Voici le deuxième article du désormais ODME, qui va nous emmener dans le Texas des années 1850 : l’anéantissement de la patrouille du colonel Thornton, dans les parages de Fort Texas, le long du Rio Grande le 25 avril 1846 est l’élément déclencheur de la guerre entre le Mexique et les États-Unis, qui se solde par la prise de Mexico par les forces étasuniennes un an plus tard et la cession du Nouveau-Mexique, de la Californie, de l’Utah, du Nevada et de l’Arizona, à la faveur du traité de Guadalupe Hidalgo le 2 février 1848.
Actualisation (2018) : la vérité, qui peut-être dite aujourd’hui, c’est que j’ai été trahi par Reopen911, qui, nous avons fini par nous en rendre compte, était sous son apparence de blanche colombe lanceuse d’alerte, un fourbe organe de la « contestation contrôlée », dont la raison d’être était de détourner les « truthers » de l’accablante piste israélo-sioniste vers celle de « l’inside job » étasunien dans la planification et la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001. On lira avec profit à ce propos, le dernier chapitre de l’ouvrage de Laurent Guyénot: JFK-11 septembre, 50 ans de manipulations.
Sommaire
Bibliographie
Cet article a été élaboré à partir du chapitre de l’histoire populaire des États unis de Howard Zinn consacré à cet épisode, des pionniers au Texas 1850-1880, de Matthieu Verlet, de l’Histoire du Mexique de Brian R.Hamnett ; un ensembled’articles wikipedia fait le tour de l’affaire dans tous ses tenants et aboutissants (le traité de Hidalgo-Guadalupe, la guerre américano-mexicaine, thornton affair, le siège de Fort Texas,l’indépendance du Mexique), et renvoient à des documents d’histoire cruciaux comme le discours de Lincoln au congrès des États-Unis, dans lequel ce dernier dénonce les mensonges du président James Knox Polk, à l’origine du mensonge d’état qui permet 2 ans plus tard, d’annexer 2 millions de kilomètres carrés de terres nouvelles.
Les faits, selon la version officielle de mai 1846
En Février 1846, le président des États-Unis James Knox Polk, ordonne au général Zachary Taylor de se rendre sur les rives du Rio Grande, frontière naturelle avec le Mexique, pour y établir un poste avancé. Ce dernier franchit le Rio Nueces avec 3000 hommes, et, atteignant les rives du Rio Grande fait édifier Fort Texas, juste en face de son équivalent mexicain de Matamoros, près de l’embouchure du Rio Grande. Le 26 avril, le général Taylor ordonne au colonel Thornton de partir en patrouille le long du fleuve afin de se rendre compte si l’armée mexicaine est en train de franchir le Rio Grande pour pénétrer sur le territoire étasunien. La patrouille est prise en embuscade par 2000 cavaliers mexicains dirigés par le général Anastasio Torrejon, qui tuent 16 soldats étasuniens, et en font prisonniers 49 autres. Craignant une attaque imminente de l’armée mexicaine, le général Taylor laisse 500 hommes dans le fort avec de l’artillerie, et marche avec le gros de ses troupes vers Port Isabel, point de passage obligé du ravitaillement du fort. De là, Taylor envoie un message alarmiste à Washington, et demande aux gouverneurs de Louisiane et du Texas de lui envoyer des renforts conséquents. Dans le même temps, l’armée mexicaine, jugeant la situation favorable, commence l’assaut du fort. Le général Taylor revient à temps avec le ravitaillement et renverse une situation compromise, lors de la bataille de Palo Alto. Quand le président Polk apprend la nouvelle, son sang ne fait qu’un tour. La destruction de la patrouille de Thornton constitue une lâche agression. Les Mexicains ont ostensiblement foulé aux pieds une frontière dont le tracé était pourtant bien établi. Bref, face à cet acte odieux et attentatoire au respect des traités, les États-Unis d’Amérique se doivent de déclarer la guerre au Mexique pour lui faire subir un douloureux châtiment. Devant le congrès, le président Polk s’enflamme : « Les limites du supportable étaient depuis longtemps dépassées avant même que nous ne recevions ces informations en provenance de la frontière d’El Norte. Mais à présent, après des menaces réitérées, le Mexique a franchi la frontière des États-Unis, envahi notre territoire et versé le sang américain sur le sol américain ; La guerre ayant déjà commencé, malgré tous nos efforts pour l’éviter, par la faute du Mexique lui-même, nous nous devons par devoir et par patriotisme de faire valoir vigoureusement nos droits, notre honneur, et les intérêts du pays.«
carte délimitant la zone frontière litigieuse entre les États-Unis et le Mexique
Les motifs réels du déclenchement de la guerre contre le Mexique
Cette interprétation simplifiée de l’événement ne résiste pas à un examen un peu approfondi.
- Il existait un lourd contentieux diplomatique entre le Mexique et les États Unis. Après un soulèvement organisé par les États-Unis en 1835, le Texas était devenu une république indépendante, avant de devenir un nouvel état de l’Union en 1845. Le basculement de cette énorme province d’un camp dans l’autre entraîna de compréhensibles tensions avec le Mexique, état indépendant depuis 1821. Signe de cette tension, les deux états n’étaient pas d’accord sur le tracé de la « frontière ». Selon les États-Unis, c’était le Rio Grande, aujourd’hui frontière naturelle entre les deux pays, pour le Mexique c’était le Rio Nueces, 300 kilomètres plus au nord. Ce fleuve constituait pour les Mexicains la frontière de la province du « Tejas ». Par ailleurs le traité Adams Onis de 1821 entre les États-Unis et l’Espagne, qui permit aux premiers de récupérer l’état de Floride, stipulait que les États-Unis abandonnaient toute revendication du Texas. Ce traité avait été reconduit après l’indépendance du Mexique en 1821. La zone comprise entre le Rio Nueces et le Rio Grande était majoritairement peuplée de Mexicains et l’accord réel stipulait que la zone comprise entre les deux fleuves, et non l’un des deux fleuves, constituait la frontière. En recourant à une comparaison un peu outrée, c’est comme si l’Alsace-Lorraine constituant, dans un cas de figure imaginaire, une zone tampon démilitarisée entre la France et l’Allemagne, l’un des deux pays prenait soudain l’initiative de construire un Fort Texas, à Strasbourg pour la France, un Matamoros à Bar-le Duc pour l’Allemagne (et inversement). Précisons enfin (voir carte ci-dessus), que le choix du Rio Grande comme frontière permet aux États-Unis de s’étendre non seulement vers le sud, mais aussi profondément vers l’ouest.
- De nombreuses déclarations d’officiels étasuniens, jusqu’à la présidence des États-Unis, affichaient clairement l’objectif d’étendre les frontières de l’Union à tout prix, vers le sud et vers l’ouest. Le rôle du président Polk fut si prépondérant que la guerre mexicaine est également appelée la « guerre de Polk ». Le soir même de son investiture, Polk confie à son secrétaire à la marine que l’un de ses principaux objectifs est de conquérir la Californie, province rattachée au Mexique depuis l’indépendance de ce pays en 1821. Le journal Union de Washington, début 1845, avait expliqué l’annexion du Texas en ces termes : « Que l’importante mesure de l’annexion du Texas s’accomplisse et qu’on règle avec lui les questions de la frontière et de la revendication des terres. Car qui peut arrêter le flot impressionnant qui se déverse toujours plus vers l’ouest ? La route de la Californie nous sera ouverte. Qui pourrait, en effet, empêcher la marche de concitoyens vers l’ouest ? » Plus loin, le même journal soutenait : « un régiment de volontaires parfaitement organisés pourrait envahir et se répandre au Mexique et finalement l’occuper. Il nous permettrait ainsi non seulement de prendre la Californie, mais également de la conserver. » Quelques temps après, à l’été 45, John O’Sullivan, rédacteur en chef de la Democratic Review, recourut à cette formule devenue célèbre : « C’est la « destinée manifeste » du peuple américain que de se répandre sur le continent que la Providence lui a assigné afin de permettre le libre développement de notre population qui croît annuellement de plusieurs millions d’individus. »
- La guerre avec le Mexique s’inscrit dans un contexte d’expansion territoriale continue depuis 50 ans. Comme pour le cas de l’incident de Mukden, que nous avons traité dans l’article précédent, l’événement survient dans une séquence d’expansion territoriale galopante des États-Unis, dans laquelle il fait figure de péripétie si on le replace dans un contexte historique plus vaste. La carte suivante montre l’expansion continentale des États-Unis entre 1776 et 1947. Les 30 années qui précèdent la guerre du Mexique, les États-Unis s’augmentent de l’Indiana (1816), du Mississippi (1817), de l’Illinois (1818), de l’Alabama (1819), du Missouri (1821), du Maine (1829), du Michigan (1837), de la Floride (1842) enfin du Texas (1945). Les 20 années qui succèdent à la guerre du Mexique, les Etats-Unis s’augmentent de la Californie (1850), du Minnesota (1858), de l’Oregon (1859), du Kansas (1861), de l’Alaska (1867). Bref, au vu de la dynamique expansionniste des États-Unis à cette époque, il était probable que tôt ou tard un gouvernement étasunien s’emparât de n’importe quel casus belli pour disputer au Mexique une partie de son territoire.
- Certaines déclarations des premiers militaires étasuniens présents à Fort Texas montrent que beaucoup ne comprenaient pas ce qu’ils faisaient là. Le colonel Hitchcock note dans son journal : « Dès le départ, j’ai dit que les tats-Unis étaient l’agresseur. Nous n’avons pas le moindre droit de nous trouver ici. C’est comme si le gouvernement avait envoyé une troupe peu nombreuse dans l’intention de provoquer la guerre afin de s’offrir un prétexte pour s’emparer de la Californie et d’autant d’espace qu’il le voudra. En effet, quoiqu’il advienne de cette armée-ci, il ne fait aucun doute qu’il y aura une guerre entre les États-Unis et le Mexique. Cette affaire ne me plaît pas mais en tant que soldat je suis obligé d’obéir aux ordres. »
- Le président Polk avait prévu dans tous les cas de déclencher une guerre contre le Mexique, comme l’attestent certains documents : le 9 mai, alors que la nouvelle de l’anéantissement de la troupe du colonel Thornton ne lui est pas encore parvenu, il demande à son cabinet de rédiger une déclaration de guerre contre le Mexique en prétextant des contentieux financiers et le refus du Mexique de recevoir le négociateur américain, John Slidell. Polk note dans son propre journal : « J’ai annoncé que, si nous n’avions pas encore entendu parler d’actes d’agression de la part des Mexicains, le danger n’en était pas moins imminent de voir de tels actes se produire. J’ai dit également que, selon moi, nous avions suffisamment de raison de faire cette guerre et qu’il était impossible de rester plus longtemps silencieux, tant le pays se montrait soucieux et impatient à ce sujet. »
- Le Mexique à l’époque était une proie vulnérable et donc très attrayante. Indépendant depuis 1821, dans le sillage de l’effondrement de l’empire américain espagnol, consécutif aux guerres napoléoniennes, le Mexique est un jeune état qui peine à trouver son équilibre. Étranglé par une dette nationale colossale (malgré son statut de premier exportateur mondial d’argent), mal organisé administrativement, surtout dans les territoires du Nord et de l’Extrême Nord, mal organisé militairement, incapable de mettre au pas les tribus indiennes dans ces régions, le Mexique a toutes les peines du monde à garder le contrôle sur ces immenses territoires. Ces territoires du Nord sont d’ailleurs très peu peuplés (le Texas pour prendre l’exemple qui nous intéresse, à cette époque ne compte pas plus de 50000 habitants), et la densité de population (colons) y est de 0,6 habitant au kilomètre carré. Le Mexique est un pays à peine plus peuplé que les États-Unis (7 millions d’âmes environ des deux côtés). Par ailleurs, le flux de colons anglo-saxons dans la région était bien plus important que celui de colons mexicains.
Il ne fallait donc qu’une étincelle pour déclencher la guerre, et l’on voit bien que dans cette affaire, c’est le gouvernement des États-Unis, en l’occurrence l’administration de James Knox Polk, qui a mis l’essentiel de la poudre dans le baril, en installant un camp dans une zone frontière très contestée.
Résumé très sommaire de la guerre
Le 13 mai, la déclaration de guerre est votée à une écrasante majorité. Des manifestations et des rassemblements en faveur de la guerre s’observent à New York, Indianapolis, Baltimore, Philadelphie, et de nombreuses autres villes, et des milliers de jeunes se portent volontaires pour aller défendre Fort Texas sur les rives du Rio Grande.
Malgré des problèmes de recrutement qui se font vite sentir, l’armée étasunienne, favorisée par sa maîtrise supérieure dans le domaine de l’artillerie, remporte victoire sur victoire et défait l’armée mexicaine.
Le 14 septembre 1847 les troupes américaines hissent le drapeau américain sur le Palais National : la ville de Mexico est occupée. La carte ci-dessous détaille le déroulement de la guerre.
Le 2 février 1848, la guerre prend fin avec la signature du traité de Guadalupe-Hidalgo par lequel le Mexique reconnaît le Rio Bravo comme sa frontière orientale avec le Texas et les États-Unis d’Amérique. Le Mexique cède en outre plus de 40 % de son territoire aux États-Unis, soit près de 2 000 000 de km2. Les États de Californie, Arizona, Nevada, Utah, la majeure partie du Colorado et le sud-ouest du Wyoming sont annexés et rattachés à l’Union.
Sur 104556 hommes engagés sur le terrain, les États-Unis en perdent 13768, ce qui constitue le plus fort taux de morts des guerres auxquelles ont participé les États-Unis. Ce fort taux explique peut-être que les États-Unis ne soient pas allés plus loin dans leurs revendications territoriales.
carte retraçant le déroulement de la guerre étasuno-mexicaine
A la fin de la guerre, révélations et jugements critiques
Un mois avant la fin de la guerre, le président Polk est blâmé par un amendement de la chambre des représentants, déposé par le général Zachary Taylor, un des acteurs majeurs de la guerre pour « une guerre inutile et inconstitutionnelle ordonnée par le président des États-Unis. » Cette critique suivait un examen minutieux des débuts de la guerre et du détail des traités signés par le passé avec le Mexique depuis 1819. En cette occasion le futur président Abraham Lincoln, joua un rôle important. Voici Le discours qu’il prononça devant le Congrès en janvier 1848 débunquant en détail le mensonge d’état qui permit de déclencher l’invasion du Mexique ; nous en retranscrivons ici un très large extrait.
Extrait du discours prononcé par Abraham Lincoln le 12 janvier 1848 devant le Congrès des États-Unis
« Le président, dans sa première déclaration de mai 1846, déclare que ces terres (comprises entre le Rio Nueces et le Rio Grande), sur lesquelles les Mexicains nous ont déclaré la guerre, étaient les nôtres ; et il renouvelle cette déclaration, pratiquement dans les mêmes termes, dans tous ses discours depuis un an, nous montrant ainsi combien ce point est important pour lui. Quant à l’importance de ce point, je suis tout à fait d’accord avec le Président. A mon sens, c’est le point sur lequel il devrait être condamné ou absous. Dans sa déclaration de décembre 1846, l’idée lui semble être venue à l’esprit, ce que personne ne contestera, qu’un titre de propriété, lié au sol ou à quoique ce soit d’autre, n’est pas un fait simple tombé du ciel, mais un aboutissement découlant d’un ou plusieurs faits simples, et qu’il lui incombait de présenter les faits à partir desquels il concluait que le sol sur lequel la première goutte de sang avait été versée était le nôtre.
Pressé,(…) il s’attelle à cette tâche ; il présente une thèse, et expose son témoignage dans un développement (…). Je me propose à présent de montrer que tout cela, la thèse et les preuves avancées pour la prouver, constituent, de bout en bout, la plus fieffée des tromperies. (…)
Je vais procéder maintenant aux éléments de preuve avancés par le Président. Tous ces éléments visent à étayer les propositions suivantes :
- que le Rio Grande était la frontière occidentale de la Louisiane, telle qu’elle fut achetée à la France en 1803.
- que la République du Texas a toujours considéré le Rio Grande comme étant sa frontière occidentale.
- que, dans différents traités, elle l’avait affirmé par écrit.
- que Santa Anna, dans son traité avec le Texas, reconnaissait le Rio Grande comme étant sa frontière.
- que le Texas avant son annexion, et les États-Unis ensuite, avaient exercé leur juridiction au-delà de la Nueces, entre les deux rivières.
- que le congrès pensait que la frontière du Texas était au-delà de la Nueces.
Examinons à présent chacune de ces propositions.
Premièrement il prétend que le Rio Grande constituait la frontière de la Louisiane, lorsque nous l’avons achetée à la France en 1803 ; apparemment conscient du caractère discutable de cette proposition, il s’échine sur toute une page à en prouver la véracité, développement au terme duquel il nous fait savoir que, par le traité de 1919, nous avions vendu à l’Espagne la totalité du pays s’étendant entre le Rio Grande et la rivière Sabine à l’est. Maintenant, en admettant, pour le moment, que le Rio Grande fût la frontière de la Louisiane, quel rapport cela avait-il, au nom du Ciel, avec notre frontière actuelle avec le Mexique ? Comment, monsieur le Président (chairman), une ligne qui séparait votre territoire du mien peut-elle encore constituer la frontière entre nous après que je vous ai acheté votre terre ? Cela, Monsieur le Président, passe mon entendement. (…) L’outrage au droit commun, qui consiste à revendiquer pour nôtre ce que nous avons un jour vendu, simplement parce qu’il était à nous avant que nous le vendions, n’est égalé que par l’outrage au bon sens que constituerait toute tentative pour justifier cette revendication.
Le deuxième élément de preuve présenté par le Président est que la République du Texas a toujours clamé que cette rivière (le Rio Grande), constituait sa frontière occidentale. Dans les faits cela n’est pas vrai. Le Texas l’a revendiqué, mais il ne l’a pas revendiqué toujours. Il existe au moins une exception notable. Sa Constitution D’État, le texte officiel le plus solennel et le plus réputé de cette République (…) ne prétend rien de tel. En admettant seulement que le Texas l’aurait toujours revendiqué, le Mexique quant à lui n’avait-il pas toujours prétendu le contraire ? Ainsi la seule chose que nous pouvons dire, est qu’une revendication s’oppose à une autre revendication. Rien ne peut être considéré comme prouvé avant qu’on examine laquelle de ces deux revendications a le plus de fondement.
Quoique je ne respecte pas l’ordre dans lequel le Président met en avant cette pièce à conviction, je m’intéresse à présent à cette catégorie d’assertions qui avancent en substance rien de moins que le Texas, dans le cadre de différentes lois de sa Convention et de son Congrès, a déclaré que le Rio Grande constituait sa frontière… sur le papier. Je fais référence ici ce qu’il dit à propos de la fixation du Rio Grande comme sa frontière, dans sa vieille constitution (pas sa Constitution d’État). (…) Maintenant tout cela n’est rien qu’une revendication indigente ; et ce que j’ai toujours dit à propos des revendications s’applique à merveille à ce cas. Si je revendiquais oralement votre terre, cela n’en ferait certainement pas la mienne ; et si je me trouvais la revendiquer après une action entreprise par moi sans vous consulter, la revendication aurait à peu près la même valeur : insignifiante.
J’en viens maintenant à l’affirmation du Président selon laquelle Santa Anna1, dans son traité avec le Texas, a reconnu le Rio Grande comme la frontière occidentale du Texas. Nonobstant le point de vue si souvent avancé que Santa Ana, en tant que prisonnier de guerre (un captif), ne pouvait pas engager le Mexique par un traité, ce dont je conviens ; nonobstant ce point de vue, je voudrais dire quelque chose à propos de ce traité avec Santa Anna, comme l’appelle le Président. Si certains s’amusent à jeter un coup d’œil à cette petite chose que le Président nomme avec un si grand nom, je les invite à ouvrir le Niles’ Register2, volume 50, page 336. Et s’il s’en trouve pour hasarder que le Niles’ Register est un curieux endroit pour recueillir un document d’une aussi grande portée, un traité solennel entre des nations, je peux seulement dire que j’ai appris, à un degré tout à fait correct de certitude, enquête du Département d’Etat à l’appui, que le Président lui-même ne l’a jamais vu nulle part. En conséquence, je ne crois pas que j’errerais en déclarant que pendant les 10 premières années d’existence de ce document, il n’a jamais été qualifié par quiconque de traité. Qu’il n’ait jamais été appelé ainsi avant que le Président, réduit qu’il était à cette extrémité, ne tente, en le nommant ainsi, de le tordre pour les besoins de sa justification de la guerre du Mexique… Cette chose ne présente aucun des traits caractéristiques du traité. Elle ne s’appelle pas elle-même un traité. En cela Santa Anna ne peut engager le Mexique ; il s’exprime seulement comme Président, commandant en chef de l’armée mexicaine et de sa flotte ; il stipule que les hostilités actuelles doivent cesser et qu’il ne prendrait pas lui-même les armes, ni n’inciterait le peuple mexicain à prendre les armes, tout le temps que durerait la guerre d’indépendance. Il n’a pas reconnu l’indépendance du Texas. Ce n’est pas lui qui a décidé de mettre fin à la guerre, il a indiqué au contraire qu’il souhaitait qu’elle se poursuivît ; il n’a jamais dit un mot sur la frontière, et n’y a probablement jamais pensé. Il est stipulé dans ce document que les forces mexicaines doivent évacuer le Texas, en passant de l’autre côté du Rio Grande ; et dans un autre article il est stipulé que pour prévenir des confrontations entre les deux armées, l’armée texane ne devait pas approcher de la frontière de plus de 5 lieues… de ce qui n’est pas dit, mais clairement, au vu du contexte, c’est du Rio Grande dont il est question. Demeure ce fait : s’il s’agit d’un traité reconnaissant le Rio Grande comme la frontière du Texas, il contient cette clause singulière qui stipule que le Texas ne doit pas s’aventurer à plus de cinq lieues de sa propre frontière.
Vient ensuite l’argument selon lequel le Texas avant son annexion, et les États-Unis par la suite, exerceraient leur juridiction au-delà du Nueces, et entre les deux rivières. L’actuel exercice de juridiction est exactement le genre de preuve qui nous semble décisif. Cet exercice s’étend très loin (au-delà de la Nueces) ? Très bien. Mais s’étend-il si loin que cela ? Il nous dit qu’il allait au-delà de la Nueces, mais il ne nous dit pas qu’il allait jusqu’au Rio Grande. Il nous dit que la juridiction était exercée entre les deux frontières, mais il ne nous dit pas que la juridiction était effective sur tout le territoire. (…) Cette juridiction peut s’étendre entre les deux rivières. Je connais un homme, pas très différent de moi, qui exerce la juridiction sur un terrain s’étendant entre la Wasbah et le Mississippi, et pourtant, cela est si loin de constituer tout l’espace entre les deux cours d’eau, que cela est guère qu’un lopin de 158 pieds de longueur, et de 50 de largeur et rien dans ce terrain n’est à moins de 100 milles de l’un des deux cours d’eau. Il a un voisin entre lui et le Mississipi c’est à dire juste de l’autre côté de la rue, dans cette direction, qu’il ne pourra jamais, j’en suis certain, convaincre ou persuader de quitter son habitation. Il pourrait certes l’annexer, si cela devait être fait, simplement en se postant de son côté de la rue et en le revendiquant, ou alors en s’asseyant et en rédigeant un acte de propriété.
Mais ensuite, le Président nous dit que le Congrès des États-Unis comprenait que l’état du Texas qu’ils avaient accepté dans l’Union s’étendît au-delà de la Nueces. Et bien, je suppose que c’est ce qu’ils ont fait, ce que je comprends, mais à quel point au-delà ? Que le Congrès de la République du Texas n’entendît pas s’étendre jusqu’au Rio Grande, cela est à peu près certain si l’on considère les résolutions qu’ils ont prises au moment de leur admission dans l’Union de remiser expressément la question de la frontière à des temps ultérieurs…. Et, devrait-on ajouter, il est avéré que le Texas lui-même était sur la même longueur d’onde que notre Congrès, si l’on constate que la nouvelle constitution du Texas s’accorde en tous points à ces résolutions.(…)
Quelque temps après que mes collègues eurent présenté les résolutions que j’ai mentionnées, j’ai présenté un préambule, une résolution, des interrogatoires ; j’avais l’intention d’emmener le Président, si possible, sur ce terrain peu fréquenté. Pour démontrer leur pertinence, je propose d’exposer la façon dont je comprends la vraie règle permettant de déterminer le tracé de la frontière avec le Mexique : dans tous les endroits où le Texas exerçait sa juridiction, le territoire était le sien, dans tous les endroits où le Mexique exerçait sa juridiction, le territoire était le sien ; quelque soit la nature de ce qui séparait ces deux zones influence, correspond à la véritable frontière. Si, comme c’est probablement vrai, le Texas exerçait la juridiction le long de la rive ouest de la Nueces, et le Mexique l’exerçait le long de la rive est du Rio Grande, alors la frontière n’était pas constituée par l’une ou l’autre rivière, mais par l’espace s’étendant entre les deux ».
Épilogue
Dans les années 1880, le général Grant, qui avait participé à cette guerre en tant que lieutenant, déclara que la guerre contre le Mexique avait été une guerre diabolique, qui devait fatalement attirer le courroux de Dieu sur les États-Unis. La Guerre de Sécession fut selon lui cette punition : « La rébellion du Sud fut l’avatar de la guerre avec le Mexique. Nations et individus sont punis de leurs transgressions. Nous reçûmes notre châtiment sous la forme de la plus sanguinaire et coûteuse guerre des temps modernes 1 »
L’opinion d’Abraham Lincoln et d’Ulysses Grant, deux futurs présidents des États-Unis n’était évidemment pas celle de la majorité des Étasuniens. Pour beaucoup, cette guerre rapide et très fructueuse exacerba le patriotisme, ouvrit d’immenses territoires à la colonisation, et assit la certitude que les États-Unis d’Amérique étaient portés par une destinée manifeste.
François Belliot, pour l’Observatoire des Mensonges d’État.
1Les promoteurs de la guerre avec le Mexique furent pour l’essentiel des états sudistes qui pratiquaient l’esclavage à grande échelle, notamment pour la culture du coton, très gourmande en main d’œuvre.
1Santa Anna (1794/1876) : Personnage central de l’histoire du Mexique, l’homme a été élu 11 fois président. Il avait été fait prisonnier lors de la bataille de San Jacinto en avril 1836.
2Le Niles Register est un journal hebdomadaire fondé à Baltimore par Hezekiah Niles en 1811. Curieusement Lincoln donne dans ce discours à ce journal un nom qu’il n’a jamais été le sien.