Sommaire
Introduction
Le présent article, comme celui consacré à Lassana Bathily, le faux héros de l’Hyper Cacher, est un peu le fruit du hasard. On défriche dans une direction, et soudain on tombe sur un belvédère inattendu – en l’occurrence des plus surréalistes – qui retient l’attention et fait naître le besoin de brosser un tableau aussi détaillé que possible de ce qui s’étend sous nos yeux. C’est Astrid de Larminat, journaliste au Figaro, qui la première, le 12 janvier 2015, dans un article intitulé « Pennac et Nothomb dans la bibliothèque de Coulibaly » a attiré l’attention sur ce qu’on pourrait appeler la « bibliothèque d’Amedy Coulibaly », du nom de l’assassin de Clarissa Jean-Philippe à Montrouge le 8 janvier, et du preneur d’otages de l’Hyper Cacher le 10 janvier. Deux mois plus tard, le 20 mars, Alexis Kropotkine, sur son site le greffiernoir.com, a approfondi la réflexion dans un article intitulé : « Une créature de rêve de Patricia Highsmith dans la vidéo de revendication avec Pennac et Nothomb ». J’ai trouvé cette histoire fascinante et il m’a semblé qu’il restait des choses à en dire.
Il est de coutume, quand on réalise un entretien filmé avec un intellectuel – quand ce n’est pas l’intellectuel lui-même qui en fait la suggestion – de le faire s’exprimer avec en arrière plan une partie de sa bibliothèque. Le procédé est propre aux journalistes, aux écrivains, aux savants de toutes disciplines. De façon tout à fait surprenante, c’est le choix qu’a fait Amedy Coulibaly – ou qu’on a fait pour lui – dans une partie de sa vidéo de revendication publiée le surlendemain (12 janvier) de sa prise d’otages et de sa mort dans l’Hyper Cacher la Porte de Vincennes. Cette bibliothèque n’est certes pas très fournie. A peine la remarque-t-on : quatre ouvrages sur une étagère incrustée dans un mur, mais tout de même bien visible, à hauteur d’épaule de Coulibaly, assis sur un sofa sans dossier, vêtu d’un blouson de cuir et d’un bonnet de laine noire, une kalachnikov reposant sur le mur blanc uni entre lui et la « bibliothèque ». Or de quoi s’agit-il ? De Corans, le livres enluminés en langue arabe, de magazines de Daech ? Que nenni. Même si, de l’avis unanime de ceux qui l’ont côtoyé, famille, membres d’associations, avocats, psychiatres, otages de l’Hyper Cacher, il s’agissait d’une personnalité immature, influençable, s’exprimant dans un langage pauvre, incohérent et décousu, Monsieur Coulibaly à en juger par cette bibliothèque était un esthète exigeant ; au sein de ce chaos ambulant respirait en secret une entité littéraire aux goûts tout germanopratins.
Avant de les présenter et de les résumer, quelques mots tout de même sur le profil et le parcours d’Amedy Coulibaly, tout à fait typique des auteurs d’actes terroristes « islamistes » perpétrés en France depuis 2015 : Amedy Coulibaly, 32 ans, est le seul garçon et benjamin d’une fratrie de sept enfants. Il bascule dans la délinquance vers 17 ans en raison de mauvaises fréquentations. Il en vient à réaliser de nombreux braquages qui finissent par le mener devant les juges. Entre 2001 et 2007, il est condamné à de multiples reprises à des peines de prison ferme principalement pour ces faits. Il est incarcéré de 2005 à 2009 et de 2010 à mars 2014, bénéficiant d’une remise de peine d’un an – il doit toutefois porter un bracelet électronique jusqu’en mai. Sa dernière condamnation résulte de sa participation à la tentative d’évasion de Smaïn Ali Belkacem, présenté dans les médias comme l’un des principaux responsables de la campagne d’attentats commis en France en 1995. C’est à l’occasion de sa première incarcération qu’il fait la rencontre de Chérif Kouachi et de son mentor Djamel Beghal, et qu’il se radicalise. Le tribunal correctionnel de Paris évoque « une personnalité immature et psychopathique », un expert psychologue pointant la « pauvreté de ses capacités d’introspection ainsi que le caractère très rudimentaire de la motivation de ses actes », un « sens moral déficient », et une volonté de « toute-puissance ». A sa sortie de prison en 2009 il épouse religieusement Hayat Boumediene, femme au passé chaotique et convertie à l’Islam salafiste. Bref, il est difficile de se représenter Amedy Coulibaly en train de feuilleter du Patricia Highsmith, du Amélie Nothomb, ou du Daniel Pennac sur les pelouses du jardin du Luxembourg, des Tuileries, ou même celui des Buttes-Chaumont ((Farid Benyettou, le gourou de Chérif Kouachi et de la filière dite « des buttes Chaumont », emmenait ses ouailles faire des joggings dans ce magnifique parc du XIXème arrondissement en guise d’entraînement physique. Incarcéré à Fleury Mérogis en 2005 pour sa participation à ce groupe, Chérif Kouachi y rencontre Amedy Coulibaly à qui il aurait pu vanter les mérites de ce parc fameux pour son île du belvédère.))…
Autres particularités biographiques notables : il a activement participé pendant l’hiver 2008, sous le pseudonyme de Hugo, au tournage d’un film révélant les conditions de vie sordides et déplorables des détenus dans la prison de Fleury-Mérogis, et en juillet 2009 il a été reçu avec plusieurs centaines de jeunes à l’Élysée par Nicolas Sarkozy dans le cadre d’une conférence sur l’emploi. Il a fait l’objet en cette occasion d’un article du Parisien rapportant son témoignage enthousiaste.
Une créature de rêve, de Patricia Highsmith, 1986, éditions Calmann-Levy pour la traduction française
Le personnage central d’« une créature de rêve » est une toute jeune femme du nom d’Elsie Tyler. Extrêmement belle, douée d’un charme fou, elle exerce une fascination sur tous les personnages, masculins, ou féminins, qui viennent à croiser son chemin, pour une raison ou pour une autre. Au début du roman, serveuse dans une cafétéria, elle tape dans l’œil et surtout l’esprit de Ralph Linderman, vigile d’une soixantaine d’années, célibataire depuis des lustres, dont le seul compagnon est un petit chien qu’il a prénommé « Dieu », par dérision envers la religion qu’il exècre. Celui-ci se sent investi de la mission de veiller sur elle et de l’avertir des innombrables tentations qui la guettent dans la grande ville de New York dans laquelle elle vient d’arriver, seule, avec 50 dollars en poche. Ralph Linderman rencontre Jack Sutherland, un dessinateur d’une trentaine d’années, marié et père d’une petite fille, en train de travailler à la publication d’un livre dont il est l’illustrateur, à qui il se fait scrupule de rendre le portefeuille que ce dernier a laissé tomber de sa poche non loin de chez lui en sortant d’un taxi. Jack rencontre ensuite Elsie par hasard dans sa cafétéria. Fasciné par sa beauté et un détail de sa physionomie, il se met à la dessiner, attirant son attention. Celle-ci, spontanément, lui montre le vieux Linderman assis dans un coin, dont elle ne supporte plus la présence inquisitrice sur son lieu de travail. Quelques jours plus tard ils se croisent dans la rue près du domicile du dessinateur. Elsie sollicite d’entrer chez lui, découvre son travail qu’elle admire, et le dessin qu’il a fait de lui. Or Ralph, qui passe son temps libre à l’épier et à la suivre, l’a vue entrer chez Jack et s’est imaginé une intrigue amoureuse ; il en vient même à laisser une lettre dans la boîte de ce dernier pour lui faire la morale et le placer devant ses responsabilités. Perturbé, Jack finit par en parler à sa femme Natalia, qui lui demande de la lui présenter. Natalia travaille aussi dans le milieu de l’art, elle a pour meilleur ami un homosexuel prénommé Bob avec qui elle passe presque autant de temps qu’avec son mari. Ayant des relations dans le monde de la mode elle parvient à y introduire Elsie, qui quitte son emploi dans la cafétéria, au grand dam de Ralph qui perd ainsi sa trace et son malsain passe-temps. Alors que celui-ci vivait dans la hantise qu’Elsie se fasse déshonorer par de jeunes voyous, il s’avère, apprend-elle à Jack, qu’elle est lesbienne. Volage, elle papillonne et finit par faire succomber Natalia qui tombe folle amoureuse d’elle et devient son amante, avec le consentement tacite de son mari, qui platoniquement en pince aussi pour Elsie. Alors que cette « créature de rêve » commence tout juste une ascension fulgurante dans la carrière de mannequin, Fran, lesbienne hommasse, toxicomane, dealeuse, et ex-petite amie de Marion, qui l’a quittée pour Elsie tout en acceptant de la partager par la suite avec Natalia, l’assassine dans un moment de folie. Entre temps Ralph, obsédé par Elsie comme Gollum par l’anneau unique, était parvenu à retrouver sa trace. Le dernier quart du roman est occupé par l’enquête visant à découvrir l’assassin, tout le monde étant plus ou moins soupçonnable, aux yeux du lecteur comme des différents protagonistes. En plus d’avoir tous une case en moins, et une vie sexuelle étrange et dépravée, la plupart des personnages semblent passer leur temps à s’alcooliser. Je donne ces détails car il faut tâcher de se mettre à la place du « lecteur » Coulibaly, dont la lubie personnelle, avec les braquages, est l’Islam takfiri.
L’hygiène de l’assassin, d’Amélie Nothomb, 1992 éditions Albin Michel
Pretextat Tach est un vieil écrivain octogénaire, prix Nobel de littérature, obèse, aux mœurs extrêmement bizarres, qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie rare et incurable qui l’emportera dans les deux mois. Détail notable, « la nouvelle du décès imminent tomb(e) un 10 janvier. » (p. 10) Sa boisson préférée est un cocktail nommé « alexandra », à base de cognac et de crème de cacao, qu’il agrémente avec du lait concentré sucré. Son éditeur le convainc d’accepter, pour finir en apothéose, une série d’intervious exceptionnelle. Quatre journalistes masculins patauds et ignares s’y essaient en vain successivement, jusqu’à ce qu’une femme imprévue, sagace et dominatrice, se présente et le défie. Contrairement aux premiers, elle a lu toutes ses œuvres avec la plus grande attention et est parvenue à percer le secret de son existence, que ce dernier lui livre bribe par bribe, pour finir par tout lui déballer : jusqu’à l’age de seize ans il a grandi avec sa famille dans un château magnifique, coupé du monde. Il avait une cousine plus jeune que lui de trois ans, nommée Léopoldine, dont il était éperdument amoureux. Très jeunes, sous son influence, ils se sont fait le serment de ne jamais devenir adultes et ont adopté un mode de vie et un régime alimentaire anormaux destinés à atteindre cette utopie. Le jeune Tach, qui demeurera par la suite chaste et célibataire toute sa vie, faisait l’amour avec sa cousine jusqu’au jour où – le jour de son anniversaire -, tardivement mais c’était inéluctable, elle a ses premières règles. Dès qu’il aperçoit le sang menstruel, il lui empoigne le cou et l’étrangle, et laisse le corps glisser dans l’étang du château, ce qui permet de faire passer cet assassinat pour une noyade. Tach explique qu’il a commis cet acte avec le consentement de sa sœur, et comme un acte d’amour suprême. Tout de même soupçonné par son entourage, il se met par réaction à s’empiffrer et à grossir à vue d’œil alors qu’il était jusque là d’une extrême frugalité. Il finit par mettre le feu au château, en tuant tous ses occupants – parmi lesquels ses parents – sans éprouver le commencement d’un remords. Telle est l’histoire qu’il n’a jamais racontée et que la journaliste a devinée en passant au peigne fin son seul roman inachevé, d’apparence autobiographique, et en explorant toute la documentation de l’époque qu’elle a pu trouver. Ayant terminé son récit, et rampé devant il comme il le lui avait promis si elle parvenait à le faire craquer, il lui demande, pour boucler la boucle, de l’étrangler à son tour, dans le même geste d’amour suprême qui l’a incliné jadis à tuer sa cousine, ce à quoi elle finit par consentir.
Le livre contient dans sa version livre de poche une allusion à Patricia Highsmith à la page 80 :
« Certains journalistes aussi écrivent remarquablement bien. Mais il ne suffit pas d’avoir une plume pour être écrivain.
– Ah non ? Et que faut-il d’autre alors ?
– Beaucoup de choses. D’abord il faut des couilles. Et les couilles dont je parle se situent au-delà des sexes ; la preuve, ‘est que certaines femmes en ont. Oh, très peu, mais elles existent : je pense à Patricia Highsmith.
– C’est étonnant, qu’un grand écrivain comme vous aime les œuvres de Patricia Highsmith.
– Pourquoi ? Ça n’a rien d’étonnant. Mine de rien, en voilà une qui doit haïr les gens autant que moi, et les femmes en particulier. On sent qu’elle n’écrit pas dans le but d’être accueillie dans les salons. »
La petite marchande de prose, de Daniel Pennac, 1989, éditions Gallimard
Benjamin Malaussène, excédé par ses conditions de travail aux éditions du Talion, vient de donner sa démission à sa patronne, la « reine Zabo », quand cette dernière le rappelle pour lui faire une proposition incroyable : l’auteur qu’il vendent le mieux est un certain J. L. B., dont les livres se sont vendus depuis 15 ans à plus de deux cents millions d’exemplaires. Cependant les ventes commencent à s’essouffler et décision a été prise de rendre publique l’identité de J. L. B., qui depuis toutes ces années refuse obstinément de sortir de l’anonymat. Ce dernier finit par accepter, mais à la condition que quelqu’un d’autre endosse son rôle, qui est proposé à Malaussène, lequel accepte moins par ambition que par jeu. Une famille un peu timbrée que la famille Malaussène, avec un « père » et une « mère » qui ont abandonné leurs enfants, remplacés par Amar et Yasmina Ben Tayeb, l’oncle vietnamien Thian, le cousin africain Mo le Mossi, le cousin kabyle Haddouche, sans oublier le chien épileptique Julius, une fratrie bizarre comptant notamment une toute petite sœur nommée « Verdun », et une autre de 19 ans nommée Clara. Clara justement qui va se marier avec un certain Clarence de Saint-Hiver, âgé de 58 ans, directeur d’une prison unique en son genre, où les pires criminels sont réhabilités grâce au développement de la fibre artistique. Le mariage est prévu pour avoir lieu dans la prison-même, où se rend tout le cortège avec tout ce qu’il faut pour un méchoui/couscous gigantesque. A l’arrivée c’est le drame. On apprend que Saint-Hiver a été massacré par les détenus. La cérémonie est évidemment annulée. Cependant Benjamin entre peu à peu dans la peau de J. L. B. que la reine Zabo lui a fait rencontrer. Il s’agit d’un ministre de la République du nom de Chabotte, qui, dans le dessein avoué de faire fortune, a eu l’idée un genre littéraire aux vertus commerciales infaillibles : le « réalisme libéral », consistant en des romans mettant systématiquement en scène des personnages parvenant au sommet de la richesse et de la gloire en démarrant des plus bas des plus bas fonds de la société. Tout se passe le mieux du monde, tout l’entourage de Benjamin est mis à contribution et joue le jeu, jusqu’à la présentation du dernier roman de J. L. B. en grande pompe au Palais omnisports de Bercy, où il est occis sur scène d’une balle en pleine tête à la place de Chabotte. Les jours qui suivent c’est l’hécatombe : trois hommes bizarres qui le suivaient, le ministre Chabotte… La femme de Malaussène Julie, journaliste d’investigation aux identités multiples, et disposant de plusieurs planques dans Paris, folle d’amour et de rage, décide de se venger, et, elle même soupçonnée par les autres d’être la meurtrière, disparaît pour mener sa propre enquête. Alors que Malaussène est plongé dans coma apparemment irréversible, maintenu en vie par un respirateur artificiel, le mystérieux assassin continue de s’attaquer à l’entourage de Malaussène, semblant suivre Julie comme son ombre. Après que le policier Thian, excellent tireur, est parvenu à blesser le tueur lors d’une nouvelle tentative d’assassinat manquée, Julie, guidée par son intuition, finit par le débusquer, blessé, dans l’une de ses planques. Surprise, c’est un parfait inconnu, qui après avoir repris ses esprits lui dévoile tout : c’est lui le véritable J. L. B., il était emprisonné depuis 15 ans dans la prison de Clarence Saint-Hiver, pour le meurtre de sa femme et de ses deux frères jumeaux, avec qui elle avait refait sa vie alors qu’il effectuait un premier séjour en prison ; sans aucune ambition littéraire, il écrivait, pour complaire au fantôme intimidant de son père, des romans racontant la réussite professionnelle de personnages partis de rien, c’était sa thérapie artistique à lui ; un concours de circonstance non expliqué amène Saint-Hiver à flairer le potentiel commercial de ses œuvres qu’il se met à publier à son insu sous le pseudo de J. L. B. avec la complicité du ministre Chabotte. Quelques jours avant son mariage, Clara, qui est la seule « étrangère » acceptée dans la prison, laisse à « Alexandre » – c’est le nom de l’assassin/ écrivain – un exemplaire du dernier roman de J. L. B. Stupéfait d’y découvrir sa prose, ce dernier va demander des comptes à Saint-Hiver, le tue, et le massacre comme il faut maquiller son meurtre en une révolte collective de détenus. S’étant échappé quelques semaines plus tard, il découvre son incroyable célébrité, et décide d’assassiner celui qui a osé s’approprier son œuvre, autrement dit, en est-il persuadé, Benjamin Malaussène… Entraîné par son instinct de tueur, sa soif de vengeance, et l’amour qu’il s’est découvert à Bercy pour Julie, la femme de Malaussène, qu’il a prise pour une fervente admiratrice, il la suit à la trace et se lance dans une série de meurtres dans son entourage, jusqu’à ce que Thian parvienne à le blesser et que Julie finisse par le découvrir terré dans l’une de ses planques. Entre temps nous avons appris que Malaussène, malgré un électro encéphalogramme désespérément plat, demeure tout ce qu’il y a de plus conscient. Ses proches qui se relaient sans répit à son chevet pensent parler à un légume mais il entend et comprend tout, y compris la querelle entre deux chirurgiens de l’hôpital, l’un qui est convaincu qu’il faut le débrancher, l’autre qui croit dur comme fer en sa rémission. Comme le second s’absente quelque temps à l’étranger, le premier en profite pour lui prélever la plupart de ses organes vitaux pour les greffer sur des malades à des fins d’expérimentations. Alors que la vie Benjamin entubé de partout ne tient plus qu’à un fil, Julie et la reine Zabo convainquent Alexandre d’écrire ses confessions et de se rendre à la police. Ayant tout compris de cet invraisemblable imbroglio, et soulagé que cet infernal engrenage s’arrête, il y consent, pour se rendre compte finalement qu’il en est incapable et que son désir profond, tout compte fait, est d’en finir définitivement avec Malaussène. Parvenu à l’hôpital, il s’apprête à le terminer quand Thian, passant là par hasard, essaye in extremis de l’en empêcher. Les deux hommes dégainent en même temps et s’entre tuent. Malaussène revient alors miraculeusement non seulement à la conscience, mais à une vie normale : en effet, il se fait greffer tous ses organes manquants que l’on prélève sur le corps encore chaud d’Alexandre. Par miracle, leurs systèmes HLA sont identiques, ce qui n’arrive que dans le cas des vrais jumeaux. C’est ainsi que prend fin cette histoire invraisemblable de A à Z.
Des quatre romans, c’est de loin le plus difficile à lire jusqu’au bout. Tout y sonne faux : les personnages, la famille Malaussène, l’intrigue, le style mal dosé de français classique et d’argot, mais surtout l’humour : Pennac, dont certaines photographies signalent un penchant pour l’histrionisme, multiplie ad nauseam les vannes, les blagues, les jeux de mots, sans jamais parvenir à faire franchement rire. Autre caractéristique répulsive pour le lecteur authentiquement français : Pennac prend un malin plaisir à tourner en dérision dès qu’il le peut les traditions françaises et la religion catholique ; presque tous les Français sont des personnages plus ou moins dégénérés et repoussants, tous les Immigrés des gens bien et attachants.
Le quatrième ouvrage : Stupeur et tremblements, d’Amélie Nothomb ?
Alexis Kropotkine avance l’hypothèse, dans l’infographie qu’il a établie et publiée à ce sujet le 6 juin 2016, que le quatrième ouvrage serait Stupeurs et Tremblements. Un autre ouvrage d’Amélie Nothomb, donc, dans lequel l’héroïne, embauchée comme traductrice dans une grande entreprise japonaise, Yumimoto, se trouve peu à peu rabaissée, dégradée, transformée en bouc émissaire, pour échouer tout au bas de l’échelle au poste invraisemblable de dame-pipi au 44ème étage de la tour de l’entreprise, victime du racisme japonais. C’est le seul ouvrage qui n’a pas pour cadre, proche ou lointain, le domaine de l’édition, même si la dernière page rapporte le retour en Europe de la narratrice, la publication de l’hygiène de l’assassin – l’auteure et la narratrice étant presque confondues –, et le message de félicitations envoyé de l’autre bout du monde par son bourreau japonais principal. En revanche, il est remarquable que la narratrice soit obsédée par la date du 7 janvier, qui coïncide avec la fin de sa période d’essai d’un an dans l’entreprise Yumimoto. A deux pages de la fin on lit par exemple : « Moi, j’avais les yeux dardés sur la baie vitrée des toilettes et ne pensais qu’au 7 janvier : c’était mon ultimatum. Le matin du 7 janvier, je ne pouvais pas y croire : j’avais tant attendu cette date. » (p.184) Alexis Kropotkine précise toutefois que « l’incertitude sur ce dernier titre demeure importante », aussi ne l’intégrons-nous pas à l’analyse qui suit.
Un trio d’ouvrages et d’auteurs remarquablement cohérent
Comme l’a noté Alexis Kropotkine, et comme ces résumés permettent de s’en faire une première idée, ces trois ouvrages présentent à l’évidence de nombreuses et troublantes similitudes.
1) Dans les trois cas l’histoire s’articule autour d’un ou plusieurs assassinats : chez Nothomb celui de sa cousine Léopoldine par le futur prix Nobel de littérature Prétextat Tach, par étranglement, lui-même finissant étranglé, à son instante demande, par la journaliste qui a percé son secret ; chez Highsmith celui de la « créature de rêve » Elsie par la lesbienne jalouse Fran ; c’est encore plus évident chez Pennac, avec celui de Saint-Hiver, de Malaussène, de Chabotte, puis pour finir de Thian et d’Alexandre.
2) Dans les trois cas l’intrigue tourne autour du monde de l’édition : chez Nothomb le personnage principal est un prix Nobel de littérature ; chez Highsmith le personnage dont le point de vue est le plus dominant est un dessinateur qui réalise une série d’illustrations pour un ouvrage qui constituera sa première publication, tout en lui ouvrant un brillant avenir dans ce domaine ; chez Pennac il n’est question que de cela avec en particulier la campagne promotionnelle pour la publication du dernier roman de l’écrivain à succès J.L.B., le seigneur des monnaies, pour lequel le héros se prend une balle dans la tête.
3) Dans les trois cas l’histoire implique des personnages malsains auxquels il est très difficile de s’identifier, en raison du sentiment de malaise et de dégoût qu’ils inspirent : chez Nothomb ce garçon qui ne veut pas devenir un homme, qui couche avec sa cousine impubère, la tue, met le feu au château familial avec tous ses habitants, famille comprise, menant par la suite une existence célibataire, devenant obèse en s’empiffrant de nourritures répugnantes ; chez Highsmith ce couple étrange dont la femme découche sans cesse, partage sa vie entre sa famille et un ami homosexuel, finissant par coucher avec Elsie, tout cela avec la bénédiction de son mari – cette dernière papillonnant de compagne en compagne -, le vigile obsessionnel Ralph Lindermann dont l’unique compagnon est un petit chien nommé « Dieu » ; chez Pennac, à l’exception notable de la plupart des étrangers, tout le monde est plus ou moins taré, de la mère et du père qui ont abandonné leurs enfants – remplacés par la voisine Yasmina et son mari Amar -, à la jeune sœur, qui s’éprend d’un directeur de prison âgé de 58 ans, jusqu’aux tout petits eux-mêmes, en particulier la petite Verdun.
4) On doit également ajouter, même si cela n’a rien à voir avec l’histoire que les trois auteurs sont apparemment d’origine juive, même si aucun d’entre eux ne le revendique ouvertement. Au minimum est-on fondé à parler de tropisme juif, particularité biographique qui ne doit nullement être considérée comme anodine eu égard au miso judaïsme affichée d’Amedy Coulibaly.
Amélie Nothomb a tenu, à l’occasion d’un voyage en Israël en 2017, ces propos extrêmement ambigus qu’on imagine difficilement dans la bouche d’un non-juif : Je n’ai pas l’honneur d’être juive et je le regrette. La judéité est peut-être aujourd’hui la dernière forme d’aristocratie en laquelle on puisse croire. J’appartiens moi-même à une famille aristocratique : je suis donc bien placée pour savoir que cela ne signifie rien. Être juif signifie beaucoup de choses. Il y a une noblesse de l’esprit en éveil, qui s’obtient par des siècles de peur, de foi, de courage, d’intranquillité. Cette façon d’être noble appartient aux Juifs plus qu’à tous les autres. Je la salue avec respect et la remercie d’exister » Dans tous les cas, si elle n’est pas juive – ce qu’elle « regrette » -, en plus d’éprouver une grande admiration pour les Juifs elle semble éprouver un amour mystique pour l’État d’Israël, comme on peut l’entendre dans des intervious qu’elle a donnés sur place à l’occasion du salon du livre où elle était invitée. Première déclaration : « J’attendais ce voyage depuis toujours. Forcément je suis lectrice de la Bible, donc aller à l’endroit où tout a commencé, c’est très important pour moi. C’était la fin de l’hiver, les balbutiements du printemps à Jérusalem, c’était d’une beauté folle. Je me doutais que Jérusalem serait une belle ville, je ne me doutais pas que ce serait à ce point magnifique. L’accueil a été d’une chaleur extraordinaire. Normalement, quand je fais des visites pour cause de littérature, je n’ai jamais la possibilité de visiter les lieux. Là, vraiment, j’ai eu le temps de me promener énormément dans Jérusalem, de visiter les lieux sacrés. Donc j’ai eu l’impression de prendre les rayons, vous savez, et je me suis senti fortifiée par tout ce que cette ville dégage. Je suis encore aujourd’hui bouleversée par ce voyage. » Les Palestiniens eux aussi ont l’habitude de prendre des « rayons », et il ne s’agit pas seulement d’une « impression ». Il est vrai également que depuis 1948, la ville a « dégagé » un grand nombre de ces derniers. Quoique l’ironie soit l’un des modes d’expression favoris d’Amélie Nothomb, il ne semble pas qu’ici ce soit le cas, de même dans cette seconde déclaration : « Jusqu’à présent je suis un écrivain comblé, ici en Israël. Et donc je comprends l’instinct qui a fait que quand j’ai été invitée ici, j’ai accepté aussitôt sans l’ombre d’une hésitation, ce qui n’est pas mon genre, parce que généralement quand je suis invitée à l’étranger, il faut vraiment me persuader de venir, tandis que là, s’agissant d’une première invitation en Israël, je n’ai pas hésité un quart de seconde. » Nous parlons bien là de l’État le plus raciste du monde, adossé à la Torah pour titre de propriété, la « Bible » donc, qui défend le suprématisme racial des Juifs et l’anéantissement sans pitié des autres peuples, par le génocide quand c’est possible, par des méthodes en apparence moins brutales quand les coudées sont moins franches – pour les Palestiniens par exemple il s’agit d’une purification ethnique progressive. Je ne pense pas exprimer une opinion audacieuse et originale en disant qu’au contraire mon « instinct », et pas seulement, me ferait profondément « hésiter », plus que pour tout autre pays – son jumeau africain le Rwanda de Paul Kagamé excepté peut-être – à accepter une invitation à un salon du livre en Israël, surtout si en règle générale ça n’est « pas mon genre ». Si donc Amélie Nothomb n’est pas juive, tout en regrettant ardemment de ne pas l’être, elle est sans conteste une sioniste ardente.
Pour compléter le tableau, précisons qu’elle manifeste quelques marqueurs typiques de cette mouvance : c’est une farouche partisane du mariage homosexuel, n’hésitant pas à insulter publiquement ((A propos des opposants au mariage pour tous, majoritairement catholiques, elle a éructé : « la connerie a trouvé son parti, du coup elle s’exprime », ou encore : « quand on pense qu’en 2003, la loi autorisant le mariage homosexuel est passée en Belgique d’un coup, sans manif ! Pourtant, on a tous les connards qu’il faut aussi là-bas! »)) ceux qui sont opposés à ce « progrès », c’est également une ardente militante anti fasciste qui n’a pas hésité à associer son nom à celui de Bernard-Henri Levy et de Bernard Kouchner dans une tribune intitulée « Nous sommes tous des Juifs grecs » dénonçant l’entrée d’Aube Dorée au Parlement grec en 2012, et elle est parvenue à forcer son éditeur, Albin Michel, à refuser de publier les Mémoires de Jean-Marie Le Pen, sous peine de changer de maison d’édition. Pour avoir lu ces Mémoires, et quelques œuvres de Nothomb, je peux dire qu’ils leur sont infiniment supérieurs, non seulement en valeur historique, mais surtout, critère décisif pour un écrivain, en terme de style. Quand on passe de l’un à l’autre, on a l’impression de passer de Molière aux Précieuses qui lui ont inspiré l’une de ses pièces.
Patricia Highsmith présente un cas très différent. Patricia Highsmith, de son vrai nom Mary Patricia Planckman, est une Étasunienne née dans une famille d’artistes. Son père Jay Bernard Plangman est d’ascendance allemande. Comme Amélie Nothomb, son rapport au judaïsme est extrêmement ambigu : alors que, lit-on sur sa fiche Wikipedia, la plupart de ses amis hommes étaient juifs, de même que la plupart de ses amantes, elle était une antisioniste ardente, déplorant ouvertement l’influence démesurée d’Israël sur la politique étrangère des États-Unis. Aux côtés d’écrivains juifs comme Gore Vidal, Alexander Cockburn, Noam Chomsky, et Edward Said, elle défendait les droits des Palestiniens, auxquels elle dédia un roman en 1983. Elle faisait des dons au Jewish Committee on the Middle East, une organisation fondée en 1987 représentant les Juifs américains qui militaient pour que les États-Unis cessent de s’aligner inconditionnellement sur la politique israélienne ((Sur le sujet, on peut lire le Lobby pro-israélien et la politique étrangère et des États-Unis, de John Mearcheimer et Stephen Walt, aux éditions de la Découverte pour la traduction française.)). Bref, Patricia Highsmith était une juive antisioniste. A signaler que par ailleurs, à l’instar de Prétextat Tach, le héros de l’hygiène de l’assassin, Patricia Highsmith était ouvertement raciste, en particulier négrophobe.
De son vrai nom Daniel Pennacchionni, Daniel Pennac, né à Casablanca au Maroc en 1944, lui non plus ne revendique pas une quelconque judéité, mais comme Amélie Nothomb il a écrit à ce sujet sujet des lignes qu’on peine à imaginer sous la plume d’un non-juif. Il a ainsi écrit dans Chagrin d’école, récit autobiographique publié en 2007 : « Et, aujourd’hui que ma vieille mère juive n’est plus tout à fait dans le présent, c’est de nouveau cette inquiétude qu’expriment ses yeux quand ils se posent sur son petit dernier de soixante ans. » Juste avant il lui a fait tenir ces propos qu’il qualifie de « blague à la Woody Allen » : « Toutes les Juives ne sont pas mères, mais toutes les mères sont juives. » En tous cas ce qui est curieux pour un écrivain d’origine française, c’est son mépris apparent pour les Français de souche, qui va de pair avec son admiration pour les immigrés, flagrants dans son roman : aux premiers le rôle de dégénérés ou de salauds, aux seconds le rôle de « gens bien » ou normaux. On a vu qu’une grande partie de la famille de Malaussène est remplacée par des parents et des cousins de substitution d’origine étrangère. Le mépris du catholicisme éclate par ailleurs à chaque allusion ou référence. Le personnage principal de sa saga, Benjamin Malaussène, est une figure du bouc-émissaire, et le quartier où a grandi Daniel Pennac et où se déroule l’intrigue de nombre de ses romans, Belleville, était dans les années 50, le premier quartier juif de Paris. Comme Amélie Nothomb, Daniel Pennac est un fervent partisan du mariage homosexuel. Comme Nothomb, c’est un écrivain antifasciste qui a publiquement défendu les assassins des Brigades rouges réfugiés en France comme Cesare Battisti.
Retour à Amedy Coulibaly
Les enquêteurs qui ont fouillé « l’appartement conspiratif » ((L’expression est du procureur de la République François Molins.)) de Gentilly, un deux-pièces situé rue Louis Gaillet prétendument loué par Amedy Coulibaly le 4 janvier 2015, y ont trouvé nombre d’effets accablants ne laissant aucun doute quant au passage de l’intéressé en ce lieu où la vidéo aurait été tournée : « une carte vitale et une carte d’identité à son nom ; quatre pistolets Tokarev; un revolver; des munitions; des téléphones portables ; des bombes lacrymogènes ; un gyrophare ; un gilet tactique ; des jumelles ; des bâtons de dynamite ». C’est ce qu’on lit dans un article de lexpress.fr du 12 janvier 2015 intitulé « Amedy Coulibaly avait-il un ou plusieurs complices ». Les auteurs d’Et soudain ils ne riaient plus ajoutent quant à eux « un drapeau à l’emblème de l’État islamique, (des) emballages de pizzas et de canettes de red bull, ainsi qu’un texte manuscrit en arabe et en français, dans lequel il prête serment d’allégeance « à l’émir des croyants », Abu Bakr el Baghdadi, le chef de Daech… » (p. 257). Si l’on en juge par la séquence de la vidéo dans laquelle pose Coulibaly, adossé contre un mur vierge peint en blanc, avec à sa gauche posée contre ce mur une kalachnikov, et encore un peu plus à sa gauche des étagères incrustées dans le mur, des étagères vides si ce n’est une, parfaitement cadrée… avec les quatre ouvrages sur nous avons résumés bien en évidence. Alexis Kropotkine fait justement remarquer : « comme le montre le cliché ci-contre, les quatre ouvrages positionnés dans le prolongement du chargeur de l’arme s’intègrent à une image clairement ordonnancée. Autant d’éléments – lieu et date du tournage, construction des plans, cohérence des ouvrages – démontrant de notre point de vue que ces livres, dont le principal point commun est de mettre en scène des assassins, ont été placés à dessein dans la vidéo de revendication. » Quel que soit le niveau intellectuel d’Amedy Coulibaly, quand on connaît tant soit peu l’idéologie dont il se revendique, c’est-à-dire l’Islam takfiri de Daech, ultra rigoriste, et ses propos ouvertement judéophobes tenus face aux otages, il est absolument improbable, sinon inconcevable, qu’il ait pu avoir pour passe-temps en ces journées critiques, ce genre d’ouvrages, écrits par ce genre d’auteurs, surtout au moment de revendiquer un acte comme celui qu’il vient de commettre (l’assassinat de Clarissa Jean-Philippe), ou celui qu’il s’apprête à commettre (la prise d’otages de l’Hyper Cacher). Un Coran, des écrits religieux, un étendard de Daech, comme on en voit d’ailleurs dans deux autres séquences de la vidéo, mais certainement pas ces bouquins d’Amélie Nothomb, de Patricia Highsmith et de Daniel Pennac…
Puisque la séquence finale de la vidéo de revendication intègre l’assaut par le RAID et la BRI de l’Hyper Cacher, elle a forcément été montée après la mort de Coulibaly, c’est-à-dire par quelqu’un d’autre, un ou des complices qui étaient avec lui dans l’appartement conspiratif et qui l’y ont filmé.
Quel serait le sens de cette mise en scène ?
S’il s’agissait d’un hasard, il serait pour le coup vraiment extraordinaire. La rapide lecture des quatrièmes de couverture suffisait à établir leur incongruité – une incongruité du même niveau que le choix de pare-soleil siglés du lapin de Playboy contre les vitres avant de la Citroën C3 des tueurs de Charlie Hebdo – Sur celui de Nothomb on lit : « Amélie Nothomb manie la cruauté, le cynisme, et l’ambiguïté avec un talent accompli » ; sur celui de Highsmith : « Pour tous ces êtres Elsie va représenter une sorte de rêve qui, dans l’univers trouble de Patricia Highsmith, tournent doucement et implacablement au cauchemar. » ; sur celui de Pennac : « Transformé en objet d’adoration universelle par la reine Zabo, Benjamin va payer au prix fort toutes les passions déchaînées par la parution d’un best-seller dont il est censé être l’auteur. »
Quand Amélie Nothomb a appris l’usage baroque qui avait été fait de son premier roman elle a aussitôt réagi, le jour même de la parution de l’article d’Astrid de Larminat. Commençant par déclarer sa flamme à l’hebdomadaire auquel elle a brièvement collaboré en 2007 : « L’été 2007, j’ai été feuilletoniste à Charlie Hebdo. C’est un merveilleux souvenir. L’ambiance était bon enfant, chaleureuse, on rigolait sans arrêt. (…) dans les locaux de Charlie, on ne pouvait pas rencontrer quelqu’un d’inintéressant. » elle conclut dégoûtée : « On a retrouvé un exemplaire de mon roman Hygiène de l’assassin dans la planque de Coulibaly. Ceux qui verraient un buzz dans une coïncidence aussi méphitique se tromperaient grandement. Coulibaly ne savait sûrement pas lire. » « méphitique » est l’un des adjectif qui peut venir à l’esprit en lisant ce roman mais passons… Sans aller jusqu’à dire que Coulibaly ne savait sûrement pas lire, les discussions qu’il a eues avec les otages et le journaliste de la chaîne Bfmtv qu’il a lui-même contacté depuis l’Hyper Cacher, de même que sa vidéo de revendication, suggèrent un niveau intellectuel faible, un vocabulaire et une syntaxe pauvres, un sens de la logique déficient ((Pour en donner une idée voici un extrait des propos qu’il a tenu aux otages. Ils ont été enregistrés par hasard aux alentours de 15 heures par la radio RTL: un journaliste de ce média a appelé l’Hyper Cacher, Coulibaly a décroché sans répondre puis mal raccroché le combiné, juste au moment où il se lançait dans une édifiante diatribe : « Coulibaly. Amedy Coulibaly. Je suis malien, né en France… J’ai fait quatre ans de détention, une condamnation injuste Je n’ai plus rien à perdre… J’ai agi avec les Kouachi, mes frères de prison. On s’est coordonnés. Eux, Charlie Hebdo. Moi, Montrouge et l’Hyper Cacher. On est en lien, on est organisés. Ce n’est que le début (…) À chaque fois, eux, ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes. Moi, je suis né en France. S’ils n’avaient pas été attaqués ailleurs, je ne serais pas là. (…) Je pense à ceux qui avaient Bachar el-Assad en Syrie. Tout le monde disait qu’il torturait les gens. Quand il y a quelqu’un qui fait ça on n’est pas intervenu pendant des années [pendant quatre années au contraire, on a inventé de multiples casus belli tous plus bidons les uns que les autres pour intervenir militairement contre le régime de Bachar el-Assad]… puis bombardiers, coalition de 50.000 pays, tout ça [contre l’EI]. Pourquoi ils font ça ? Pourquoi ils font ça ? Pourquoi ils font ça ? Il y a eu le nord du Mali, il y avait quoi au nord du Mali ? et il y a eu la Syrie, ça a commencé en même temps (…) Il y a eu zéro morts au Mali. Ils ont tué 100 ou 200 personnes c’est les militaires. Il y a eu aucune exaction au Mali, zéro. On est partis intervenir là…. Et moi je vous le dis à vous. Vous êtes pas au courant de ce qui se passe et tout… comme moi ils vont être de plus en plus à venir, donc il faut qu’ils arrêtent d’attaquer l’État islamique, qu’ils arrêtent de dévoiler nos femmes, qu’ils arrêtent de mettre nos frères en prison pour rien du tout. C’est vous qui avez élu vos gouvernements et vos gouvernements ne vous ont jamais caché que vous alliez faire la guerre au Mali ou ailleurs. Premièrement. Deuxièmement, c’est vous qui les financez. Vous payez les taxes et des trucs et vous êtes d’accord. Si jamais tous les individus arrivent à s’unir, comme là pour Charlie Hebdo, pour élire leur président, eh ben faites la même chose en vous unissant. Faites des manifestations et dites : ‘Laissez les musulmans tranquille et vous nous laissez tranquille’ ». Quelques minutes plus tôt, Coulibaly avait téléphoné de lui-même à la chaîne Bfmtv, en répondant précisément à une série de questions sur la situation à l’intérieur de la supérette et ses motivations. Il demande pour finir au journaliste Laurent Delahousse qui l’interviout de transmettre son numéro de téléphone à la police. Les quatre auteurs d’Et soudain ils ne riaient plus, qui ne sont pas à une inexactitude près, malgré leur prétention affichée de précision et d’exhaustivité, inversent l’ordre de ces deux appels, en ne précisant même pas que les propos cités sont la transcription de l’appel avorté mais enregistré d’RTL (voir pages 332&333), sans compter qu’ils le romanquêtent et le transcrivent à leur convenance.)), bref, un clone de ces innombrables tarés et ratés qui, manipulés ou non, commettent des attentats de toutes sortes au nom de Daech en criant « Allahou Akbar ! ». Si Coulibaly savait lire, et s’il lui arrivait de lire, ce n’était certainement pas des livres de ces trois auteurs. Et l’on peut supposer qu’il était suffisamment bête pour ne même pas se poser de questions au sujet de la présence de ces quatre ouvrages rangés sur une étagère à 20 cm du canon de sa kalachnikov.
Quatre costumes et quatre décors dans la vidéo de revendication
L’intention de mise en scène se confirme définitivement si l’on considère l’ensemble de la vidéo de revendication, qui constitue, M. Kropotkine le rappelle à juste titre, « la seule expression directe des auteurs de l’attentat. Hormis cette vidéo, depuis leur mort ou leur arrestation, Amedy Coulibaly, Saïd et Chérif Kouachi ainsi que leurs complices ne sont plus qu’objet de discours médiatiques, du moins pour quiconque ne dispose pas d’un accès direct au dossier d’instruction. » Cette vidéo, qui n’est malheureusement plus en accès libre et gratuit sur la toile, est une œuvre étrange, et même osons-le mot, surréaliste de bout en bout. On n’en peut plus consulter que de courts extraits tronqués, si bien qu’on pourrait avoir l’impression que Coulibaly s’est épanché dans plusieurs vidéos. En effet, la vidéo est composée de quatre séquences, précédées par une question qui lui serait posée, en blanc sur fond noir. Or dans chacune de ces séquences, Coulibaly est vêtu différemment et dans un cadre différent, ou alors à peine.
La première séquence commence à une minute trente, après qu’est apparue en blanc sur fond noir la question : « A quel groupe tu appartiens et as-tu un Emir ? »
Apparaît Coulibaly vêtu d’une djellaba beige et coiffé d’un keffieh à rayures marron et blanches, noué derrière la tête, dont un pan lui retombe sur l’épaule droite. L’arrière-plan est tout entier occupé par un drap blanc tendu sur lequel un drapeau de Daech est accroché à sa droite à hauteur de tête. En surimpression une phrase en blanc apparaît brièvement : « Abdallah annonce son allégeance au Calife Ibrahim ». Après avoir annoncé en français son allégeance au calife Ibrahim, dès la proclamation du Califat, coupure de la vidéo, puis il lit avec un fort accent français, une déclaration d’allégeance en arabe à Abu Bakr el Baghdadi. Il semble découvrir le texte qu’il lit en butant sur les syllabes sans regarder une seule fois la caméra.
La seconde séquence commence à deux minutes cinquante, après qu’est apparue pareillement la question : « Es-tu en lien avec les frères qui ont attaqué Charlie Hebdo ? »
Coulibaly porte à présent un gilet pare-balles couleur camouflage sur un T-shirt. Il est nu-tête, assis sur un canapé, filmé de trois quarts avec en arrière plan un mur blanc. En surimpression en blanc brièvement une phrase : « Abdallah donne des détails de l’opération ». Il explique : « Les frères de notre équipe divisée en deux, ils ont fait Charlie Hebdo Abdulillah, moi je suis sorti un peu contre la police, (coupure de la vidéo), donc voilà on a fait les choses un petit peu ensemble un petit peu séparés, plus pour… pour que ça ait plus d’impact quoi… j’ai aidé dans ce projet en lui donnant quelques milliers d’euros, quelques milliers d’euros pour qu’il finisse à boucler ce qu’il avait acheté (sic), et voilà abdullilah, on arrive à se synchroniser pour (incompréhensible). » Le moins que l’on puisse dire c’est que ça manque de « détails », et pourquoi parle-t-il d’une seule personne et non pas de deux, et de qui s’agit-il ?
La troisième séquence commence à trois minutes quarante-cinq, après qu’est apparue pareillement la question : « Pourquoi avez-vous attaqué la France, Charlie Hebdo, une épicerie juive ? »
Coulibaly est cette fois vêtu d’un jean et d’un blouson en cuir noir, porte un bonnet et des gants noirs, la kalach à sa gauche, les livres plus à gauche. C’est la fameuse séquence de la bibliothèque.
En surimpression en blanc brièvement une phrase : « Abdallah donne les raisons des attaques ».
Il explique : « Ce qu’on est en train de faire c’est tout à fait légitime, vu ce qu’ils font (incompréhensible) machallah c’est amplement mérité depuis le temps, vous attaquez le califat, vous attaquez l’état islamique, on vous attaque, vous pouvez pas attaquer, et ne rien avoir en retour, alors vous faites votre victime comme si vous comprenez pas ce qui se passe, pour quelques morts, alors que vous et votre coalition, vous en tête presque maintenant, vous bombardez régulièrement là-bas, vous avez investi des forces, vous tuez des civils, vous tuez des combattants, pourquoi ? Parce qu’on applique la charia ? Même chez nous on n’a plus le droit d’appliquer la charia maintenant. C’est vous qui décidez de ce qui va se passer sur la Terre. C’est ça, non, on va pas laisser faire ça, on va se battre, inch Allah, pour élever la parole d’Allah sur (fin incompréhensible). » On note qu’il ne répond à aucun moment de façon précise à la question qui lui est posée, question qui peut tout à fait avoir été artificiellement insérée, comme les trois autres, après coupe au moment idoine, dans la mesure où aucune voix off ne signale l’interlocuteur qui tient la caméra.
La quatrième et dernière séquence commence à quatre minutes cinquante-cinq, après qu’est apparue pareillement la question : « Quel est ton conseil pour les Musulmans en France ? »
Coulibaly a encore changé de vêtements. Il porte cette fois une djellaba blanche, et est coiffé d’un keffieh à carreaux blancs et noirs. Il est assis en tailleur non plus devant un drap mais devant un mur blanc ressemblant aux séquences deux et trois. Une kalach est posée contre le mur à sa gauche. Un drapeau de l’EI de même taille est accroché au même niveau que dans la première séquence. En surimpression en blanc brièvement une phrase : « Abdallah incite les Musulmans au combat ». Il explique : « Je m’adresse à mes frères musulmans, partout, et plus particulièrement dans les pays occidentaux, et je leur demande : que faites-vous ? Que faites-vous mes frères… quand… ils combattent directement le Tahhid… quand ils combattent directement ouaallah. Que faites-vous quand ils insultent le prophète sesselem (?)… à répétition… que faites-vous… quand ils agressent nos sœurs ? Que faites-vous quand ils massacrent la population entière… Que faites-vous… quand en face de chez vous incompréhensible… que faites-vous mes frères ? Agnheallah (?)… depuis que je suis sorti, j’ai beaucoup bougé, j’ai sillonné les mosquées, de France un petit peu, beaucoup de la région parisienne. Elle sont pleines ! Machallah… Elles sont pleines d’hommes pleins de vigueur… elles sont pleines de jeunes sportifs… elles sont pleines d’hommes en bonne santé… comment avec tous ces milliers, millions de personnes, y en a pas autant pour défendre l’Islam ? »
Synthèse
Le nom d’Abdallah fait référence à son nom « de guerre » par lequel il est présenté au début de la vidéo, dans la séquence introductive d’une minute trente : « Amedy Coulibaly Abu Bassir al ifriqui, soldat du califat ».
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Quatre accoutrements pour quatre cadres différents. En coupant le son on pourrait croire à une séance d’essayage, en vue de la constitution d’un book d’un genre un peu bizarre. C’est en comparaison de la séquence une que la trois, celle avec les quatre livres, apparaît la plus étrange. Quelle fonction pourrait bien remplir le drap sinon de ne donner à voir aucun indice visible permettant d’identifier les lieux ? L’intention contraire est tellement flagrante qu’elle fait ressortir le caractère intentionnel de la « bibliothèque » dans la trois. Nous rappelons que si l’EI s’est publiquement félicitée de l’opération, son agence de presse et service de propagande Amaq ne l’a pas revendiquée, alors qu’elle l’a fait dans de très nombreux cas depuis 2015 ((Citons pour la France les attentats du 13 novembre 2015, le double attentat de Bruxelles du 22 mars 2016 par Ibrahim el Bakraoui, Najim Laachraoui, et Mohamed Abrini ; le double meurtre de Magenville, par Larossi Abala, le 13 juin 2016 ; l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, par Mohamed Salmène Lahouaiej-Bouhlel ; l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Étienne de Rouvray le 26 juillet 2016, par Adel Kermiche et Abdel-Malik Nabil Petitjean ; l’attaque d’un fourgon de police sur l’avenue des Champs Élysées le 20 avril 2017 par Karim Cheurfi ; l’assassinat à l’arme blanche de Maurane et Laura à la gare de Marseille Saint-Charles le 1er octobre 2017 par Ahmed Hanachi, la prise d’otages du super U de Trèbes le 23 mars 2018 par Radouane Lakdim ; l’attaque au couteau dans le IIème arrondissement de Paris le 12 mai 2018 par Khamzat Kadirov ; le drame familial de Trappes du 23 août 2018 par Kamel S, l’attaque du marché de Strasbourg le 11 décembre 2018 par Cherif Chekkat. Les actions sont revendiquées généralement le jour-même, au plus tard le lendemain. Relevons que si l’on excepte les deux premières grosses opérations, la totalité des suivantes ont été perpétrées par des hommes issus de l’immigration maghrébine âgés de 25 à 35 ans, au lourd passé de délinquant, et/ou souffrant de graves troubles psychiques, et/ou de troubles de l’identité, dans tous les cas de marginaux. Si Amedy Coulibaly était un livre, il entrerait parfaitement dans cette bibliothèque – si l’on met de côté son origine malienne, une rareté dans tous ces profils plus tarés les uns que les autres.)), parfois beaucoup plus douteux que celui-ci, où aucune revendication n’était avancée par le forcené. Peut-être leur service de propagande a-t-il été de même frappé par le caractère très inhabituel, voire anormal, de cette vidéo de revendication ?
La seule conclusion qui s’impose est que le metteur en scène de la vidéo, qui se trouvait forcément dans l’appartement pour disposer les ouvrages et cadrer comme il faut Coulibaly, n’était pas un compagnon de route de Daech, mais un homme œuvrant pour de tout autres intérêts, parfaitement conscient que l’apprenti terroriste qui lui faisait face était un pigeon destiné à jouer un rôle dont il n’avait aucunement conscience. C’est très probablement ((Remarquons tout de même que les tueurs cagoulés ont déclaré à Sigolène Vinson, en quittant les locaux de Charlie Hebdo, qu’il l’épargnaient parce qu’ils avaient pour principe de ne pas tuer les femmes (c’est certes contradictoire avec le fait qu’ils n’aient pas épargné la psychanalyste Elsa Cayat dans la salle de rédaction), et que dans son entretien avec un journaliste de Bfmtv Chérif vers 10 heures le 9 janvier, Chérif Kouachi précise à deux reprises « on tue pas les femmes ». Signalons que d’ailleurs que cette répétition est caviardée avec d’autres extraits dans le frauduleux documentaire de Georges Benayoun et Rudy Reichstadt, les alibis de la terreur, financé par et diffusé sur France 3 en mars 2018, et dans Et soudain ils ne riaient plus, ouvrage de référence sur la séquence terroriste de début janvier 2015 publié un an plus tard aux éditions les arènes (p. 280/281). Si Coulibaly avait programmé de « faire les policiers » à Montrouge, comme il semble l’avoir revendiqué, et comme tendraient à le montrer les traces d’ADN retrouvées dans la cagoule tombée de sa poche lors de son empoignade avec un employé de la mairie (ESINRP, p.183 : « Au pied d’un arbre, à l’endroit où Laurent, l’agent des services de la voirie, s’est battu avec le tueur, ils découvrent une cagoule en tissu noir. L’employé municipal n’a pas pu empêcher la mort de Clarissa Jean-Philippe. Mais il a fait tombé des poches de son assassin un élément matériel capital. La cagoule est immédiatement placée sous scellés et envoyée à un laboratoire pour une recherche ADN. »), remarquons qu’il a abattu une femme, dans le dos, qui se contentait de gérer un incident de la circulation. S’ils se sont connu en prison et ont planifié toute cette opération ensemble, ils n’avaient donc pas le même logiciel philosophico-religieux. Du reste, si Amedy Coulibaly se réclame de Daech dans sa vidéo, Daech qui n’a pas contrairement à son habitude revendiqué l’attentat, Chérif Kouachi a déclaré au journaliste de Bfmtv avoir été envoyé et financé par Al Qaida au Yémen (Al Qaida dans la Péninsule Arabique=AQPA), et Anwar el-Awlaki lors de son passage au Yémen, c’est-à dire quatre années auparavant, ce chaykh ayant été tué fin 2011.)) Coulibaly qui a tué Clarissa Jean-Philippe le matin du 8 janvier, c’est certainement lui ((Voir le récit qu’en font le patron du Raid, Jean-Michel Fauvergue, dans Patron du Raid, Lassana Bathily dans Je ne suis pas un héros, et Yohan Dorai dans Hyper caché.)) qui a tué quatre juifs dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. En revanche, il n’était certainement pas conscient qu’il était destiné à jouer un rôle de premier plan dans l’après 7 janvier, en devenant une icône repoussante idéale dans la campagne « Je suis Charlie » ultérieure, et la sainte croisade décrétée par les instances républicaines contre « les complotistes », « les théories du complot », « le racisme » et « l’antisémitisme », ces trois catégories étant en 2020 ((Parmi une myriade d’exemples flagrants, prenons-en un très récent. Le 22 mai, L’ancien Premier ministre Manuel Valls, en poste au moment des attentats il y a cinq ans, a déclaré sur Judaïques FM (entretien fleuve retranscrit sur le site de BHL la règle du jeu, et ainsi chapeauté : « Face à Dieudonné et Soral, ne rien laisser passer ») : « De nombreux responsables politiques ont fait preuve de cécité lorsque les actes antisémites se sont multipliés, à la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000, quand la haine du Juif s’est mélangée avec celle de la haine de l’État d’Israël, antisionisme rimant alors avec antisémitisme. Le message doit être celui de la confiance. Il faut rester vigilant, parce qu’on voit bien que dans ce monde si connecté qui est le nôtre, on cherche toujours des boucs émissaires. Dans l’histoire, les grandes pandémies ont souvent montré du doigt les Juifs comme les propagateurs des virus et des épidémies ; c’est la base même de l’antisémitisme et des théories complotistes. Il faut donc être exigeant dans le combat contre cet antisémitisme qui se propage notamment sur les réseaux sociaux. Mais je martèle toujours le même message de confiance : la France a besoin de cette part de judaïsme, elle a besoin des Français juifs, elle a besoin de ce rapport incroyable, inouï avec cette part d’elle-même, de son âme, qu’est aussi le judaïsme français. (…) Il est essentiel de ne rien laisser passer. Cette « alliance » – je mets des guillemets – entre une partie de l’extrême droite et une partie l’extrême gauche, entre un néonazisme à la Soral et des personnages qui viennent plutôt de la gauche – même si tout cela ne veut pas dire grand-chose –, est extrêmement malsaine, inquiétante. Elle doit être combattue, et d’abord par le droit, par la justice, puisque, il faut en permanence le rappeler, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits. Je pense qu’on sous-estime toujours la puissance de Dieudonné. Quand j’ai saisi le taureau par les cornes comme ministre de l’Intérieur et l’ai mis en cause à partir de 2013 – d’autres l’avaient fait –, j’ai pu mesurer sa violence et son influence dans de nombreux milieux. On a souvent parlé du nouvel antisémitisme venant de la jeunesse des quartiers populaires, d’une frange, minoritaire, bien évidemment, du monde arabo-musulman ; mais la force de Dieudonné, c’est qu’elle touche d’autres couches de la société et l’on a parfois pris cela à la légère. »)) de plus en plus souvent amalgamées dans tous les discours AntiComplotistes (AC). Avec ce quatuor de romans, le marionnettiste du pantin Coulibaly s’est plu à oser un clin d’œil kabbalistique.
Le procès des attentats de janvier 2015, qui aurait dû se tenir début mai 2020, a été reporté au début du mois de septembre en raison de la pandémie de coronavirus qui aurait certainement fait des millions de mort, si nos bien-aimés dirigeants n’avaient pas pris courageusement toutes les mesures nécessaires pour nous protéger de nous-mêmes. Dans les faits, la partie « Charlie Hebdo » n’y occupera presque aucune place, puisque les neuf prévenus qui se trouveront dans le box des accusés face aux 200 parties civiles sont toutes liées à Amedy Coulibaly. Espérons que ce sera l’occasion pour l’un d’entre eux d’avouer sa passion pour Patricia Highsmith, Amélie Nothomb, et Daniel Pennac, si forte qu’il n’a pu s’empêcher de les emmener avec lui dans l’appartement conspiratif de Gentilly loué quelques jours avant la prise d’otages, et de les oublier sur une étagère à côté d’une kalachnikov, sans malheureusement que le cameraman s’aperçoive de la bévue.
François Belliot, juin 2020
1 Farid Benyettou, le gourou de Chérif Kouachi et de la filière dite « des buttes Chaumont », emmenait ses ouailles faire des joggings dans ce magnifique parc du XIXème arrondissement en guise d’entraînement physique. Incarcéré à Fleury Mérogis en 2005 pour sa participation à ce groupe, Chérif Kouachi y rencontre Amedy Coulibaly à qui il aurait pu vanter les mérites de ce parc fameux pour son île du belvédère.
2 A propos des opposants au mariage pour tous, majoritairement catholiques, elle a éructé : « la connerie a trouvé son parti, du coup elle s’exprime », ou encore : « quand on pense qu’en 2003, la loi autorisant le mariage homosexuel est passée en Belgique d’un coup, sans manif ! Pourtant, on a tous les connards qu’il faut aussi là-bas! »
3 Sur le sujet, on peut lire le Lobby pro-israélien et la politique étrangère et des États-Unis, de John Mearcheimer et Stephen Walt, aux éditions de la Découverte pour la traduction française.
4 L’expression est du procureur de la République François Molins.
5 Pour en donner une idée voici un extrait des propos qu’il a tenu aux otages. Ils ont été enregistrés par hasard aux alentours de 15 heures par la radio RTL: un journaliste de ce média a appelé l’Hyper Cacher, Coulibaly a décroché sans répondre puis mal raccroché le combiné, juste au moment où il se lançait dans une édifiante diatribe : « Coulibaly. Amedy Coulibaly. Je suis malien, né en France… J’ai fait quatre ans de détention, une condamnation injuste Je n’ai plus rien à perdre… J’ai agi avec les Kouachi, mes frères de prison. On s’est coordonnés. Eux, Charlie Hebdo. Moi, Montrouge et l’Hyper Cacher. On est en lien, on est organisés. Ce n’est que le début (…) À chaque fois, eux, ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes. Moi, je suis né en France. S’ils n’avaient pas été attaqués ailleurs, je ne serais pas là. (…) Je pense à ceux qui avaient Bachar el-Assad en Syrie. Tout le monde disait qu’ils torturait les gens. Quand il y a quelqu’un qui fait ça on n’est pas intervenu pendant des années [pendant quatre années au contraire, on a inventé de multiples casus belli tous plus bidons les uns que les autres pour intervenir militairement contre le régime de Bachar el-Assad]… puis bombardiers, coalition de 50.000 pays, tout ça [contre l’EI]. Pourquoi ils font ça ? Pourquoi ils font ça ? Pourquoi ils font ça ? Il y a eu le nord du Mali, il y avait quoi au nord du Mali ? et il y a eu la Syrie, ça a commencé en même temps (…) Il y a eu zéro morts au Mali. Ils ont tué 100 ou 200 personnes c’est les militaires. Il y a eu aucune exaction au mali, zéro. On est partis intervenir là…. Et moi je vous le dis à vous. Vous êtes pas au courant de ce qui se passe et tout… comme moi ils vont être de plus en plus à venir, donc il faut qu’ils arrêtent d’attaquer l’État islamique, qu’ils arrêtent de dévoiler nos femmes, qu’ils arrêtent de mettre nos frères en prison pour rien du tout. C’est vous qui avez élu vos gouvernements (sic) et vos gouvernements ne vous ont jamais caché que vous alliez faire la guerre au Mali ou ailleurs. Premièrement. Deuxièmement, c’est vous qui les financez. Vous payez les taxes et des trucs et vous êtes d’accord. Si jamais tous les individus arrivent à s’unir, comme là pour Charlie Hebdo, pour élire leur président, eh ben faites la même chose en vous unissant. Faites des manifestations et dites : ‘Laissez les musulmans tranquille et vous nous laissez tranquille’ ». Quelques minutes plus tôt, Coulibaly avait téléphoné de lui-même à la chaîne Bfmtv, en répondant précisément à une série de questions sur la situation à l’intérieur de la supérette et ses motivations. Il demande pour finir au journaliste Laurent Delahousse qui l’interviout de transmettre son numéro de téléphone à la police. Les quatre auteurs d’Et soudain ils ne riaient plus, qui ne sont pas à une inexactitude près, malgré leur prétention affichée de précision et d’exhaustivité, inversent l’ordre de ces deux appels, en ne précisant même pas que les propos cités sont la transcription de l’appel avorté mais enregistré d’RTL (voir pages 332&333), sans compter qu’ils le romanquêtent et le transcrivent à leur convenance.
6 Citons pour la France les attentats du 13 novembre 2015, le double attentat de Bruxelles du 22 mars 2016 par Ibrahim el Bakraoui, Najim Laachraoui, et Mohamed Abrini ; le double meurtre de Magnanville, par Larossi Abala, le 13 juin 2016 ; l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, par Mohamed Salmène Lahouaiej-Bouhlel ; l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Étienne de Rouvray le 26 juillet 2016, par Adel Kermiche et Abdel-Malik Nabil Petitjean ; l’attaque d’un fourgon de police sur l’avenue des Champs Élysées le 20 avril 2017 par Karim Cheurfi ; l’assassinat à l’arme blanche de Maurane et Laura à la gare de Marseille Saint-Charles le 1er octobre 2017 par Ahmed Hanachi, la prise d’otages du super U de Trèbes le 23 mars 2018 par Radouane Lakdim ; l’attaque au couteau dans le IIème arrondissement de Paris le 12 mai 2018 par Khamzat Kadirov ; le drame familial de Trappes du 23 août 2018 par Kamel S, l’attaque du marché de Strasbourg le 11 décembre 2018 par Cherif Chekkat. Les actions sont revendiquées généralement le jour-même, au plus tard le lendemain. Relevons que si l’on excepte les deux premières grosses opérations, la totalité des suivantes ont été perpétrées par des hommes issus de l’immigration maghrébine âgés de 25 à 35 ans, au lourd passé de délinquant, et/ou souffrant de graves troubles psychiques, et/ou de troubles de l’identité, dans tous les cas de marginaux. Si Amedy Coulibaly était un livre, il entrerait parfaitement dans cette bibliothèque – si l’on met de côté son origine malienne, une rareté dans tous ces profils plus tarés les uns que les autres.
7 Remarquons tout de même que les tueurs cagoulés ont déclaré à Sigolène Vinson, en quittant les locaux de Charlie Hebdo, qu’il l’épargnaient parce qu’ils avaient pour principe de ne pas tuer les femmes (c’est certes contradictoire avec le fait qu’ils n’aient pas épargné la psychanalyste Elsa Cayat dans la salle de rédaction), et que dans son entretien avec un journaliste de Bfmtv Chérif vers 10 heures le 9 janvier, Chérif Kouachi précise à deux reprises « on tue pas les femmes ». Signalons que d’ailleurs que cette répétition est caviardée avec d’autres extraits dans le frauduleux documentaire de Georges Benayoun et Rudy Reichstadt, les alibis de la terreur, financé par et diffusé sur France 3 en mars 2018, et dans Et soudain ils ne riaient plus, ouvrage de référence sur la séquence terroriste de début janvier 2015 publié un an plus tard aux éditions les arènes (p. 280/281). Si Coulibaly avait programmé de « faire les policiers » à Montrouge, comme il semble l’avoir revendiqué, et comme tendraient à le montrer les traces d’ADN retrouvées dans la cagoule tombée de sa poche lors de son empoignade avec un employé de la mairie (ESINRP, p.183 : « Au pied d’un arbre, à l’endroit où Laurent, l’agent des services de la voirie, s’est battu avec le tueur, ils découvrent une cagoule en tissu noir. L’employé municipal n’a pas pu empêcher la mort de Clarissa Jean-Philippe. Mais il a fait tombé des poches de son assassin un élément matériel capital. La cagoule est immédiatement placée sous scellés et envoyée à un laboratoire pour une recherche ADN. »), remarquons qu’il a abattu une femme, dans le dos, qui se contentait de gérer un incident de la circulation. S’ils se sont connu en prison et ont planifié toute cette opération ensemble, ils n’avaient donc pas le même logiciel philosophico-religieux. Du reste, si Amedy Coulibaly se réclame de Daech dans sa vidéo, Daech qui n’a pas contrairement à son habitude revendiqué l’attentat, Chérif Kouachi a déclaré au journaliste de Bfmtv avoir été envoyé et financé par Al Qaida au Yémen (Al Qaida dans la Péninsule Arabique=AQPA), et Anwar el-Awlaki lors de son passage au Yémen, c’est-à dire quatre années auparavant, ce chaykh ayant été tué fin 2011.
8 Voir le récit qu’en font le patron du Raid, Jean-Michel Fauvergue, dans Patron du Raid, Lassana Bathily dans Je ne suis pas un héros, et Yohan Dorai dans Hyper caché.
9 Parmi une myriade d’exemples flagrants, prenons-en un très récent. Le 22 mai, L’ancien Premier ministre Manuel Valls, en poste au moment des attentats il y a cinq ans, a déclaré sur Judaïques FM (entretien fleuve retranscrit sur le site de BHL la règle du jeu, et ainsi chapeauté : « Face à Dieudonné et Soral, ne rien laisser passer ») : « De nombreux responsables politiques ont fait preuve de cécité lorsque les actes antisémites se sont multipliés, à la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000, quand la haine du Juif s’est mélangée avec celle de la haine de l’État d’Israël, antisionisme rimant alors avec antisémitisme. Le message doit être celui de la confiance. Il faut rester vigilant, parce qu’on voit bien que dans ce monde si connecté qui est le nôtre, on cherche toujours des boucs émissaires. Dans l’histoire, les grandes pandémies ont souvent montré du doigt les Juifs comme les propagateurs des virus et des épidémies ; c’est la base même de l’antisémitisme et des théories complotistes. Il faut donc être exigeant dans le combat contre cet antisémitisme qui se propage notamment sur les réseaux sociaux. Mais je martèle toujours le même message de confiance : la France a besoin de cette part de judaïsme, elle a besoin des Français juifs, elle a besoin de ce rapport incroyable, inouï avec cette part d’elle-même, de son âme, qu’est aussi le judaïsme français. (…) Il est essentiel de ne rien laisser passer. Cette « alliance » – je mets des guillemets – entre une partie de l’extrême droite et une partie l’extrême gauche, entre un néonazisme à la Soral et des personnages qui viennent plutôt de la gauche – même si tout cela ne veut pas dire grand-chose –, est extrêmement malsaine, inquiétante. Elle doit être combattue, et d’abord par le droit, par la justice, puisque, il faut en permanence le rappeler, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits. Je pense qu’on sous-estime toujours la puissance de Dieudonné. Quand j’ai saisi le taureau par les cornes comme ministre de l’Intérieur et l’ai mis en cause à partir de 2013 – d’autres l’avaient fait –, j’ai pu mesurer sa violence et son influence dans de nombreux milieux. On a souvent parlé du nouvel antisémitisme venant de la jeunesse des quartiers populaires, d’une frange, minoritaire, bien évidemment, du monde arabo-musulman ; mais la force de Dieudonné, c’est qu’elle touche d’autres couches de la société et l’on a parfois pris cela à la légère. »
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