Syrie : Quand les enfants sont instrumentalisés par la propagande de guerre

 

syrie-omran-l-enfant-ensanglante-qui-donne-un-visage-a-alep-bombardee-9193485 (1)

Les images du petit Omrane ont fait la une de tous les quotidiens du monde 


Le 18 août dernier, la « communauté internationale » a pris connaissance des images bouleversantes du petit « Omrane »[i], tout juste extrait des décombres de sa maison touchée par des bombardements dans la partie d’Alep tenue par les « rebelles ». On voit quelqu’un l’asseoir au fond d’une ambulance. Il est couvert de poussière, avec de nettes traces de sang sur le visage. Il a l’air hagard. Ses jambes trop courtes dépassent à peine du siège. A un moment, il esquisse un geste de la main poignant vers son œil gauche à moitié fermé et couvert de sang.

Tous les grands journaux font leur une sur ces images (El Païs, Le Monde, la Reppublica, the Financial Times, le Times, Süddeutsche Zeintung, South China Morning Most, etc) complétées par des articles accusant comme d’habitude les autorités syriennes. Toutes les chaînes d’information en continu ouvrent leurs éditions sur ces images avec un commentaire identique.

Omrane2 (002)

Le petit Omrane, à la une, le 19 août, de tous les quotidiens des « démocraties occidentales »


Le lexique dominant est dans tous les cas celui de l’émotion :

« Les images d’Omrane ont été partagées des millions de fois sur les réseaux sociaux, et les activistes syriens veulent l’ériger en symbole de leurs souffrances. » (le Parisien[ii])

« Son regard à fendre l’âme suscite autant de compassion que de colère et d’incompréhension. » (Journal de Quebec[iii])

« Symbole de la violente guerre meurtrière qui endeuille la Syrie, les images d’Omrane suscitent une grande émotion. » (Huffington post[iv])

« Il s’appelle Omrane. Il a six ans. Son visage hébété a fait le tour du monde en qulques heures. Pour beaucoup, il incarne d’ores et déjà le martyre des civils syriens sous les bombes du régime syrien et des avions russes qui le soutiennent. » (Le Soir, éditorial en une)

« Puisse le visage du petit Omrane, la bouleversante hébétude de son regard perdu, réveiller les consciences et déclencher enfin une action internationale pour casser l’engrenage qui en train d’anéantir un pays. » (Sud-Ouest)

La comparaison des images du petit Omrane avec la photo du petit Aylan Kurdi retrouvé échoué sur une plage en Turquie il y a un an est faite par presque tous les journalistes.

Omrane

Dessin de Khalid Albaih mis en ligne le 18 août 2016, faisant le parallèle entre les deux petits enfants. Ce dessin a été relayé par certains grands médias. Cf par exemple http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-photo-du-petit-aylan-kurdi/le-choix-des-enfants-syriens-d-aylan-a-omran-le-dessin-qui-resume-l-horreur-de-la-guerre-en-syrie_1596233.html

L’histoire du petit Omrane sera relancée 2 jours plus tard, lorsque l’on apprendra que son grand frère, Ali, a quant à lui finalement succombé à ses blessures. Là encore tous les titres de la presse nationale et régionale française (et d’ailleurs) reprendront l’information.

En remettant en perspective « l’affaire Omrane » avec des cas antérieurs comparables observés depuis cinq années que dure la guerre en Syrie, on comprend qu’il s’agit d’une nouvelle tentative d’intoxication de l’opinion publique, et plus généralement que les « enfants martyrs », depuis le début des événements en mars 2011, sont utilisés à des fins de propagande dans le cadre de la guerre de l’information visant à discréditer les autorités syriennes et leur président Bachar el-Assad.

En voici trois brièvement résumées, que je passe au crible dans mon livre « Guerre en Syrie : quand médias et politiques instrumentalisent les massacres », paru en ce mois de septembre 2016 aux éditions SIGEST[i].

1) En mai 2011, une vidéo d’une minute 30[ii] fait le tour du monde : on y voit le cadavre du jeune Hamza el-Khatib (un adolescent de 13 ans), montré sous toutes les coutures par un homme qui explique avec des éléments de langage que l’adolescent a été affreusement torturé par des séides du « régime », avant d’être exécuté. Tous les grands médias rapportent l’affaire, en présentant d’une seule voix Hamza el-Khatib comme une « icône » de la révolution, symbole de la barbarie d’un régime sanguinaire, etc. On apprit par la suite, que l’enfant avait été tué par une balle perdue lors d’un échange de tirs entre des manifestants « pacifiques » et des militaires syriens, qu’il n’avait pas été torturé mais que les militaires, lorsqu’ils récupérèrent le corps, ne purent identifier la famille du jeune Hamza qu’au bout de trois semaines, cause de l’état affreux du cadavre montré et « commenté » dans la vidéo. Signalons que certains journalistes qui ont commenté les images d’Omrane ont fait d’eux-mêmes le parallèle entre les deux « icônes ».

2) le 25 mai 2012, une vidéo de 3 minutes[iii] fait le tour du monde, montrant des alignements de cadavres, en majorité d’enfants, qui de toute évidence ont été abattus à bout portant. Il s’agit du « massacre de Houla », aussitôt présenté comme une exaction atroce du régime d’el-Assad. Les pays  les plus en pointe dans la contestation du « régime syrien », les autoproclamés « amis de la Syrie », saisissent cette occasion, 3 jours plus tard, pour expulser dans le même temps avant toute enquête les ambassadeurs syriens. Des menaces de guerre d’ingérence furent formulées à l’occasion par tous les grands médias et les plus hautes autorités politiques françaises. Il fut révélé par la suite que le massacre avait été perpétré par des « rebelles », que les enfants massacrés appartenaient à deux familles seulement : celle d’un homme politique syrien demeuré loyal envers les autorités syriennes, et une famille sunnite qui s’était converti au chiisme (les chiites, comme les chrétiens et les yézidis, sont la cible prioritaire des groupes armés anti Assad d’obédience wahhabite depuis le début des événements)[iv]. Le massacre de ces deux familles, artificiellement réunies dans des alignements avec quelques combattants rebelles tués dans l’assaut de la ville, fut imputé à l’armée syrienne selon le principe de l’opération sous faux-drapeau.

3)  le 21 août 2013, une centaine de vidéos sont diffusées sur la toile[v], montrant des alignements de cadavres, ou de personnes en train d’agoniser, majoritairement des enfants. Il s’agit du point de départ de l’affaire de l’affaire du tir à l »arme chimique dans la banlieue de Damas. Le bilan, dans un premier temps, est officiellement de 1467 morts, dont 67 % de femmes et d’enfants[vi]. Ce massacre chimique est suivi d’une campagne médiatico politique de très grande ampleur accusant le « régime d’Assad » d’en être l’auteur avec les mots les plus durs et les plus définitifs, appelant à une intervention armée internationale pour mettre fin au bain de sang et permettre un « changement de régime ». Il fut révélé par la suite que ce tir à l’arme chimique avait été perpétré par des « rebelles » de la brigade Jaysh el-Islam, dirigée par Zohran Allouche, qui s’était procuré du gaz sarin par des réseaux turcs[vii]. Le bilan des victimes[viii], comme pour le massacre de Timisoara, qui avait servir de prétexte au renversement de Ceausescu en 1989 a été exagérément grossi[ix]. Du reste un certain nombre d’enfants figurant sur les alignements ont été reconnus par leurs proches comme faisant partie d’un groupe de 200 personnes, femmes et enfants pour l’essentiel, enlevés le 4 août 2013 dans des villages alaouites des environs de Lattaquié, dont les proches ont été massacrés par la même occasion[x]. Ils auraient été gazés ou anesthésiés à part pour amplifier les apparences du massacre chimique du 21 août deux semaines plus tard. Une étude minutieuse des alignements de « gazés » dans les vidéos montre que des corps ont été déplacés sur différents sites afin de multiplier les combinaisons spectaculaires[xi].

Dans chacun de ces cas (auquel on pourrait ajouter celui du petit Aylan, dont la photo du cadavre « échoué » sur une plage, mondialement diffusée le 2 septembre 2015, fut utilisée pour convaincre des opinions occidentales rétives de la nécessité d’accueillir des millions de « migrants » fuyant les zones de guerre en orient), on place délibérément l’opinion publique, en mobilisant la totalité des relais médiatiques, devant des images de jeunes enfants dans des états affreux (qu’ils soient vivants ou morts). Le ton de tous les commentaires est fait d’indignation violente, quasi hystérique, donne le minimum de détails, et les images sont accompagnées d’une analyse tout aussi sommaire accusant toujours le même « démon » d’être l’unique coupable possible.

Cette combinaison : enfants martyrs + images associées + commentaires accusant le « régime d’Assad » + campagne de lynchage médiatique « mondiale » des autorités syriennes, est la marque de fabrique de toutes les affaires d’enfants martyrs de la guerre en Syrie exhibés dans les grands médias depuis cinq ans.

L’ « affaire Omrane », comme on pourrait l’appeler, n’est que l’énième d’une série d’affaires comparables qui jalonnent la couverture médiatique « occidentale » de la guerre en Syrie : alors que l’enfant est présenté comme un symbole de la guerre et de la cruauté du « régime », on pourrait plus justement avancer que l’exploitation politique et médiatique des images du petit Omrane est le symbole du mensonge organisé que constitue la couverture de la guerre en Syrie (en France et ailleurs) depuis 5 années que dure cette guerre.

François Belliot

  • Article initialement publié le 16 septembre 2016 sur le site arretsurinfo.ch
  • François Belliot vient de faire paraître aux éditions Sigest, le second volume de ses chroniques sur la guerre en Syrie, intitulé : « Quand médias et politiques instrumentalisent les massacres » : edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html

[i]http://editions.sigest.net/page00010179.html

[ii]https://www.youtube.com/watch?v=WjwC_-bKGhs

[iii]https://www.youtube.com/watch?v=jffUNQw8Fl8&bpctr=1473259007

[iv]Je renvoie tout simplement au compte-rendu de la  « Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne » de l’ONU, qui rend ses conclusions le 27 juin 2012 : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session21/A-HRC-21-50_en.pdf   rapport complètement ignoré par les grands médias, à compléter avec d’autres sources dont je donne le détail dans mon ouvrage, sources elles-aussi passées sous silence.

[v]Entrer sur youtube : « alleged chemical attack in eastern Ghouta august 21st 2013 », pour tomber sur des dizaines de vidéos publiées le jour-même. https://www.youtube.com/playlist?list=PLPC0Udeof3T4NORTjYmPoNCHn2vCByvYG

[vi]Je renvoie à la page 36 du rapport de l’ISTEAMS (complètement ignoré par les grands médias) : https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf

[vii]Cf  le rapport intitulé « War crimes committed against the people of Syria », publié le 14 janvier 2014 par la Peace Association of Turkey and the Lawyers for Justice, p 26 à 35, complètement ignoré par les grands médias : http://www.wpc-in.org/sites/default/files/documents/war-crimes-committed-againts-the-people-of-syria.pdf

[viii]Pour donner un aperçu des énormes variations dans les bilans des victimes avancés par telle ou telle entité : le Bureau Médical Unifié de la Ghouta avait donné, pour rappel,  le bilan de1466 morts et 10000 intoxiqués, dont 67 % de femmes et d’enfants. Il se pourrait que ce bilan soit à relativiser. Le 22 août, Libération annonce 1300 morts et 5000 intoxiqués, dont 75 % de femmes et d’enfants. Le 24 août, Médecins Sans Frontières annonce 355 morts et 3600 personnes traitées dans les hôpitaux. Le 30 août, le rapport des services de renseignement états-uniens accusant Damas évoque 1429 morts dont 426 enfants. Le 31 août, l’OSDH dresse le bilan de 502 morts, dont 80 enfants, 137 femmes, et des dizaines de rebelles. Le 3 septembre, le rapport des services français fait état de 281 morts.

[ix]Cf par exemple l’article d’Ignacio Ramonet dans le Monde Diplomatique de mars 1990 intitulé « la télévision nécrophile » : http://www.monde-diplomatique.fr/1990/03/RAMONET/18658

[x]Cf le rapport de Human Rights Watch du 4 otobre 2013 intitulé « we can still see their blood » que je résume dans mon ouvrage, complètement ignoré par les grands médias, alors qu’il s’agissait d’un massacre exemplaire par son horreur, la décimation de familles entières, l’enlèvement de dizaines de femmes et d’enfants, la culpabilité des « rebelles » ne soulevant pour le coup aucune espèce de doute, des dizaines de photos postées par leurs soins sur internet les montrant en pleine lumière dans leurs basses œuvres  : https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/syria1013_ForUpload.pdf

[xi]C’est ce qu’explique de façon très convaincante le rapport de l’ISTEAMS du 13 septembre 2013 : https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf




3 réponses sur “Syrie : Quand les enfants sont instrumentalisés par la propagande de guerre”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *