L’attentat de la discothèque La Belle en en avril 1986, 1er casus belli contre la Libye de Kadhafi (3/3)

Dans la troisième et dernière partie de cette étude sur l’attentat de la discothèque La Belle survenu dans la nuit du 5 au 6 avril 1986, nous en venons à l’indemnisation des victimes et familles de victimes par la Libye de Kadhafi, et réévaluons les responsabilités des différents états évoqués au cours de cette étude.

Petit résumé des deux premières parties.

La troisième et dernière partie de cette étude ayant été achevée avec retard, et l’affaire la Belle étant d’une grande complexité, nous vous retraçons d’abord dans les grandes lignes le contenu des deux premières parties.

Dans la première partie, nous avons raconté l’attentat, survenu dans la discothèque la Belle à Berlin ouest dans la nuit du 5 au 6 avril 1986, la campagne de bombardement de la Libye déclenchée par les États-Unis en représailles 10 jours plus tard, et nous avons replacé ces deux événements dans le contexte tendu des relations diplomatiques étasuno-libyennes. Dans la deuxième partie, nous avons évoqué le procès fleuve qui s’ouvre des années plus tard, sous la direction du procureur Detlev Mehlis, enquête dont les conclusions ont été contestées par des journalistes du magazine allemand Frontal en 1998. Nous avons également évoqué en détails l’affaire Ostrovsky, du nom de cet agent du Mossad qui a publié deux livres de révélations dans les années 1990 sur certaines opérations secrètes du Mossad ; l’une de ces opérations aurait consisté à s’infiltrer dans le cœur de Tripoli pour y implanter un émetteur destiné à envoyer de faux messages de menaces et de revendication.

Pour compliquer encore les choses…

L’interprétation de cette affaire complexe à souhait est rendue plus délicate encore par un dernier épisode survenu au milieu de la décennie 2000. La Libye, dans les années qui suivent les attentats du 11 septembre, sentant sans doute le vent des tomahawks se rapprocher plus dangereusement que jamais (la Libye figurait encore à cette époque dans la liste des états terroristes), et désireuse de lever les sanctions économiques qui paralysent son développement, décide de se lancer dans une dense et spectaculaire série de gestes diplomatiques visant à redorer son blason et à la rendre plus « fréquentable ».

Le 29 mai 2002, la Libye accepte de verser des indemnités aux familles de victimes de Lockerbie, à hauteur de 2,7 milliards de dollars, quoique la version officielle de cette affaire comporte autant d’anomalies que l’affaire la Belle.

En août 2003, le fils aîné de Mouammar Kadhafi, propose de dédommager à titre humanitaire les victimes de la Belle.

Le 12 septembre 2003, le conseil de sécurité de l’ONU vote la levée des sanctions frappant la Libye.

Le 19 décembre 2003, Kadhafi déclare que son pays renonce aux armes de destruction massive.

En mars 2004, la Libye signe le Traité de non Prolifération Nucléaire (TNP).

En janvier 2004, elle accepte de verser 170 millions de dollars aux 170 familles de victimes de l’avion d’UTA craché en 1989 au Niger.

En mai 2004, Kadhafi se rend en visite diplomatique à Bruxelles.

En septembre 2004, les États-Unis lèvent l’embargo commercial qu’ils font peser sur la Libye depuis 1982.

En octobre 2004, Kadhafi, furieux que le chancelier Schroeder ait refusé de visiter le mémorial consacré aux victimes de l’opération El Dorado Canyon, demande à l’Allemagne des millions de dollars d’indemnités pour les innombrables mines posées dans le désert libyen par l’Afrika Korps pendant la seconde guerre mondiale (qui font encore des victimes tous les ans en Libye).

En août 2008, l’Italie de Berlusconi accepte de verser à la Libye 5 milliards de dollars de dommages et intérêts sur 25 ans en dédommagement des 30 ans d’occupation italienne de 1911 à 1942. En échange Kadhafi promet de mieux s’occuper du problème de l’immigration.

C’est en août 2004 que la fondation présidée par Saïf el-Islam, un des fils de Kadhafi, annonce donc qu’elle s’engage finalement à dédommager dans le cadre d’un règlement global les victimes liées à l’attentat de la discothèque la Belle en 1986. La fondation s’engage à verser un million de dollars à la famille de la victime turque, 350000 dollars à chacun des onze blessés graves, invalides à 80%, et 188000 dollars à 157 autres blessés, sérieusement atteints. Les propriétaires de la discothèque détruite recevront 700000 dollars. La somme totale s’élève à 35 millions de dollars. Cet accord semble impliquer mécaniquement la responsabilité de la Libye de Kadhafi dans cet attentat.

Cet ultime épisode de l’affaire la Belle demeure extrêmement trouble. Certes la Libye, par le biais de la fondation Kadhafi, accepte de dédommager les victimes de la Belle, mais c’est avec de sérieux bémols :

  • Aucune indemnité n’est prévue pour les victimes étasuniennes de l’attentat (au nombre d’une cinquantaine).
  • la Libye ne reconnaît pas sa responsabilité dans l’attentat, et se déclare prête à indemniser les victimes pour des raisons humanitaires.
  • L’accord prévoit également d’indemniser les victimes lbyennes des bombardements du 15 avril qui ont fait encore plus de morts et de blessés.

Cet accord d’indemnisation ne vaut donc en aucun cas reconnaissance de responsabilité. Il n’est pas exclu, en outre, qu’il fasse partie d’un accord plus général entre la Libye et certains Occidentaux, qui n’accepteraient la levée des sanctions, et la désinscription du pays de la liste des états soutenant le terrorisme, qu’en échange de la reconnaissance d’une responsabilité dans certains attentats.

On voit bien au vu de cette liste de gestes de bonne volonté, que la promesse de versement d’indemnités intervient dans une séquence où le chef de la Libye s’efforce d’arrondir tous les angles possibles pour que son pays redevienne fréquentable. Il faut avoir à l’esprit qu’à l’époque Kadhafi a sans doute peur de se trouver dans la même situation catastrophique que Saddam Husseïn ; l’homme fort de la Libye sent qu’il doit prendre ce genre de décisions spectaculaires pour préserver son pouvoir, d’où également son zèle dans la chasse aux islamistes, qu’il a opportunément en horreur depuis toujours. Le douloureux souvenir de l’opération d’El Dorado Canyon était par ailleurs certainement présent à son esprit.

Son récent renversement semble donner tort à cette série d’actes de repentance et de bonne volonté. Le seul chef d’état à avoir reconnu sa responsabilité dans des actions terroristes et indemnisé des victimes, l’un des seuls à avoir officiellement renoncé à tout programme d’armes de destruction massive, un homme qui par ailleurs collaborait activement à la traque d’Al Qaida après le 11 septembre 2001, en guise de salaire a finalement été lynché de façon abominable, après une campagne de bombardement massive ayant fait des dizaines de milliers de victimes1, le tout justifié par un média mensonge encore plus énorme que celui ayant servi de base au lancement de l’opération El Dorado Canyon.

Bilan

Nous avons parcouru l’essentiel des aspects de cette affaire la Belle. S’il est impossible de trancher dans un sens ou dans un autre, nous pouvons au moins évaluer si la proposition initiale : « la Libye est entièrement responsable de cet attentat » est finalement juste ou pas, et si les États-Unis et/ou d’Israël ne doivent pas figurer en bonne place parmi les suspects. Examinons successivement les éléments à charge contre les 3 pays.

La Libye responsable ?

Il est bien assis dans l’opinion, surtout depuis la dernière campagne de médiamensonge qui a permis de faire accepter la nécessité de bombarder à nouveau la Libye et de lyncher Kadhafi, que ce dernier était un monstre, le boucher de son propre peuple, etc, et les affaires de Lockerbie en 1988 du vol 772 d’UTA en 1989 semblent accréditer cette réputation. Maintenant, au vu des éléments avancés, si la Libye avait planifié et mis en œuvre l’attentat de la Belle, cela impliquerait 1) que pour l’occasion Kadhafi aurait changé de méthodes de communication pour ses opérations terroristes, puisqu’il avait l’habitude de passer par des messages écrits 2) qu’il aurait renié son parti pris en faveur des « minorités » en ciblant délibérément une discothèque essentiellement fréquentée par des soldats noirs 3) que pour l’occasion, à moins que les journalistes de Frontal aient menti ou se soient lourdement trompés, il se serait associé avec des agents du Mossad, de la CIA, et des services secrets ouest-allemands (BND) 4) que les messages de revendication envoyés depuis Tripoli seraient authentiques, et les services de renseignements français, espagnols et italiens auraient conjointement commis une grave erreur d’expertise 5) que le récit d’Ostrovski serait un tissu de mensonges.

Il faut aussi rappeler que l’enquête du juge Mehlis fut entachée d’irrégularités (voir la deuxième partie de cet article), que l’on constatera plus tard dans l’enquête sur l’assassinat de Rafik Hariri, dirigée par le même Mehlis.

A vrai dire le seul élément vraiment solide accréditant la responsabilité de la Libye serait l’accord d’indemnisation des victimes, quoiqu’on constate qu’il n’impliquait pas de reconnaissance de la responsabilité de l’attentat et prenait place dans une série de gestes diplomatiques forts de la part le Libye pour redorer son blason sur la scène internationale, dans un contexte de guerre contre le terrorisme lancée par les États-Unis en représailles aux attentats du 11 septembre 2001.

Si la Libye a été considérée dans un premier temps comme l’unique responsable dans cette affaire, on peut finalement avancer que sa participation directe à l’attentat de la discothèque la Belle est peu probable.

Les États-Unis responsables ?

Nous avons largement envisagé la responsabilité des États-Unis à l’occasion de l’examen des relations diplomatiques étasuno-libyennes et du montage de l’opération El Dorado Canyon (voir la première partie de cette étude). Contentons-nous donc de rappeler les points les plus importants : 1) les États-Unis avaient multiplié les provocations et les déclarations lourdes de menaces la décennie précédente, la dernière en date étant les vastes exercices militaires organisés dix jours avant l’attentat à la frontière de la ligne de la mort 2) Les États-Unis avaient l’habitude de diffuser de fausses informations pour noircir la réputation de Kadhafi, et ce n’était pas la première fois qu’ils accusaient la Libye sans la moindre preuve (par exemple le double attentat des aéroports de Vienne et de Rome en décembre 1985 3) Les preuves avancées par Reagan pour justifier l’opération El Dorado Canyon sont extrêmement douteuses. 4) Selon Frontal, Musbah Eter, le principal suspect de l’affaire était un agent de la CIA depuis des années. 5) J’ajouterais simplement pour compléter le dossier, que c’est une grande tradition étasunienne (partagée jusqu’à un certain point avec d’autres puissances dans leur phase impérialiste comme la France, le Royaume-Uni, ou le Japon) de lancer une guerre, petite ou grande, sur la base d’un attentat sous fausse bannière ou de tout autre sorte de mensonge d’état fomentable et acceptable. Cette manipulation pourrait s’inscrire dans une série comprenant l’affaire Thornton de 1846, l’explosion du Maine en 1898, le raid sur Pearl Harbour en 1942, les incidents du Tonkin en 1964, l’affaire Nassiriya de 1991, les attentats du 11 septembre 2001, et la légende des Armes de Destruction Massive pour envahir une seconde fois l’Irak en 2003.

Quoiqu’on puisse penser de M. Kadhafi, c’est incontestablement à tort que ce dernier a été qualifié à l’époque de « chef du terrorisme mondial » par certains aux États-Unis. Un bref survol historique des 150 dernières années montre sans ambiguïté que c’est aux États-Unis, et de très loin, que revient ce titre peu enviable.

La responsabilité de la CIA et/ou de certains membres de l’administration Reagan dans la mise en œuvre de l’attentat peut donc être considérée comme très probable. Quant à la campagne de bombardement de la Libye qui survient 10 jours plus tard, elle peut tout à fait être regardée, au vu de la faiblesse des preuves avancées, et du grand nombre de civils tués, comme une opération terroriste de bien plus vaste ampleur que l’attentat de La Belle, et dont les États-Unis portent l’entière responsabilité (voir infra article de Howard Zinn).

Israël responsable ?

Les ombres d’Israël et du Mossad planent sur cet attentat et ses conséquences d’un bout à l’autre de l’affaire : 1) selon les journalistes de Frontal, Mohamed Aimari, l’un des suspects inexplicablement écarté par le procureur Detlev Mehlis était un agent du Mossad 2) le procureur qui a instruit l’affaire la Belle, Deltev Mehlis, est lié aux lobbies pro-israéliens 3) selon Ostrovski, c’est un commando du Mossad qui a placé le Troyen destiné à envoyer de faux messages de revendication depuis le cœur de Tripoli 4) le Mossad tenait systématiquement pour vrais ces messages et les confirmait à chaque fois alors que la plupart des pays européens les regardaient comme des faux 5) Hersch rapporte que des espions israéliens informèrent jusqu’au dernier moment les planificateurs d’El Dorado Canyon de la situation physique de Kadhafi pour être sûr qu’il ne fût pas manqué.

Ces éléments font à l’évidence peser une suspicion très forte sur l’implication d’Israël dans la planification et la mise en œuvre de l’attentat. Mais ce n’est pas tout : un bref parcours des relations entre la Libye et Israël depuis l’accession de Kadhafi au pouvoir met en évidence que c’est l’état d’Israël qui avait le plus puissant mobile, avec les États-Unis, de vouloir réduire le pouvoir de nuisance de la Libye.

Depuis sa création, en 1948, l’état d’Israël, vit dans la hantise de sa destruction et l’espoir de sa pérennité. Un de ses soucis majeurs est donc de contenir les états et organisations qui, dans son environnement proche, sont susceptibles de porter atteinte à sa sécurité. Parmi ces états ou groupes, on trouve naturellement les Palestiniens, dont des centaines de milliers ont été chassés de leur terre à la suite des guerres successives entre Israël et ses voisins. Les plus déterminés sont regroupés autour de l’OLP de Yasser Arafat et le groupe d’Abu Nidal (lequel était du reste contrôlé par le Mossad) . Une autre de ces entités est la Libye de Mouammar Kadhafi. Ce dernier a prononcé les déclarations les plus incendiaires à l’égard de l’état hébreux. Un an après son arrivée au pouvoir, en 1970, il donne le ton dans un discours  : « Mon plus grand rêve est de voir un jour une Palestine libre, souveraine et indépendante. Aussi longtemps que cet objectif ne sera pas atteint, la Libye et avec elle toute la nation arabe ne pourra se considérer ni souveraine, ni indépendante.  » Par la suite, riche de ses pétrodollars, Kadhafi financera abondamment l’OLP de Yasser Arafat. Quand Saddate, l’homme de la réconciliation de l’Égypte avec Israël, est assassiné en 1982, il s’en réjouit bruyamment et appelle les Égyptiens à reprendre la lutte contre le sionisme.

Le problème d’Israël est qu’il peut difficilement mener seul des opérations de représailles militaires, soit pour des raisons de capacité militaire, soit pour ne pas attiser l’hostilité de ses voisins. C’est pour cette raison qu’Israël a développé un puissant service de renseignement, et s’arrange, par le biais de lobbies très influents à pousser d’autres états à mener les guerres qui sont dans ses intérêts stratégiques. Comme le soulignent Mearsheimer et Walt dans le lobby pro-israélien et la politique étrangère des Etats-Unis « la plupart des groupes pro-israéliens, et tout particulièrement les organisations centrales du lobby, v(eul)ent aussi que les États-Unis aident Israël à rester la principale puissance du Moyen-Orient. Non contents de vouloir maintenir une aide financière et une assistance militaire généreuse, ces groupes souhaitent que les États-Unis s’attaquent aux principaux adversaires d’Israël dans la région : l’Iran, l’Irak de Saddam Husseïn, et la Syrie. Au minimum, le lobby demandait que les États-Unis contiennent les « états voyous » et les empêchent d’acquérir l’arme nucléaire.  » C’est curieusement l’interprétation d’Ostrovski pour l’affaire la Belle : les Israéliens pour le coup n’auraient pas manipulé le congrès étasunien, mais simplement créé l’événement dont ils étaient sûrs qu’il provoquerait une réaction de la part de l’administration Reagan.

Pour toutes ces raisons, la responsabilité d’Israël dans l’affaire la Belle, doit être réévaluée et considérée comme très probable.

Épilogue : un article de Howard Zinn

S’il est impossible de trancher avec certitude la question « qui a fait quoi ? » dans l’affaire la Belle, on peut au moins remarquer la logique du deux poids deux mesures dans l’appréciation des affaires de terrorisme. Si l’attentat de la Belle est une action terroriste libyenne, se demande l’historien étasunien Howard Zinn dans un article de 1993, que dire alors de la campagne de bombardement de la Libye 10 jours plus tard, lancée sur des bases juridiques extrêmement incertaines, et qui entraîna la mort d’un nombre beaucoup plus élevé de civils ?

Vraiment, je tremble pour mon pays quand je songe que Dieu est justice” écrit Thomas Jefferson dans ses Notes de Virginie. Ces mots me sont venus à l’esprit tandis que j’écoutais l’annonce de notre gouvernement annonçant qu’il avait bombardé la ville de Tripoli. Nous vivons dans un monde dans lequel on nous demande de faire un choix moral entre une forme de terrorisme et une autre forme de terrorisme. Le gouvernement, la presse, les politiciens, sont en train d’essayer de nous convaincre que le terrorisme de Ronald Reagan est d’une plus grande élévation morale que le terrorisme de Mouammar Kadhafi. Bien sûr, nous n’évoquons pas nos actions en ces termes, mais si le terrorisme consiste en l’assassinat délibéré de civils innocents visant à atteindre un objectif politique, alors le bombardement d’une ville densément peuplée de la Libye correspond à cette définition, au même titre que la pose d’une bombe par je-ne-sais-qui dans une discothèque bondée à Berlin. Peut-être le mot “délibéré” souligne-t-il la différence ? Quand vous posez une bombe dans une discothèque, la mort de ceux qui se trouvent dans les environs est délibérée ; quand vous larguez des bombes sur une ville, c’est accidentel. Nous pouvons soulager notre conscience de la sorte, mais seulement en nous mentant à nous-mêmes. En effet, quand vous bombardez une ville depuis les airs, vous savez, de la façon la plus certaine, que des innocents vont périr. C’est pourquoi le secrétaire à la défense Weinberger, en quête d’absolution morale (étant donnée sa position il aura du mal), quand il a parlé du raid aérien, a dit qu’il avait été conçu pour “minimiser” les victimes civiles. Cela impliquait, inévitablement, qu’il y aurait des victimes civiles, et que Weinberger, Schultz et Reagan, avaient pour dessein qu’il en soit ainsi, de la même façon que c’était le dessein des terroristes de la discothèque. Dans cette affaire, le mot “minimiser” voulait seulement dire une centaine de morts (c’est là le nombre de diplomates étrangers à Tripoli), parmi lesquels des nourrissons et des enfants, une étudiante de 18 ans en visite chez ses parents, un nombre inconnu de personnes âgées. Aucun d’entre eux n’était un terroriste, de même que personne dans la discothèque n’était responsable d’aucun des griefs nourris par les Libyens ou les Palestiniens. Même si nous supposons que Kadhafi était derrière l’attentat de la discothèque (et il n’existe aucune preuve pour cela), et que Reagan était derrière le bombardement de Tripoli (ce qui est irréfutablement prouvé), alors les deux sont des terroristes, à cette différence près que Reagan est capable de tuer bien plus de gens que Kadhafi, ce qu’il a fait. Reagan, Weinberger, le secrétaire d’état Schultz, et leurs admirateurs dans la presse et au Congrès se félicitent mutuellement de ce que la nation la plus puissamment armée du monde puisse impunément bombarder (seulement deux chasseurs US ont été abattus, un prix modique à payer au regard de la satisfaction psychique éprouvée) une nation de quatrième rang comme la Libye. La Technologie moderne a laissé la Bible loin derrière elle. La maxime “œil pour œil” est devenue “Cent yeux pour un œil, cent bébés pour un bébé”. Les journalistes au langage musclé et les éditorialistes anonymes il y a eu quelques exceptions courageuses qui ont défendu cette opération, ont tenté de voiler leur immoralité en l’enrobant dans le drapeau étasunien. Mais c’est déshonorer ce drapeau que de l’agiter avec fierté au-dessus du cadavre d’un lycéen ou d’un bébé dormant dans une crèche. Il n’existe pas de drapeau assez vaste pour dissimuler la honte que représente l’assassinat d’innocents pour remplir des objectifs inatteignables. Si l’objectif est de donner un coup d’arrêt au terrorisme, même les apologistes du bombardement disent qu’il n’y parviendra pas ; si l’objectif est de rendre les États-Unis respectables, le résultat atteint est inverse : partout dans le monde, bouillonne la colère et l’indignation envers la violence stupide, absurde, et sans âme, de Reagan. Il nous est arrivé par le passé d’avoir des présidents aussi violents. Rarement nous en avons eu un si rempli d’hypocrite dévotion à propos du “droit à la vie”. Dans le cycle sans fin des actions terroristes, chaque camp déclare à chaque fois qu’il s’agit de “représailles”. Nous avons bombardé Tripoli en représailles à l’attentat de la discothèque. La discothèque pourrait avoir été bombardée en représailles de la mort de 35 marins libyens qui effectuaient une patrouille dans le golfe de Sidra, dans les eaux internationales, où nous nous trouvions aussi. Nous étions dans le golfe de Sidra prétendument pour montrer à la Libye qu’elle ne devait pas s’engager sur la voie du terrorisme. Et la Libye dit en l’occurrence elle dit vrai dans ce cas précis que les États-Unis sont des vétérans du terrorisme, pour avoir soutenu les gouvernements terroristes du Chili, du Guatemala, d’El Salvador, et, en ce moment-même, pour soutenir le terrorisme des Contras contre des fermiers, leurs femmes, et leurs enfants, au Nicaragua. Est-ce qu’une démocratie occidentale a de meilleures raisons pour tuer des civils innocents qu’un dictateur du Moyen-Orient ? Même si nous vivions dans une démocratie parfaite, cela ne nous conférerait pas un tel droit. Mais l’élément le plus précieux de notre démocratie, le pluralisme des voix divergentes, le marché des idées contradictoires, semble disparaître dans une époque comme celle-ci, quand les bombes tombent, que le drapeau ondule, et que tout le monde se précipite, comme l’a fait Ted Kennedy, pour se ranger docilement derrière “notre Commandant en chef”. Nous attendions une direction morale. Mais Gary Hart, John Kerry, Michael Dukakis et Tip O’Neill, ont tous apporté leur soutien du bout des lèvres. Il ne faut pas s’étonner que le parti démocrate se trouve dans une forme aussi pathétique. Où dans notre monde politique se trouvent les successeurs de ces deux voix courageuses de l’époque de l’incident du Tonkin au Vietnam, Wayne Mose et Ernest Gruening, qui, seuls au Sénat, refusèrent de suivre “notre Commandant en cheflors de ce premier gros coup militaire qui lança les dix ans de honte du Vietnam ? Et où était notre tant vantée “presse libre ? Après le bombardement, un Schultz aux anges a tenu une conférence de presse devant un groupe de journalistes obséquieux à Washington qui lui ont ciré les pompes, qui lui ont sucé les doigts de pied, qui ne lui ont pas posé une seule question à propos du bien-fondé moral de notre action, à propos des civils tués par nos bombes à Tripoli.

Le terrorisme à présent a deux visages, celui de Kadhafi, et celui de Reagan. En fait cette simplification est grossière. Si Kadhafi s’en allait, si Reagan s’en allait, le terrorisme ne disparaîtrait pas ; c’est une vieille arme des fanatiques, qu’ils opèrent depuis des quartiers généraux secrets enterrés, ou de bureaux décorés des capitales des grandes puissances. Too bad, a-t-il dit, mais c’est le jeu de la guerre. Bien, si c’est le jeu, alors fichons-le camp de ce jeu, car il nous empoisonne moralement, et ne règle aucun problème. Il ne fait que perpétuer et aggraver le cycle sans fin de la vengeance qui finira par tous nous détruire un jour, si nous ne nous désintoxiquons pas de ces habitudes. Espérons que, même si cette génération, ses politiciens, ses reporters, ses porte-drapeaux et fanatiques, s’avèrent incapables de changer d’attitude, les enfants de la prochaine génération, en considérant notre stupidité, seront plus sages. Peut-être comprendront-ils que la violence qui se déchaîne par le monde ne peut être enrayée par plus de violence, que quelqu’un doit dire : nous refusons la vengeance, le cycle du terrorisme prend fin ici.”

Bibliographie des trois parties de cette étude

Je ne détaille pas toutes les références qui m’ont été utiles à la rédaction des trois articles de cette étude. Je renvoie le lecteur aux nombreux liens hypertextes dont j’ai parsemé chacun des trois articles. Je mentionne tout de même pour finir, soit les livres que j’ai lu intégralement ou en partie pour me faire une idée précise sur tel ou tel point utile à la compréhension de l’affaire, soit les articles et reportages sans lesquels certaines zones d’ombre de l’affaire la Belle seraient restées tout bonnement impénétrables.

article de Seymour Hersch, publié dans le New York Times Magazine du 22 février 1987

article de Howard Zinn extrait de l’ouvrage the Zinn Reader, publié en 1993 aux éditions Seven Stories.

article d’un correspondant allemand résumant le reportage de Frontal passé sur la ZDF en 1998

article de Saïd Haddad sur les fruits et défis de la normalisation libyenne

le lobby proisraléien et la politique étrangère des Etats-Unis, John Mearsheimer et Stephen Walt

La parabole d’Esther, de Gilad Atzmon, éditions Demi-Lune, 2012

l’histoire secrète du Mossad, Gordon Thomas

By way deception, Victor Ostrovky, Saint Martin’s Press, 1991, édition épuisée, mais version intégrale en ligne est consultable via ce lien hypertexte.

Other sides of deception, Victor Ostrovski

L’assassinat des dirigeants politiques étrangers par les Etats-Unis, Etienne Dubuis, éditions Favre, 2011.

Actualisation (2018): Objectif Kadhafi, Patrick Mbeko, éditions Libre-Pensée

François Belliot, juin 2012

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