L’affaire Dounia Bouzar : annexe 1/3 au livre sur le Fonds Marianne


En complément de mon ouvrage sur Le fonds Marianne et les charognards de Samuel Paty, publié en juin 2024 par les éditions Kontre Kulture, je publie finalement sur ce site trois chapitres qui auraient dû y figurer en annexe, si l’éditeur n’avait stipulé qu’il n’excédât pas 250 pages. Chacun raconte, dans l’ordre chronologique, une histoire infiniment républicaine, au sens concret du terme, datant du milieu de la décennie 2010, alors que les autorités découvraient enfin – dans le contexte des premiers attentats de l’époque – le problème de la « radicalisation djihadiste , et tentaient désespérément de faire croire aux électeurs qu’elles en avaient toujours été conscientes et le saisissaient à bras le corps. Ces trois affaires, dans l’ordre l’affaire Dounia Bouzar, l’affaire Sonia Imloul, et l’affaire du centre de Pontourny, préfigurent avec un degré de ressemblance impressionnant l’appel à projet du fonds Marianne qui sera lancé en grande pompe en avril 2021 par l’ex ministre déléguée à la citoyenneté Marlène Schiappa, prétendument en réponse à l’assassinat du professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020. Ceux qui ont apprécié le livre y trouveront un prolongement de leur plaisir de lecture, et ceux qui ne l’ont pas lu un apéritif qui leur donnera je l’espère l’envie d’aller plus loin (ouvrage disponible à la commande sur le site Kontre Kulture, ou dans n’importe quelle librairie en renseignant le n° ISBN 978-2-36725-190-5). Premier épisode du triptyque avec l’affaire Dounia Bouzar (précédé d’une introduction générale plus circonstanciée que ce succinct chapeau).

Longtemps, les responsables politiques sont restés apathiques face au phénomène djihadiste, considérant que les jeunes embrigadés en reviendront en deux coups de cuillère à pot. C’est ainsi que des « protocoles de déradicalisation » parfaitement ridicules ont été confiés à des imposteurs prétendant apporter un remède immédiat à ce qui s’apparente pour moi à une lame de fond.

Noam Anouar, La France doit savoir, p. 124



Introduction

Le lancement d’une structure fumeuse et véreuse comme le fonds Marianne, à grands renfort de trompettes médiatiques, en réaction à l’assassinat de Samuel Paty, n’est pas un coup qui vient de nulle part mais s’inscrit dans une tradition républicaine récente qui comporte déjà d’édifiants précédents.

A partir de la seconde moitié de l’année 2014, l’État français prend enfin conscience d’un phénomène particulièrement inquiétant : l’embrassement de la cause de l’État Islamique par un nombre croissant de jeunes gens, qui se traduit par des vagues de départs en Syrie pour aller faire le djihad dans les zones syro-irakiennes. Pour rappel, le nouveau califat, autrement dit l’État Islamique, a été proclamé par Abu Bakr el Baghdadi à Mossoul en juin 2014. S’est ensuivie une expansion foudroyante du proto État dans le nord de l’Irak, qui a conduit à la mise en place d’une coalition internationale comprenant une vingtaine d’États, dont la France était un membre hyperactif. Les départs de jeunes « Français » pour la Syrie n’était pas un phénomène complètement nouveau : dès 2012, la propagande d’al Qaida – fonctionnant en symbiose avec celle des pays occidentaux – avait drainé un premier flux de combattants pour renverser le « régime impie de Bachar el-Assad », mais à partir de juin 2014, avec l’émergence de l’État Islamique et la constitution officielle contre lui d’une coalition militaire internationale, la France était devenue l’un des ennemis officiels de ce nouvel acteur et une cible potentielle. Les porte-parole de l’EI avaient alors publiquement menacé la France de représailles, en invitant ceux qui le pouvaient à faire ce qu’ils pouvaient dans ce sens sur le sol français, les opérations suggérées allant du crachat au visage à la pose de bombes dans des lieux publics. Déjà à cette époque les services français prévoyaient que des attentats allaient être perpétrés dans l’hexagone. A ce problème des départs en Syrie s’ajoutait celui de la radicalisation d’une part croissante de la population, essentiellement d’origine immigrée mais pas que, qui, à défaut de partir faire le coup de feu au Levant, était de plus en plus séduite par les thèses djihadistes et salafistes, et de moins en moins convaincue par les « valeurs de la République », avec sa « laïcité » et son « vivre-ensemble ».

C’est ainsi qu’après des années passées à se consacrer exclusivement à la dénonciation et à la répression des mouvements « complotistes » et « extrémistes », étiquettes infamantes destinées à jeter l’opprobre sur les militants français scandalisés par les dérives du pouvoir actuel, les instances républicaines prirent subitement conscience d’une vague inédite qui montait, montait, et menaçait pour le coup de provoquer de véritables dégâts. Le problème est qu’alors que tous les moyens étaient mis pour traquer tous ces inoffensifs et patriotes « ennemis de l’intérieur », strictement rien n’avait été prévu pour contrecarrer le monstrueux tsunami qui se dressait à l’horizon. C’est ainsi qu’en catastrophe les instances républicaines, égarées au milieu de la plage découverte, et se voyant dans l’impossibilité de regagner la rive à temps, se mirent à gesticuler frénétiquement et bricoler avec les moyens du bord des mesures et structures censées montrer à la population qu’elles avaient pleinement conscience de la catastrophe à venir, et étaient bien décidées à prendre le problème à bras le corps. Dès cette époque, il s’agissait avant tout de communication. En leur for intérieur, ces instances savaient que ces gesticulations seraient dérisoires, mais il s’agissait de montrer au bon peuple français que l’on était conscient, responsable, et soucieux de le protéger. C’est ainsi qu’en catastrophe, des millions d’euros furent déversés sur des structures, associations, et mesures dites de « déradicalisation ». Toutes furent éhontément médiatisées dans d’obscènes campagnes de relations publiques, toutes s’avérèrent des fiascos retentissants, quand il ne s’agissait pas d’escroqueries pures et simples perpétrées par des charlatans ayant flairé le filon et l’argent public facile. Dans cette seule phrase se trouve en fait résumée le scandale du fonds Marianne qui sera créé cinq ans plus tard dans la foulée de l’assassinat de Samuel Paty, la médiatisation en moins. Les trois structures et initiatives mises en œuvre pour combattre le radicalisme djihadiste dont nous allons raconter l’histoire dans cette annexe peuvent être regardées comme une préfiguration de ce qui sera lancé à grands renforts de micros et mégaphones cinq ans plus tard.

Ma dernière présentation du Fonds Marianne et les charognards de Samuel Paty (éditions Kontre Kulture, juin 2024), enregistrée en décembre 2024 dans les studios du « Média en 4 4 2 », interviouvé à par Kate

Histoire de Dounia Bouzar

Soyons honnête, de tous les profils que nous allons passer en revue dans cette annexe, celui de Dounia Bouzar est celui qui inspire, par la diversité et l’éclat de son parcours, le plus de respect.

Cependant, de par la façon dont cette femme a été médiatisée de 2014 à 2016, et disons le tout net, instrumentalisée par les autorités, et la façon dont elle a été cooptée aux côtés des auteurs anticomplotistes, de façon récurrente, elle illustre les dérives de la lutte contre la déradicalisation et la malhonnêteté avec laquelle insidieusement on a transformé cette lutte contre la radicalisation djihadiste pour l’orienter vers les « théories du complot » et les « complotistes ».

Dominique Amina Bouzar naît à Grenoble en 1964, d’un père algéro-marocain et d’une mère corse qui se sont rencontrés à l’occasion des manifestations françaises pour l’indépendance de l’Algérie, qui survient en 1962, année où ils se marient1. L’homme, très francophobe, abandonne toutefois rapidement le foyer familial après avoir consommé, et c’est toute seule que sa mère, universitaire accomplie et militante communiste extrêmement engagée, l’élève. Dominique évoque une enfance assez heureuse, au cours de laquelle elle n’a manqué de rien. Dès ses premières années elle se découvre une fibre altruiste, recueillant en secret les chats et chiens abandonnés de son quartier. A l’adolescence elle se distingue dans son collège par son prosélytisme communiste qui lui attire la suspicion et les remontrances de la direction. Alors que ses résultats scolaires sont excellents, elle décide d’arrêter l’école à l’âge de 16 ans, invoquant un ennui d’une profondeur insondable. L’année de ses 15 ans, elle avait rencontré celui qui deviendrait le premier homme de sa vie, qu’elle épouse à l’âge de 17 ans. Celui-ci malheureusement décède quand elle a 20 ans, alors qu’elle vient d’avoir de lui une fille. Dominique se retrouve seule, livrée à elle-même, n’ayant pour seule famille que sa grand-mère – qui a caché des enfants juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, nous dit-elle – et sa mère, qui tient à ce qu’elle s’assume et demeure autonome. Après avoir trois ans durant travaillé comme palefrenière dans un club hippique, période au terme de laquelle elle acquiert le statut de monitrice stagiaire, elle décide de reprendre ses études, s’inscrivant en capacité en droit, cursus qui ne nécessite pas d’avoir le BAC. Pour se financer elle vend au porte à porte des produits de double vitrage en tant que VRP. Cette même année elle parvient à reprendre contact avec son père, qui lui fait comprendre, lors d’une brève et unique rencontre, qu’il refuse de la considérer comme sa fille, qu’elle n’est pas de sa famille, et qu’il n’a aucune intention de la revoir à l’avenir, notamment pour des raisons raciales. Bonne étudiante, elle décide de devenir éducatrice et postule avec succès au concours de la protection judiciaire de la jeunesse. A cheval entre deux cultures, elle se prend de passion pour les jeunes de quartier d’origine immigrée, en particulier ceux qui sont tombés dans la délinquance, et monte une association permettant à ceux-ci de se réinsérer par le théâtre. Nommée « le théâtre du lien », cette structure est cofinancée par les contrats de sécurité de plusieurs villes et soutenue par le ministère de la justice. La mayonnaise prend et pendant six à sept ans, elle monte plusieurs troupes de théâtre permettant à de jeunes délinquants complètement sortis du cadre judiciaire et républicain de se réinsérer et de se « renarcissiser », pour reprendre l’une de ses expressions favorites. C’est à cette époque que, sur la suggestion d’un jeune délinquant qu’elle avait assisté, elle décide de changer de prénom, collant plus à double identité : elle mélange les prénoms de Dominique et Amina et devient « Dounia » – qui est tout de même signalons le un prénom arabe extrêmement répandu. En 1998, année du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, elle obtient avec son association le prix de l’année européenne. C’est dans cette période qu’elle rencontre son second mari, un homme d’origine tunisienne avec qui elle se marie au bout de quelques mois. Dès leur première nuit de noces, il révèle toutefois un penchant extrêmement violent, et après avoir eu de lui une seconde fille, elle décide de s’en séparer. L’homme au tempérament « psychopathe », selon ses termes, qui par la suite, selon ses dires ira jusqu’à faire exploser à plusieurs reprises sa voiture et la porte de sa maison, la poursuit alors sans relâche, la forçant à déménager à pas moins de quarante reprises les six années suivantes.

Bref passage au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM)

Forte de toute cette expérience accumulée auprès des délinquants d’origine maghrébine, en 2002 elle tape dans l’œil du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a décidé de mettre sur pied le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Celui-ci lui demande d’être un « trait d’union » entre les musulmans et les non musulmans de France. L’événement est libérateur pour elle dans la mesure où le harcèlement de son ex-conjoint cesse aussitôt, et paradoxalement, c’est à peu près au même moment qu’elle décide de se convertir à la religion de cet homme qui la frappait et de son père qui l’a abandonné, l’Islam. Un choix qu’elle explique ainsi : « Comme j’ai toujours cru en Dieu, quand j’étais petite je parlais à Dieu, il m’a toujours accompagné donc pour moi il n’y a qu’un seul Dieu. (…) Moi ma particularité c’est d’avoir quand même une maman qui ne croit pas en Dieu, et je dirais même qui pense que les gens qui croient en Dieu sont endoctrinés. (…) Dieu m’aide à survivre dans mon parcours, et quand finalement je me rallie au troisième prophète, après une hésitation, ce qui me plaît surtout dans l’Islam c’est qu’il n’y a pas de clergé – j’ai quand même hérité de l’esprit anticlérical de ma mère – il y a aussi un côté justice sociale qui me plaît bien (…). Et puis honnêtement je pense que je suis devenue musulmane parce que ça me permettait d’englober toutes les autres – je veux dire Mohamed a été le dernier prophète, ce qui lui permet d’englober à la fois Jésus, Moïse2 : ça fait lien, et moi dans ma philosophie j’aime faire lien, j’aime mettre du lien entre tous les gens, mettre du lien entre ce qui rassemble, ce qui fait qu’on se ressemble et qu’on se rassemble, et du coup c’était logique d’aller au troisième prophète, parce que ça m’était logique d’être proche des chrétiens, proche des juifs, (…) de mettre en accent les points communs, de pouvoir aimer tous les prophètes, et puis d’accepter avec moi autant ma famille, que ma maman, car ma famille se réduisait à ma maman, et ma grand-mère athée… parce que on ne le dit jamais, mais le Coran embrasse aussi tous ces gens-là, il embrasse aussi ceux qui ne croient pas parce qu’il dit que c’est dieu qui a voulu qu’ils ne croient pas. Tout ça me parlait. » On appréciera le caractère ultra sommaire du charabia. Plus tard dans l’interview, Dounia Bouzar avancera une raison plus convaincante à sa conversion : elle souhaitait recoller les morceaux avec la part manquante de son père, cet homme raciste qui l’a répudiée et qui battait sa mère : bref, si son père indigne et son second mari psychopathe avaient été témoins de Jéhovah, son cheminement spirituel suggère que c’est la religion qu’elle aurait sans doute fini par embrasser. Passons…

Après avoir accepté d’intégrer le CFCM, Dounia Bouzar déchante toutefois assez rapidement : «  je suis l’intellectuelle du CFCM, le suis la seule femme, je suis là pour faire penser quelque part (…) Sarko a utilisé le CFCM comme un outil diplomatique avec les pays musulmans, cela ne m’a pas convenu, ils ont pris au CFCM des gens nés à l’étranger, pas des musulmans socialisés en France qui sont passés par l’école de la République. Le but était d’avoir des relations plus faciles avec les consulats étrangers. Le CFCM ce n’était pas du tout ma philosophie. (…) Je n’ai rien à y faire donc j’en démissionne deux ans après. » Elle découvre également en cette occasion les stéréotypes qui circulent dans les cercles de pouvoir à propos des arabes et des musulmans. Elle qui a une double culture, notamment d’une mère intellectuelle communiste française aisée, se voit inévitablement réduite dans les intervious des journalistes à une caricature de beurette issue des quartiers défavorisés.

Fondation du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires lié à l’Islam (CPDSI)

Cette expérience a au moins le mérite de l’inscrire sérieusement dans le paysage médiatique et musulman français. En 2005, elle est auditrice de la 58ème session de l’institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et est élue « héros européen » par le Time Magazine pour son travail novateur sur l’Islam. En 2009 elle est nommée Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques, et Chevalier de la Légion d’honneur en 2014. Entre temps elle obtient deux prix de l’Académie des Sciences Morales et Politiques de Paris pour deux ouvrages Quelle éducation face au radicalisme religieux ? (2006) et Laïcité mode d’emploi (2010). Elle avait par ailleurs fondé en 2008 le cabinet Dounia Bouzar expertises, qui deviendra en 2012 le cabinet Bouzar expertise, structure spécialisée dans l’application de la laïcité et la gestion des convictions, qui intervient auprès des entreprises, des institutions et des élus. le 20 septembre 2013,elle est nommée à l’observatoire de la laïcité par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. En avril 2014, elle fonde le Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires lié à l’Islam (CPDSI), et se trouve soudain mandatée par le gouvernement comme cellule mobile visant au désembrigadement de jeunes radicalisés. Elle raconte ainsi avec une certaine sidération l’épisode : « il y avait un manque gouvernemental, j’ai construit le CPDSI sur un coin de table un dimanche, finalement je me trouve en mission gouvernementale, j’ai été tous les jours avec des djihadistes repentis pendant un an et demi, ça faisait dix ans que je luttais seule, j’étais contente qu’un ministre enfin entende. » Et une subvention annuelle de 593 000 euros lui est octroyée en avril 2015 pour mener sa mission à bien. Le CPDSI est rattaché à la Miviludes ( dont nous avons détaillé l’ubuesque composition du conseil d’orientation dans un article publié en août 2021), et financée par le Conseil Interministériel et de lutte contre la Délinquance (CIPD), qui deviendra un an plus tard le CIPDR, avec un R pour « et de la Radicalisation », la structure dépendant du ministère de l’Intérieur qui financera six ans plus tard les 18 associations lauréates de l’appel à projet du fonds Marianne, et qui finance ordinairement des associations anticomplotistes comme Conspiracy Watch, ainsi que nous l’avons exposé dans notre ouvrage consacré au fonds Marianne et les charognards de Samuel Paty.

La méthode Bouzar

Elle a expliqué ce qu’on pourrait appeler la « méthode Bouzar » dans le livre qu’elle a co écrit avec son binôme et collègue le psychanalyste Serge Hefez, publié en 2017 et intitulé Je rêvais d’un autre monde. Dounia Bouzar précise bien que cette méthode ne peut pas s’appliquer à des individus pour ainsi dire complètement radicalisés, mais à des sujets en train de basculer ou à la veille de basculer, et, point crucial, dont les parents ont fait la démarche de signaler la dérive de leur progéniture aux services de police, en appelant par exemple le numéro vert « stop djihadisme » (lancé en avril 2014), ce que tout le monde n’est pas enclin à faire, soit par honte, soit par crainte que la cure de déradicalisation s’accompagne d’un préventif fichage S. La présence d’un référent affectif accompagnant le processus de prise de conscience est primordial: « Comme étape préparatoire, la méthode réclame de rechercher les ressources sur lesquelles s’appuyer pour déradicaliser un jeune. Elle nécessite une alliance avec les parents ou avec un tuteur de résilience (éducateur, instituteur, etc.) qui peut être une figure d’attachement (oncle, grand-mère, proche, etc.). Cette alliance est fondamentale car elle ne peut se faire avec le radicalisé lui-même qui, persuadé que les autres sont endormis ou complices des forces obscures complotistes, se perçoit comme le seul individu capable de discernement. » (p. 100) Sont également mobilisés dans le processus des djihadistes « repentis » qui ont une longue expérience de la propagande de l’EI, sont parfois allés faire le coup de feu dans les zones syro-irakiennes, ont constaté sur place une réalité peu romantique, veulent peut-être se racheter aux yeux des autorités françaises et se réinsérer dans la société qu’ils ont d’abord reniée et combattue, et sont donc crédibles pour porter un contre-discours convainquant. Cette dernière particularité a pu faire naître à l’occasion de vives polémiques, puisque, pour ne considérer qu’un exemple, Dounia Bouzar est allée jusqu’à recruter, en octobre 2016, Farid Benyettou, le mentor des frères Kouachi, auteurs présumés du massacre de Charlie Hebdo début janvier 2015. Elle a même publié avec lui un livre dans lequel elle relate cette collaboration : mon jihad, publié en janvier 2017. Enfin, dernière étape, le jeune est amené à entamer une psychothérapie et c’est son collègue, Serge Hefez, qui prend le relai : « Notre méthode de déradicalisation, expérimentée auprès de 1134 jeunes en deux ans (dont 272 récupérés à la frontière ou ayant déjà organisé leur voyage), accompagne le repositionnement individuel du jeune par rapport à l’idéologie radicale en utilisant diverses techniques pour « déradicaliser », ou « désembrigader » ou « désengager ». On peut conceptualiser cette méthode d’accompagnement du changement comme un ensemble de techniques visant à faire face aux ruptures comportementales, émotionnelles et cognitives. Cette méthode ne minimise pas les facteurs de risque et de vulnérabilité personnels, ni les phénomènes de groupe en jeu. Au contraire, elle pousse ensuite les jeunes à effectuer un travail en psychothérapie pour réfléchir aux déterminants individuels qui ont contribué à leur entrée en radicalité. » (p. 98) La cellule de « déradicalisation » proposée par Dounia Bouzar était itinérante : les lieux de rencontre ne devaient pas être divulgués à l’avance pour ne pas éveiller l’attention des recruteurs djihadistes forcément curieux de l’expérimentation d’une telle riposte, et les équipes devaient être accompagnés d’un dispositif de sécurité conséquents, facteur en partie responsable du coût élevé du projet.

Dounia Bouzar a embauché le mentor des frères Kouachi pour les besoins de son CPDSI
Dounia Bouzar a embauché Farid Benyettou, le mentor des frères Kouachi, auteurs officiels du massacre de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, pour les besoins de son CPDSI, en tant que spécialiste de la déradicalisation des jeunes au bord de basculer dans le djihadisme.

Pour les autorités, à l’époque complètement démunies face à un phénomène qu’elles découvrent – entièrement dédiées qu’elles étaient depuis des années à diaboliser et maintenir fermement le couvercle sur les citoyens soucieux de dénoncer des scandales d’État – il ne s’agit cependant pas seulement de prendre un problème longtemps négligé à bras le corps, mais d’amplifier artificiellement aux yeux du grand public leur réaction – comme dans le cadre d’une opération marketing, pour reprendre un terme qui a été fréquemment employée pour qualifier le fond Marianne – afin de donner l’impression qu’elles n’ont pas négligé leurs devoirs et font tout ce qu’il faut pour protéger la population. C’est ainsi que les médias, courroie de transmission du pouvoir ou inversement selon les circonstances, sont mis à contribution pour faire une promotion formidable de tous les instants de la divine trouvaille. Les articles élogieux à son endroit se multiplient dans toute la presse unie dans un vibrant salut romain, et elle enchaîne les plateaux télévision, où elle apparaît parfois de façon spectaculaire avec des sujets qu’elle aurait sauvé du pire, comme preuves vivantes de l’efficacité de sa méthode – dont certains rejoignant tout de même l’État Islamique par la suite.

Pâlissement de son étoile et premières déconvenues

L’aventure aux côtés des autorités fait toutefois long feu. Alors que son action avait été massivement relayée par les médias, Dounia Bouzar décide de ne pas renouveler cette association en raison de la proposition de loi sur la déchéance de nationalité proposée et mise en débat au début de l’année 2016, avec des arguments qui peuvent tout à fait s’entendre : sa double origine personnelle, le fait que le phénomène combattu touchait aussi des jeunes français issus de familles de natifs, l’opportunisme du Premier ministre Manuel Valls. A partir de la rupture de ce partenariat avec l’État, l’étoile de Dounia Bouzar commence à pâlir. Des échecs inévitables mais flagrants de sa méthode sont mis en exergue, telle cette jeune femme avec qui elle était apparue à la télévision, et qui a finalement rallié l’EI au Levant (Cf cet extrait de Complément d’enquête du 7 avril 2017). Elle est éclaboussée par la polémique née de l’embauche de Farid Benyettou, le mentor des frères Kouachi, en octobre 2016, et la publication d’un livre en co autorat avec lui en janvier 2017. Un rapport d’une commission sénatoriale présidée par Esther Benbassa et rendu public le 22 février 2017, enfin, sans nommer Dounia Bouzar, a ces mots cruels et transparents : « En France, les pouvoirs publics ont engagé dès 2014 les premières actions en faveur de la lutte contre la radicalisation djihadiste. Ils se sont reposés sur des acteurs associatifs dont l’expérience en matière de prévention et de traitement de la radicalisation n’est pas toujours, ou pas encore, avérée. La priorité politique qu’a constituée légitimement la « déradicalisation », sous la pression des évènements, a pu conduire à des effets d’aubaine financière. Ont pu être évoqués successivement lors des auditions un « gouffre à subventions » ou un « business de la déradicalisation » ayant attiré certaines associations venues du secteur social en perte de ressources financières du fait de la réduction des subventions publiques. » Des médias subventionnés comme Le Monde (Cf « Vents contraires pour Dounia Bouzar, « Madame déradicalisation » », du 13 février 2017), retournent en même temps leur veste et font explicitement le lien entre le rapport et Dounia Bouzar Cette dernière y répond sur le site atlantico.fr dans une tribune pleine de rancœur dans laquelle elle regrette notamment de n’avoir pas été entendue par les membres de cette commission, alors qu’elle était implicitement visée par ces propos allusifs. La charge des sénateurs visait sans doute plus Sonia Imloul que nous allons évoquer dans la seconde partie de cette annexe, mais notre présidente du CPDSI multi primée et décorée ne pouvait pas ne pas ne pas le prendre pour elle.

Impréparation des autorités pour lutter contre un phénomène trop longtemps ignoré, nécessité de trouver à la va-vite des structures susceptibles de donner l’illusion à l’opinion publique édifiée que le problème est pris en compte et combattu, médiatisation outrancière de la roue de secours miraculeuse, chapeautage et subventionnement de cette structure par le CIPD(R) : l’épisode Dounia Bouzar préfigure à tous égards, répétons le, le lancement tonitruant du fonds Marianne par Marlène Schiappa en avril 2021 dans le sanglant sillage de la décapitation de Samuel Paty.

Une démarche résolument inscrite dans la lutte contre le « complotisme » et les « théories du complot »

La gémellité va toutefois encore plus loin, car – et nous en venons à ce que nous tenons à dénoncer au tout premier chef dans cet ouvrage – dès cette époque, dès ce premier coup d’essai, la lutte contre la radicalisation et le terrorisme djihadiste est déjà étroitement couplé d’une façon assez nette à celle contre les « théories du complot » et les « complotistes ». Durant toutes ces années la République n’a jamais perdu le Nord !

Le tropisme AC apparaît sous la plume même de Dounia Bouzar, dès les premières pages de son livre coécrit avec Serge Hefez (p. 27-28). Elle tient ainsi à nier catégoriquement qu’il existerait des forces occultes qui détiendraient le véritable pouvoir, s’émeut qu’on puisse avoir des doutes sur ce qui nous est donné à manger par les groupes agroalimentaires (le nutella étant cité), ou qu’on puisse se méfier des vaccins promus par les grands groupes pharmaceutiques. En aucun cas selon elle les sociétés secrètes ne sauraient exister, et il est insensé d’émettre l’hypothèse qu’Israël puisse avoir une quelconque influence sur la politique d’autres États. Plus généralement, les gouvernements démocratiques sont libres comme l’air et ne sont soumis à aucune influence. Dans certaines phrases, Dounia Bouzar fait explicitement le lien entre radicalisation et complotisme : le jeune en voie de radicalisation « adopte une vision du monde paranoïaque à partir de laquelle il va rejeter le monde dans lequel il vit »./ « la théorie du complot et le sentiment de persécution qui en découle peuvent prendre une connotation sacrée ».

Indice tout aussi net de son incrustation dans la galaxie anticomplotiste, Dounia Bouzar a participé le 6 février 2016 à l’espèce de Grenelle du complotisme organisé par la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem au muséum d’histoire naturelle de Paris, que nous avons relaté dans notre ouvrage consacré à L’anticonspirationnisme mis à nu. Elle y a officié en compagnie de sa fille Lyllia avec les Thomas Huchon, Sophie Mazet et autres Gérald Bronner et Rudy Reichstadt. Et les années suivantes, alors qu’elle n’a plus d’engagement avec l’État via le CIPDR, elle ne dédaigne pas de participer à des émissions consacrées au phénomène de la radicalisation en lien avec le complotisme. Il existe certes des points communs entre la vision du monde des djihadistes et celle de Français originels désenchantés du système démocratique, comme entre tous les gens qui estiment que le régime politique actuel devrait être refondé de fond en comble pour redonner enfin de l’espoir et un élan collectif, mais comme la nuance n’est pas faite, l’amalgame n’est finalement guère lointain de celui opéré crûment par des acteurs AC professionnels et dûment stipendiés comme Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France. Évoquons encore le fait qu’elle a collaboré, en tant que « spécialiste », à l’élaboration du canular de Thomas Huchon, « Conspi Hunter », en compagnie des autres autorités susnommées. Thomas Huchon, acteur AC caricatural (et figure cardinale de Spicee, financée à hauteur de 60 000 euros par le fonds Marianne), évoque sans ambages cette collaboration et toutes les conclusions qu’il faut en tirer. Dans un entretien accordé à Europe 1 le 7 janvier 2016, ce dernier explique ainsi : « On a fait une enquête de neuf mois. Nous avons interrogé des personnes comme Rudy Reichstadt (le fondateur du site ConspiracyWatch.info, diplômé de Sciences Po Aix et membre de l’Observatoire des radicalités politiques du politologue Jean-Yves Camus ndlr), le sociologue Gérard Bronner (membre du très prestigieux Institut universitaire de France), des enseignants comme Sophie Mazet (diplômée de Normale sup’, enseignante en lycée et auteure de Manuel d’autodéfense intellectuelle) ou encore Dounia Bouzar (anthropologue et fondatrice du CPDSI, le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam). Cela nous a permis, par exemple, d’établir un lien direct entre radicalisation et théorie du complot. Dans les ordinateurs des gamins partis pour le djihad consultés par le CPDSI, il y avait À CHAQUE FOIS des vidéos conspirationnistes. La police a confirmé que c’était également le cas pour l’ordinateur du frère de Mohammed Merah par exemple. Les théories conspirationnistes donnent une vision paranoïaque de la société, ce qui inspire la violence à son encontre » Nous rappelons que la cible cardinale de Thomas Huchon n’est pas du tout l’Islam radical ou la mouvance djihadiste mais, à l’instar de ses compagnons Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France, les Français lanceurs d’alerte, qui ne se sont jamais rendus coupables d’aucun crime ni d’aucun attentat et qui se contentent de pointer, certes avec vigueur et parfois sur un ton radical, les très graves dérives de la démocratie représentative, du fonctionnement incestueux et sans indépendance des médias de masse, plus généralement de la dérive tyrannique de plus en plus perceptible du pouvoir actuel. Pour plus de détails sur l’obscène couverture médiatique de cet insigne navet AC qu’est le canular Conspi Hunter, promu sur le Réseau Canopé, le site de ressources de l’Education nationale destiné aux cours d’EMC ! je renvoie le lecteur à mon ouvrage L’anticonspirationnisme mis à nu.

Signification de son tandem avec le psychanalyste Serge Hefez

Même si Dounia Bouzar développe souvent une analyse plus fine que bien des intervenants médiatiques et ne saurait être rangée dans la catégorie de protagonistes comme Sonia Imloul, que nous aborderons au chapitre suivant, ou d’un Mohamed Sifaoui ou d’une Caroline Fourest, même si par son parcours elle est dotée d’une légitimité supérieure à celle de la plupart des acteurs du complexe AC, elle s’y est associée d’une façon ou d’une autre, et on ne peut s’empêcher de supputer avec le recul, que si les autorités furent heureuses de la coopter fin 2014 afin de lutter contre le phénomène de la radicalisation, il fallait cependant qu’elle montrât auparavant de clairs signes de ralliement à l’idéologie républicaine et son hostilité radicale aux « conspirationnistes » et aux « théories du complot ».

Cette volonté de garder un œil vigilant sur de telles bouées de sauvetage médiatiques se confirme sans doute dans le choix de son comparse dans l’aventure du CPDSI, le psychanalyste Serge Hefez, dont il est indispensable de toucher un mot si l’on veut avoir un coup d’œil sur l’ensemble du mécanisme.

Né en 1955 en Égypte à Alexandrie dans une famille juive expulsée du pays en 1957 suite aux décrets de nationalisation pris par Nasser (qui concernaient surtout les Français, les Anglais et les Juifs), Serge Hefez, né Samuel-Hefes, est ce qu’on pourrait appeler une synthèse des valeurs de la République. Il s’engage très tôt dans le militantisme au début de ses études de médecine, participant au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), jusqu’au vote de la loi Veil en 1975. Devenu psychiatre, psychanalyste, il se spécialise dans les thérapies familiales et de couples, sujet sur lequel il publiera plusieurs ouvrages. Dans les années 1990, il se mobilise pour les malades du sida, créant pour eux une association d’aide psychologique, et il devient responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, poste qu’il occupe encore au début des années 2020 où nous écrivons ces lignes. Il développe en même temps une clientèle privée. Militant anti homophobie, pro féminisme, promoteur de l’égalité hommes-femmes, défenseur du Pacs et du mariage homosexuel, accompagnateur des jeunes vers le changement de sexe, il devient à la fin de l’année 2014, en compagnie de Dounia Bouzar, une figure de la lutte contre la radicalisation djihadiste, alors qu’il est lui-même extrêmement impliqué dans la communauté juive organisée, cosignant par exemple en avril 2018 le délirant « manifeste contre l’antisémitisme », qui pouvait donner l’impression au lecteur non averti, contre toute évidence, que la France était en tain de devenir la terre d’élection des pogroms du futur. Pendant toutes ces années et encore aujourd’hui, Serge Hefez a été et est une figure incontournable du Paysage Audiovisuel Français où il intervient régulièrement sur tous les sujets susnommés, en fonction des circonstances – ainsi récemment à propos des dégâts psychologiques sur les enfants des mesures sanitaires prises lors de la crise Covid et la guerre en Ukraine. Il est régulièrement sollicité ou cité comme expert dans tous les médias de la presse écrite. Son activité médiatique est si intense et diversifiée qu’il est impossible ici d’en donner le tout le détail. Quoiqu’il s’en défende, son approche du phénomène de la radicalisation djihadiste est avant tout psychologisante. Dans son livre co-écrit avec Dounia Bouzar on peut ainsi lire : 1) « A partir du moment où un texte devient discours de vérité gravé dans le marbre et intouchable, l’adhésion groupale prend une nature paranoïaque, paranoïa à entendre ici comme la conviction de détenir la Vérité, unique, absolue. Dans ce cas le psychisme se rigidifie, poreux jusque-là, se change en mur infranchissable et étanche qui empêche de mettre la vérité en balance avec d’autres systèmes de croyance. » (p. 149) ; 2) « Comme chez les psychotiques, on peut observer chez les fanatiques des mécanismes de clivage : « une partie de leur esprit est innocente et clémente, mais dans l’autre partie, parfaitement séparée de la première, ils sont sadiques et implacables. Il ne s’agit là que d’une variante de cette phrase utilisée par de nombreux fanatiques religieux : ‘au nom de dieu miséricordieux’ ». (Gérard Haddad3) » (p. 187) ; « Dans l’observation que je peux en faire, le port du voile présente des analogies avec le comportement anorexique : l’un et l’autre, à leur manière tendent à effacer les formes du corps, à le dissoudre en tant que corps sexualisé, tout en mettant de la distance entre soi et les autres. » (p. 190) Il lui arrive certes d’identifier des facteurs pertinents comme l’« ultra-libéralisme, matérialisme et consumérisme, disparition des grandes utopies, nos sociétés qui privilégient l’avoir par rapport à l’être, confondent célébrité éphémère et réussite » (p.179), mais dans l’ensemble, son discours est pour l’essentiel un discours hors-sol, déconnecté de la réalité vécue par des millions de Français, incapable de mettre en avant les graves défauts du système républicain, dont il il est l’un des piliers, et qui sont largement responsables de la perte des repères d’une grande partie de la jeunesse française actuelle. S’il a ainsi pu dénoncer la détérioration de la santé psychique des Français à l’occasion du confinement, jamais il n’a profité de son immense surface médiatique pour dénoncer frontalement l’un ou l’autre des innombrables aspects monstrueux de la gestion politique de la crise sanitaire par les autorités de 2020 à 2022. Serge Hefez est par ailleurs bien en cour dans les milieux anticomplotistes. A l’instar de Dounia Bouzar, il a participé au Grenelle du complotisme du 6 février 2016 où, succédant à la tribune à Gérald Bronner, il a prononcé une conférence sur « les processus psychiques à l’œuvre dans le phénomène du complotisme. » Il a également été interviouvé comme spécialiste dans le documentaire « Complotisme, les alibis de la terreur », réalisé par Rudy Reichstadt et Georges Benayoun, qui prétend faire du « complotisme » au sens le plus large et le plus englobant du terme, l’antichambre naturelle de la radicalisation terroriste. Une bonne partie du documentaire est consacrée au massacre de Charlie Hebdo de janvier 2015 et des « théories du complot » qu’il a suscitées. Après que Dounia Bouzar a refusé la prorogation de la subvention de son CPDSI par le CIPDR, Serge Hefez a poursuivi jusqu’à aujourd’hui (2023) sa collaboration avec les autorités dans le suivi psychiatrique de jeunes aspirants djihadistes.

Bref, le choix de Dounia Bouzar de s’associer à une personnalité comme Serge Hefez en 2015, est tout sauf neutre et traduit, soit la volonté de l’État de garder la haute main sur toutes les officines de déradicalisation, en s’assurant que le contre-discours républicain demeure sous contrôle étroit, pour éviter tout dérapage, soit une stratégie consciente de la part d’une opportuniste qui a bien compris comment fonctionnait le système politico-médiatique français, avec ses réseaux de vigiles et de passeurs dont il faut s’attirer les bonnes grâces pour espérer voir s’ouvrir en grand devant soi les autoroutes de la notoriété médiatique, et les juteuses subventions publiques qui vont avec, une manne qui forme l’essentiel de ses revenus depuis l’époque où elle réinsérait des jeunes délinquants par le théâtre, la scène où elle s’exprime s’étant naturellement agrandie avec le temps, en même temps que l’intensité du halo de lumière projeté sur sa personne, et les effets spéciaux accompagnant ses entrées et sorties.

Nous avons suggéré que son étoile avait pâli en 2016 et 2017, avec le refus de prolonger son partenariat avec le CIPDR, les révélations sur les premiers cas d’échecs flagrants – fortement médiatisés dans certains cas pour montrer que ça marchait – de « déradicalisés » pris en charge par son CPDSI, les commentaires assassins du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les structures de déradicalisation présidée par Esther Benbassa, enfin son association avec le mentor des frères Kouachi, Farid Benyettou, mais la disgrâce n’est qu’apparente. Force est toutefois de constater que Dounia Bouzar continue d’être sollicitée régulièrement par des médias de masse pour donner son avis de spécialiste sur les sujets dont elle s’occupe depuis des années. Le 23 octobre 2020, on peut ainsi l’entendre expliquer dans La Nouvelle République, quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty : « L’effroyable assassinat du professeur n’était, hélas, guère étonnant. Ceux qui travaillent sur ces questions de terrorisme savaient que l’épidémie et le confinement allaient réanimer les attaques. Cette période suscite l’angoisse. Or l’angoisse trouve un écho et des réponses dans les théories complotistes, avec un hameçonnage, à travers les réseaux sociaux notamment, de proies pour l’embrigadement. Et hélas, je ne suis pas très optimiste. Je crains que la situation ne s’aggrave. » Comme nous l’avons vu dans cet ouvrage, le confinement, l’épidémie et les théories du complot ont peu à voir avec la radicalisation et le passage à l’acte du jeune immigré tchétchène Abdoullak Anzorov. Et comme s’il s’agissait de donner des gages à ses employeurs, ou de ne pas perdre le nord où se trouvent les gisements subventionnifères, elle n’hésite pas à faire l’amalgame ignoble : l’avenir est sombre « parce qu’il y a le djihadisme, mais ne négligeons surtout pas la montée de l’extrême droite4. » Mais il s’agissait surtout pour elle de faire la promotion de son dernier ouvrage publié – coïncidence de dates – le 22 octobre aux éditions Mardaga. ouvrage consacré aux « djihadistes, suprémacistes blancs et activistes de l’extrême gauche ». Elle y explique que la République fait face à trois menaces principales, nommées dans le titre. On retiendra de cette approche qu’en fait dans ce triptyque, seuls le djihadisme et le « suprémacisme blanc » – concept raciste antiblanc importé des États-Unis – doivent être considérés comme de vrais dangers, les militants d’extrême gauche qui attaquent les policiers à toutes les manifestations étant excusables en raisons des valeurs fortes qu’ils portent comme la lutte contre le racisme, le sexisme, l’homophobie et le capitalisme. La crise de la Covid et les monstrueuses mesures sanitaires qui viennent à l’époque d’être prises par les autorités sont forcément évoquées, mais seulement dans la perspective de la résurgence inquiétante des scenarii conspirationnistes et la montée des extrémismes. Bref, Dounia Bouzar est bien une adepte et servante de la République et de ses valeurs !

1L’essentiel des informations contenues dans cette biographie sommaire sont extraites d’une série de cinq émissions de 30 minutes, intitulées « Dounia Bouzar envers et contre tous » diffusées sur les ondes de France Culture du 13 au 17 juin 2016, dans le cadre de l’émission « À voix nue ». Dounia Bouzar y est longuement interviouvée par Alain Lewkowicz.

2Dounia évoque ici la doctrine des révélations successives, par laquelle Muhammad s’arroge le privilège d’être le sceau des prophètes. Qu’il nous soit permis de préciser dans cette note qu’il suffit de lire un peu à la suite le Coran, le Nouveau Testament, et l’Ancien Testament, pour se rendre compte que le Dieu des Juifs n’a rien à voir avec celui des Chrétiens et des Musulmans, que même il en est l’antithèse sinon l’ennemi.

3De ce psychanalyste nous avons lu Le jour où Lacan m’a adopté (Grasset, 2002), lecture au terme de laquelle nous avons fortement éprouvé le soupçon que l’auteur était atteint de troubles psychiatriques. « C’est un fou ! » s’est exclamée une psychanalyste de nos amis à qui nous en avons parlé.

4« Dounia Bouzar : « on a perdu nos valeurs » », La Nouvelle République, 23/10/2023

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