J’accuse (8/12) : les familles de victimes du 11 septembre 2001

En cette période d’anniversaire des attentats du 11 septembre 2001,  je publie un morceau manquant de mon accusation de la pandémie conspirationniste, consacré au comportement scandaleux de certaines familles de victimes.

Nota Bene : Donald Forestier est un auteur fictif inventé pour imiter le style des apôtres de la version officielle des attentats du 11 septembre 2011 dans les grands médias.

Rien ne montre mieux l’immoralité des truthers que ce culot avec lequel ils invoquent, à l’occasion, l’argument des « familles de victimes » des attentats du 11 septembre. Non contents d’égarer leurs interlocuteurs dans des développements immenses et labyrinthiques, passant sans cesse du coq à l’âne avec une constante mauvaise foi, ceux-ci aiment en effet lancer, telle une brique dans une mare, cette remarque subtile : « Mais vous oubliez une chose, les proches des victimes eux-mêmes doutent de la version officielle. Plus encore, parmi les truthers, nul sans doute n’est plus acharné que ces proches pour critiquer le rapport de la commission d’enquête et dénoncer publiquement l’administration Bush. » Après quoi ils ajoutent : « D’ailleurs, si une commission d’enquête a été mise en place, c’est uniquement à cause de la pression des familles de victimes. » Croyant avoir trouvé la faille, alors ils assènent, comble de l’ironie « Ainsi en défendant la version officielle aveuglément, vous insultez tous ces gens qui ont perdu des proches dans ces événements.« 

Cette histoire des familles de victimes méfiantes et hargneuses envers l’administration Bush pèse d’un poids si lourd dans le débat, qu’il m’était impossible de couper à une plongée en profondeur dans cet aspect de l’affaire. Je ne cache pas que cette accusation en règle que je m’apprête à faire de certaines de ces familles est encore plus délicate que celle des secouristes du 11 septembre. En effet, c’est à des pères, des frères, des épouses, des fils de personnes mortes dans les attentats que je vais m’attaquer à présent.

Je rassure tout de suite mon lecteur quant au caractère apparemment scandaleux d’une telle démarche. Connaissant à présent tous les tenants et aboutissants de ce point de l’affaire, c’est en toute tranquillité que je peux me prononcer et trier le bon grain de l’ivraie.

La version officielle n’est contestée que par une poignée de familles

Là où les truthers sous entendent que « toutes » les familles de victimes contestent la version officielle, il se trouve en fait que seule une poignée d’entre elles se situe dans cette démarche. Une poignée, combien ? 5% d’entre elles à peine, soit environ 70, sur un total de plusieurs milliers. Première remarque donc, la proportion de familles de victimes exprimant publiquement des doutes est la même, grosso modo, que celles des marginaux en tous genres que l’on retrouve dans toute société.

Cette proportion est encore moins impressionnante si l’on considère la situation psychologique de ces familles. La perte accidentelle d’un proche est un événement à tous points de vue bouleversant. Confrontés à l’inacceptable, nous pouvons nous fermer à toute explication rationnelle et nous perdre dans les élucubrations les plus insensées.

On aurait même dû s’attendre, dans ce cas extraordinaire, à ce qu’une proportion encore plus grande de proches succombent aux sirènes de la pandémie conspirationniste.

Les conditions d’indemnisation des familles

Les truthers ayant toujours une roue de secours prête à l’emploi, vous imaginez qu’ils ont trouvé une objection à cette explication pourtant évidente. Ainsi ils arguent : « oui, il n’y a que 5% des familles à prendre publiquement position contre la version officielle, mais c’est parce que l’immense majorité des familles a accepté l’accord que leur proposait le gouvernement conditionnant l’octroi d’indemnités à l’abandon de toute poursuite envers les compagnies et les différents corps d’état concernées par les attentats. Par ailleurs elles ne disposaient que d’un temps limité pour se prononcer, ce qui a pu fausser leur décision »

Si l’administration Bush a beaucoup tardé à mettre en place une commission d’enquête, en revanche elle a été très prompte à mettre en place un fonds d’indemnisation des proches des victimes des attentats. Quelques jours après les événements, le secrétaire d’état à la justice, John Aschcrofti nomme un avocat, Kenneth Feinberg, pour mettre en place un dispositif permettant d’indemniser les proches des victimes. Un fonds de compensation est voté le 21 septembre au Congrès. 7 milliards de dollars seront finalement versés aux proches des victimes, au terme du processus.

Il est vrai qu’au départ, les conditions d’indemnisation, suscitent la polémique et de vives réactions de la part de nombreuses familles.

1) les familles qui acceptent les indemnités se voient interdites d’engager des poursuites envers quiconque, hormis bien sûr les terroristes islamistes désignés dans les jours suivant les attentats suite à l’enquête éclair du gouvernement. Pour protester contre cette clause, un millier de proches de victimes se réunissent devant le capitole le 1er Novembre pour demander son annulation. Ils voudraient en effet en particulier attaquer en justice des officiels saoudiens qu’ils pensent impliqués dans les attentats, et tiennent à montrer leur indignation contre ce qu’ils interprètent comme une tentative d’acheter leur silence.

2) le caractère flou et inégalitaire des critères d’octroi des indemnités. C’est le 20 décembre 2001 que Kenneth Feinberg les dévoile. Fabrice Rousselot les détaille dans un article de Libération du 9 janvier 2002. Les proches seront indemnisés « selon l’âge, le salaire et la taille de la famille du défunt, tout en y ajoutant une compensation dite « non économique » correspondant à la « perte psychologique ». Ainsi, « Selon la charte proposée, le veuf d’une femme de ménage avec deux enfants toucherait l’équivalent de 500 000 dollars. La veuve d’un courtier de Wall Street avec deux enfants disposerait, elle, de 4,3 millions de dollars…  »

3) les proches des victimes doivent donner leur réponse dans un délai donné, à savoir avant le 22 décembre 2003. Au-delà de cette date butoir elles ne peuvent plus prétendre à rien.

Pour ce qui a trait à la clause de non poursuite en justice, je trouve tout simplement scandaleux que des gens, aveuglés fussent-ils par la perte d’un proche, osent imaginer attaquer des membres de leur gouvernement ou de leurs corps d’état, quand on a en tête l’enjeu qui s’est immédiatement imposé après les attentats, à savoir le commencement de la guerre contre la terreur, qui aurait été très délicate à mettre en œuvre si ces instances avaient été mis en cause et embrouillées dans des procès odieux et interminables.

Le second point semble en effet discutable en apparence : on peut être choqué de cette disparité des sommes proposés en fonction du rang social. Cependant on oublie trop souvent en France que les Etats-Unis sont une société d’entrepreneurs, qui n’a pu atteindre et occuper durablement le rang de première économie du monde que par la constitution d’une caste d’entrepreneurs fortunés, dont beaucoup sont devenus par la suite milliardaires. Et c’est oublier encore que la majorité des milliardaires étasuniens respectent tacitement une philosophie qui reflète bien le génie de ce peuple, à savoir le « Gospel of Wealth ». Cette philosophie, révélée par Andrew Carnegie (surnommé le roi de l’acier) à la fin du XIXème siècle, enjoint aux riches de reverser d’eux-mêmes une partie de leur fortune dans des œuvres de charité et des fondations. C’est grâce à cette philosophie que sont nées la fondation Carnegie pour la paix, l’Open Society Institute de George Soros, ou encore la fondation Ford et la fondation Bill et Melinda Gates. En laissant le génie étasunien s’exprimer librement plutôt que de le corseter aux noms de chimériques principes égalitaires, à coup sûr, d’elles-mêmes, les familles les plus généreusement indemnisées se seraient spontanément délestées d’une partie de leurs millions pour en faire profiter les moins nanties.

Quant au problème de la date butoir, il suffit simplement de considérer les faits : le 22 décembre 2003 au soir, 95 % des proches des victimes avaient accepté le deal, et repartaient avec une somme moyenne, tout de même, de 1,6 million de dollars ! Cette proportion massive montre que les doutes n’étaient pas si profonds et répandus que cela… Et contrairement à ce que prétendent certains, les familles avaient largement le temps de peser le pour et le contre puisqu’elles disposaient de plus de deux ans pour accepter ou non les indemnités du fond de compensation.

Mais c’est toujours la même chose, les minorités agissantes font toujours plus de bruit que les majorités silencieuses. Les extrémistes sont toujours minoritaires mais comme ils crient plus fort que tout le monde et avec le plus de constance, on finit par ne plus entendre qu’eux. Comme l’explique Gérard Brönner dans un beau livre paru en mars dernier, « la démocratie des crédules » : « Ces situations (…) sont toujours favorables aux groupes, même très minoritaires, qui sont motivés pour imposer leur point de vue. Ces petits groupes peuvent donc dominer des groupes plus importants, agacés, sidérés, voire atterrés par les prises de position du petit groupe, mais il ne se trouve pas parmi eux suffisamment de contradicteurs motivés pour occuper le marché de l’offre cognitive . » (p 84)

C’est ainsi que ces 5% de familles restantes, au nombre de 70 environ, très vite vont se mettre à faire un bruit pas possible, et se rendre célèbres en forçant, pratiquement à elles seules, l’administration Bush à ouvrir une commission d’enquête qui n’aurait jamais dû voir le jour.

L’histoire des 70 familles et le rôle moteur des Jersey Girls

Pour raconter l’histoire de ces 70 familles, je me baserai, comme pour le chapitre où je traite de l’affaire Sibel Edmonds et celui sur les sauveteurs du 11 septembre, d’un documentaire réalisé à leur gloire en 2006 intitulé 911 press for truth. Comme « une femme à abattre  », et « les héros sacrifiés du 11 septembre  », c’est un documentaire de propagande des plus grossiers dont le seul et évident dessein est de jeter la suspicion sur l’administration Bush, pour lui faire porter le chapeau des attentats. L’objet de ce documentaire, plus largement, est de raconter l’histoire de la mise en place de la commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, en prenant pour fil directeur le rôle prépondérant joué par 4 veuves du New Jersey. Comme le fait en effet remarquer le journaliste Matthew Purdy dans un article du New York Times du 22 décembre 2002 : « Si la commission a été mise en place, c’est en grande partie sous la pression des familles de victimes, parmi lesquelles quatre veuves du New Jersey qui s’appelaient elles-mêmes les Jersey Girls.  » Je compléterai ma présentation au besoin par des informations piochées ailleurs, en particulier sur le site conspirationniste 911 Complete Timeline de Daniel Thompson, sur lequel s’appuie abondamment l’auteur du documentaire sur les Jersey Girls. Il ne m’importe en effet pas seulement de restituer sans la déformer la parole officielle, je veux aussi, pour être crédible jusqu’au bout, affronter ses adversaires sur leur terrain et avec leurs armes.

Précision sur la composition de ce chapitre

L’histoire des familles de victimes douteuses étant étroitement liée à celle de la mise en place de la commission d’enquête, et le chapitre suivant traitant des doutes nourris par les commissionnaires eux-mêmes envers leurs conditions de travail et leur travail final, j’ai opté pour une séparation chronologique dans le récit de l’histoire de la commission d’enquête : Si le rôle des Jersey Girls est prépondérant au début de l’histoire, il tend ensuite à s’estomper, les commissionnaires semblant en quelque sorte prendre leur relais dans l’expression de divers doutes. Je m’arrêterai donc dans ce chapitre au début de l’année 2003, en prenant pour date symbolique la journée du 31 mars, qui voit la commission tenir sa première audition publique.

Quatre veuves partent en campagne…

Au commencement étaient les Jersey Girls, quatre femmes de l’état du New Jersey, voisin de celui de New York, quatre femmes ayant en commun d’avoir perdu leur mari dans les attentats du 11 septembre.

Patty Casazza et Lorie van Auken étaient mariées à deux gestionnaires d’obligations d’état chez Cantor Fitzgerald, au 104 étage de la tour nord. Le mari de Mindy Kleinberg était gestionnaire financier dans la même entreprise et au même étage. Kristen Breitweiser était l’épouse du vice président senior de la fiduciary trust international dans la tour sud. Les quatre hommes sont morts dans l’effondrement des tours jumelles subséquent au crach des avions.

J’imagine le moment où la vie de ces femmes a basculé. Certaines étaient au téléphone avec leur mari en même temps qu’elles regardaient la télévision lorsque les tours se sont effondrées. J’imagine la surprise, l’angoisse folle, puis soudain, la compréhension, le choc, le traumatisme.

J’imagine ensuite l’incrédulité, l’annonce aux enfants, la première nuit blanche…

J’imagine les jours suivants, à rester rivées à la télévision, à appeler un par un les proches pour annoncer la terrible nouvelle.

J’imagine enfin le moment fatal ou le virus conspirationniste a commencé à s’insinuer dans leurs esprits, la question terrible : pourquoi ? pourquoi ? se répercutant lancinante à l’intérieur de leurs cervelles meurtries. J’imagine…

Certainement moins solides que d’autres veuves, qui avaient déjà le couteau entre les dents pour aller bouffer du taliban dans les montagnes d’Afghanistan, elles cherchent une signification plus haute à la mort de leurs maris. Premier grain de sable qui se met à gripper leur intellect, elles s’étonnent qu’aucune commission d’enquête n’ait été immédiatement mise en place. Les pauvrettes oublient que les évidents coupables ont tous été identifiés les jours suivants, grâce, entre autres, à des passeports et des cartes d’identité trouvés dans les décombres . C’est alors qu’elles se lancent, sans la moindre préparation, dans cette mer houleuse et sans bornes qu’est le World Wide Web. L’une confesse qu’elle a « passé beaucoup de temps devant l’ordinateur  ». L’autre qu’elle s’est mise à passer des « nuits à faire des recherches  », parce qu’elle « n’arrivait pas à dormir à cause de la souffrance  ». Elles commencent à faire leurs certaines questions : « Pourquoi aucun des 4 avions n’a-t-il été intercepté ?  », « Pourquoi le président Bush n’a-t-il pas réagi immédiatement  », « Pourquoi les enquêteurs du FBI étaient-ils continuellement remplacés ? » « Comment des gratte-ciel peuvent-ils s’écrouler au sol en dix secondes  ? », et tant d’autres…

Le documentaire ne détaille pas les circonstances de leur rencontre. En tous cas c’est en octobre 2001 que s’opère la jonction entre les quatre « Jersey Girls ». Alors qu’elles doutaient seules face à leur écran d’ordinateur, les voilà qui se confortent mutuellement dans leurs suspicions, et se mettent à compiler ensemble des listes de faits et argumentaires sur les différents points de l’affaire qui leur semblent douteux. Elles reçoivent rapidement dans leur quête le concours de la journaliste Gail Sheehy qui décide de se dévouer corps et âme à leur cause.

Dans les mois qui suivent elles rencontrent d’autres membres des familles des victimes qui comme elles éprouvent des doutes envers la version officielle établie par l’administration Bush.

Elles rencontrent également un membre des familles de victimes du crach du Pan Am 103 au-dessus de Lockerbie le 21 décembre 1988, qui leur donne le conseil suivant : « Si vous n’obtenez pas de réponses (du gouvernement), alors constituez un collectif.  »

Enhardies par ces conseils et le fait de se retrouver dans la sécurité d’un groupe, elles décident d’organiser un rassemblement devant le Capitole à Washington, le 11 juin 2002. Des parents, amis, et sympathisants, viennent produire un effet de nombre en affluant dans quatre cars affrétés pour la circonstance, pour applaudir leurs interventions.

Toute cette troupe, munie de pancartes arborant les portraits de proches disparus, se rend ensuite dans les halls du congrès pour exiger la tenue d’une commission d’enquête indépendante sur les attentats du 11 septembre 2001. Ils rallient à leur cause une poignée de Républicains, parmi lesquels le Représentant Christopher H. Smith du New Jersey, qui accepte de parrainer un projet de loi appelant à la mise en place d’une telle commission, dont le président Bush et le vice président Cheney, absorbés qu’il sont corps et âme dans les premières manœuvres de la « guerre contre la terreur », ne veulent pas entendre parler. De telles commissions avaient été mises en place pour faire la lumière sur des événements graves engageant le destin des États-Unis, par exemple le raid sur Pearl Harbour en 1941, l’assassinat du président Kennedy en 1963, ou encore les relations sexuelles entre le président Clinton et une stagiaire de la Maison Blanche de 1995 à 1997.

En bonnes propagandistes, les Jersey Girls savent toutefois que pour parvenir à leurs fins, ce « happening » ne suffira pas. Dans nos démocraties modernes, c’est par les grands médias qu’il faut passer pour se faire entendre. Elles profitent donc du départ de feu médiatique déclenché par leur démarche pour poser comme condition aux journalistes désireux de les interviouver de signaler obligatoirement le fait qu’aucune enquête digne de ce nom n’a été diligentée à ce jour.

Télégéniques, jouant à fond sur leur statut de veuves éplorées, elles parviennent à susciter un engouement public qui met sur l’administration Bush une pression jusqu’alors inconnue, et le 27 novembre 2002, soit 441 jours après les événements, George W. Bush et le Congrès des États-Unis actent la mise en place de la commission, avec à sa présidence et sa vice-présidence, l’ancien secrétaire d’état des administrations Nixon et Ford, Henry Kissinger, et le sénateur George Mitchell.

Les Jersey Girls poussent Henry Kissinger à la démission

Le rôle des Jersey Girls ne s’est pas seulement limitée à forcer l’administration Bush à mettre en place une commission d’enquête inutile et susceptible de saper la crédibilité des Etats-Unis dans la guerre à la Terreur déclarée dans la foulée des attentats, elles n’ont eu de cesse en effet par la suite d’en perturber le fonctionnement en mettant incessamment des bâtons dans les roues des commissionnaires.

Cela commence presque immédiatement. Kristen Breitweiser, que l’on peut regarder comme la tête pensante du quatuor, nourrit rapidement des doutes quant à la nomination d’Henry Kissinger. Est-ce bien la personne idoine ? Elle fait une petite recherche sur des sites conspirationnistes et croit lui découvrir quelques casseroles. N’aurions-nous pas là un homme qui aurait « un penchant pour le secret  » ? Il y aurait des « questions à propos de son rôle pendant la guerre du Viet Nam » et « dans le coup d’état au Chili  ».

Remplies de doutes, les Jersey Girls se rendent à son bureau à New York pour lui poser d’autres questions plus pointues. Breitweiser pense avoir levé des lièvres encore plus compromettants et se figure qu’il y aurait même des conflits d’intérêts politiques dans la nomination d’une telle personnalité à un poste aussi sensible.

Lors de cet entretien elle lui pose notamment la question suivante : « Avez-vous des clients en Arabie Saoudite dont vous aimeriez nous parler ? », qu’elle complète avec cette autre : « avez-vous un client du nom de Ben Laden  ? » Selon la légende rapportée par Patty Cassaza, « il n’était pas très à l’aise, il gigotait sur son canapé  », et en entendant la deuxième question il aurait failli renverser sa tasse de café. Vous imaginez bien que nos quatre luronnes y ont immédiatement vu un « aveu physique ».

Sommé de révéler la liste de ses clients, il s’y refuse et décide de démissionner, ce qui est acté le 13 décembre 2002.

Les truthers y ont voulu voir un exemple éclatant des vices de forme initiaux de la commission d’enquête mais on peut faire une toute autre interprétation. Pour commencer, la question du coup d’état au Chili et de son rôle au Vietnam ne sauraient en aucun cas constituer des arguments. En effet, en 1973, Kissinger recevait le prix Nobel de la paix pour son rôle dans la résolution des accords de paix avec le Vietnam ; or c’est précisément l’année où survient le coup d’état au Chili, un 11 septembre au passage. S’il avait eu un rôle trouble dans ces deux affaires, jamais à coup sûr il n’aurait été honoré d’une distinction aussi prestigieuse. Quant à la séquence de « panique » suscitée dans son bureau par les Jersey Girls, j’y vois quant à moi la marque d’un homme blessé par une énième suspicion sans fondement sur sa carrière et son CV. L’homme, déjà très âgé, n’a pas supporté d’être une nouvelle fois harcelé de la sorte après toute une vie passée à servir fidèlement son pays sans compter ses forces. Après mûre réflexion il a décidé de jeter l’éponge, pour laisser à un autre la charge écrasante de présider cette commission d’enquête.

Peut-être aussi avait-il été échaudé par les soupçons semblables portés contre le vice président de la commission le sénateur Mitchell, qui avait démissionné deux jours plus tôt pour les mêmes raisons.

Nombre de truthers et familles de victimes ont pointé la lenteur et la difficulté de la mise en route de la commission d’enquête, mais on voit bien, sous cet éclairage que ces retards du début sont largement imputables à l’activisme néfaste des Jersey Girls.

Les Jersey Girls font flèche de tout bois

Après ces deux démissions spectaculaires, les Jersey Girls, en compagnie d’autres proches de victimes, décident de mettre sur pied le Comité Directeur des Familles (FSC), dont l’un des objectifs avoués est de contrôler le travail de la commission d’enquête. Les 12 membres de ce comité directeur n’ont aucune expérience en la matière mais le virus conspirationniste a déjà fait dans leurs esprits des dégâts irréversibles. Ils sont désormais à l’affût du moindre conflit d’intérêt, de la moindre zone d’ombre, guettent chaque hésitation, analysent chaque silence, et brûlent d’accrocher de nouveaux scalps à leurs ceintures.

Elles se trouveront bientôt un bouc émissaire, sur lequel elles ne cesseront de s’acharner jusqu’à la fin, en l’occurrence le directeur exécutif de la commission d’enquête lui-même, Philip Zelikow, nommé en janvier 2003 et que l’on peut considérer comme le maître d’oeuvre du rapport. Comme pour Kissinger, elles exigeront sa démission à plusieurs reprises, et croiront lui découvrir des conflits d’intérêt plus incroyables encore.

Elles s’intéresseront aux conditions de travail des commissionnaires, remettront en cause les conditions d’accès aux documents utiles, à l’impossibilité pour les commissionnaires d’interroger directement les détenus, aux réticences de la Maison Blanche à coopérer pleinement, elles croiront débusquer des mensonges de la FAA, du NORAD, de la CIA et de membres de l’administration Bush. Elles forceront Condoleeza Rice, secrétaire d’état à la sécurité nationale, à un humiliant témoignage sous serment devant la commission.

Je reviendrai en détails sur ces différents points dans le chapitre suivant. En attendant, en ce début d’année 2003, les Jersey Girls et les 70 familles fourbissent leurs armes en vue d’un événement qu’elles attendent avec une extrême impatience : la première audition publique de la commission d’enquête, qui doit se tenir le 31 mars 2003.

L’audition publique du 31 mars 2003

Le moment est solennel. Les jersey Girls ne sont pas les seules à avoir coché cette date dans leur calendrier. Parlementaires, traders, femmes de ménage, soldats, c’est tout un peuple qui ce jour-là se retrouve devant son petit écran pour écouter les premières auditions.

Dans sa présentation inaugurale le président de la commission Thomas Kean déclare, entre autres choses, que le rôle de la commission d’enquête ne saurait en aucun cas consister à pointer les responsabilités d’un tel ou un tel dans les différents corps d’état étasuniens implicables dans les attentats. Ces mots provoquent une rumeur dans la foule de proches qui s’est pressée ce jour-là. En effet, les membres du FSC n’avaient eu de cesse de rappeler qu’ils tenaient absolument à ce que des responsabilités étasuniennes soient mises en lumière, et des officiels éventuellement poursuivis pour manquements graves.

L’émotion est portée à son comble quand Mindy Kleinberg prend la parole au nom du FSC dans la foulée. Les commissionnaires ont en effet autorisé quatre membres représentant les quatre organisations de familles existantes à s’exprimer tôt dans cette première journée. Dans un ton pathétique, aux bords des larmes, la Jersey Girl se lance dans un long discours dont j’isole la diatribe suivante : « Concernant les attaques du 11 septembre, il a été dit que les agences de renseignement doivent avoir raison 100% du temps et que les terroristes n’ont besoin d’avoir de la chance qu’une seule fois. Cette explication des attaques dévastatrices du 11 septembre, élémentaire à première vue, est fausse et ne tient pas. Car les terroristes du 11 septembre n’ont pas été chanceux seulement une fois. Ils ont eu constamment de la chance, encore et encore. »

Kleinberg se lance alors dans une série de questions censées illustrer son propos : Pourquoi la SEC n’a-t-elle pas relevé, dans la semaine précédant les attentats les opérations fiancières suspectes concernant les deux compagnies aériennes impliquées dans les attentats ? Comment 15 des terroristes ont-ils pu obtenir des visas en violation des procédures en vigueur ? Comment ont-ils pu passer le contrôle des aéroports alors que nombre d’entre eux étaient fichés sensibles ? Comment ont-ils pu embarquer des cutters dans les avions ? Comment se fait-il qu’aucun avion n’ait été intercepté, surtout après le crach inaugural du vol AA 11 ? Pourquoi le secrétaire à la défense (Rumsfled) n’a-t-il pas été informé qu’un des quatre avions détourné fonçait droit vers le lieu où il travaillait, à savoir le Pentagone ? Pourquoi le président Bush n’a-t-il pas tout de suite été mis en sûreté après le crach du premier avion ?

Je ne vais pas m’étendre sur cette liste de questions qui font partie du catéchisme que tout bon truther doit connaître par cœur. J’ai répondu au problème des opérations financières suspectes dans le chapitre 2 et quant aux autres, le rapport de la commission d’enquête que j’ai résumé dans le chapitre 1 y a selon moi excellemment répondu. Je ferais seulement remarquer qu’alors que Thomas Kean et Lee Hamilton avaient ouvert cette première journée d’auditions par deux interventions extrêment convaincantes et émouvantes, toute de suite, cette intervention de la Jersey Girl a complètement plombé l’ambiance. Les deux hommes, qui avaient remplacé au pied levé Kissinger et Mitchell à la mi décembre, ont dû tout de suite dû se sentir découragés, de même pour les commissionnaires et l’équipe d’enquêteurs dirigée par Philip Zelikow. Cela, j’en suis certain, les a ralentis dans leur travail par la suite et a été en partie cause des quelques passages discutables du rapport final sur lesquels quelques proches des victimes se sont ensuite acharnés.

Pressions populistes sur leur gouvernement, méfiance malsaine envers les élites de leurs pays, retardement de la mise en route de la commission d’enquête, accusations de conflits d’intérêt sans fondement contre des patriotes irréprochables, déclarations incendiaires et hors de propos par le biais du comité Directeur des Familles, d’un bout à l’autre de l’histoire de la commission d’enquête, l’influence des Jersey Girls et des 70 familles ultra-minoritaires s’est révélé négatif et dommageable.

Inutilité de la commission d’enquête

Où l’on voit bien que cette commission d’enquête n’aurait jamais dû être mise en place, c’est que, quoique l’enquête fût bouclée pratiquement dès le soir du 11 septembre 2001 et tous les évidents coupables dûment identifiés, quoique les Jersey Girls et d’autres membres des familles de victimes ont tout fait, comme on l’a vu, pour en saboter le déroulement, ces derniers ont eu lors de la parution de son rapport final en novembre 2004 les mots les plus durs et les plus injustes pour qualifier ses conclusions.

Les Jersey Girls ont évidemment été les premières à monter au créneau. Voici ce qu’en ont dit 3 d’entre elles : pour Patty Casazza  : » C’est dur pour nous d’arriver à la conclusion que la Commission du 11/9 était, d’entrée de jeu, une tentative politique d’étouffer l’affaire. » ; pour Lorie Van Auken : « Si vous cachez de l’information, si vous maintenez portes closes partout, les gens deviennent suspicieux. Si le gouvernement prenait la peine de nous répondre, ça nous encouragerait. Au lieu de ça, le gouvernement ne répond quasiment à rien. C’est scandaleux que six ans plus tard, après deux guerres préventives au Moyen-Orient et peut-être une troisième à venir, nous n’ayons toujours pas une explication complète sur le 11 septembre. »  ; pour Mindy Kleinberg : « Nous nous sommes battues pour obtenir la création d’une Commission indépendante sur le 11/9 parce que nous croyions que les citoyens américains seraient mieux servis par une nation qui reconnaît ses faiblesses et qui les corrige. » « La Commission du 11/9 a failli à ses devoirs. Ce que nous attendions d’elle, c’était une investigation minutieuse sur les événements du 11/9. Il est inexcusable que cinq ans après, nous attendions encore. »

Les Jersey Girls ayant donné le « la », d’autres membres de ces familles qui avaient refusé les indemnités généreuses du fonds de compensation en ont profité pour se lâcher semblablement. J’en cite 3 qui ne sont qu’un échantillon.

Pour Bob Mcilvaine, dont le fils est mort dans la tour nord, « Je crois à 100% que les États-Unis ont orchestré les événements du 11 septembre avec l’aide d’autres services de renseignements dans le monde. Mais je blâme particulièrement les USA parce que c’est arrivé chez nous. Il y a des gens aux USA qui savaient ce qui se passaient, qui ont planifié ça… » Pour Bill Doyle, qui perdu son fils dans la tour nord, « Le rapport de la Commission du 11/9 n’est même pas une ébauche conduisant à la vérité. » « La Commission du 11/9 est probablement la pire représentation des familles du 11/9 ou d’ailleurs tout le public américain parce que c’est un simulacre. Elle l’est vraiment. Nous avions des tonnes de questions différentes que nous leur avions demandé de poser. Ils ne voulaient pas le faire. Et la continuation des tentatives faites pour étouffer l’affaire est tout bonnement incroyable. » Pour Donna Marsch O’Connor, qui a perdu sa fille dans la tour sud, « Ce gouvernement a fait de moi la victime d’une théorie du complot parce qu’il n’a pas répondu pleinement, et n’a pas permis qu’on soulève les vraies questions sur le 11 septembre.« ii

Dans le premier chapitre de cette étude, j’ai résumé ainsi le rapport de la commission d’enquête : « en plus de faire la lumière définitive sur les attentats du 11 septembre 2001, c’est un texte extrêmement bien écrit, dans lequel on rentre comme dans du beurre et qui ne se referme qu’après avoir atteint le point final.  » Maintenant, si je mets de côté sa qualité littéraire, que pas un des proches des victimes ne s’est risqué à nier, un tel travail ne peut évidemment pas être parfait. Quand on brasse autant de matière il est fatal que l’on erre sur quelques points et que l’on s’éloigne de la perfection. Comme dit le poète latin Horace, dans son Art Poétique, évoquant certains passages un peu faibles de l’Odyssée  : « je suis furieux quand il arrive au bon Homère de sommeiller, sans songer que, dans un long poème, il est permis de se laisser un peu aller au sommeil.  » Ces proches des victimes qui ont refusé de généreuses indemnités compensatoires, pour obliger l’administration Bush à mettre en place une commission d’enquête s’étaient lancés dans l’aventure avec l’idée folle et préconçue d’y trouver d’innombrables preuves d’omissions et de manipulations. C’est pourquoi ils ont cédé à la pente fatale de voir derrière chaque indice de sommeil la marque de l’impensable, à savoir que des officiels étasuniens étaient bel et bien mouillés dans la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001, et devaient être châtiés en conséquence.

Cela nous ramène au phénomène de dissonance cognitive que j’ai évoqué dans l’Introduction Générale : alors qu’à l’évidence le rapport de la commission d’enquête apportait, quoi qu’elles disent, l’essentiel des réponses à leurs questions, elles n’ont eu d’autre choix, tant elles avaient été plongées pendant des mois dans le doute et les sentiments négatifs, de rejeter en bloc l’ensemble des conclusions pourtant convaincantes du rapport. A ce seul prix leurs cervelles devenues incurablement malades purent passer outre l’évidence à laquelle elle étaient confrontées, et les maintenir dans leur nouvelle structure mentale devenue habituelle.

Cela explique largement selon moi, le ton unanimement agressif et empreint de méchanceté de la part de ces 70 familles de victimes renégates à l’égard de l’establishment étasunien et le travail de la commission d’enquête.

Ce que sont devenues les Jersey Girls

Il n’est que de voir ce que les Jersey Girls sont devenues par la suite pour s’assurer de la pertinence de mon accusation. Un article de Bob Braun du 9 septembre 2012 expose leur évolution tragique quoique prévisible. Trait commun, aucune d’elles ne s’est jusqu’à présent remariée, enfermées qu’elles sont chacune dans une tranche de vie passée dont elles sont incapables de s’extraire. Plus particulièrement, si Mindy Kleinberg et Patricia Casazza ont l’air de s’en être à peu près sorties en se recentrant sur l’éducation de leurs enfants, les autres veuves du « club des 4 » n’ont pas très bien tourné… Kristen Breitweiser s’est mise en tête d’écrire un livre relatant son expérience de veuve du 11 septembre ; elle écrit régulièrement sur son blog des articles conspirationnistes dans lesquels elle n’hésite pas à prétendre que Barack Obama est un clone de George W. Bush, et pousse le culot jusqu’à demander au président actuel de rendre le prix Nobel de la paix qui lui avait été décerné la première année de son mandat en 2009, en récompense des promesses qu’il incarnait lors de sa nomination. Lorie Van Auken a été encore plus atteinte par la pandémie conspirationniste puisqu’elle est passée de la critique de la version officielle du 11 septembre, à la dénonciation d’autres sujets « douteux », comme la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste. Je félicite au passage notre Ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg, pour son lobbying intense en faveur de l’exploitation de cette source d’énergie révolutionnaire qui n’aura aucun impact négatif sur l’environnement, quoi qu’en disent les ayatollahs de l’écologie de gauche comme de droite. Van Auken est également mobilisée contre la culture des OGM, alors que chacun sait que sans des firmes comme Monsanto, leader mondial dans ce domaine, l’espèce humaine risque à terme de mourir de faim.

L’histoire des Jersey Girls est un cas d’école pour comprendre le mode d’action du virus conspirationniste. C’est dans les esprits affaiblis ou foudroyés par une violente émotion, en l’occurrence le décès brutal d’un proche dans des circonstances dramatiques et aux répercussions géopolitiques inimaginables, qu’il pénètre avec le plus de facilité ; une fois dans la place, il se multiplie à toute vitesse entraînant l’irruption de pensées et questions obsédantes qui avec le temps entraînent le développement de comportements qui confinent à l’autisme. Quand c’est de l’esprit de personnes oisives qu’il prend possession, en l’occurrence de femmes au foyer, il se répand à une vitesse encore plus grande. Toutes les heures que les Jersey Girls auraient pu passer dans des tâches plus terre-à-terre et apaisantes pour leurs esprits écorchés, elles les ont passées sur internet à visionner des documentaires de propagande, à tenter de décortiquer des rapports trop compliqués pour elles, ou è organiser des pique-nique avec des frères et sœurs de misère infectés comme elles. Puis, les années passant, et les attentats du 11 septembre tendant à s’enfoncer dans les brumes de l’histoire, le virus mute, prenant diverses formes tout aussi pernicieuses et virulentes. Partis de la contestation de la version officielle de ces événements, tous ces gens sont par la suite passés au gaz de schiste, aux OGM, et d’autres sujets prisés par les conspirationnistes qu’il est aisé de deviner, comme le virus H1N1, le trucage des élections présidentielles, les pyramides bosniaques, le projet HAARP, les chemtrails, les hommes lézards, la remise en cause de l’existence des chambres à gaz, le Nouvel Ordre Mondial, et j’en passe et des meilleures.

L’univers conspirationniste est un manoir aux mille pièces dont la plupart sont inapparentes mais dont la plus rayonnante, celle du 11 septembre 2001, révèle à la longue toutes les autres si on commet l’erreur fatale d’y pénétrer sans précaution ni expérience, et ceux qui y font un trop long séjour finissent par formuler cette folle pensée : « Il faut avoir compris le 11 septembre pour comprendre le monde dans lequel on vit.« 

Donald Forestier

co-écrit avec Charles Aissani, sous le pseudonyme de Donald Forestier, publié sur le site Agoravox le  13 septembre 2013. Le décalage de parution d’un an s’explique par le retard irrattrapable pris à l’automne 2010 dans la rédaction de l’ensemble des articles. Seules se trouvent dans cette situation les parties 7/12 et 8/12.

Notes

iJ’ai évoqué ce personnage dans le chapitre 4, où je détaille le rôle clé qui a été le sien dans la résolution de l’affaire Sibel Edmonds.

iiJe remercie l’association reopen911 qui a traduit et mis en ligne le dossier complet des témoignages traduits de proches de victimes et autres « spécialistes ». Si je ne partage pas leurs conclusions je leur fais tout à fait confiance pour des tâches mécaniques de ce type.

 

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