Autorités chrétiennes de Syrie censurées ou diffamées par les médias

Dans cette troisième chronique, de la série « Syrie : Comment les médias français intoxiquent l’opinion publique » *, l’écrivain François Belliot dénonce la partialité avec laquelle les médias traditionnels ont rendu compte de la position des chrétiens de Syrie. Donnant un écho disproportionné aux propos antigouvernementaux du père Paolo dall’Oglio, ils ont systématiquement ignoré la voix de très nombreuses personnalités religieuses de premier plan qui exprimaient les sentiments majoritaires des communautés chrétiennes de Syrie. Ces voix s’alarmaient des massacres perpétrés par des mercenaires venus de l’étranger, et soulignaient que l’armée gouvernementale constituait leur dernier rempart contre ces bandes armées fanatisées, honteusement qualifiées d’ « opposition modérée » par les « grands médias ». [Arrêt sur Info ]

Il est remarquable que les journalistes qui réalisaient ces interviews de complaisance, ou rédigeaient des articles à sa gloire, prenaient souvent soin de souligner que le point de vue du père Paolo dall’Oglio était très minoritaire, que les chrétiens de Syrie, majoritairement, ne souhaitaient pas le renversement du régime qu’ils considéraient comme un rempart contre les mercenaires extrémistes venus de l’étranger.

On pouvait se demander alors : si l’opinion du père Paolo était à ce point minoritaire, pourquoi bénéficiait-elle d’une couverture médiatique aussi massive et diversifiée, alors qu’aucun autre témoignage de religieux connaissant bien la Syrie, y vivant, ou y ayant vécu, n’était jamais rapporté.

Trois explications possibles à ce focus extraordinaire des médias sur ce personnage.

1. Le père Paolo est l’un des seuls chrétiens lucides de Syrie. Tous les autres, comme il le soutient, sont intoxiqués par la propagande du « régime ». Les médias ont raison de relayer massivement et exclusivement ce témoignage
2. Le père Paolo est l’un des chrétiens les moins lucides de Syrie. Il ne comprend rien à ce qui se passe sur place, mais a choisi cette position tranchée en raison de l’immense amertume qu’il ressent d’avoir dû quitter un lieu sacré qu’il a contribué à redresser, et dans lequel il a vécu pendant 30 ans.
3 ; Le père Paolo dall’Oglio est tout à fait lucide ; quand il lance ses déclarations fracassantes et diffamatoires, il sait qu’il ment, il sait que ses incitations à la haine sont infondées et qu’en les proférant il trahit le Christ, il sait que son analyse de la situation est fausse et orientée, mais pour des raisons qui restent à éclaircir (et sans doute pas très catholiques), c’est la voie du mensonge et de la haine pour laquelle il a opté.

J’ai déjà donné beaucoup d’éléments d’information en faveur de la 3ème explication, mais avant de trancher pour de bon, passons en revue quelques témoignages d’autorités chrétiennes qui, elles, n’ont bénéficié d’aucune couverture médiatique, ou ont été systématiquement caricaturées et diffamées dans les mêmes médias qui servaient la soupe au père Paolo dall’Oglio. En prenant connaissance de ce qu’ils disent, peut-être comprendrons nous mieux ce silence qui les environne, et le degré de supercherie qu’implique cette focalisation unique et martelée sur le père Paolo dall’Oglio.
Donnons la parole à cinq personnalités religieuses syriennes ou très proches de la Syrie.

Le père est un prêtre arabe catholique syrien qui officie depuis 1977 à Notre-Dame de Damas. Horrifié par ce qu’il a constaté sur place, et en particulier les massacres de chrétiens perpétrés par les mercenaires fanatisés, l’homme a publié une série de lettres ouvertes à diverses autorités. Le 23 juin[i] et le 15 septembre 2011[ii] à Alain Juppé quand ce dernier était ministre des affaires étrangères, le 17 juillet dernier à François Hollande[iii], enfin le 30 juillet 2012 à Benoît XVI. Dans ces lettres, le père Zahlaoui dénonçait la désinformation des médias occidentaux sur la situation en Syrie, et les persécutions des chrétiens. Certaines phrases étaient très audacieuses. L’homme faisait le parallèle entre le cas syrien et le cas libyen :

« N’est-il pas vrai que vous êtes intervenus en Libye, pour soi-disant protéger les droits humains des civils, contre un dictateur, que, pourtant, la France et l’Italie n’ont cessé de flatter, et que l’Angleterre et les États-Unis ont fini par chérir ! Et vous vous en êtes acquittés en laissant sur le sol de la Libye, un charnier de 50000 morts, pour la plupart des civils. »

Il comparait l’obsession des médias sur la Syrie à leur silence sur les graves et répétées violations des droits de l’homme à l’encontre des Palestiniens par l’état d’Israël :

« Si, en Occident, vous êtes si sensibles au problème des Droits de l’homme, pouvez-vous me dire ce qui vous rend totalement aveugles à ce que fait Israël en Palestine, depuis plus de 60 ans, en décimant systématiquement le peuple palestinien, et en dévorant même la portion de terre, qui lui a été dévolue par les fameuses Nations Unies en 1947 ? ».

Enfin, M. Zahlaoui poussait la témérité jusqu’à comparer le traitement médiatique unilatéral de l’affaire syrienne à celui de ces «  mystérieux événements du 11 septembre 2001 ». Les lecteurs au courant de la censure draconienne sur ces trois sujets ne seront pas étonnés que ces lettres ouvertes soient restées sans réponse, qu’aucun média traditionnel ne les ait relayées, et que seuls des sites comme silviacattori.net, legrandsoir.info, michelcollon.info, Infosyrie, ou mondialisation.ca en aient compris le risque et reçu l’honneur.

Mgr Philippe Tournyol du Clos

Tournyol du Clos

Qualifié de « faux prélat » par L’Oeuvre d’Orient, Mgr Philippe Tournyol du Clos, ici en audience avec Jean-Paul II.

Nous n’avons pas là affaire à un Syrien, mais après tout puisque les médias commerciaux ne voient pas d’inconvénient à relayer exclusivement le point de vue d’un Italien, tout témoignage de chrétien connaissant bien la Syrie peut être considéré comme pertinent. Le site www.silviacattori avait relayé, le 26 MAI 2012[iv], le témoignage de Mgr Philippe Tournyol Du Clos, archimandrite, grec catholique melkite, qui se rend fréquemment au Proche-Orient. Il commençait par déplorer que « la paix en Syrie pourrait être sauvée si chacun disait la vérité. De retour à Damas en ce mois de mai 2012, il me faut bien constater qu’après une année de conflit, la réalité du terrain ne cesse de s’éloigner du tableau catastrophiste qu’en imposent les mensonges et la désinformation occidentale. » Plus loin il révélait qu’Alain Juppé, quand il était ministre des Affaires étrangères en exercice, avait sciemment ignoré les multiples communications de l’ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, démentant absolument la version officielle :

« Il faut dire et redire que l’idéologie fanatique est d’importation étrangère et que la Syrie n’a jamais été confrontée à un cycle de manifestations/répression, mais à une déstabilisation sanguinaire et systématique par des aventuriers qui ne sont pas syriens. Cette information, qui va à l’encontre des journaux et des reportages télévisés, l’ex-ambassadeur de France, Éric Chevallier, n’avait eu de cesse de la faire entendre à Monsieur Juppé ; mais le ministre français refusa toujours de tenir compte de ses rapports et falsifiait sans vergogne ses analyses pour alimenter la guerre contre la Syrie. »

Il affirmait que les chrétiens qui n’avaient pas encore fui sous la menace des combattants étrangers reconnaissaient dans l’armée syrienne leur dernier rempart :

« Un habitant me confie : « Si l’armée quitte notre village, nous risquons d’être égorgés. Si la répression sauvage dont l’accusent vos médias était réelle, pourquoi les militaires seraient-ils les bienvenus dans nos villages ? ». Ils sont, j’ai pu le constater de mes yeux, sous la protection attentive des troupes fidèles au Président Bachar. Pourtant, le jour de l’Ascension, une roquette est arrivée dans le jardin, heureusement sans faire de dégâts, mais l’explosion a terrifié les enfants. »

Pour être honnête le témoignage de M. du Clos n’a pas été complètement ignoré. L’hebdomadaire chrétien La Vie, par exemple, sous la plume du théologien belge proche de L’Oeuvre d’Orient Christian Cannuyer, a publié le 27 juin 2012 un article sur ce religieux[v]. Toutefois, ce n’était pas pour reprendre des éléments dérangeants de son témoignage, comme ceux que je viens de citer, mais pour faire de l’homme un portrait horrible propre à dépouiller de toute valeur son témoignage. M. du Clos serait selon lui un « prétendu évêque », « transfuge des milieux intégristes et catholiques d’extrême droite ». « Ses allégations sont fausses et manipulées. » L’article allait jusqu’à mettre en doute, qu’il se fût rendu réellement à Homs. Le nom du père Paolo apparaît dans cet article où il est complaisamment évoqué comme « notre ami ». Toutes les allégations de L’Oeuvre d’Orient mettant en cause l’identité de Mgr Philippe Tournyol du Clos ont été démenties par un communiqué du Saint-Siège.

Je m’attarde quelques lignes sur cet article de La Vie. Son caractère outrageusement caricatural fait deviner quelque chose de tout à fait surprenant : certains milieux ecclésiastiques eux-mêmes semblent résolument engagés dans la machine de propagande de l’OTAN. Je suis ainsi tombé à plusieurs reprises sur L’Oeuvre d’Orient[vi], dirigée par le père Pascal Gollnich (le frère de l‘homme politique du Front National), et j’ai constaté son positionnement extrêmement trouble et équivoque dans cette histoire. Je ne me suis intéressé qu’en passant à cet aspect du problème, mais je suis certain qu’une étude plus approfondie amènerait son lot de révélations surprenantes.

Le patriarche melchite Grégoire III Laham

le patriarche melchite Grégoire III Laham 3

Grégoire III Laham est le patriarche de l’Église catholique melkite qui compte seulement 180 000 fidèles. C’est néanmoins une personnalité importante de l’Eglise catholique : ainsi, présida-t-il la messe de funérailles du pape Jean Paul II ou joua-t-il un rôle clé lors du dernier synode des Evêques pour le Proche-Orient. Dans un appel du 9 juillet 2012[vii], Mgr Laham, dénonce avant toute chose « l’ingérence d’éléments arabes et occidentaux », une ingérence qui « se traduit par les armes, l’argent et les moyens de communications à sens unique, programmés et subversifs. » Cette ingérence est « nuisible même à l’opposition », et « affaiblit aussi la voix de la modération qui est spécifiquement celle des chrétiens et, plus particulièrement, la voix des Patriarches et des Évêques ». Il dénonce par ailleurs le procès qui est fait aux chrétiens de Syrie d’être des suppôts du régime :

« Nous considérons que ce sont les positions de certaines personnalités, d’une presse déterminée et d’institutions particulières qui nuisent aux chrétiens en Syrie et les exposent au danger, à l’enlèvement, à l’exploitation et même à la mort. Ces positions accablent les chrétiens de fausses accusations, semant le doute dans leurs cœurs et diffusant la peur et l’isolement. Par suite, elles aident à leur exode à l’intérieur du pays ou à l’extérieur ».

On ne peut s’empêcher de penser aux positions du père Paolo dall’Oglio sur ce point… Cette présentation systématique des chrétiens comme « collés au régime » les désigne comme une cible pour les groupes armés :

« Ce sont ces positions elles-mêmes qui prétendent intempestivement s’intéresser aux chrétiens qui peuvent augmenter le radicalisme de certaines factions armées contre les chrétiens. Elles exacerbent les relations entre les citoyens, particulièrement entre les chrétiens et les musulmans comme ce fut le cas à Homs, à Qusayr, à Yabrud et Dmeineh Sharquieh. ».

Il place ses espoirs dans le mouvement Mussalaha[viii] (réconciliation) :

« C’est ce qui prépare la voie à la résolution du conflit. Nous avons beaucoup d’espoir dans la création de ce nouvel organe qu’est le ministère de la Réconciliation. » Mgr Laham pointe par ailleurs l’influence écrasante du conflit israélo-palestinien dans les malheurs de la Syrie :

« La division du monde arabe a toujours été la cible majeure interne et externe. Cette division est la raison des dangers qui guettent la région et elle est la cause de l’absence d’une solution juste et globale au conflit israélo-palestinien. Ce conflit est le fondement et la cause primordiale de la plus grande partie des malheurs, des crises et des guerres du monde arabe. »

Ce conflit « est la cause primordiale de l’exode des chrétiens ». Cet appel de Mgr Laham a été pratiquement ignoré par les grands médias commerciaux français. Seul le journal La Croix, le 23 juillet 2012, lui a consacré un article[ix]. Le journaliste François-Xavier Maigre y fait une présentation équilibrée des positions de l’homme, sans y mettre une quelconque réserve comme c’est presque toujours le cas. Quand on constate ces positions, on comprend mieux pourquoi les médias traditionnels l’ont complètement passé sous silence. Au-delà du fait qu’il dénonce l’infiltration d’éléments non syriens et occidentaux, qu’il évoque comme le plus grand danger pour les chrétiens, il dénonce également l’analyse la plus courante du point de vue des chrétiens par les grands médias de masse occidentaux, qui à l’instar du père Paolo dall’Oglio, les présentent comme des collabos ou des brutes assommées par la propagande du régime. Mgr Laham suggère ainsi que ces médias ont une responsabilité indirecte dans les persécutions dont les chrétiens sont victimes.

Mgr Antoine Audo

 

Mgr Antoine Audo 4

Monseigneur Audo est l’évêque des chrétiens chaldéens de Syrie. Il est également le président de Caritas pour la Syrie, ce qui l’amène à venir en aide aux victimes de la guerre de diverses manières : achats de médicaments, couvrements des frais de scolarité, aide aux personnes âgées, aide à la reconstruction. Mgr Audo est donc une personne très bien informée. Il a effectué un séjour en France en juin 2012, ce qui a donné l’occasion à des médias indépendants et/ou chrétiens de recueillir son point de vue sur la situation en Syrie. Les citations suivantes sont extraites d’une interview réalisée par l’Eglise catholique de Moselle, et d’un entretien accordé au site Aide à l’Eglise en Détresse[x] (AED).Aucun média n’a relayé ses prises de position.

Mgr Audo affirme que le président syrien est largement soutenu par le peuple syrien toutes tendances confondues : « Quatre-vingt pour cent de la population est derrière le gouvernement, comme le sont les chrétiens ». Il dénonce la partialité de la couverture des événements par les médias occidentaux ou arabes :

« Dans certains médias, tels que la BBC ou Al-Jazeeera, on constate une certaine orchestration visant à déformer le visage de la Syrie. Le gouvernement respecte les personnes qui respectent la loi et l’ordre. La Syrie a beaucoup d’ennemis, et le gouvernement doit se défendre, ainsi que le pays. Il y a une guerre d’information contre la Syrie. La retransmission des médias n’est pas objective. Nous devons défendre la vérité en tant que Syriens et chrétiens. »

Il dénonce l’ingérence étrangère en Syrie :

« Le régime continue de se défendre contre des groupes armés dont certains membres viennent des pays qui entourent la Syrie. J’ai parfois le sentiment que ces groupes utilisent les médias pour servir leur cause et provoquer un changement dans le pays. Le réel est toujours plus complexe et plus nuancé quand on le vit de l’intérieur. »

Il redoute que l’effondrement du régime ne plonge la Syrie dans un enfer à l’irakienne et ne soit cause d’un exode massif des chrétiens :

«  Le risque est de remplacer une dictature militaire par une autre dictature théocratique. C’est ce que l’on craint. En étant réaliste, voyez ce que l’Irak a donné : la moitié des chrétiens a quitté le pays et moi je les ai vu arriver, nombreux, en Syrie. »

Caritas (et donc Antoine Audo) avait en effet en 2005 participé à l’accueil des chrétiens qui fuyaient en masse l’Irak en proie aux violences interconfessionnelles. La Syrie, ce qu’on oublie trop souvent, à l’époque a accueilli 1 200 000 réfugiés irakiens sur son sol.
La position de Mgr Audo a été complètement ignorée par les grands médias commerciaux. Seul le journal La Croix, dans son édition du 14 juin 2012[xi], lui a consacré un petit article, transcription d’un entretien avec François Xavier Maigre à l’occasion du passage de l’évêque en France. Son propos y est extrêmement modéré par rapport en comparaison de ce qu’il peut déclarer sur des médias indépendants.

Mère agnés 5

Mère Agnès-Mariam de la Croix est une religieuse franco-libanaise, prieure du monastère Saint-Jacques-le-Mutilé, à Qara, à 70 km de Homs, où elle réside depuis 12 ans. Le cas de cette religieuse est différent des précédents, dans la mesure où les grands médias ont été obligés d’en parler à l’occasion de l’affaire Jacquier, du nom de ce reporter tué par des éléments de la « rébellion » à Homs en janvier 2012. Elle avait obtenu des visas pour un groupe de journalistes français venant rendre compte des événements, et les accompagnait parfois dans leurs déplacements divers. Gilles Jacquier a trouvé la mort à Homs, au moment où les combats faisaient rage. Désireux de se rapprocher du feu de l’action, malgré les avertissements de mère Agnès-Mariam, il est tué par un mortier thermobarique. L’affaire fait grand bruit en France : Gilles Jacquier est le premier journaliste français à périr dans la Syrie en guerre. A cette occasion, de nombreux articles sont publiés dans les médias commerciaux de masse, et fatalement son cas y est évoqué. Quand ils l’évoquent rapidement ils se contentent de préciser que mère Agnès-Mariam est « une proche du régime » (Libération[xii]) , « une religieuse libanaise favorable au régime » (Le Point[xiii]) , « une religieuse favorable au régime syrien » (id) (L’Express[xiv]) . Quand ils entrent un peu dans le détail, de façon systématique, ils recourent à des expressions péjoratives, et dénoncent la position qu’elle occupe. Angela Bolis, du journal Le Monde la qualifie ainsi « de personnalité ambiguë qui affiche son soutien au régime »[xv]. Pour l’association Souria Houria, sans surprise, mère Agnès-Mariam est « la grande avocate du régime de Bachar el-Assad »[xvi]. Pour Christian Cannuyer, dans La Vie, elle serait (avec d’autres), « manifestement stipendiée ou manipulée », et son comportement « confine à la collaboration »[xvii]. Certains articles vont jusqu’à laisser planer l’hypothèse qu’elle serait peut-être responsable de la mort de Gilles Jacquier. Le Dauphiné rapporte ainsi que, pour la compagne du journaliste décédé :

« La thèse du guet-apens ne fait pas de doute : « Il ne voulait pas aller à Homs. Il a été contraint par la sœur Marie-Agnès. Face à son refus, elle lui a dit qu’il ne lui restait que deux jours avant de quitter la Syrie. Cette religieuse lui avait permis d’obtenir son visa d’entrée et celui de Christophe Kenck, son collègue »[xviii] .

Le magazine Envoyé Spécial a lui aussi relayé cette accusation. Cette version de l’histoire est réfutée par l’intéressée :

« La réalité, c’est que Monsieur Gilles Jacquier, que Dieu ait son âme, avait fait par écrit une demande de visa pour aller à Homs.(…) Avant qu’ils y aillent, j’ai demandé et j’ai informé expressément le délégué de l’AFP, qui parle l’arabe, et la responsable de l’information, qu’il fallait être de retour à 15 heures : le couvre-feu à Homs commençait en effet à 15 heures de l’après-midi et il ne fallait surtout pas y circuler au-delà de 15 heures. Cela a été dit et il y avait des témoins. (…) Cette équipe a fait fi des directives des militaires qui les avaient accompagnés à leur demande et elle s’est perdue. Pourquoi était-il impératif de rentrer avant 15 heures ? ça je l’ai expérimenté moi-même, quand je suis passée à Homs : à 15 heures, tous les jours, les rebelles commençaient à attaquer de toutes parts et cela, personne, aucune presse ne l’a dit. »

Du reste il est maintenant avéré, si l’on en croit George Malbrunot pour Le Figaro du 17 juillet 2012[xix], que M. Jacquier n’a pas été tué dans un guet-apens organisé par l’armée, mais par une roquette tirée par les groupes armés.

On peut également relever quelques portraits réalisés par des journalistes, qui la présentent comme proche des milieux d’extrême droite ou citée dans des sites qui parlent de façon complaisante de Robert Faurisson. Rien de neuf sous le soleil…

Si le nom de « Marie-Agnès » a été abondamment cité dans les médias, c’est donc, soit de façon succincte et toujours en la définissant par son « soutien au régime d’Assad », soit comme une personne douteuse et peu digne de confiance, et parfois comme une auxiliaire active du régime éventuellement responsable de la mort de Gilles Jacquier.

De façon frappante, pratiquement pas un seul article ne développe certaines des prises de position et analyses qu’elle a pu faire de la situation sur place. Elle a ainsi pris à plusieurs reprises des positions tranchées dans lesquelles elle dénonce la partialité et les mensonges des médias commerciaux.

« Les journalistes de la propagande atlantique, les propagandistes à la Goebbels n’ont montré que la moitié de ce qui se passe en Syrie. Et encore, ils ont truqué leurs reportages. »

Mère Agnès-Mariam fait le parallèle, comme le père Zahlaoui, entre les mensonges médiatiques sur la Syrie et ceux qui ont permis l’invasion de l’Irak et de la Libye : « C’est faux qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak, et on a attaqué Saddam Husseïn. C’était faux que Kadhafi allait faire un génocide contre son peuple en Libye. l’ONU a fait 150000 morts. » Elle dénonce également le traitement horrible que réservent les mercenaires étrangers aux chrétiens, par exemple à Homs :

« Suite à une mission d’information avec des médias catholiques j’ai été amenée à visiter la ville de Homs et ses environs. J’ai été remuée au plus profond de ma conscience par la tragédie que vit la population civile, notamment les chrétiens. Ces derniers sont surtout concentrés dans les quartiers centraux de la ville qui sont devenus le repaire de bandes armées que personne jusqu’à présent n’a réussi à identifier. Toujours est-il que ces bandes imposent une loi martiale en vertu de laquelle les fonctionnaires qui rejoignent leur travail sont susceptibles de représailles, les enseignants dans les écoles publiques, inclus. De même les artisans, les vendeurs et même ceux qui ont une profession libérale sont la cible d’actes terroristes qui visent à paralyser la vie sociale. Les résultats de ces méthodes coercitives sont des plus terribles : chaque jour des innocents sont égorgés ou kidnappés. Des familles perdent ainsi le père, le fils ou le frère. Les veuves et les orphelins sont dans la nécessité. Ceux qui n’ont pas affronté le spectre de la mort doivent faire face à la séquestration forcée dans leurs domiciles où ils cherchent à survivre sans travail. »

Cette dernière citation est extraite d’un Appel qu’elle a lancé le 26 décembre 2011, pour qu’enfin le monde prenne conscience de ce qui se passe réellement en Syrie. Cet appel, comme les lettres du père Zahlaoui, ne sera jamais relayé dans un média commercial.
Ce passage sous silence intégral des positons de Mère Agnès-Mariam est d’autant plus choquant qu’elle a effectué plusieurs passages en France depuis le début de la crise. Recueillir son témoignage n’avait rien de compliqué. Ainsi en décembre dernier, lors de son avant-dernier passage dans la capitale, elle a participé à un colloque organisé par L’Institut pour la Démocratie et la Coopération (IDC) en compagnie de l’ambassadeur de Russie en France, et deux médias indépendants ont pu l’interviewer : le journal L’Audible, et la chaîne Méta TV. L’ignorance de ce témoignage aux antipodes de la version officielle se comprend mieux, si l’on a en tête la présentation caricaturale et diffamatoire qui en est faite depuis l’affaire Jacquier par les grands médias.

Retour au père Paolo

Nous nous posions la question au départ de savoir pourquoi le père Paolo était la coqueluche de certains journalistes encartés, et pourquoi toutes les autres autorités chrétiennes de Syrie étaient intégralement passées sous silence. Au terme de ce parcours il n’est pas très difficile de répondre à cette question, même si c’est difficile à admettre.

Le père Paolo a bénéficié de cette couverture médiatique exceptionnelle car c’est la seule « autorité » chrétienne de Syrie (bien que non-Syrien par ailleurs rappelons-le) à appuyer la version officielle faisant peser toute la responsabilité de la crise et des massacres sur le gouvernement de Bachar el-Assad. La plupart des journalistes qui ont écrit sur lui ou qui l’ont interrogé prennent eux-mêmes souvent soin de le reconnaître. Cela implique que les médias commerciaux (ceux qui occupent les postes clés, pas les journalistes qui souffrent de cette censure), dans leur totalité, ont reçu pour consigne de ne rapporter que cette sorte de témoignage, et que tous ont obéi à la lettre. C’est la raison pour laquelle, inversement, tous les témoignages que je viens de citer ont été ignorés, et leurs auteurs pour certains caricaturés ou diffamés.

Les médias qui ont aveuglément et complaisamment relayé les positions du père Paolo pouvaient d’autant moins donner une tribune à leurs auteurs que tous mettent en cause la partialité du traitement médiatique de la crise syrienne par la presse occidentale. Fait aggravant pour cette presse, ces autorités religieuses avancent que la crise syrienne est couverte par un média mensonge comparable à celui qui a précédé l’invasion de l’Irak et de la Libye. Impensable pour l’instant de remettre en cause dans les médias traditionnels à la fois la version officielle des événements de Syrie et de Libye.

Quant au poids du conflit israélo-palestinien dans cette dramatique équation…

Certains journalistes influents des médias commerciaux français ont menti sur le témoignage des chrétiens de Syrie, comme ils ont menti sur les autres aspects de la crise syrienne. Les médias français, une nouvelle fois, comme dans l’affaire libyenne, comme pour les attentats du 11 septembre 2001, ont joué pleinement le rôle moderne qui est désormais le leur : celui de complice dans la justification par le mensonge aux yeux de l’opinion publique d’une guerre illégale accompagnée d’exactions horribles, de massacres de masse, et entraînant l’exode de centaines de milliers de réfugiés.

Actualisation (mars 2015)

Près de deux années se sont écoulées depuis la rédaction de cette chronique en mai 2013. Il me semble important de faire un point sur l’évolution de la couverture médiatique française du point de vue des chrétiens de Syrie.

A partir de septembre 2013, une grande campagne politique et médiatique a été orchestrée pour venir en aide au « chrétiens d’Orient ». Tous les hommes politiques et médias qui ont contribué pendant les trois premières années de la guerre à la censure du point de vue des autorités chrétiennes de Syrie se sont soudain saisis de cette question en montrant la compassion la plus vive des « chrétiens d’orient ». Une étude même superficielle de cette « révélation » montre qu’il ne faut en aucun cas la considérer comme sincère. J’y reviendrai peut-être quand j’aurai le temps d’étudier ce sujet de façon aussi approfondie que je l’ai fait pour le parcours du père Paolo.

Qu’il me suffise de dire que cette expérience du type « chemin de Damas » faite par ceux qui n’ont de cesse depuis mars 2011 de raconter tout et n’importe quoi pour installer dans l’opinion la nécessité de renverser Bachar el-Assad manu militari, n’est pas passée, justement, par Damas. Le point de vue des autorités chrétiennes de Syrie est toujours autant ignoré, et le sort des chrétiens de Syrie est toujours aussi catastrophique, à l’instar du reste des autres composantes de la société syrienne. Il suffit de passer en revue quelques déclarations récentes d’autorités chrétiennes de Syrie pour s’en rendre compte.

Voici par exemple ce qu’écrit le père Elias Zahlaoui dans une lettre ouverte au peuple français, suite aux événements terroristes de Paris. Je cite pour clore cet article un large extrait de cette lettre très émouvante qui a été reprise par de nombreux médias indépendants comme Arrêt Sur Info, et totalement ignorée dans les médias traditionnels. Dans ses premières lettres ouvertes à Alain Juppé ou François Hollande, on sentait encore une lueur d’espoir d’être entendu et écouté. A présent l’on comprend – au ton extrêmement sombre et solennel de cette dernière lettre – que le père Zahlaoui a abandonné tout espoir de voir des positions comme la sienne relayées par les médias au grand public, qu’il continue pourtant de mettre en garde, à la lumière de la récente affaire Charlie Hebdo.

« Mes amis,

Certains d’entre vous savent qu’il m’est arrivé d’écrire de nombreuses lettres, tant personnelles qu’ouvertes, à nombre de vos responsables politiques et religieux (lettre à François Hollande, à Alain Juppé, etc.). Mais ce n’est que peine perdue. Pourtant, ces lettres étaient loin d’être feutrées. Je n’y manquais pas de les prévenir, depuis de longues années, qu’infailliblement, un jour ou l’autre, la violence qu’ils ont déchaînée dans le monde arabe, et depuis près de quatre ans en Syrie –en y envoyant des centaines de milliers de combattants soi-disant « Djihadistes », de 83 pays, dont des pays européens– leur retombera, d’une façon ou d’une autre, sur la tête. Je ne crains que « Charlie-Hebdo » n’en soit que le prélude. N’oubliez pas votre fameux dicton : « Qui sème le vent, récolte la tempête ! » Puisse cette tempête n’être pas une tornade…

Mes amis,

Je sais que la plupart d’entre vous n’y sont pour rien, et que vous trimez comme quatre, comme vous dites, pour vous en sortir. De plus, noyés comme vous l’êtes par les médias dominants faux et mensongers, vous finissez toujours par confier à vos dirigeants, sans le savoir, le soin de conduire la France, tôt ou tard, au fond du gouffre.

Laissez-moi donc le soin aussi de vous faire savoir très brièvement que, selon les Nations Unies, la moitié de la population syrienne, qui est de l’ordre de 24 000 000 d’habitants, est sur les routes, soit à l’intérieur du pays, soit ailleurs sur terre, voire sur mer ! Or aujourd’hui, il fait à Damas -2 degrés, à Maaloula-, 8 degrés.

Imaginez donc un moment les 33 000 000 de personnes qui représentent la moitié de la population française, sur les routes de France et du monde.

Quant aux tués en Syrie, ils sont de l’ordre, toujours selon les Nations Unies, de 300 000 morts.

Beau et valeureux bilan à incruster sur les blasons d’or de vos présidents, Sarkozy et Hollande !

Mes amis,

Cela vous évoque-t-il quelque chose ?

Cela vous invite-t-il à faire quelque chose ?

Cela vous incite-t-il à interpeller vos « irresponsables » évêques, devenus, hélas, depuis des décades, rien moins que des momies ?

Et Jésus-Christ dans tout cela, vous dit-il encore quelque chose ?

Amis de France,

Où que vous soyez et quels que vous soyez, je vous transmets sincèrement ma compassion et mon espoir.

Pr. Elias Zahlaoui, Eglise Notre-Dame de Damas Koussour

Damas, le 10/01/2015 »

***

Au moment où je termine cette chronique je découvre deux témoignages bouleversants du docteur Nabil Antaki : Triste Anniversaire et Le Dr Nabil Antaki parle des souffrances quotidiennes à Alep . Une personnalité chrétienne exceptionnelle qui vient en aide au quotidien – avec sa congrégation et ses compétences médicales – aux habitants d‘Alep plongés aujourd’hui dans une détresse inimaginable.

A suivre…

François Belliot

  • Article initialement publié sur le site arretsurinfo.ch le 5 mars 2015
  • Toutes ces chroniques sur la guerre en Syrie sont regroupées dans les deux volumes parus aux éditions Sigest en 2015 et 2016, disponibles uniquement sur commande :

Volume 1 : Guerre en Syrie, le mensonge organisé des médias et des politiques français : http://editions.sigest.net/page00010171.html

Volume 2 : Guerre en Syrie, quand médias et politiques instrumentalisent les massacres : http://editions.sigest.net/page00010179.html

Notes

[i] http://www.michelcollon.info/Lettre-ouverte-d-un-pretre-syrien.html

[ii] http://www.michelcollon.info/Lettre-ouverte-d-un-pretre-syrien.html

[iii] http://www.legrandsoir.info/lettre-ouverte-d-un-pretre-arabe-de-syrie-a-mr-francois-hollande.html

[iv] http://silviacattori.net/article4171.html

[v] http://www.lavie.fr/

[vi] http://www.oeuvre-orient.fr/

[vii] http://www.oeuvre-orient.fr

[viii] « Musalaha), c’est un effort communautaire, une initiative non-violente née à Homs, centre d’affrontements entre l’armée syrienne et les groupes armés. Elle associe des membres des communautés ethniques et religieuses fatigués par la guerre. Elle se propose comme « troisième voie » alternative au conflit armé et elle veut conjurer même une intervention armée de l’extérieur (même si celle-ci indirectement existe depuis longtemps). Elle dit « non » à la poursuite des violences. Non à la guerre civile et aux violences sectaires. » Cette citation est extraite d’un article de Marinella Correggia consultable ici : http://www.mondialisation.ca/

[ix] http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/

[x] http://www.aed-france.org

[xi] http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/

[xii] http://www.liberation.fr

[xiii] http://www.lepoint.fr

[xiv] http://www.lexpress.fr

[xv] http://www.lemonde.fr/

[xvi] http://souriahouria.com/

[xvii] http://www.lavie.fr/

[xviii] http://www.ledauphine.com/

[xix] http://www.lefigaro.fr/

 

 

 

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