Je remercie M. Chaouachi, Ginette Hess-Skandrani, Franck Pucciarelli, et Charles Aissani, qui m’ont prêté leur concours dans cette ingrate mais nécessaire opération d’ébouage.
« Comme toujours dans la littérature subversive, le plus intéressant réside dans ce qui n’est pas dit ou juste cité incidemment. » Thierry Meyssan, Sous nos yeux, p.124, éditions Demi-Lune, mars 2017
Première partie: https://francoisbelliot.fr/index.php/2018/06/27/limposture-libyenne-de-thierry-meyssan-1-2/
Sommaire
Janvier 2004, premiers articles du Réseau Voltaire sur la Libye, et premières accusations contre Kadhafi
Avant le 15 février 2011, date à laquelle on peut à peu près fixer le lancement de la « révolution libyenne », la Libye, son dirigeant, son système politique, son positionnement sur l’échiquier des relations internationales, constituent un sujet mineur pour le Réseau Voltaire en général, et Thierry Meyssan en particulier. Le premier article qui y est consacré est publié le 4 janvier 2004, et a pour sujet le démantèlement annoncé par la Jamahiriya Arabe Libyenne de son programme d’armement nucléaire, qui après le règlement de la question des attentats sur les vols Lockerbie et de la Panam fin 2003, est destiné à garantir la normalisation des relations entre la Libye et la « communauté internationale », et à éviter à la Libye un destin comparable à celui de l’Irak, noyé sous les bombes quelques mois plus tôt dans le cadre de la « guerre contre la terreur » décrétée par le président George W. Bush en riposte aux attentats du 11 septembre 2001.
Une quinzaine d’articles sont publiés sur le sujet et ses annexes (sur un seul mois) jusqu’au 24 février 2004. On relève dans cette série la reprise d’une information, rapportée par le journal israélien Jerusalem Post, dévoilant l’existence de relations secrètes entre la Libye et l’État juif. Deux articles sont consacrés à cette affaire, le premier le 8 janvier 2004 intitulé « La Libye dément avoir noué des relations avec Israël, Israël déplore qu’elles aient fuité », le second le 12 janvier intitulé « Silvan Shalom [Ministre des affaires étrangères israélien de l’époque ndla] demande l’ouverture d’une enquête sur les fuites concernant les négociations secrètes entre Israël et la Libye ». Si l’on peut lire dans le premier article un extrait du démenti du secrétaire d’État aux Affaires étrangères libyen, Hassuna el Shawash, qui souligne que « celui qui a fait fuiter ces informations doit avoir un intérêt à le faire, mais leur publication a occasionné des dégâts », ce couple d’articles est loin de lever les soupçons de collaborationnisme avec Israël.
Une dizaine d’articles seulement seront publiés par la suite jusqu’en février 2011, plutôt favorables à Kadhafi puisque deux d’entre eux4 constituent des reprises de ses prises de position officielles dans un cadre international. Dans ce maigre ensemble on relève toutefois, le 1er septembre 2008, une brève annonçant que (titre de l’article) « Le procureur général du Liban requiert la peine de mort contre Mouammar Kadhafi ». Il s’agirait de l’issue d’une affaire vieille de près de 32 ans, l’assassinat de l’imam chiite, Moussa Sadr le 31 août 1978, suite à un voyage en Libye. Si Mouammar Kadhafi a depuis été régulièrement accusé d’avoir perpétré ce forfait, cette affaire demeure loin d’avoir été éclaircie ; mais, pour Meyssan la culpabilité du fondateur de la Jamahiriya libyenne est mise en avant : « Le juge Sami El-Hajj a émis un mandat d’arrêt national contre Mouammar Kadhafi et six de ses compagnons d’armes, le 24 avril 2008. Les prévenus ne s’étant pas présentés et n’ayant pas répondu au magistrat, celui-ci a émis un mandat d’arrêt international, le 27 août 2008. Le procureur général du Liban, Saïd Mirza a requis la peine de mort par contumace. »
La fin de l’article évoque d’autres pistes possibles : « Plusieurs interprétations du crime ont été émises. Pour les uns, son assassinat aurait été commandité par Israël et perpétré par des Palestiniens ; pour les autres, il aurait été commandité par les États-Unis avant que ceux-ci ne rapatrient l’imam Khomeiny en Iran de manière à ce que le renversement du Shah ne donne pas lieu à une révolution chiite généralisée au Proche-Orient »
Comme nous allons nous en rendre compte, ces quelques articles d’apparence anodine, et dont la rareté tendrait à indiquer un certain désintérêt du Réseau voltaire pour la Libye et son dirigeant, sont très instructifs, puisque les accusations de collaboration avec Israël et d’avoir commandité l’assassinat de Moussa Sadr constituent deux des leitmotivs de Thierry Meyssan à partir du moment où le Printemps arabe s’invite en Libye et qu’il commence à y consacrer des articles signés en son nom.
Mars 2011, couverture des débuts de la « révolution libyenne », et première fraude
Les premières publications du Réseau Voltaire sur la Libye, au moment où le vent du Printemps arabe commence à souffler en Libye, en février 2011, sont de simples reprises de positions d’officiels des différents pays concernés : des discours de Barack Obama et de Fidel Castro, des communiqués (7/8) rendant compte de l’évolution des débats à l’ONU. On note les premiers articles de spécialistes italiens de la question comme Manlio Dinucci.
On ne relève, avant le 7 mars 2011, aucun article de Thierry Meyssan signé en son nom sur le dirigeant libyen et plus généralement sur la Libye, mais commençons par signaler une première prise de position médiatisée le 28 février. Il s’agit du résumé d’une intervention de Meyssan, à Moscou, « invité principal de trois grandes émissions de la politique russe ». Il s’agit du bref résumé d’une longue interviou en russe publiée sur la page russe de voltairenet.org ; on peut y lire l’analyse suivante : « Pour le président du Réseau Voltaire, il est erroné de comparer ces mouvements aux « révolutions colorées ». D’une part parce qu’elles ne visent pas à remplacer des dirigeants anti-US par des pro-US, et d’autre part parce qu’elles ne sont pas focalisées contre des leaders politiques en particulier. Les peuples d’Afrique du Nord et du Proche-Orient se soulèvent contre la domination des États-Unis et d’Israël incarnée par des dirigeants fantoches. Ils ne renversent pas simplement des gouvernements, mais aspirent à une transformation sociale. A la différence des « révolutions colorées » qui ne duraient que quelques jours ou semaines, ces insurrections populaires marquent le début d’un processus révolutionnaire régional de plusieurs années qui aboutira à l’éclosion de régimes variés et souverains. »
Avec le recul, on chercherait vainement, parmi les figures de proue de la ré-infosphère, une prophétie aussi erronée assénée avec autant d’aplomb : où l’on doit comprendre – puisque la Libye est alors sur l’extrême avant-scène de l’actualité – que Mouammar Kadhafi était une espèce de dirigeant fantoche contrôlé par Israël et les États-Unis, qu’il s’agit en Libye d’une révolution spontanée du peuple libyen ; quant à la prophétie présentant le Printemps arabe comme un « processus révolutionnaire régional de plusieurs années qui aboutira à l’éclosion de régimes variés et souverains », il se passe de commentaires tant l’évolution des événements a donné tort à Meyssan. Fin février 2011, Thierry Meyssan ne connaît pas grand chose à la Libye et Mouammar Kadhafi.
Le 3 mars, l’accusation d’inféodation à Israël se fait plus précise : le Réseau Voltaire fait paraître une brève intitulée « Israël vole au secours de Kadhafi ». On y lit que « Le cabinet Netanyahu a demandé à la société israélienne Global CST de secourir le régime ami du colonel Kadhafi. Global CST envisage de recruter et d’acheminer jusqu’à 50 000 mercenaires, ce qui paraît fort ambitieux. », et également que « ex-nassérien, le colonel Khadafi s’est fait une spécialité durant de nombreuses années de jouer un tortueux double jeu, au risque de se mettre à dos les deux camps à la fois. Il tenait un discours ultra-radical contre l’impérialisme états-unien et le sionisme, tout en servant souvent leurs intérêts, notamment en liquidant sur commande certains de leurs principaux opposants (par exemple l’Irano-Libanais Moussa Sadr ou le Soudanais Abdel Khaleq Mahjoub). Il n’a jamais entrepris aucune action directe contre Israël et s’est officiellement réconcilié avec Washington depuis 2003. »
L’accusation de collusion avec Israël est ici plus précise et radicale, de même que l’accusation d’avoir fait assassiner l’imam Moussa Sadr, proférée de nouveau sans aucune des nuances dont était accompagnée la brève du 1er septembre 2008.
Cette information a été relayée à l’époque, en particulier par les médias chiites comme le site du Hezbollah alManar.com, et la chaîne iranienne Press TV.
Ces révélations suscitent une vive réaction de la société israélienne qui les dément catégoriquement et mandate un cabinet d’avocats pour mettre en demeure Voltairenet.org d’effacer l’article du site et de « présenter des excuses claires et manifestes », dénonçant « un article ridicule, faux et diffamatoire ».
Cette réaction donne l’occasion à Meyssan de rédiger, sous forme de réponse ouverte, son tout premier article sur la « révolution » libyenne (et plus généralement sur la Libye), intitulé « La société de mercenariat CST Global et le criminel de guerre Israël Ziv nous répondent ». Meyssan commence par s’y défendre d’être la source de cette information : « Les informations que nous avons publiées ont deux sources : d’une part un journaliste du quotidien israélien Yediot Aharonot, d’autre part le site israélien Inyan Mercazi. Elles ont été largement reprises et développées par des médias audiovisuels comme la chaîne qatarie Al-Jazeera ou la chaîne iranienne en anglais PressTV. »
Dans ce premier article Meyssan, loin de se rétracter, va beaucoup plus loin dans ses accusations. Ainsi : « Ces informations attestent qu’Israël utilise ses liens privilégiés avec le colonel Kadhafi pour alimenter la guerre civile et ouvrir la voie à une ingérence de l’OTAN en Afrique du Nord. Dans un entretien à France24, le colonel Khadafi n’a pas caché que les opérations militaires qu’il commande actuellement sont calquées sur celles de Tsahal lors de « Plomb durci ». »
Analyse de la fraude : quand Meyssan déforme les propos de Kadhafi
Pour le dévoilement de cet aspect de la fraude, une connaissance intime de l’arabe est nécessaire, et je transmets ici le relais à M. Chaouachi.
Voici en préambule la transcription des sous-titres en français de l’intervention de Kadhafi dans l’émission de France 24 au cours de laquelle il aurait proféré ces propos terribles : « En Algérie aussi il y a eu des extrémistes armés qui combattent l’Algérie, il y en a eu aussi en Irak, au Pakistan il y en a. Il y a des extrémistes fondamentalistes musulmans. Même les Israéliens, à Gaza, ils ont pénétré la Bande avec leurs chars et leurs blindés pour combattre les extrémistes. Alors, nous, c’est la même chose, nous avons des groupuscules armés qui nous combattent. Nous n’avons pas utilisé la force dès le début. Il y a eu des attaques et le monde est maintenant dans un bourbier. » Constatant que la transcription de France 24 ne correspondait pas aux propos qu’il prête à Kadhafi, j’ai demandé à M. Chaouachi si cette déformation était due à la traduction, à l’évidence de piètre qualité, de France 24. Voici sa réponse :
« A propos des mercenaires, je crois que le point volontairement laissé flou par Meyssan est la suite qu’aurait donnée (ou non) le soi-disant cabinet d’avocats israélien menaçant dans un courrier de plaintes juridiques. Pour moi, c’est très loin tout cela. Je dis « soi-disant » parce qu’avec l’intéressé, il faut se méfier de tout. En effet, avec lui, il y a une fable ou un renvoi à une fable pratiquement à chaque paragraphe.
Dans la version française que vous citez, l’interprète ne connaît visiblement rien à la Libye.
Minute 01:05 « la révolution du début septembre » (sic)… Il faudrait dire: « La Révolution de Septembre » (1969) ou « La Révolution du 1er Septembre » (1969).
11:00 « Nous avons ouvert les deux battants des portes » (?!) (de la Libye) au lieu de « Nous avons ouvert les portes [de notre pays] entièrement » (aux médias internationaux) ou « laissé les portes grandes ouvertes » (id.)
Bon, ce ne sont pas des détails très graves, mais qui montrent qu’il y a toujours « anguille sous roche » et c’est précisément à ce niveau que Meyssan a joué au « plus malin » comme vous allez le voir. La version originale en arabe doit servir de référence et est à consulter car le niveau sonore de l’invité est très faible dans la séquence doublée en français.
11:55 : Gaddafi s’étonne de l’agression soudaine des USA et de l’Union Européenne contre son pays en partant du constat que son pays était allié avec eux contre le terrorisme international. Dans la phrase finale, il demande: « Comment donc, quand nous, nous combattons (nous-mêmes) le terrorisme international, ils nous font la guerre ?: « Ahna mutahallifin ma’a Amrika wa Urubba …. Dudda l-irhab… Nahnu nuharib al-irhab ad-dawly… Kayfa lamma nuharib al-irhab ad-dawly ma’a-hum, yuharibuna-na ? »
12:04 : question du journaliste au sujet d’Al-Qaida et l’UE et les USA
12:20 : Gaddafi évoque comparativement le cas de l’Algérie avec sa gendarmerie mobilisée contre les groupes armés : « Pourquoi donc n’ont-ils pas (l’UE) de résolution condamnant l’Algérie ? »…
12:35 : Nota Bene 1, premier constat très important : « Nahnu fi nafs al-waqi’ » : « Nous sommes dans la même situation (que l’Algérie à l’époque). »
Puis il passe en revue la situation en Irak, Afghanistan, Pakistan, pays dans lesquels l’OTAN est intervenue avec un consensus tacite sur sa « légitimité » à combattre les groupes armés.
Il enchaîne : « hatta musa’idu-h (sous-entendu: du « Hilf al-Atlasy ») Nota Bene 2: Gaddafi ne nomme pas Israël directement mais nomme cet État : « Ses Assistants » [hatta musa’idu-h], soit ceux de l’OTAN qu’il vient de citer] fi Gazza, yadhulun bi-d-dabbabat wa-l tayyarat… wa tuqsif… Haduma musalahhin wa irhabiiyin… ‘andak al-haqq, Uqsif-hum »
Gaddafi ironise avec son talent habituel: « Même Ses Assistants (de l’OTAN) (i.e. les Israéliens) pénètrent la Bande de Gaza avec leurs chars et avions et bombardent…Voilà des groupes armés, voilà des « terroristes »…. Vous avez le droit (« devant la « Communauté Internationale »)… Bombardez-les ! » Nota Bene 3: sur le site de France 24, l’un des deux interprètes en français traduit (après hésitation) « Ses Assistants (ceux de l’OTAN à Gaza) » par « Les Israéliens à Gaza ».
13:03. Nota Bene 4: L’invité prend une brève pause respiratoire pour dire « Nahnu nafs ash-shayy’ » (Pour nous, c’est pareil [sous-entendu: que tous les pays cités précédemment et confrontés aux bandes armées: en Algérie, Pakistan, Afghanistan; Irak ou même ceux que les Assistants de l’OTAN à Gaza nomment les terroristes). A comparer au Nota Bene 1: « Nous sommes dans la même situation (que l’Algérie) »
Gaddafi enchaîne didactiquement sur la situation logiquement similaire en Libye : « …Majmu’at sagira musallaha tabi’a lil-Qa’ida.. tuqatil fina… Gurma ‘anna-na lam nasta’mil al-quwwa fi-l-bidaya… Al-‘alim asbaha fi warta » [Nous avons ici un petit groupe armé lié à Al-Qaida. Il nous combat. Bien que nous n’ayons pas fait usage de la force dès le début… Vraiment, le monde (i.e. la « Communauté Internationale ») se trouve dans un bourbier (i.e. de contradictions)…]
Si l’invité (hypothèse absurde) avait déclaré une chose monstrueuse pareille, et digne des horreurs de l’Ancien Testament, le journaliste ou les interprètes (Nota bene 5: parfaitement arabophones) l’auraient tout de suite « captée » et cela aurait fait « la Une » de France 24. Consultez la page consacrée à l’entrevue14 et vous verrez qu’il n’en est rien du tout. »
Voilà ce qui deviendra, sous le clavier de Meyssan, dans son premier article sur la Libye, en réponse à une accusation de diffamation qu’il ne juge même pas nécessaire de contester : « Dans un entretien à France24, le colonel Kadhafi n’a pas caché que les opérations militaires qu’il commande actuellement sont calquées sur celles de Tsahal lors de « Plomb durci ».
Ainsi le premier pas de Meyssan dans le dossier libyen est-il un pas frauduleux dans lequel apparaît d’emblée l’un des deux leitmotivs.
Une fraude aggravée par l’usage que pouvaient en faire les « rebelles »
Et un pas frauduleux d’une extrême gravité si l’on considère le caractère volatile et périlleux de la situation à laquelle est confrontée la Jamahiriya arabe libyenne début mars 2011. A cette époque, les accusations de toutes sortes les plus graves pleuvent sur elle. L’une d’entre elles devra déboucher à un moment ou à un autre sur un casus belli qui permettra à la « communauté internationale » d’intervenir militairement. Kadhafi de son côté compte ses alliés, qui les uns après les autres, pour la plupart, lui font défection. Une telle accusation d’imitation des méthodes israéliennes dans la Bande de Gaza, en plaçant qui plus est Kadhafi dans le rôle du collaborateur subalterne, ne peut avoir qu’un effet dévastateur dans les opinions et les chancelleries des pays arabes, en particulier de pays comme l’Iran ou d’entités comme le Hezbollah, qui vouent le plus ouvertement envers Israël une hostilité radicale : de nouveau, Meyssan n’éprouve aucun scrupule à relayer en trafiquant une information faisant passer Kadhafi pour un traître et une marionnette de l’État le plus haï dans le monde arabe. De fait, l’Iran et le Hezbollah, sans approuver l’OTAN, d’abord applaudiront quand Kadhafi sera lynché quelques mois plus tard.
Circonstance aggravante, les accusations de collusion de Kadhafi avec Israël constituaient à l’époque l’un des arguments cardinaux des groupes « rebelles » pour justifier leur jihad contre Mouammar Kadhafi. On trouve des échos de cet aspect du conflit dans quelques médias :
Jean-Pierre Perrin, Libération, 26/02/2012, « Benghazi fait table rase de Kadhafi » : « Les slogans sont violents, à la mesure du vent, qui secoue rudement les trois pantins représentant Muammar al-Kadhafi accrochés à des potences. «Le sang des martyrs ne sera pas versé en vain», scande la foule enveloppée de bruine et de drapeaux. Puis, «Kadhafi, tu tomberas aujourd’hui» ou «Allah, le Prophète, la Libye et c’est tout», ou encore «Kadhafi, tu es un agent étranger, rentre en Israël ou chez ta mère [une rumeur prétend que la mère du dictateur est à moitié juive, ndlr]. »
Eli d’Ashdod, 11/04/2012, L’antisémitisme sans juifs des révolutionnaires pro-Kadhafi : « Cet antisémitisme sans Juifs est curieux. Les slogans de la révolution libyenne en sont un miroir fidèle. On peut voir sur tous les murs de Benghazi l’inscription « Yahud » qui signifie Juif en arabe. Les enfants dessinent beaucoup la formule mathématique du mépris : une étoile de David + une croix gammée = Kadhafi. Ou bien une seule grande étoile de David dont le coeur est marqué de haine par le mot Mouammar. » ou encore : « La liberté acquise dans les régions révolutionnaires laisse libre cours au développement de ce mélange de préjugés religieux anti-juifs et de haine pour Israël. » « C’est le Mossad et la CIA qui contrôle l’équilibre du Moyen-Orient. Ils ont soutenu Kadhafi au temps du coup d’état contre le roi Idris en 1969 » affirme avec conviction dans un italien parfait, Sadik al Ghallal, un commerçant connu localement dont les fils jouent un rôle dirigeant dans le nouveau gouvernement à Benghazi. »
Cet antisémitisme des rebelles (pour qui il a pris fait et cause « en tant que juif » et parce que c’est « bon pour Israël ») est rapporté jusqu’à Bernard-Henry Levi lui-même dans son Esprit du judaïsme17 : « Je n’ai jamais douté, en Libye, de la cause que je défendais. Et je ne regrette en rien, presque cinq ans après, ce que j’y ai encouragé. Mais je n’ai jamais douté non plus, pour autant, de l’antisémitisme endémique qui sévissait du temps de la dictature. Et qui n’allait pas se volatiliser sous prétexte que le dictateur était tombé. Je connais l’histoire de l’expulsion, par Kadhafi, en 1967, de tous les juifs du pays et de la fermeture, par lui, de la synagogue de Tripoli. » (p 312), ou encore : « J’en fis une séquence du serment de Tobrouk, tout entière consacrée à l’antisémitisme ancré dans cette douloureuse Libye et aux raisons qui faisaient que je ne me décourageais pas, pour autant, de plaider pour elle et d’œuvrer, avec d’autres, à sa rédemption. » (p 316) Notons que ce couple de citations suffit à lui seul à rendre douteuse l’accusation de collusion entre Kadhafi et Israël.
En détournant une expression d’un officiel libyen rapportée par Meyssan lui-même dans le premier article de 2004 où le Réseau Voltaire accusait Kadhafi de complicité avec Israël : « celui qui a fait fuiter ces informations doit avoir un intérêt à le faire, mais leur publication a occasionné des dégâts » ; sauf qu’ici, la personne qui a jeté de l’huile sur le feu, en déformant si grossièrement les faits que l’intention de fraude est évidente, il s’agit de Meyssan, l’homme qui se présentera six ans plus tard dans Sous nos yeux comme un des héros des derniers jours de la Jamahiriya libyenne, nommé par Kadhafi lui-même ministre extraordinaire.
Pour que l’interprétation de cette affaire souffre d’encore moins d’ambiguïté, signalons que Meyssan, les jour suivants, réitérera ses accusations à deux reprises : une première fois le lendemain 8 mars dans un entretien accordé à la chaîne francophone Sahar TV ; une seconde fois le 16 mars dans un nouvel article intitulé « la contre révolution d’Obama ».
Lors de l’entretien il dira : « Les Israéliens, qui agissent en fait toujours comme sous-traitants des États-Unis pour ce genre d’opération, ont dépêché sur place des mercenaires de la société Global CST. C’est une société de mercenaires qui est très active actuellement en Amérique latine, spécialement en Colombie, au Pérou, où ils encadrent les derniers jours de la Jamahiriya libyenne l’armée et où ils luttent contre la guérilla des FARC et du sentier lumineux, et ce sont aussi des gens qui ont été gravement mis en cause il y a deux ans dans les massacres qui ont eu lieu en Guinée. Si vous vous souvenez le président Camara avait fait tirer sur la foule dans un stade. Donc ce sont des mercenaires qui n’ont absolument aucun scrupule et l’état israélien les a envoyés là-bas pour aider le colonel Kadhafi. Donc on est toujours dans cette idée de jeter de l’huile sur le feu, de transformer une révolution en guerre civile, et en cela on retrouve les techniques traditionnelles du sionisme. » On relèvera ici la précision sur le caractère des mercenaires dépêchés par Israël au secours de Kadhafi qui n’ont « absolument aucun scrupule », qui dans d’autres pays se sont rendus complices de « massacres ». L’infamie de la collusion avec Israël s’en trouve fortifiée.
Dans son article du 16 mars, il écrira, plus succinctement : « Washington a transformé cette insurrection en guerre civile : les mercenaires africains de la société israélienne CST Global sont venus sauver Kadhafi [4], tandis que les mercenaires afghans des services secrets saoudiens sont venus appuyer les monarchistes et des groupes islamistes labellisés « Al-Qaeda ». » J’ai laissé apparente la note qui, imagine-t-on, renvoie enfin à une source solide. Que nenni puisque cette source s’avère être le premier article de Meyssan du 3 mars.
23 juin au 27 août 2011, séjour de Meyssan en Libye
Après cette première entrée fracassante, Meyssan change son fusil d’épaule, apportant franchement son soutien à la Jamahiriya libyenne et mettant en sourdine ce genre d’accusations – ce qui n’empêchera pas, comme on l’a vu dans la première partie, qu’il soit finalement identifié et dénoncé aux autorités libyennes comme espion, et en conséquence mis sur la touche jusqu’à la fin de son séjour.
On ne relève dans les trois mois suivants qu’un article, le 13 avril. C’est à partir du 23 juin, quand il arrive en Libye, qu’il multiplie les publications, au rythme d’environ un article par semaine : 27 et 29 juin, 1, 3, 11, 14 et 21 juillet, 1, 10, 14, 16, 20, 21 et 23 août. La dernière publication, une interviou donnée à la journaliste suisse Silvia Cattori, correspond au plus fort de ce qu’il est convenu d’appeler la Seconde bataille de Tripoli, qui s’est déroulée du 22 au 24 août, entraînant l’effondrement de la Jamahiriya arabe libyenne, et la fuite et le lynchage de Mouammar Kadhafi. Thierry Meyssan, coincé dans l’hôtel Rixos avec une centaine d’autres journalistes, est exfiltré avec une trentaine de ces derniers dans un cargo à destination de l’île de Malte.
On constate donc que la quasi totalité de la production de Meyssan, si l’on excepte deux articles en mars et un article en avril, se concentre dans les deux mois qu’ont environ duré son séjour en Libye, de la fin juin à la fin août 2011.
Je me contente dans cette seconde partie de citer lapidairement quelques extraits posant problème, accompagnés d’un bref commentaire.
27 juin : « Un groupe international d’enquêteurs du Réseau Voltaire est actuellement en Libye. Il a pu se rendre sur des lieux de bombardements. Disposant de la confiance des autorités libyennes, il a pu rencontrer quelques uns des dirigeants politiques et sécuritaires malgré les conditions de guerre. »
Meyssan est venu en Libye avec deux Français, Julien Teil, Matthieu Ozanon, et Darius Mahdi Nazemroaya. Aucun d’entre eux n’est membre du Réseau Voltaire, et à la fin du séjour, au moins deux d’entre eux étaient devenus hostiles à Meyssan. L’expression « groupe international d’enquêteurs du Réseau Voltaire » a pour fonction de rendre Meyssan plus imposant qu’il n’est en réalité à ses lecteurs, à la façon du lézard à collerette.
Seconde citation : « Les Libyens s’interrogent sur les mobiles exacts de l’OTAN. Je suis surpris de constater que c’est souvent en lisant les articles du Réseau Voltaire, traduits et repris par de nombreux sites Internet et certains journaux imprimés, qu’ils ont été informés des vrais enjeux. »
Cela souligne l’irresponsabilité d’avoir publié des articles accusant Kadhafi de complicité avec Israël, puisqu’en effet ces informations ont été beaucoup reprises.
29 juin : « L’OTAN détruit des installations civiles pour empêcher Thierry Meyssan de s’adresser au peuple libyen » (titre de l’article) Je suis obligé de revenir un peu sur cette affaire déjà exposée avec quelques détails dans la première partie.
« Une minute avant le début du programme, l’OTAN a lancé un missile ciblé sur le relais hertzien de manière à empêcher la diffusion de l’émission. L’explosion a eu lieu à proximité de la place Bab Al-Azizia où des manifestants anti-OTAN campent depuis le début du conflit. »(…)
« Il y a quatre ans, les États-Unis ont déclaré que Thierry Meyssan était une menace contre leur sécurité nationale et, en vertu de l’article 5 du Traité, ont demandé à leurs alliés de l’OTAN de le « neutraliser ». Il a depuis fait l’objet d’une tentative d’enlèvement et de plusieurs tentatives d’assassinat sans qu’il soit possible d’identifier les commanditaires avec certitude. »
« On ignore si le missile utilisé pour empêcher vainement l’intellectuel révolutionnaire de s’adresser au peuple libyen a été tiré par l’armée française ou par une autre composante de la Coalition des volontaires. »
Trois mensonges sont ici articulés de façon cohérente de façon à faire passer Meyssan pour un super héros courageux de la dissidence pourchassé depuis des années par les forces du mal. Nous avons déjà indiqué que le timing de la frappe indiqué par Meyssan est faux, et qu’au cours de cette émission il ne s’est jamais « adressé au peuple libyen ». Ces deux mensonges visent à rendre crédible un troisième : le contrat dont il serait la cible de la part de l’OTAN, suggérant que le véritable objectif de cette frappe était sa « neutralisation ». On a vu comment, six ans plus tard, dans Sous nos yeux, il réitérera de façon encore plus nette cette position.
10 août : « L’Alliance [l’OTAN] partait d’une analyse erronée selon laquelle les tribus de l’Est et du Sud, hostiles à Mouammar Khadafi, prendraient facilement Tripoli dès lors qu’elles disposeraient d’un appui aérien. Or, ces tribus ont au contraire considéré les bombardements comme une agression étrangère et se sont ralliées au « Frère Guide » pour repousser « l’invasion croisée ». Dès lors, l’Alliance n’a pu compter que sur deux composantes au sol : d’une part les 3000 soldats aguerris que le général Abdel Fatah Younes avait emmené avec lui lorsqu’il avait fait défection, et d’autre part les centaines, peut-être milliers, de combattants arabes issus des réseaux du prince saoudien Bandar Bin Sultan et connus sous le nom de « nébuleuse Al Qaida ». »
Nulle mention n’est faite des 50 000 mercenaires africains envoyés par Benyamin Netanyahou fin février pour sauver un « régime ami ». Que sont-ils devenus ?
14 août : « Une petite moitié d’Européens soutient encore la guerre contre la Libye. Leur position se fonde sur des informations erronées. Ils croient en effet encore que le « régime de Kadhafi » a réprimé dans le sang des manifestations à Benghazi en février et a bombardé des quartiers de Tripoli, tandis que le colonel lui-même aurait promis de faire couler des « fleuves de sang » si ses compatriotes continuaient à contester son autorité. »
Meyssan omet de préciser qu’il a lui-même activement participé à la diffusion de telles informations erronées.
23 août : « Oui. Déjà je suis menacé par des « journalistes » US qui ont dit qu’ils vont me tuer. Mais ensuite ils ont présenté leurs excuses… Je n’ai aucun doute sur leur intention. »
Je renvoie le lecteur à cette fameuse réunion secrète de l’OTAN à son QG de Naples lors de laquelle son élimination aurait été décidée et confiée aux « forces spéciales françaises », qui deviennent ici des « jounalistes US » qui présentent leurs excuses, là encore on ne sait pourquoi. Quelle chance !
Après l’assassinat de Kadhafi, l’usine à fraudes redémarre de plus belle
Fin août 2011, Thierry Meyssan est transféré de Tripoli vers Malte en cargo avec ses trois compagnons de route, Julien Teil, Matthieu Ozanon, et Mahdi Nazemroaya. De là, il se rend en Iran où il séjournera six mois.
Le 23 septembre, il publie un article intitulé « Wadah Khanfar, al Jazira et le triomphe de la propagande télévisuelle ». Il y analyse le rôle majeur en tant qu’organe de la désinformation de la chaîne qatarie al Jazira dans la diabolisation de Mouammar Kadhafi. Très offensif, il écrit : « Al-Jazeera, la chaîne d’information qatariote qui s’est imposée en 15 ans dans le monde arabe comme une source originale d’information, s’est soudainement engagée dans une vaste opération d’intoxication visant à renverser les régimes libyen et syrien par tous les moyens. » Quel dommage qu’il n’ait pas fait preuve d’une telle lucidité quelques mois plus tôt quand il justifiait sa reprise de l’information sur les 50 000 mercenaires par le fait que celle-ci avait d’abord été relayée par différents medias… parmi lesquels Al Jazira.
Le 20 octobre, Meyssan publie sur son site « le lynchage de Mouammar Kadhafi ». Le titre de l’article augure, avec l’emploi du terme « lynchage », une dénonciation en règle des assassins du dirigeant libyen. C’est partiellement le cas ; c’est surtout l’occasion de souiller la réputation d’un mort, qui plus est en se prévalant de sa position de collaborateur proche et privilégié.
1) « À l’inverse, les médias atlantistes n’évoquent pas le seul mandat d’arrêt international émis par Interpol contre Mouammar el-Kadhafi avant l’offensive de l’OTAN. Il était accusé par la Justice libanaise d’avoir fait disparaître l’imam Moussa Sadr et ses accompagnateurs (1978). Cet oubli s’explique par le fait que l’enlèvement aurait été commandité par les États-Unis qui voulaient éliminer l’imam chiite avant de laisser l’ayatollah Rouhollah Khomeiny rentrer en Iran, de peur que Sadr n’étende au Liban l’influence du révolutionnaire iranien. »
Cet extrait n’accuse pas directement Kadhafi mais la formulation suggère que non seulement Kadhafi seul pourrait être l’auteur du crime, mais qu’il l’aurait fait pour complaire aux États-Unis qui voulaient affaiblir la résistance libanaise du Hezbollah.
2) « Les médias atlantistes n’évoquent pas non plus les critiques que des organisations de la Résistance anti-impérialiste et nous-mêmes avions formulées contre Mouammar el-Kadhafi : ses compromis récurrents avec Israël. Pour ma part, je peux attester que, jusqu’à la bataille de Tripoli, le « Guide » a négocié avec des émissaires israéliens, espérant parvenir à acheter la protection de Tel-Aviv. Je dois aussi attester que, malgré mes critiques sur sa politique internationale, et le dossier complet à ce sujet que la DCRI française lui a aimablement communiqué à mon sujet en juillet dans l’espoir de me faire arrêter, Mouammar el-Kadhafi m’a accordé sa confiance et m’a demandé d’aider son pays à faire valoir ses droits aux Nations Unies ; un comportement bien éloigné de celui d’un tyran. »
Cette déclaration édifiante renvoie à la première partie de cette étude. Relevons, de nouveau, l’accusation radicale de collusion avec Israël ; le fait que Meyssan engage sa parole personnelle : c’est-à-dire qu’on doit comprendre qu’ayant été nommé ministre extraordinaire de la Jamahiriya libyenne par Kadhafi lui-même pendant ses derniers jours, il pouvait le suivre à peu près partout, comme son ombre, a-t-on l’impression en le lisant, pouvant donc se rendre compte comme témoin direct que Kadhafi essayait de négocier directement avec les Israéliens.
8 novembre 2011, nouvel article sur l’imam Moussa Sadr, et nouvelle fraude
L’article qu’il publie le 8 novembre, intitulé « En 1978, l’imam Moussa Sadr a bien été victime de Mouammar Kadhafi », constitue un nouveau cas flagrant de fraude.
Commençons par remarquer qu’alors que depuis 2004 Meyssan n’a pratiquement rien écrit sur la Libye, l’essentiel de sa production étant concentrée dans son séjour de deux mois à Tripoli l’été 2011, c’est la troisième fois que Meyssan porte ou relaie des accusations contre Kadhafi relativement à cette affaire. Mais cette fois il va beaucoup plus loin, en relayant une preuve fragilissime présentée comme définitive de sa culpabilité.
De quoi s’agit-il ? Interrogé face caméra par une journaliste de la chaîne des Emirats arabes unis Al-Aan, un personnage présenté comme un ancien confident de Mouammar Kadhafi, Ahmad Ramadan al-Asaibie, vêtu d’un T-shirt du Conseil National de Transition (CNT), l’instance soutenue par les « démocraties occidentales » pour remplacer le « régime libyen » une fois Kadhafi renversé, et s’exprimant de façon confuse.
Je me contenterai ici de restituer l’analyse des Pacifistes de Tunis publié sur leur site le 12 février 2012. J’ai parcouru toutes les étapes de la démonstration et estime ne rien avoir à y ajouter ou y retrancher.
Kadhafi a bien été victime du « téléphone arabe » et iranien du Réseau Voltaire (source)
Celles et ceux qui ont attentivement suivi le déroulement de la guerre contre la Libye savent que ce sont des « proches » de Mouammar Al-Gaddafi, diplomates de haut rang parfois, qui ont, pour des raisons diverses, fourni les « justifications » au coup d’État aérien de l’OTAN contre la Grande Jamahiriya Libyenne. Après que tous leurs « témoignages » (y compris « rétrospectifs), des « 6000 victimes » de Benghazi à l’attentat de Lockerbie, ont été démentis les uns après les autres, qui prendrait aujourd’hui, sans la moindre précaution, toute nouvelle déclaration de ce type pour vérité d’Évangile ? Seul le Réseau Voltaire est capable d’un tel exploit tant il s’est fait une spécialité dans le commérage et l’astrologie diplomatiques vendus en toute impudence comme du « journalisme d’investigation ».
Ce réseau a adopté la technique de communication de guerre consistant à donner en permanence l’impression d’être « sûr de ses sources », si merveilleusement illustrée par l’Administration des États-Unis d’Amérique à l’occasion de chaque menée impérialiste. Le Réseau Voltaire est en l’occurrence catégorique: « l’imam Moussa Sadr a bien été victime de Mouammar Kadhafi » et la « preuve » en serait une séquence vidéo dans laquelle « l’ancien confident de Mouammar Kadhafi, Ahmad Ramadan al-Asaibie « révèle » à une journaliste des détails sur l’affaire de la disparition en 1978 du religieux libanais.
Or :
1) la séquence vidéo montre un personnage qui, loin d’inspirer l’objectivité, porte un vêtement arborant les couleurs… du CNT/OTAN…
2) la journaliste qui interroge le personnage travaille pour Al-Aan, une chaîne de télévision des Émirats Arabes Unis… Pour rappel, ce dernier État a, avec le Qatar (Al-Jazeera), participé activement, y compris financièrement, à la guerre contre la Libye…
3) comme toutes les « bonnes «vidéos » qui servent désormais de « preuve » aux paresseux journalistes des médias en guerre, la voix du protagoniste (comme enrouée) est pratiquement inaudible ; ce qui facilite évidemment toutes les dérives que l’on sait au moment de la traduction… Non seulement les médias du monde entier se sont permis de mal traduire les propos de Gaddafi tout au long de la guerre mais le Réseau Voltaire était allé plus loin dans le même registre des accusations gratuites, ceci afin d’échapper à la sommation d’un cabinet d’avocats israéliens. Par une traduction mensongère, il avait fait dire à Gaddafi ce que ce dernier n’a jamais déclaré : à savoir qu’il aurait adopté, dans sa « répression » de la « rébellion », le style des généraux israéliens à Gaza. Le « téléphone arabe » et iranien auront fait le reste…
4) Le CNT/OTAN, maître actuel des ex-institutions de la Jamahiriya et notamment des services de renseignement, devrait être facilement en mesure d’étayer, par quelque document écrit, les propos du personnage. Si le Réseau Voltaire veut ignorer ce point clé, la journaliste de la chaîne des Émirats, par contre, fait preuve de professionnalisme et pose effectivement la question. Bref, il n’existe à ce jour aucun document écrit ; seulement des déclarations orales de la part d’individus dont l’absence de crédibilité a été démontrée tout au long de la guerre.
Comble du paradoxe, le Réseau Voltaire cite à l’appui un « jugement » du Procureur Général du Liban lequel, par contumace – et donc sans aucune preuve si ce n’est l’absence de comparution des accusés (libyens)- accuse Gaddafi d’« assassinat » (source). Quand bien même ce dernier aurait accepté de répondre à la convocation d’une telle juridiction, quel observateur honnête pourrait croire, encore une fois, à l’objectivité d’un tel tribunal vis-à-vis d’une telle affaire ? Il suffit d’observer l’actualité libanaise de ces dernières années à travers le miroir renvoyant une drôle d’image inversée : celle de ces mêmes protagonistes rejetant une cour similaire, située à l’étranger et tournée contre eux-mêmes : le Tribunal Spécial de l’ONU pour le Liban (affaire Rafiq Al-Hariri) (source).
D’une manière intéressante, dans les deux cas syrien et libyen, l’accusation invoque une dispute entre Bachar Al-Assad et Rafic Al-Hariri, d’un côté et, de l’autre, une scène similaire entre Mouammar Al-Gaddafi et Moussa Sadr. Évidemment, le Réseau Voltaire n’aborde pas ces ressemblances…
Comme à son habitude à chaque article traitant de Gaddafi, Thierry Meyssan rappelle les imaginaires « compromis récurrents »(sic) de Gaddafi avec Israël. En l’occurrence, ils seraient à nouveau « révélés » à travers une question faussement naïve : celle de savoir quel fut le « mobile de ce meurtre et l’identité de ses commanditaires »…Une telle insistance, que l’on peut comparer à l’image des « coups de couteaux dans le dos », relève en fait d’une technique employée par les médias en guerre : celle consistant à ne pas manquer de citer le mot « dictateur » dans tout article sur le héros libyen car, au vu des acquis historiques, le grand risque serait que le lecteur ne pense le contraire…
Cette nouvelle accusation gratuite illustre les méthodes du soi-disant « journalisme d’investigation » à propos desquelles le Réseau Voltaire prétend même donner des leçons aux médias en temps de guerre. Une telle présomption est d’autant plus vaine qu’il s’est notamment distingué, au printemps dernier, par la diffusion d’un énorme canular simultanément avec… la chaîne Al-Jazeera. Il apparaît ainsi que le Réseau Voltaire cherche à monopoliser, avec les puissances du moment, le mouvement anti-impérialiste mondial, quitte à sacrifier ses plus ardents héros (source). La Syrie n’a pas crié avec les loups lors de l’agression contre la Grande Jamahiriya Libyenne. Par contre, ce ne fut pas le cas de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas lesquels sont allés jusqu’à souhaiter puis saluer la « victoire » des mercenaires du CNT/OTAN après sept mois de bombardements (source). Quel intérêt stupide pouvaient avoir l’Iran et le Liban à soutenir si précocement les mercenaires du CNT/OTAN alors qu’il était clair que ces derniers seraient, contrairement à la Jamahiriya Libyenne, tout sauf des alliés dans leur confrontation désormais et tragiquement actuelle avec le monstre impérialiste ?
L’enquête sur la disparition de Moussa Sadr mérite mieux que d’être laissée à des revanchards divisant, de manière suicidaire, le camp opposé à l’impérialisme (source), au moment même où ce dernier prend la forme d’un totalitarisme inédit dans l’histoire de l’humanité.
Meyssan par ailleurs n’a fait jamais mention du fait que Kadhafi lui-même a proposé directement et publiquement de mettre en place une commission d’enquête conjointe du Liban et de la Jamahiriya, proposition que Nabih Berri a toujours refusé.
Conclusion : Cohérence des fraudes de Meyssan
Au moment de clore cette seconde partie de l’imposture libyenne de Thierry Meyssan, nous pouvons mettre en perspective cette analyse de M. Chaouachi.
La fraude constatée ici mise à jour est comparable par son ampleur et sa grossièreté à celle de début mars 2011 dans laquelle Meyssan accusait Kadhafi d’avoir appelé au secours Netanyahou qui promptement lui aurait dépêché 50 000 mercenaires africains pour lui sauver la mise. Elle confirme la tendance de Meyssan a manipuler les faits et la vérité à des fins de désinformation, en n’hésitant pas, au besoin, à recourir à des déformations grossières, et, il faut bien le dire pour la honte des intellectuels et têtes de réseau qui le reprennent encore pieusement, pas très difficiles à débusquer pourvu qu’on s’en donne la peine. Ces fraudes sont cohérentes avec celles relevées dans mon précédent article sur les attentats du 11 septembre 2015 et la boule de cristal de Thierry Meyssan.
La production de Thierry Meyssan sur la Jamahiriya arabe libyenne et Mouammar Kadhafi est rare après 2004, se concentrant sur la période de deux mois où il a séjourné à Tripoli, de fin juin à fin août 2011. Une proportion significative des articles publiés avant et après ce créneau de deux mois montre deux obsessions d’autant plus visibles, en raison de la rareté des articles : accuser Kadhafi de complicité avec Israël, et l’accuser d’être derrière l’assassinat de l’imam chiite Moussa Sadr en 1978, en insinuant que c’était pour répondre à des doléances d’Israël et des États-Unis. Il est significatif que les plus graves accusations de ce genre ont été portées ensemble au tout début de la déstabilisation de la Libye début mars 2011, et dans les semaines suivant le lynchage de Kadhafi et la chute de la Jamahariya ; significatif également que ces articles soient ceux les plus infamants pour la réputation de Kadhafi et les plus frauduleux. L’ensemble de cette production dénote une intention malveillante.
M. Chaouachi a raison de pointer, au moins pour ce volet-là des relations internationales, l’irresponsabilité de l’Iran et du Hezbollah, d’avoir été aveuglés par leur hostilité envers Kadhafi en relayant, via leur médias respectifs, ce genre d’informations étayées par des piliers en coton sale qui lui ont certainement aliéné la sympathie en mars 2011 de toute une partie du monde arabe et persan, contribuant à l’isolement de Kadhafi et de la Libye sur la scène internationale.
L’insistance que porte Meyssan sur l’assassinat de Moussa Sadr en 1978 paraîtra anecdotique au lecteur occidental ou extérieur au monde arabo-musulman. Elle est cruciale si l’on considère l’attention forte et récurrente des médias et politiques iraniens et du Hezbollah sur ce sujet. Cette pomme de discorde avec la Libye est fréquemment mise en avant.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la réaction de l’Iran au lynchage de Kadhafi et à la chute de la Jamahiriya arabe libyenne. Fin août 2011, le ministre des affaires étrangères iranien Ali Akhbar Salehi invite le président du Conseil National de Transition (CNT) libyen Mustapha Abdul Jallil à se rendre dès que possible à Téhéran. Lors d’un entretien téléphonique entre les deux hommes, le premier félicite le second pour « la victoire de la révolution du peuple musulman libyen », et souligne « la nécessité de consolider et de développer des relations entre les deux pays ». Lors de cet entretien, lit-on dans un article du président du parti antisioniste Yahya Gouasmi : « Le chef du CNT a par ailleurs abordé le cas de l’Imam Moussa Sadr, philosophe et leader religieux chiite libanais, né en Iran en 1928 et porté disparu le 31 août 1978 lors d’une visite officielle en Libye. Il a déclaré qu’il était essentiel que son pays fasse toute la lumière sur cette affaire et parvienne à un résultat tangible. Pour sa part, le ministre iranien des Affaires étrangères a invité le chef du CNT à visiter la République islamique d’Iran dès que possible. »35
Et pour rappel, afin de bien imprimer que les éléments de langage de la propagande iranienne ne différaient en rien à l’époque (pour ce qui concerne la Libye) de la propagande occidentale sous pilotage sioniste, voici ce que le porte-parole du parlement iranien déclara en mai 2011 : « «La nation libyenne héroïque s’est levée de son propre chef contre les leaders oppresseurs et a prouvé qu’à l’heure où les nations se réveillent, il n’y a pas de place pour la tyrannie et que les exigences du peuple doivent être respectées. »
Ce rapprochement entre l’Iran et le CNT, avec reprise des éléments de langage de la propagande sioniste suggère que Meyssan aurait opéré son opération de désintoxication au profit de l’Iran, et peut-être avec l’aval de ce pays. La probabilité d’une collaboration directe semble plausible si l’on en croit ce que dira Meyssan à Jean-Michel Vernochet dans un entretien accordé à Media Presse Info dans le sillage de la parution de sous nos yeux en mars 2017 : après avoir réitéré à son interlocuteur demeurant crédule et sans réaction devant son roman libyen, il apporte cette précision intéressante : « J’ai été membre du dernier gouvernement de la Jamahiriya libyenne (…) Lorsque j’étais en Libye Mouammar Kadhafi m’avait confié la responsabilité de préparer l’assemblée générale des Nations Unies, puisque j’expliquais que le droit international était favorable à la Libye et aurait dû permettre de condamner, et disons la coalition occidentale, donc il m’avait confié la charge de préparer cette assemblée générale qui aurait dû se tenir au mois de septembre, mais la Jamahiriya est tombée au mois d’août, et à ce titre j’avais le pouvoir de convoquer les différents ministres et de leur demander de me donner différents documents dont je pouvais avoir besoin. Alors une grande partie du gouvernement avait fait défection, les choses étaient compliquées mais il restait quand même diverses autorités politiques et des hauts fonctionnaires avec lesquels j’ai traité. J’ai eu l’occasion à ce moment-là de voir toutes sortes de documents, dont personne n’a jamais entendu parler, mais qui vont aussi bien des documents qui avaient été saisis par les services secrets libyens qu’aux documents internes du Conseil de Sécurité ou des comités sur les sanctions. Ce que je veux dire c’est qu’à toutes les étapes, en Iran, j’ai eu accès à l’information dont disposaient ces gouvernements, et une information qui n’a jamais été publiée, ni dans la presse locale, ni dans la presse internationale. »
Meyssan déclare avoir puisé un grande partie de ses informations libyennes en Iran, pays dans lequel il a séjourné pendant six mois après avoir été exfiltré de Libye avec une trentaine d’autres journalistes.
Laissons pour finir la parole à Mouammar Kadhafi. En 2008, à l’occasion d’un sommet de la Ligue arabe, rappelant l’invasion de l’Irak en 2003 sur la base de fausses preuves, il fit la leçon suivante à tous les autres : « Pourquoi reste-t-on à l’écart ? Chacun d’entre nous peut être le suivant. Une puissance étrangère vient chez nous, occupe un pays arabe, pend son président et nous tous, simplement, le regardons de l’extérieur. Pourquoi n’a-t-on pas fait d’enquête sur l’exécution de Saddam Hussein ? Comment peut-on pendre un prisonnier de guerre, un président d’un pays arabe qui fait partie de cette même Ligue des États arabes ? Nous sommes ennemis vous et nous. Nous nous haïssons, nous nous trompons, nous nous réjouissons du malheur d’autrui. Nos services de sécurité complotent les uns contre les autres au lieu de nous protéger contre nos vrais ennemis. Si nous avions lutté contre nos vrais ennemis comme nous luttons les uns contre les autres ! »
François Belliot, juillet 2018
Cet article est premièrement paru sur le site de Salim Laibi, lelibrepenseur.org, le 4 juillet 2018.
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