L’affaire Sonia Imloul : annexe (2/3) au livre sur le fonds Marianne

Toutes ces personnalités politiques et administratives dont la responsabilité est plus ou moins engagée selon leur degré d’implication dans le dispositif conduisent à nous interroger sur le professionnalisme des pouvoirs publics.

Julien Revial, Cellule de déradicalisation

L’histoire de l’escroquerie à la déradicalisation de Sonia Imloul est connue dans son détail grâce à la publication en 2016, aux éditions Michalon, par Julien Revial, de Cellule de déradicalisation, chronique d’une désillusion.

A la fin du mois d’avril 2014, Julien Revial, alors étudiant, répond, à une annonce d’un certain « Elie » qui recherche une personne « s’intéressant à l’actualité et capable de rédiger des articles de presse ». Il s’agit en fait de Sonia Imloul, une responsable associative d’une quarantaine d’années qui cherche à lancer une structure de déradicalisation. Connaisseuse du milieu associatif, pourvue d’une conséquente expérience dans le domaine, introduite dans certains milieux décisionnels locaux, elle a besoin toutefois de l’assistance d’une personne disposant d’un bon niveau de français et capable de s’occuper de la partie rédactionnelle. Lors de leur première rencontre, Sonia parvient à convaincre Julien, à qui elle tend une enveloppe de 200 euros conforme à la rémunération avancée. Le projet plaît à Julien qui en même temps a besoin d’argent pour financer ses études.




Je ne pourrai pas détailler comme au chapitre précédent la biographie de Sonia Imloul, qui n’a pas eu autant que son alter ego Dounia Bouzar l’occasion de s’épancher dans les médias sur son parcours, et qui, allons nous voir, n’avait sans doute pas intérêt à le faire. Contentons nous pour commencer de ce qu’en dit Julien Revial au début de son ouvrage : lors de leur premier entretien téléphonique, « elle [lui] explique qu’elle est responsable associative et que des journaux (Le Figaro et Le Monde) lui offrent un encart pour écrire une tribune sur le sujet de « l’intégration des personnes d’origine étrangère »… Un de ses domaines de prédilection du fait que ses associations sont situées en Seine-Saint-Denis ainsi que dans le nord de Paris. ». Puis quand ils se voient en vrai, il se rend compte « que [s]on interlocutrice n’est justement pas une simple associative puisqu’elle a publié un livre sur la violence des enfants dans les banlieues, qu’elle a rédigé un rapport sur la polygamie pour le compte de l’Institut Montaigne, et qu’elle remplit fréquemment des missions pour le compte des ministères de la Ville et de la Famille. Elle [lui] indique aussi qu’elle figurait dans la liste « majorité présidentielle » pour les élections européennes de 2009 aux côtés de Michel Barnier et de Rachida Dati. » Et quand de retour chez lui il entame une recherche internet sur le compte de sa nouvelle employeuse, il découvre plusieurs éléments de nature à le rassurer : « De retour chez moi, je m’empresse de « googliser » Sonia Imloul. Je trouve le nom de ses deux associations, Respect75 et Respect93. Je retrouve la trace de son livre et de son rapport pour l’Institut Montaigne. Je la découvre aussi dans un petit clip vidéo de campagne électorale derrière une affiche de Nicolas Sarkozy tout sourire avec l’inscription « Quand l’Europe veut, l’Europe peut ! ». Tout ce qu’elle m’a dit sur elle semble vrai, je suis rassuré. » Il tombe également sur le récit d’une entourloupe dont a été victime l’hebdomadaire le Point1 en 2010, qui, dit-il, aurait dû l’alerter, mais sur le moment il n’y prête pas plus attention que cela.

Le projet de Sonia, nommé « Maison de la prévention de la famille » consiste à entrer en contact, via notamment le numéro vert « anti jihad » qui vient d’être lancé le 29 avril 2014, avec des familles dont les enfants sont en train de se radicaliser ou qui se sont déjà radicalisés. Sa clientèle est peu ou prou la même que celle de Dounia Bouzar, et elle a des contacts avec Pierre N’Gahane, le secrétaire général du CIPD depuis décembre 2013. Né au Congo Brazzaville, Pierre N’Gahane avait été en 2008 l’un des premiers préfets nommés par Nicolas Sarkozy au poste de préfet des Alpes de Haute Provence, au nom d’une discrimination positive tacite, dans le sillage des émeutes de banlieue de 2005. A ce titre il avait été chargé par le ministère de l’Intérieur de superviser la mise en place et le suivi du numéro vert « anti jihad », dont nous avons expliqué le principe au chapitre précédent. N’gahane se montre intéressé par « le projet polyvalent » de Sonia Imloul, qui doit toutefois effectuer un stage de formation sur le thème de la déradicalisation. Une formalité puisque cette formation consiste simplement en douze heures de cours réparties sur deux jours. Secondée par Julien Revial, Sonia parvient à décrocher une première subvention de 35 000 euros le 18 octobre 2014, suite à un entretien avec le préfet qui fait jouer sa main longue. 24 000 euros sont immédiatement engloutis dans la location à l’année d’un vaste appartement situé à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, destiné à servir de locaux en même temps que de lieu d’accueil des familles de djihadisés en détresse. Julien Revial découvre fatalement, dès ces premiers jours de travail dans le domaine de la déradicalisation, l’existence de LA rivale qui a pris un peu d’avance sur eux, en la personne de Dounia Bouzar, qui ne lui inspire ni confiance ni respect, comme en témoigne l’extrait suivant : « Un dimanche matin comme un autre que je passe sur mon canapé, j’allume Canal+ en état végétatif en attendant Les Guignols de l’info. L’émission précédente est Le Supplément, un magazine hebdomadaire aux sujets éclectiques. Elle parle des thèmes « en vogue » et des personnes « à la mode ». Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir Dounia Bouzar parmi les invités de la semaine ! Une équipe de journalistes l’a suivie une journée entière. Le reportage n’a pas commencé depuis deux minutes que le titre de son dernier livre est évoqué par la voix off. D’abord, Dounia Bouzar nous lit un sms d’une mère en détresse pour nous mettre en appétit. Nous la voyons ensuite attablée avec une mère de famille dont la petite fille de deux ans a été enlevée par son ex-mari. Exposée à visage découvert devant les caméras, la jeune femme finit par fondre en larmes en racontant son histoire. C’est gagné ! Puis s’ensuit une immersion dans son propre bureau où on peut observer qu’un mur entier est recouvert de toutes les coupures de presse qui parlent d’elle… No comment. Intrusion, enfin, au domicile d’un couple dont la fille s’est radicalisée, pour l’obtention d’un nouveau récit familial avec en prime le témoignage de la jeune fille qui est sortie de sa radicalité après « une séance de désendoctrinement d’une heure ». Belle prouesse ! Fin du reportage, retour en plateau pour l’interview de Dounia Bouzar. La présentatrice Maïtena Biraben commence par brandir son nouveau livre en n’oubliant pas de rappeler le titre du précédent. Tant qu’à faire ! En tout, quinze minutes auront été consacrées à Dounia Bouzar et pas une fois le numéro vert « anti-djihad » n’a été cité ni même évoqué. Clairement, je viens d’assister à la présentation d’un bouquin qui utilise des familles meurtries pour faire sa promotion. Mon impression du mois de juillet se confirme : Le djihad est devenu un Lobby, et pas seulement en Syrie. »

En plus de la location de l’appartement, Sonia Imloul embauche deux stagiaires psychologues ainsi qu’une femme musulmane voilée qui émargeait à Pôle Emploi. Elle s’attache aussi les services d’un jeune salafiste quiétiste plus à même selon elle de communiquer avec certains radicalisés tentés par le djihadisme2 : ce dernier aspect fait débat avant d’être validé par le préfet en personne, au nom d’une forme de pragmatisme inspiré du modèle anglais. Julien Revial se voit quant à lui promettre un salaire dont l’enveloppe du premier rendez-vous aurait dû être la promesse, mais dont il ne verra finalement jamais le moindre centime.

Les tout débuts de la structure sont surréalistes. Le jour-même de leur emménagement dans leurs locaux, ils reçoivent la visite d’un journaliste du Point accompagné d’une photographe, ce qui est déjà loufoque quand on songe que l’hebdomadaire avait écrit en 2010 une série d’articles à charge contre Sonia Imloul : « En aparté, je témoigne de mon étonnement à Sonia qui m’affirme que cela ne dépend pas d’elle. Elle me cite le nom de Clara Paul-Zamour qui est en charge des relations avec la presse au ministère de l’Intérieur et qui orchestre la communication de la structure. » Une semaine plus tard, c’est au tour de la journaliste Camille Sterlé du Parisien, ce qui donne à Julien l’occasion d’avoir un premier aperçu des penchants mythomanes de son employeuse : « Je suis surpris d’entendre Sonia dire que notre structure se compose d’une « dizaine de personnes : psychologues, juristes, associatifs, professionnels en insertion ». » Mais les journalistes ne sont pas en reste : en lisant l’article, Revial découvre qu’il existe en France 27 structures réparties sur tout le territoire, destinés à la lutte contre la radicalisation, alors qu’à sa connaissance, il n’y en a que deux : celle de Dounia Bouzar, et la leur, complètement embryonnaire. Le 18 novembre, suivant encore des consignes de la conseillère en communication de Bernard Cazeneuve, Clara Paul-Zamour, ils reçoivent la visite du journaliste de France Inter Stéphane Pair. L’objectif est de lui faire rencontrer l’une des premières familles au sein de la structure. Le procédé est un peu brutal, et rappelle malheureusement ceux de Dounia Bouzar : « Sonia a dû prévenir le journaliste de la présence d’une mère de famille afin qu’il puisse venir recueillir son témoignage. Stéphane Pair se présente à la mère avec beaucoup de sympathie mais elle est pétrifiée par cette intrusion inopportune. » Le 1er décembre, Le Figaro publie un article consécutif à un entretien avec Sonia Imloul qui confirme aux yeux de Julien sa tendance à affabuler : « Au-delà du gonflage rituel des chiffres au sujet du nombre de familles suivies ou sur le nombre de personnes travaillant dans la structure (que je comprends car il faut garder une certaine cohérence dans le bidouillage), je découvre dans notre équipe l’existence d’un « criminologue-victimologue » et d’un « psychologue susceptible de diagnostiquer une tendance schizophrène ou paranoïaque » ». Au bout d’un mois de présence et de travail dans leurs locaux d’Aulnay-sous-bois, le bilan est éloquent : ils ont déjà reçu la visite de cinq journalistes mais n’ont rencontré en tout et pour tout que… deux familles. D’autres médias suivent au mois de décembre, Paris Match, Le Monde, jusqu’à cette consécration hallucinante : la visite, le soir du 20 décembre 2014, du ministre de l’Intérieur en personne ! « L’ascenseur s’ouvre et les oreillettes des agents de sécurité se branchent. Bernard Cazeneuve est accompagné de sa conseillère spéciale, Marie-Emmanuelle Assidon, du préfet de police de Paris, Bernard Boucault et du… préfet de Seine-Saint-Denis, Philippe Galli ! Sa présence est due au fait que le ministre de l’Intérieur est généralement accompagné par le préfet du département dans lequel il se déplace. » Ce soir-là comme Sonia expose son projet, le ministre convaincu et fasciné l’adoube : « On développe et on duplique. » Les rendez-vous médiatiques s’enchaînent avec en point d’orgue la participation à la matinale de Jean-Jacques Bourdin le 15 janvier 2015.

Extrait de la matinale de Jean-Jacques Bourdin le 15 janvier 2015

Revial apprend en cette occasion qu’ils suivent désormais 30 familles et que le nombre de salariés de la structure est censé doubler voire tripler au cours de l’année 2015. Le lendemain, Sonia Imloul reçoit un coup de téléphone du préfet N’gahane qui lui fait part de la colère de Dounia Bouzar qui n’en a pas perdu une miette. En effet, alors que Bourdin présentait leur structure comme l’unique du genre en France, Imloul n’a pas daigné rectifier pour évoquer l’existence de celle de Dounia Bouzar, qui commence à trouver que le nouvel arbre qui pousse à ses côtés commence à décidément étendre un peu trop son ombre. Revial déplore : « De graves attentats [NDA : le massacre de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015] se sont produits sur notre territoire une semaine auparavant et, dans le même temps, nous assistons à une véritable peoplisation de la radicalisation ! » Et comme l’argent est le nerf de la guerre, ou plutôt de la subsistance, Sonia Imloul envisage de nommer sa mère à la présidence de l’association afin de pouvoir toucher un salaire une fois le robinet à subvention débloqué. Le 1er février, l’arrivée d’une nouvelle psychologue dans la structure d’un genre un peu particulier donne encore un peu plus d’élan à l’aventure : il s’agit d’Inès, la fille de la productrice Fabienne Servan-Schreiber (la co fondatrice de Fraternité Générale, association lauréate du fonds Marianne, et auditionnée à ce titre par la commission d’enquête sénatoriale le 30 mai 2023 suite à l’éclatement du scandale éponyme) et de l’ancien sénateur socialiste Henri Weber, dont l’entregent va vite faire merveille : l’équipe est reçue par le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone et « la secrétaire d’État en charge des affaires familiales, Laurence Rossignol, convie une partie de l’équipe au sein de son ministère afin de partager un déjeuner. Cette invitation peut paraître surprenante sachant que son Cabinet n’a même pas pris la peine de répondre à notre tout premier mail en septembre 2014 mais ça, c’était avant… Avant que nous fassions la connaissance d’Inès dont les parents sont amis avec la moitié du gouvernement ! » Ils reçoivent également, à deux reprises, la visite du futur rapporteur de la commission d’enquête sur les attentats, le député socialiste Sébastien Pietrasanta, qui n’oublie pas à chaque fois de venir accompagné : « Deux fois en présence de journalistes tant qu’à faire ! La première fois, le dimanche 1er mars devant la caméra d’I-Télé, sous le micro de France Info et sous la plume du Parisien… Un beau moment d’authenticité ! » Le 16 mars ils font la une du quotidien 20 minutes, le 18 mars ils reçoivent la visite du député socialiste et ancien président de SOS racisme Malek Boutih, à l’époque chargé par le Premier ministre Manuel Valls d’une réflexion sur les phénomènes de « basculement de nouvelles générations dans le terrorisme en lien avec les filières djihadistes ».

Cependant, c’est au moment où elle commence à s’approcher au plus près du soleil – la seconde partie de la subvention d’une valeur de 30 000 euros vient enfin d’être décrochée – que Sonia Imloul va entamer une chute spectaculaire. Julien Revial et l’une des psychologues ont accumulé toutes sortes de preuves du caractère opportuniste, véreux, dévoyé de la structure et de leur employeuse, et, mis sur la touche par Sonia Imloul, commencent à tenter d’alerter les autorités, et les proches haut-placés d’Inès recommandent à cette dernière de prendre ses distances avec la structure. De nouvelles découvertes sont faites : « Alors qu’elle se targuait tantôt d’être – doctoresse en psychologie – juriste – policière – selon les personnes et les circonstances, Sonia n’aurait en réalité pas la moindre compétence professionnelle ! » Personne en haut lieu n’a éprouvé le besoin de procéder à une vérification sommaire ! Il se trouve par ailleurs que des familles par le passé ont déposé plainte dans le cadre de ses anciennes associations. Là encore, personne n’a pris la peine de s’assurer de sa probité. Mais c’en est fini de Sonia Imloul la déradicalisatrice. Elle essaye bien quelques manœuvres désespérées pour poursuivre l’aventure et récupérer la subvention, mais peine perdue. Quant à Julien Revial, qui n’a touché aucun salaire pendant des mois et qui espérait un dédommagement de la part des autorités pour leur avoir fait économiser 30 000 euros, il en est pour ses frais : après avoir profité à fond de l’opportunité inespérée de la structure de Sonia Imloul dans un contexte où les solutions au problème de la radicalisation étaient inexistantes, et où il fallait montrer aux masses que l’on faisait quelque chose pour elles, personne ne veut être associé au cuisant et humiliant échec, et cela passe par le manque de reconnaissance envers les lanceurs d’alerte comme Julien Revial.

Ce dernier garde évidemment une dent acérée contre cette Sonia qui l’a mené en bateau pendant des mois, lui a promis monts et merveilles, l’a manipulé, ne l’a jamais payé, a même fait en sorte de l’évincer dans la dernière partie de l’ascension vers les pépètes, mais il n’est pas dupe non plus de l’écrasante responsabilité des autorités politiques et médiatiques dans ce lamentable fiasco. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la dénonciation des autorités et comporte quelques réflexions qui méritent d’être rapportées. 1) « Toutes ces personnalités politiques et administratives dont la responsabilité est plus ou moins engagée selon leur degré d’implication dans le dispositif conduisent à nous interroger sur le professionnalisme des pouvoirs publics. » 2) [contexte : Sonia Imloul est interrogée comme spécialiste dans des médias suite aux attentats du 13 novembre] « Avec cette sortie, Sonia finit de me décevoir mais néanmoins, je ne peux que la rejoindre sur cet ultime point : « La vérité, c’est que l’État n’a jamais eu l’intention de créer un véritable dispositif de lutte contre la radicalisation, que c’est un écran de fumée, un coup de com’, une illusion à but politique voulant frapper les esprits mais pas les terroristes ». » 3) « nous représentions une sorte de laboratoire pour les institutions. Non pas un laboratoire idéologique où était expérimentée une approche théologique des personnes radicalisées mais plutôt un laboratoire médiatique où se faisait la publicité de ce dispositif étatique. »

Là encore nous sommes frappés de la ressemblance entre ce scandale et celui du fonds Marianne : amateurisme de l’État incapable de lutter par ses propres moyens contre la radicalisation djihadiste, amateurisme du CIPD qui coopte et subventionne des individus et associations douteux sur lesquels il a peu ou pas du tout de contrôle, effets d’annonce médiatiques pour montrer à la population, contre toute évidence, que la situation est entièrement sous contrôle.

Le fonds Marianne et les charognards de Samuel Paty, de François Belliot, publié en juin 2024 aux éditions Kontre Kulture

Dans ce chapitre nous n’avons fait que survoler l’affaire Sonia Imloul et renvoyons le lecteur à l’excellent livre de témoignage de Julien Revial3 dont nous nous sommes contentés de compiler les éléments propres à montrer l’évidente parenté de ce scandale avec celui du fonds Marianne.

Sonia Imloul a été condamnée le 23 mars 2017 par le tribunal correctionnel de Paris à quatre mois de prison avec sursis et 25 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics. La justice a notamment pointé du doigt qu’elle avait falsifié un RIB, alors qu’elle se trouvait au RSA et interdite bancaire, faisant transiter l’argent de la subvention par les comptes de son ex-mari et de sa mère. Où l’on comprend finalement pourquoi Sonia Imloul s’est lancée à corps perdu dans cette aventure de structure déradicalisatrice en octobre 2014 : aux abois financièrement, elle a flairé la bonne affaire avec des autorités qui étaient elles-mêmes aux abois face au phénomène de la radicalisation, et qui avaient un besoin urgent de matériau pour confectionner à la va-vite un village Potemkine à destination du bon peuple. Le procès fut également l’occasion de se rendre compte que Sonia Imloul était connue des services de police pour cinq ou six veilles affaires d’escroquerie aux contours comparables. Mais c’était évidemment au-dessus des moyens du CIPD, du ministère de l’Intérieur, et de la préfecture de police de Paris de lancer une banale enquête de routine qui eût mené à des révélations définitives en deux temps trois mouvements

Preuve de ce refus d’assumer la moindre responsabilité dans cette aventure lamentable, l’État non seulement ne s’est pas porté partie civile, mais, alors qu’il aurait pu aussi figurer sur le banc des prévenus, n’a même pas été entendu lors du procès. L’avocate de Sonia Imloul a ainsi demandé : « Pourquoi les représentants des services qui ont monté ce projet, qui l’ont financé, qui ont confié cette tâche à Mme Imloul n’ont jamais été entendus ? » Concernant le RIB falsifié qui a pesé lourd dans la condamnation, elle a objecté : « Un RIB falsifié ? On l’accepte. Pas de compte bancaire de l’association ? On l’accepte. Et on veut nous faire croire qu’on ne le savait pas ? Sonia Imloul a été choisie, acceptée en connaissance de sa situation. C’est un choix fait par les autorités, qui relève de l’amateurisme ou de l’inconscience. On l’a lâchée dans la nature dans des conditions difficiles, délicates voire dangereuses, mais je ne peux poser les questions qu’à moitié, car nous ne sommes pas à huis clos. » Nous allons voir se confirmer dans l’histoire suivante que c’est une « valeur » cardinale de la République que de refuser de reconnaître ses erreurs pour se défausser sur un bouc émissaire, dans la grande tradition de l’Ancien Testament : « Aaron posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant, et il confessera sur lui toutes les iniquités des enfants d’Israël et toutes les transgressions par lesquelles ils ont péché ; il les mettra sur la tête du bouc, puis il le chassera dans le désert, à l’aide d’un homme qui aura cette charge. » (Lévitique, 16, 21)

Contrairement au préfet Christian Gravel, qui a été contraint à la démission de son poste de secrétaire général du CIPDR le 6 juin 2023, peu de temps après son audition par la commission d’enquête sénatoriale consacrée au scandale du fonds Marianne, son prédécesseur à ce poste, le préfet Pierre N’gahane, dont la responsabilité est pourtant lourdement engagée dans ce fiasco, n’a eu à subir ni remontrance, ni blâme, et sa carrière n’a pas eu à en souffrir. Le 8 juin 2016 il a été nommé préfet de la Charente, avant de devenir conseiller du gouvernement en 2018, préfet de la Marne en 2020, enfin recteur de l’académie de Dijon en 2022. Et pour tout dire, personne n’a eu à rendre de compte, médias comme politiques, pour ce qui à l’évidence n’était, comme le dit bien Julien Revial, qu’un plan de communication à destination des masses pour leur montrer en jetant de la poudre aux yeux qu’on s’occupait sérieusement d’un problème à côté duquel on était complètement passé : une autre manière de se prémunir de toute forme d’accusation quant à la prévention et la gestion de la vague d’attentats qui ont frappé la France à partir de début 2015.

1 L’hebdomadaire le Point a lui-même fait amende honorable en présentant ses excuses à ses lecteurs dans deux articles : 1) « Comment nous nous sommes fait piéger », 01/10/2010 ; 2) « Comment « le Point » s’est fait piéger ? », Jean-Michel Décugis, 07/10/2010

2 Nous utilisons le terme « djihadiste » par convention. On distingue en Islam le « grand djihad » qui renvoie à l’effort que doit accomplir le fidèle sur soi-même au quotidien dans les différents aspects de la vie quotidienne, qui n’a aucune connotation guerrière, et le « petit djihad » qui enjoint à résister à l’oppression par tous les moyens y compris par la lutte armée. L’usage actuellement le plus répandu du terme « djihadiste » est donc un abus de langage, même si ceux qui ont rallié le Levant pendant la décennie 2010 pour combattre le « régime de Bachar el-Assad » puis rallier la bannière de l’État Islamique, et mener un mode de vie plus conforme à leur vision rigoriste de l’Islam se définissent volontiers eux-mêmes comme « djihadistes ».

3 Cellule de déradicalisation : chronique d’une désillusion, Michalon, 2016

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