faire peu de doute et son profil est si semblable à la plupart de ceux que nous avons passés en revue tout au long de ces 17 chapitres ! Plutôt que de bombarder tardivement et inefficacement une Syrie que nous aurions dû soutenir dès 2011 contre un ennemi commun, peut-être eût-il fallu – bien évidemment avec l’accord de la Belgique – faire précocement le siège militaire de certaines banlieues de Bruxelles comme Molenbeek.
Ahmed Dahmani, 26 ans au moment des faits, est l’un des six accusés absents au procès, purgeant une peine de prison en Turquie, où il s’est envolé le lendemain des attentats du 13 novembre. Né le 13 avril 1989 à al-Hoceima, ville côtière du nord-est du Maroc, il émigre avec ses parents en Belgique en 1995. La famille réside d’abord à Saint-Gilles, dans la banlieue de Bruxelles, avant de s’installer à Molenbeek en 1998. Membre d’une fratrie de trois, il bascule très tôt dans la délinquance puis la criminalité. En échec scolaire et déscolarisé très jeune, il est âgé de douze ans quand il est arrêté pour la première fois. Son casier judiciaire est éloquent, son nom apparaissant en Belgique dans pas moins de 51 affaires dont la variété témoigne d’un éclectisme certain : vols aggravés avec rébellion, trafic d’héroïne et autres substances, recel, vol avec effraction et violences, attentat à la pudeur, défaut d’assurance, conduite sans permis. Cette authentique « chance pour la Belgique » a été toutefois naturalisée en 2005, en récompense des services rendus à la patrie et pour la promesse de bonheur qu’il incarnait. Il a par ailleurs pratiqué la boxe à un niveau presque professionnel, jusqu’à un dernier match en compétition le 21 février 2010 contre Matingu Kindele à Vlissingen en Hollande. Sa licence lui est retirée suite à un contrôle positif au cannabis. Dans le club de boxe où il pratiquait, évoluaient des membres suspectés d’avoir trempé dans les attentats du 13 novembre, comme Ayoub Bazarouj. Grand ami de Salah Abdeslam, il fréquentait le café les Béguines où il participait au visionnage de vidéos daéchophiles, selon l’associé de Mohamed Abrini. Accro au jeu, il fréquentait assidûment les casinos en compagnie de Salah, lui aussi chevillé par ce vice. C’est également un ami d’enfance de Mohamed Abrini, en compagnie duquel il sera vu, le soir du 13 novembre, en train de regarder un match de football dans un bar. Quoique sa sœur – témoignage rapporté au procès par un enquêteur belge – « n’a jamais vu de signe de sa radicalisation, n’a jamais su dire s’il se rendait à la mosquée », il est soupçonné d’être un logisticien de la cellule terroriste qui a perpétré le 13 novembre. Il s’est rendu une première fois en Turquie pour un séjour de deux semaines du 10 au 24 février 2015, dans la station balnéaire d’Antalya, à la même époque que Bilal Hadfi, l’un des trois kamikazes du Stade de France. Il a été contrôlé en Grèce le 4 août dans une voiture louée par Salah Abdeslam, en compagnie duquel il effectuait le voyage retour d’une traversée en ferry entre le port grec de Patras et la ville italienne de Bari. L’analyse de son téléphone portable a montré qu’il était en relation avec Sofien Ayari et Ossama krayem, (arrêtés le 10 décembre à Salzbourg sous les fausses identités de Fozi B., un Algérien de 28 ans, et Faysal A., un Pakistanais de 34 ans). Dans une voiture louée par ses soins, les enquêteurs belges, auditionnés le 1er mars 2022, ont retrouvé en 2015 des drapeaux de l’État islamique, « quatorze fausses cartes d’identité et des perruques ». Sur l’une d’elles il apparaît avec une perruque et des lunettes qu’il ne porte pas d’habitude. L’analyse de son compte facebook a permis d’établir des liens avec l’EI : il a ainsi partagé une vidéo de plusieurs exécutions menées par l’EI et, en janvier 2015, il a envoyé par message facebook une photo de deux djihadistes tenant deux têtes dans leurs mains. Il a tenté de fuir en Turquie puis en Syrie le lendemain des attentats le 14 novembre, prenant un avion à l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam en direction de la Turquie. Il devait dans tous les cas être placé sous bracelet électronique le 16 novembre pour une affaire de droit commun, date à laquelle il est arrêté par les services turcs dans la ville d’Antalya, en même temps que deux passeurs qui tentaient de l’exfiltrer en Syrie. Muni d’un faux passeport syrien, alors qu’il parlait déjà selon un enquêteur belge auditionné au procès « le français et l’arabe de façon très basique », sa véritable identité belgo-marocaine est devinée et il est condamné pour appartenance à une organisation terroriste et usage de faux, à une peine de dix ans et neuf mois de prison qu’il purge à Izmir sur la côte égéenne. La Belgique puis la France ont demandé en vain son extradition, l’ordonnance de mise en accusation indiquant que « toutes les tentatives réalisées auprès des autorités turques pour obtenir sa remise définitive ou temporaire sont demeurées vaines »
Pour clore ce très sommaire portrait, il est essentiel de signaler que le frère d’Ahmed Dahmani n’est autre que Mohamed Dahmani, l’une des huit personnes entendues par la police égyptienne en tant que témoin dans l’affaire de l’attentat du Caire du 22 février 2009 contre un groupe de jeunes touristes français. Il était en effet en relation avec l’une des personnes d’abord suspectées dans cette affaire, la « Française » d’origine albanaise Dude Hoxha, avec qui il entretenait une relation que lui-même qualifiait de « fusionnelle », et avec qui il envisagea un temps de se marier. Même les journalistes des médias subventionnés n’ont pu éviter de signaler cette frappante coïncidence. Dans Libération Willy le Devin écrit ainsi : « A l’évidence, c’est l’extrême endogamie des milieux jihadistes qui incite désormais les magistrats antiterroristes à joindre les différents dossiers. » Et Soren Seelow, pour le Monde dont nous avons analysé en 2012 un dossier entièrement frauduleux consacré à l’affaire Mohamed Merah : « La nébuleuse djihadiste est un monde endogène, organisé autour de quelques fratries, d’anciens réseaux et de vieilles amitiés. L’enquête sur les attentats du 13 novembre est en train d’en dévoiler les relations souterraines. (…) Les cercles djihadistes se nourrissent parfois de liens familiaux. Une autre fratrie, celle des frères Dahmani, établit une passerelle directe entre l’attentat du Caire et ceux de Paris. L’aîné, Mohamed, a été entendu comme témoin dans l’enquête sur l’attentat qui coûta la vie à Cécile Vannier en 2009. Son petit frère Ahmed, 26 ans, est un ami intime de Salah Abdeslam, un membre des commandos qui attaquera Paris six ans plus tard. »
Le 29 juin 2022, jour du verdict du procès des attentats, Ahmed Dahmani a été condamné pour association de malfaiteurs terroristes à la peine de 30 ans de prison, assortis d’une peine de sûreté des deux tiers. Même si l’on ne sait pas vraiment au final en quoi a consisté son rôle…