Sommaire
Étymologie du mot souverainisme
Le mot « souverain » est attesté au Moyen-Âge dans le sens de « celui, celle qui détient le pouvoir dans une monarchie ». Par extension le mot signifie par la suite une « personne (monarche) ou ensemble de personnes (l’aristocratie ou l’ensemble du peuple) incarnant la puissance publique dans un État (monarchie ou république) ». le mot « souverain » a donné celui de « souveraineté » au XIIème siècle, dans le sens de « pouvoir suprême, incarnation de la puissance publique » . C’est dans ce sens qu’on retrouve le terme dans le troisième article de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 3 septembre 1791 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Cet article marque théoriquement le transfert du pouvoir d’une personne unique (le monarque) à l’ensemble de la collectivité nationale (le peuple).
Apparition du mot souverainisme au Québec
C’est dans les années 60 et au Québec qu’apparaît le mot « souverainisme« . Depuis 1767 et la perte définitive de la « Nouvelle France » au profit de l’Angleterre, les citoyens de souche française doivent lutter contre les tentatives d’assimilation, et des lois contraignantes sur le plan religieux et institutionnel. Ces contraintes exercées par la couronne britannique entraînent la création de mouvements séparatistes comme celui des « Patriotes » au milieu du XIXème siècle, mouvements à chaque fois durement réprimés. La création de la confédération du Canada en 1867 accentue cette marginalisation, tout en divisant la communauté francophone en deux camps, celui des fédéralistes, et celui des anti fédéralistes. La voix du mouvement indépendantiste ne faiblit cependant pas, et en 1960, la « Révolution Tranquille » débouche sur plus d’autonomie pour le Québec, qui se dote d’un état providence, et peut privilégier le fait français. L’expression de « souverainisme« est alors utilisé par les Québecois comme euphémisme à la place d’ »indépendantisme » et de « séparatisme« , jugés trop tranchants. Il est à noter que c’est dans ce contexte de regain du « souverainisme » au Québec que le général de Gaulle, en 1967, prononce son fameux discours dans lequel il déclare : « Vive le Québec libre ! ».
Développement du souverainisme en France
De façon frappante, c’est pour des raisons identiques que se développe le mouvement souverainiste en France, parallèlement au développement de l’Union Européenne. Les souverainistes français s’opposent au fédéralisme européen. Les premiers, appelés souvent « eurosceptiques », redoutent une dissolution de l’identité de la France et un effondrement de sa marge de manœuvre politique, financière, et diplomatique, au profit d’un état fédéral européen qu’ils jugent incertain et anti démocratique ; les seconds sont disposés au contraire à abandonner la souveraineté nationale au profit de cette entité. Certaines analyses sont encore plus sombres :
Le mouvement souverainiste en France
Peuvent être considérés comme des partis souverainistes : « Debout la République » de Nicolas Dupont-Aignan, le Front National de Marine le Pen, l’Union Populaire Républicaine de François Asselineau, le Centre Royaliste d’Action Française, le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement, enfin le Pôle de Renaissance Communiste en France de Georges Gastaud. Le souverainisme est donc défendu par des partis minoritaires, peu médiatisés, ou situés à l’extrême droite ou à l’extrême gauche de l’échiquier politique, ce qui rend improbable pour l’instant l’unification de ces branches dans un mouvement unitaire. Certains souverainistes commencent cependant à plaider pour une alliance trans-courants, construite autour des valeurs du Conseil National de la Résistance, qui vit à la fin de la Seconde Guerre Mondiale gaullistes et communistes s’asseoir autour d’une table pour jeter ensemble les bases de la refondation française. Le NON au référendum sur le projet de constitution européenne en 2005, peut être considéré comme la seule circonstance à ce jour dans laquelle les différentes branches du mouvement souverainiste français se sont retrouvées à combattre dans le même camp.
Les deux grands partis politiques français, le PS, et l’UMP, malgré des discours de façade dans lesquels ils déclarent se soucier avant tout de l’intérêt national, sont très majoritairement fédéralistes, et hostiles aux idées souverainistes. La ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne (annulant de facto le NON exprimé par le peuple français par la voie des urnes), ou plus récemment du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), donnent une idée assez éclatante de la conversion des élites politiques françaises au fédéralisme européen.
La marginalisation des idées souverainistes est accentuée par le fait qu’elles sont systématiquement associées au Front National, le plus important parti de France à porter ces idées. Les dirigeants de ce parti tiennent fréquemment et ouvertement des positions xénophobes, et les grands médias français ont fait le choix, à l’unisson et depuis des décennies, de le couvrir sous cet angle exclusif, pour le réduire à une entité diabolique. Le souverainisme est ainsi artificiellement amalgamé à des idéologies ultra pénalisantes
Le mouvement souverainiste en France, un destin à la québecoise ?
Revenons pour finir sur l’origine québecoise du mouvement souverainiste. Jusqu’à quel point la situation des deux pays est-elle comparable ? Certains, comme le professeur Denis Monière, de l’université de Montréal, n’hésitent pas à aller très loin dans le parallèle : « Par une ruse de l’histoire, l’histoire du Québec annonce peut-être l’histoire à venir de la France. Autrement dit, le Québec a peut-être un siècle d’avance sur le destin de la France en ce sens que le Québec a vécu depuis la mise en place de la fédération canadienne les conséquences de l’étiolement de la souveraineté et c’est cette situation qui pourrait caractériser l’avenir de la France au tournant du millénaire où se profile l’institution d’une fédération européenne. «
Il est sans doute trop tôt pour vérifier la pertinence de cette prophétie ; maintenant, il est indéniable que le transfert accéléré de pans très importants de la souveraineté française vers un état fédéral européen est un événement historique qui n’a rien d’anodin et qui pose forcément question.
François Belliot
Article premièrement paru dans feu le journal l’Audible